N° 3837


ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

N° 681


SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2015-2016

Enregistré à la Présidence de l'Assemblée nationale
le 14 juin 2016

Enregistré à la Présidence du Sénat le 14 juin 2016

RAPPORT

FAIT

AU NOM DE LA COMMISSION MIXTE PARITAIRE (1) CHARGÉE DE PROPOSER UN TEXTE SUR LES DISPOSITIONS RESTANT EN DISCUSSION DE LA PROPOSITION DE LOI visant à renforcer la liberté , l' indépendance et le pluralisme des médias ,

PAR M. Patrick BLOCHE,
Rapporteur

Député

PAR Mme Catherine MORIN-DESAILLY,
Rapporteure

Sénatrice

(1) Cette commission est composée de : Mme Catherine Morin-Desailly, Présidente et rapporteure, sénatrice et M. Patrick Bloche, Vice-Président et rapporteur , député .

Membres titulaires : MM. Hugues Portelli, Jean-Pierre Leleux, Mme Colette Mélot, M. David Assouline, Mme Sylvie Robert, M. Patrick Abate, sénateurs ; MM. Stéphane Travert, Michel Françaix, Michel Pouzol, Christian Kert, Franck Riester, Michel Herbillon, députés.

Membres suppléants : Mme Maryvonne Blondin, MM. Philippe Bonnecarrère, Jean-Louis Carrère, Jacques Grosperrin, Mmes Mireille Jouve, Vivette Lopez, M. Michel Savin, sénateurs ; Mme Martine Martinel, MM. Marcel Rogemont, Yves Durand, Mme Virginie Duby-Muller, MM. Frédéric Reiss, Rudy Salles, Mme Gilda Hobert, députés.

Voir les numéros :

Assemblée nationale ( 14 ème législ.) :

Première lecture : 3465 , 3542 et T.A. 687

Sénat :

Première lecture : 446 , 505 , 518 , 519 et T.A. 148 (2015-2016)

Commission mixte paritaire : 682 (2015-2016)

TRAVAUX DE LA COMMISSION

Mesdames, Messieurs,

Conformément au deuxième alinéa de l'article 45 de la Constitution et, à la demande du Premier ministre, une commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi visant à renforcer la liberté, l'indépendance et le pluralisme des médias s'est réunie au Sénat le mardi 14 juin 2016.

Elle a procédé d'abord à la désignation de son bureau qui a été ainsi constitué :

- Mme Catherine Morin-Desailly, sénatrice, présidente,

- M. Patrick Bloche, député, vice-président.

La commission a désigné ensuite :

- Mme Catherine Morin-Desailly, sénatrice, rapporteure pour le Sénat,

- M. Patrick Bloche, député, rapporteur pour l'Assemblée nationale.

*

* *

La commission mixte paritaire a ensuite procédé à l'examen des dispositions restant en discussion.

Mme Catherine Morin-Desailly , sénatrice, présidente et rapporteure pour le Sénat . - Le Sénat s'étant prononcé en dernier lieu, je ferai brièvement état des principales modifications que nous avons apportées à la proposition de loi. Hugues Portelli, rapporteur pour avis de la commission des lois, s'exprimera sur l'article 1 er ter relatif à la protection du secret des sources des journalistes.

À l'article 1 er , tout en maintenant le droit d'opposition des journalistes et l'obligation, pour chaque entreprise de médias de disposer d'une charte déontologique, nous sommes revenus sur la notion, source d'insécurité juridique, d'intime conviction professionnelle. À l'article 1 er bis , nous avons souhaité maintenir le comité d'entreprise, pour ce qui concerne la déontologie, dans un strict rôle de destinataire de la charte. Avec le Gouvernement, nous avons abouti à une rédaction de l'article 1 er quater instaurant un statut harmonisé pour les lanceurs d'alerte.

Aux articles 2 et 3, nous avons souhaité clarifier la rédaction afin d'éviter tout risque de contrôle ex ante du CSA (Conseil supérieur de l'audiovisuel) sur les rédactions des éditeurs de programmes, sans remettre en cause la responsabilité qu'a le Conseil supérieur de l'audiovisuel de veiller à l'indépendance de l'information.

À l'article 7, nous avons souhaité faire de la Société des journalistes le pilier de la déontologie en lui reconnaissant la possibilité de saisir le comité de déontologie. Il nous est également apparu nécessaire de prévoir que les membres de ces comités devaient être nommés par l'instance de direction de l'entreprise avec un pouvoir de contrôle du CSA. Ce mécanisme respecte le rôle de chacun tout en renforçant les garanties pour l'indépendance de l'information.

