II. LA GESTION DU RISQUE ÉCONOMIQUE À TRAVERS DES OUTILS ASSURANTIELS : UN SUBSTITUT À L'ABSENCE D'AMBITION RÉGULATRICE DE LA PAC.

A. L'ASSURANCE-REVENU, UNE RÉPONSE À LA VOLATILITÉ CROISSANTE DES PRIX AGRICOLES ?

1. La volatilité croissante des marchés agricoles fragilise les exploitations agricoles.
a) Le constat de la volatilité croissante des marchés agricoles.

Les marchés agricoles se caractérisent par une forte volatilité due à des facteurs naturels : la production agricole fluctue d'une campagne à l'autre, en raison notamment des conditions météorologiques, des maladies ou des infestations parasitaires. La hausse attendue de phénomènes météorologiques extrêmes, conséquence du réchauffement climatique, aggrave l'incertitude qui pèse sur les rendements agricoles futurs, amplifiant ainsi la volatilité des cours.

Les événements naturels ne sont cependant pas la seule cause de ces fortes variations . En réalité, l'élasticité-prix de l'offre et de la demande est faible sur les marchés agricoles, notamment en raison de la nécessité pour les consommateurs de s'approvisionner en denrées alimentaires même lorsque le prix de ces dernières est élevé. Les cours varient donc fortement, même en cas de variation modérée des quantités produites.

Ces phénomènes ont été amplifiés par la dérégulation des politiques agricoles mondiales, et en Europe de celle de la PAC . Des décisions politiques comme la fermeture du marché russe à de nombreux produits agricoles en provenance de l'Union européenne, ont aggravé la tendance baissière de certains marchés agricoles où l'offre était déjà abondante, comme le lait ou la viande porcine.

Ces dernières années, de nombreux travaux de l'OCDE, de la FAO mais aussi de centres de recherche, ont mis en évidence la tendance des cycles agricoles à s'amplifier, plaçant les agriculteurs dans une immense incertitude quant aux perspectives qui leur sont offertes.

Depuis la dernière flambée des prix des matières premières agricoles en 2007-2008, des phases de prix hauts et de prix bas se sont succédé avec une rapidité déconcertante.

Lors de la réunion du G20 à Paris en 2011, les grandes puissances économiques avaient adopté un plan d'action sur la volatilité des prix alimentaires et sur l'agriculture, qui est à l'origine du Système d'information sur les marchés agricoles (SIMA) visant à accroître la transparence sur les marchés des produits agricoles.

b) La PAC, facteur de volatilité supplémentaire ?

À l'origine, la PAC était caractérisée par une forte régulation des marchés agricoles , à travers des mécanismes de prix garantis. Avec ces prix, les agriculteurs avaient la certitude d'obtenir un prix minimum pour leurs produits en cas de crise. Cette régulation répondait alors aux buts que les traités fondateurs avaient assignés à la PAC.

Depuis la réforme de 1992, les prix garantis ont été progressivement remplacés par des aides directes couplées à la production comme principal mécanisme de la PAC , puis découplées à partir de 2003. L'Union européenne réformait sa politique agricole avec l'objectif de respecter les règles de l'organisation mondiale du commerce (OMC), qui interdit les interventions publiques susceptibles de générer des distorsions de concurrence.

Les interventions destinées à peser sur les prix sont très circonscrites . Le filet de sécurité de la PAC est fixé à un niveau résiduel et seulement pour certaines productions, comme le lait.

Force est de constater que la PAC 2014-2020 n'a pas remis en cause cette orientation et n'a pas tiré les leçons de la volatilité accrue des marchés agricoles . Ce faisant, elle ne répond pas totalement aux objectifs que lui assigne le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne.

EXTRAIT DU TRAITÉ SUR LE FONCTIONNEMENT DE L'UNION EUROPÉENNE

Article 39 (ex-article 33 du traité de Rome)

La politique agricole commune a pour but :

a) d'accroître la productivité de l'agriculture en développant le progrès technique, en assurant le développement rationnel de la production agricole ainsi qu'un emploi optimum des facteurs de production, notamment de la main-d'oeuvre,

b) d'assurer ainsi un niveau de vie équitable à la population agricole, notamment par le relèvement du revenu individuel de ceux qui travaillent dans l'agriculture,

c) de stabiliser les marchés,

d) de garantir la sécurité des approvisionnements,

e) d'assurer des prix raisonnables dans les livraisons aux consommateurs.

