B. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION DES FINANCES

Si votre rapporteur , à l'instar des auteurs de la proposition de loi, considère que la lutte contre l'optimisation fiscale des grandes entreprises internationales doit être renforcée , il estime toutefois qu'il convient de ne pas adopter ces deux articles pour des raisons techniques d'une part et des raisons d'opportunité d'autre part.

En premier lieu, tant les conditions de seuil retenues, que les informations contenues dans la déclaration exposeraient nos entreprises à des contraintes supplémentaires et risquées . En particulier, le seuil de 40 millions d'euros conduirait à assujettir plu s de 5 000 entreprises, représentant 5,2 millions d'employés 8 ( * ) , à cette obligation et à englober des entreprises de taille intermédiaire, souvent dépourvues de moyens humains suffisants pour produire de telles déclarations et pour répondre à de possibles phénomènes d'emballement médiatique éventuellement générés par une mauvaise interprétation des données publiées. Ces entreprises opèrent souvent sur un nombre de produit restreint, les exposant d'autant plus au risque de divulgation implicite des taux de marge. Par exemple, pour une entreprise du secteur de l'équipement automobile, publier des informations sur son activité dans un marché où, cherchant à s'implanter, elle adopte une position offensive, reviendrait à dévoiler son taux de marge. Ces entreprises représentent le coeur de l'emploi et de l'activité économique de notre pays . Il rompt avec le seuil communément défini dans le cadre du projet BEPS de l'OCDE et repris par la Commission européenne de 750 millions d'euros de chiffre d'affaires, d'ailleurs envisagé comme une première expérience avant une possible extension. Le projet BEPS prévoit en effet une clause de revoyure en 2020.

Votre rapporteur considère également que certaines informations dont la publication est prévue par la proposition de loi touchent à la stratégie propre de l'entreprise. En particulier, la publication des données relatives aux ventes et achats entrainerait la divulgation implicite des taux de marge auprès des concurrents . Sur ce point, votre rapporteur rappelle que le secret est aussi indissociable du « monde des affaires ».

En second lieu, à l'appui de la décision du Conseil constitutionnel du 29 décembre 2015, votre rapporteur rappelle les incertitudes juridiques entourant l'introduction d'un dispositif de déclarations publiques par une norme nationale. Une action coordonnée au niveau européen, voire international, devrait être privilégiée , d'autant que le rapport coût-avantage d'une telle mesure n'atteint un point d'équilibre que lorsqu'un les entreprises d'un certain nombre de pays y sont soumises . L'efficacité d'un dispositif uniquement national du point de vue de la lutte contre les stratégies fiscales des grandes entreprises et de l'augmentation des bases d'impôt sur les sociétés demeure très incertaine . De plus, votre rapporteur souligne que le recul des premières déclarations publiques sectorielles mises en oeuvre dans le secteur financier et dans les industries extractives fait défaut .

Surtout, un changement majeur du contexte est intervenu depuis le dépôt de la proposition de loi, le 15 février 2016, avec la proposition de la Commission européenne rendue publique le 12 avril 2016 . Votre rapporteur considère qu'une action européenne est plus pertinente pour agir sur des stratégies opérées au niveau mondial par le recours à la société civile. Comme les récentes informations d'un consortium international de journalistes l'illustrent, l'espace public pertinent pour appréhender ces phénomènes dépasse le cadre national . Transparency international privilégie en ce sens une mesure européenne.

Dans ces conditions, votre rapporteur estime préférable de laisser sa chance à la proposition européenne plutôt que de la forcer par une mesure nationale qui pourrait se révéler contreproductive pour deux raisons. D'une part, de par ses modalités différentes, elle entrainerait une instabilité juridique préjudiciable au climat économique, remettant notamment en cause le seuil de 750 millions d'euros de chiffre d'affaires désormais intégré par les acteurs économiques. D'autre part, alors même que la voix de la France ne pourrait porter avec force dès lors qu'elle ne respecterait pas certains engagements européens par ailleurs, une mesure nationale pourrait renforcer l'opposition de certains États membres encore hésitants sur la question de la publicité des déclarations d'activités. La position de l'Allemagne sur le volet public des déclarations demeure incertaine , mais l'introduction en France d'un nouveau seuil nettement plus faible pourrait renforcer son opposition, en lien avec sa volonté de protéger son Mittelstand .

Votre rapporteur souligne le problème de réciprocité entrainé par l'extension des déclarations d'activités . Quatrième pays au monde de par la localisation de sièges des grandes entreprises multinationales , premier en Europe, la France est fortement concernée par l'extension des déclarations d'activités pays par pays, fiscales comme publiques. Notre pays divulguerait de fait un nombre d'informations plus important que d'autres pays .


* 8 Chiffres communiqués par la Direction générale du trésor

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page