Le Sénat a modifié l'article 11, afin de rendre obligatoire la publicité des mandats électifs ou fonctions politiques des propriétaires des entreprises de presse.

Le Sénat a ajouté deux articles importants à cette proposition de loi. L'article 7 bis prévoit des dispositions particulières pour l'application de la proposition de loi à la Chaîne parlementaire, le Bureau de chaque assemblée étant appelé à exercer les compétences du CSA. L'article 10 ter prévoit, par ailleurs, de clarifier la réglementation sur la numérotation des chaînes afin de veiller d'une part à l'application de la numérotation logique du CSA et, d'autre part, à la possibilité d'une numérotation alternative si celle-ci est thématique et non discriminatoire. Notons enfin que l'article 11 sexies A, voté à l'initiative de notre collègue Mme Mireille Jouve, limite l'avantage fiscal dont bénéficient les journalistes.

M. Hugues Portelli , sénateur . - La commission des lois du Sénat s'est saisie de l'article 1 er ter , relatif au délit de recel de la violation du secret de l'instruction et à la protection du secret des sources des journalistes. Cet article constituait à l'origine un projet de loi à part entière avant d'être introduit dans ce texte par voie d'amendement, et modifié par l'Assemblée nationale. Le Sénat a adopté un texte très différent de celui de l'Assemblée nationale, préférant rester fidèle à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) et à la convention européenne des droits de l'homme, notamment son article 10, qui restreint la liberté d'information pour empêcher la divulgation d'informations personnelles. Dans l'arrêt Bedat contre Suisse du 29 mars 2016, la grande chambre de la CEDH a jugé que la protection des sources devait céder le pas devant la protection du secret de l'instruction. D'où notre position, soucieuse de maintenir un équilibre entre la protection des sources des journalistes et le respect du secret de l'instruction, de la vie privée ou des secrets liés à la sécurité nationale. Il appartient au juge de veiller à cet équilibre - au juge d'instruction quand il est saisi, au juge des libertés dans une enquête menée par le parquet.

M. Patrick Bloche, député, vice-président et rapporteur pour l'Assemblée nationale . - Vingt-et-un articles restent en discussion. Sur l'essentiel, les positions des deux chambres restent très éloignées. Or je rappelle que l'article 45 de la Constitution implique que le texte élaboré en CMP soit adopté ensuite de façon identique par les deux chambres. Rien ne servirait que la CMP s'accorde sur un texte qui serait ensuite rejeté par l'une ou l'autre assemblée.

Les mouvements récents de concentration dans les médias et la dégradation manifeste des conditions de travail des journalistes appelaient une intervention du législateur pour consolider et garantir l'indépendance de l'information, en particulier à l'égard des intérêts économiques des actionnaires. Pour y parvenir, et de manière novatrice après les traditionnelles lois « anti-concentration » des années 80 ou 90 en réaction aux hégémonies du groupe Hersant ou de TF1, les auteurs de la proposition de loi ont choisi de faire confiance aux journalistes et aux médias eux-mêmes, en les encourageant à instiller des gages d'indépendance dans tous les rouages de l'information. Les droits des journalistes seront ainsi mieux garantis et protégés, et l'indépendance de l'information dans les médias audiovisuels sera mieux assurée par le Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA), dont c'est l'une des missions les plus naturelles.

Je déplore que le texte de l'Assemblée nationale ait été très sensiblement modifié par le Sénat. Le droit d'opposition, qui avait pourtant été introduit dans la loi par le Sénat en 2009, court le risque d'être vidé de son sens, avec la suppression, d'une part, de la référence à « l'intime conviction professionnelle », qui permettrait au journaliste, en son âme et conscience, dans le respect des chartes déontologiques, de pouvoir s'opposer à des actes qui heurtent son éthique, d'autre part avec la négation du rôle des représentants des journalistes dans l'adoption des chartes déontologiques d'entreprise, enfin avec la suppression des sanctions auxquelles nous avions adossé ce droit. S'agissant de la protection des sources, le texte adopté par le Sénat aboutit à une situation encore moins protectrice que celle de la loi Dati du 4 janvier 2010, dont pourtant tous dénoncent les insuffisances et les ambiguïtés.