Selon le « think tank » Momagri, consulté par votre rapporteur, la PAC aurait même contribué ces dernières années à accroître la volatilité sur les marchés agricoles, en encourageant la libéralisation non régulée. Les accords de libre-échange actuellement en négociation entre l'Union européenne et ses partenaires commerciaux accroîtraient encore les risques.

2. L'assurance-revenu pourrait constituer un amortisseur utile pour les agriculteurs.

Les droits à paiement de base distribués par la PAC constituent le socle du revenu agricole en Europe , mais ils sont loin de couvrir les charges des exploitations . L'essentiel du revenu agricole est en effet tiré des marchés. Si bien que les aides ne sont pas très utiles en situation de prix élevés, et qu'elles sont souvent insuffisantes pour compenser les pertes de revenus tirés des matchés, lorsque les cours sont bas.

Il existe certes des instruments de couverture des risques de marché qui peuvent être utilisés par les agriculteurs : les marchés à terme permettent de se prémunir contre les variations trop fortes des prix de vente ou des prix des intrants. Mais de tels marchés n'existent que pour certaines productions de masse. En particulier, il n'existe pas une telle offre pour les productions animales. Par ailleurs, ces outils sont coûteux, et leur maîtrise demande une technicité qui n'est pas à la portée de tous les exploitants.

Une réflexion est donc en cours dans les milieux agricoles sur la mise en place de dispositifs de sécurisation des revenus agricoles, afin de redonner aux aides à l'agriculture leur rôle d'amortisseur des fluctuations de marché.

Au niveau européen, l'instrument de stabilisation des revenus (ISR) constitue une réponse à cette problématique . Un projet de rapport de l'eurodéputée Angélique Delahaye, qui devrait être adopté définitivement par le Parlement européen d'ici la fin 2016, montre que les mesures de gestion des risques au niveau européen représentent à peine 0,4 % des dépenses de la PAC sur le premier pilier et 2 % sur le deuxième pilier. Et ces outils de gestion des risques portent d'abord et avant tout sur le risque climatique.

Les formules d'assurance portent en effet plutôt sur le rendement des cultures que sur les prix de vente des productions. Toutefois, les États-Unis ont mis en place dans le cadre de leur dispositif de soutien à l'agriculture un mécanisme de garantie de revenus pour les agriculteurs, destiné à absorber les fluctuations importantes des marchés. Il s'agit d'un filet de sécurité assurant un chiffre d'affaires minimum et un niveau de marge suffisant pour rester compétitifs même en situation de crise sur les marchés.

Des analyses du mécanisme d'assurance-revenu aux États-Unis montrent toutefois que si ce système est utile pour absorber une baisse de prix à court terme, il est plus fragile pour répondre à une baisse de prix sur plusieurs années , dans la mesure où les primes d'assurance et les prix-cibles sont calculés d'une année sur l'autre, ce qui conduirait simplement les assurances à accompagner les baisses de revenus, sans pouvoir les stopper.

LE DISPOSITIF D'ASSURANCE-REVENU DANS LE NOUVEAU « FARM BILL » AMÉRICAIN

Le Farm?Bill de 2014 prévoit le renforcement de l'assurance agricole avec la création d'un programme d'assurance complémentaire (Supplemental?Coverage?Option) et l'extension des outils d'assurance actuels à de nouvelles régions et de nouvelles productions. Une enveloppe de 6,5 milliards d'euros est consacrée à ces dispositifs.

Les assurances agricoles sont distribuées par les 18 compagnies d'assurance contractantes de l'Agence fédérale de gestion des risques agricoles (Risk Management?Agency). Elles couvrent 130 produits agricoles d'élevage ou de culture différents et assurent aussi bien les pertes de récoltes, que les pertes de chiffre d'affaires, de niveau de prix ou de marge, selon les filières agricoles.

Le Farm Bill permet aux agriculteurs de choisir leur assureur mais aussi leur niveau de couverture.

L'aide fédérale intervient largement sous 3 formes :

- participation aux frais administratifs des compagnies pour la gestion des contrats ;

- prise en charge d'une partie du coût des polices individuelles (à hauteur d'environ 60 %) ;

- réassurance d'une partie des contrats et garantie de bonne fin de tous les contrats.

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