Je regrette aussi que le Sénat ait supprimé toute référence au respect du droit d'opposition des journalistes dans l'appréciation que fait le CSA de l'indépendance des médias, alors même que l'infraction à ce droit figure parmi les indices les plus criants de l'intrusion des intérêts particuliers dans l'information. De même, les comités d'indépendance, que nous n'avions volontairement pas appelés comités de déontologie, ont été très profondément modifiés. Ont notamment disparu toutes les rigoureuses garanties d'indépendance que nous avions souhaitées pour leurs membres, qui seraient nommés à la totale discrétion de la direction sous le contrôle, dans les deux mois, du CSA. A également disparu la possibilité de saisine par toute personne, au risque de miner la crédibilité du dispositif. De même, le Sénat a élargi leurs missions, abordant des problématiques d'éthique qui relèvent pourtant, selon nous, des seuls journalistes, dans le respect de leur conscience et des chartes déontologiques que nous généralisons.

Devant l'enjeu que porte cette proposition de loi, il me paraît indispensable de parvenir à l'adoption d'un texte qui corresponde à l'exposé des motifs initial.

M. David Assouline , sénateur . - Dans ce texte nous avons abordé les questions de l'indépendance, de la liberté et du pluralisme des médias en cherchant à donner aux journalistes les outils pour résister aux pressions. Cela ne nous exonèrera pas de traiter la question des concentrations dans la presse et l'audiovisuel. Celles-ci s'accélèrent et ont évolué par rapport aux années quatre-vingt-dix : désormais les mêmes possèdent les tuyaux, les contenus, la diffusion, à l'image du groupe SFR-Numericable. En France, de grands groupes, dont le métier premier n'est pas la presse et qui vivent de la commande publique, s'emparent de médias. Il nous appartiendra de revenir sur ce sujet pour réguler, définir les seuils pertinents de diffusion ou de possession, en veillant à ne pas affaiblir nos groupes de presse dans la compétition internationale, tout en garantissant la liberté de la presse et le pluralisme.

Je partage globalement l'analyse de Patrick Bloche sur le texte. Toutefois je crois que « l'intime conviction professionnelle », pourtant introduite à mon initiative dans la loi sur l'audiovisuel de 2009, est source d'insécurité juridique. Je lui préfère donc les termes « conviction formée dans le respect... ». En outre, il ne faut pas confondre déontologie, éthique et définition des orientations professionnelles. C'est pourquoi le comité d'entreprise n'est pas le lieu pertinent pour traiter de toutes ces questions.

Le désaccord entre le Sénat et l'Assemblée nationale sur le secret des sources est crucial. Je déplore qu'aucune tentative de rapprochement des points de vue n'ait eu lieu lors de l'examen du texte au Sénat. Le débat est né d'un cas concret qui a inquiété les journalistes. La rédaction de la proposition de loi telle qu'adoptée au Sénat est un recul par rapport à la loi dite Dati de 2010 et renforce encore l'insécurité juridique. Les positions sont donc inconciliables. Le groupe socialiste et républicain aurait aimé que la CMP aboutisse et nous espérons que nos apports seront pris en compte.

M. Michel Pouzol, député . - Depuis trois ans, nous travaillons à l'Assemblée nationale sur la protection du secret des sources des journalistes, sujet d'ampleur qui devait initialement faire l'objet d'un projet de loi. Notre rédaction a été adoptée à l'unanimité à l'Assemblée nationale. Le texte du Sénat est diamétralement opposé et en retrait par rapport à la loi Dati. Je vois mal comment nous pourrions parvenir à un accord.

M. Jean-Pierre Leleux , sénateur . - L'espoir en était bien mince ! Cela n'empêche pas de tenter de convaincre. Tout d'abord, la notion d'intime conviction professionnelle est complexe, difficile d'interprétation pour les juges et donc source de contentieux. Ensuite, est-ce bien au comité d'entreprise de traiter des questions de déontologie et d'éthique ? Enfin, nous souhaitons tous protéger les sources des journalistes, mais l'actualité montre que c'est le secret de l'instruction qui est le plus malmené !

M. Christian Kert, député . - Les positions apparaissent inconciliables. Pourtant la rédaction du Sénat est, globalement, meilleure que celle de l'Assemblée nationale et répond bien à nos préoccupations : en particulier, le CSA ne doit pas être l'arbitre de tous les conflits de l'audiovisuel ou de la presse. Toutefois, monsieur Leleux, nous divergeons sur un point concernant la protection du secret des sources des journalistes. Députés de droite, du centre et de gauche ont ensemble écrit un texte correct. Globalement, donc, la rédaction du Sénat sur la proposition de loi me semble meilleure mais peu compatible avec la version de l'Assemblée nationale.

M. Patrick Abate , sénateur . - Ce texte ne constitue pas la grande loi fondatrice que l'on pourrait espérer pour les journalistes, ni sur le fond, ni sur la forme. Des droits supplémentaires ont été inscrits, très bien, mais cela ne suffit pas. La profession est confrontée à la précarisation, à la concentration, à la menace qui pèse sur la neutralité du Net. Certaines dispositions allaient dans le bon sens et le groupe CRC ne s'y est pas opposé. Toutefois, sur des sujets essentiels, comme le secret des sources, nos collègues sénateurs ont fait du rétropédalage ! L'Assemblée nationale avait pourtant adopté une rédaction prudente : elle n'a pas convenu au Sénat. Inutile dans ces conditions de bricoler un texte à la hâte en CMP, car il ne resterait plus rien d'intéressant dans la proposition de loi.

M. Franck Riester, député . - Sur bien des points, comme le rôle du CSA, nous sommes totalement en phase avec la rédaction du Sénat, et nous pensons que celle-ci réduit les risques que nous avions identifiés. Nous pensions qu'un accord serait possible. Dommage !

Mme Catherine Morin-Desailly , sénatrice, présidente et rapporteure pour le Sénat . - Force est de constater que nous ne parviendrons pas à un accord... Je regrette le recours à la procédure accélérée : alors que l'Assemblée nationale a travaillé sur la question du secret des sources depuis des mois, le Sénat n'a eu que deux semaines pour l'examiner ! J'espère toutefois que l'Assemblée nationale reprendra les apports du Sénat, notamment sur la chaîne parlementaire et sur la numérotation des chaînes.

M. Patrick Bloche, député, vice-président et rapporteur pour l'Assemblée nationale . - Dans le respect mutuel, nous faisons le constat de nos divergences. Je ne pensais pas que ce texte serait clivant. À l'article 1 er , je me suis inspiré de la position défendue par le Sénat en 2009 sur l'intime conviction professionnelle, une expression qui n'a fait l'objet d'aucun contentieux depuis. Nous avons seulement voulu l'étendre à tous les journalistes, au-delà de l'audiovisuel public, en prenant en compte un amendement du groupe Les Républicains rattachant cette intime conviction professionnelle aux chartes déontologiques négociées. Nous sommes aussi parvenus à un consensus, à l'Assemblée nationale, sur le secret des sources. Le travail du Sénat n'aura pourtant pas été inutile et je prendrai en considération, madame la présidente, les apports de votre assemblée.

Monsieur Abate, il ne s'agit sans doute pas d'une loi fondatrice, mais pas d'une petite loi non plus j'espère ! En ce domaine, nous devons légiférer d'une main tremblante, en veillant à ne pas faire fuir les investisseurs privés dont l'apport est indispensable pour soutenir certains titres. Nous serons sûrement amenés à évoquer à nouveau à l'avenir la question des concentrations, notamment en ce qui concerne les réseaux de distribution de services.

M. David Assouline , sénateur . - Nous n'étions pas tous d'accord au Sénat sur « l'intime conviction professionnelle ». J'étais partisan de supprimer simplement « intime » et « professionnelle ». Ce droit d'opposition est l'un des points les plus importants du texte.

Mme Catherine Morin-Desailly , sénatrice, présidente et rapporteure pour le Sénat . - Nous l'avons consacré dans notre rédaction !

M. Hugues Portelli , sénateur . - En rencontrant M. Dominique Raimbourg, président de la commission des lois de l'Assemblée nationale, et en parlant au garde des Sceaux, j'ai eu l'impression que nos positions n'étaient pas si éloignées sur le secret des sources, problème classique de droit pénal. Quoi qu'il en soit, c'est le juge constitutionnel qui aura le dernier mot.

M. Patrick Bloche, député, vice-président, rapporteur pour l'Assemblée nationale . - Votre propos a le mérite de la franchise. Nous savons à quoi nous en tenir lorsque ce texte aura été définitivement adopté !

La commission mixte paritaire constate qu'elle ne peut parvenir à élaborer un texte commun sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi visant à renforcer la liberté, l'indépendance et le pluralisme des médias.

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