EXPOSÉ GÉNÉRAL

Mesdames, Messieurs,

De tous temps, le territoire de Paris a été soumis à un régime particulier en raison de son statut de capitale. En outre, le pouvoir central s'est longtemps méfié de cette ville frondeuse, au premier rang des révoltes et des révolutions qui ont marqué l'histoire de France.

À l'époque moderne, il est cependant apparu impensable de maintenir Paris sous un état exorbitant du droit commun et le statut parisien s'est progressivement « démocratisé » au cours du dernier demi-siècle. Le maire de Paris est élu depuis 1977 et non plus nommé par le Gouvernement. La capitale est désormais régie par le droit commun des départements et des communes sous réserve de certaines spécificités, fixées en 1982, dans son organisation et son fonctionnement. Le législateur est également intervenu à plusieurs reprises ces dernières années pour renforcer les pouvoirs du maire de Paris à l'aune de ceux des autres maires.

Aujourd'hui, le Sénat est saisi d'un texte d'inégale valeur qui est d'abord le point ultime d'une évolution continue, par la fusion du département et de la commune de Paris en une collectivité unique, ainsi que par le renforcement des pouvoirs de police du maire de Paris.

Mais le texte proposé par le Gouvernement comporte aussi des dispositions contestables, parmi lesquelles une restructuration très partielle de l'organisation parisienne en arrondissements, avec le regroupement en un secteur unique des quatre premiers arrondissements.

Enfin, le dernier article de ce projet de loi d'abord consacré à Paris et à son environnement offre les moyens de créer de nouvelles métropoles sur le territoire national sans que cette proposition se soit inscrite dans une réflexion approfondie sur ses conséquences sur l'équilibre des territoires et sur la définition même d'une métropole.

Ce texte manque donc de cohérence et souffre d'une réflexion inaboutie, voire inentamée, d'autant que le Gouvernement a engagé la procédure accélérée, sur laquelle votre commission demeure réservée.

I. PARIS : UN STATUT PARTICULIER, HÉRITAGE D'UNE HISTOIRE MOUVEMENTÉE

Le statut dérogatoire de Paris est la conséquence des soubresauts de l'histoire de la capitale et de ses rapports avec le pouvoir central. Au cours des dernières décennies, il s'est progressivement rapproché du droit commun des collectivités territoriales, tout en conservant des particularités nécessitées par la fonction de capitale de la ville.

A. UNE VILLE REBELLE QUI A SUSCITÉ LA CRAINTE DE L'ÉTAT CENTRAL

Au carrefour des itinéraires commerciaux terrestres et fluviaux, au coeur d'une région agricole dynamique, centre religieux, avec la construction de riches abbayes et d'une cathédrale, Paris devient, dès le Moyen Age, un des pôles principaux de rayonnement artistique et d'enseignement européens.

Elle s'affirme progressivement comme lieu de pouvoir. Au VI ème siècle, Clovis installe les organes fixes du pouvoir politique du royaume dans la petite cité des Parisii . Après une parenthèse de deux siècles sous les rois carolingiens, Paris redevient le centre du pouvoir royal sous les Capétiens. Louis VI le Gros est le premier souverain à octroyer des privilèges commerciaux aux Parisiens et le prévôt de Paris est alors le représentant du roi dans la ville.

En raison de cette place centrale qu'occupe Paris depuis plusieurs siècles, l'histoire de France s'est progressivement confondue avec la sienne, comme en témoignent les guerres de religion au XVI ème siècle, la Fronde (1648-1653), la Révolution française de 1789, les Trois Glorieuses des 27, 28 et 29 juillet 1830, la Commune de 1870-1871 ou, plus récemment, les événements de Mai 1968.

Les penchants insurrectionnels de Paris et sa faculté à s'embraser ont toujours suscité la crainte de l'État central et ont justifié l'octroi d'un statut spécifique, dérogatoire au droit commun applicable aux autres communes françaises. Le ministre de l'intérieur Pierre Waldeck Rousseau déclarait ainsi devant la Chambre des députés en 1883 : « Recherchez les journées qui ont changé à Paris la forme du gouvernement, thermidor, brumaire, les journées de juillet [...], vous verrez qu'il n'y a jamais eu à Paris une révolution politique sans qu'elle soit devenue une révolution dans toute la France. »

Cette dérogation au droit commun se justifiait en outre par son statut de capitale, économique et politique, où siègent les différentes institutions de la République.

a) La naissance d'un statut spécifique à Paris (1790-1800)

La Révolution française esquisse les premiers éléments du statut spécifique de Paris. L'Assemblée nationale constituante y institue en 1790 :

- un maire, chef de la municipalité, élu pour deux ans ;

- 16 administrateurs qui forment, avec le maire, le Bureau de la Ville, divisé en cinq départements (subsistances, police, domaine et finances, établissements publics, travaux publics) ;

- 32 membres du conseil municipal qui contrôlent la gestion du Bureau ;

- 96 notables qui, avec le maire et les 48 membres du corps municipal (c'est-à-dire les 16 administrateurs du Bureau de la Ville et les 32 membres du conseil municipal), constituent le conseil général de la commune, compétent pour les affaires importantes ou d'intérêt général ;

- un procureur de la commune assisté de deux substituts.

La même année, est créé le département de Paris , couvrant un territoire composé de la Ville de Paris et des municipalités comprises dans un rayon de trois lieux (environ 12 kilomètres) à partir du parvis de Notre-Dame. Ce département est doté d'un organe permanent de 8 membres élus - - le directoire - choisis par et au sein de l'organe délibérant - le conseil de département comprenant 36 élus. Un procureur général syndic, directement élu par les citoyens, a voix consultative dans toutes les affaires et partage le pouvoir exécutif avec le directoire. Le département de Paris devient, en vertu de la Constitution du 5 fructidor an III (22 août 1795), le département de la Seine .

Le 24 août 1794, les quarante-huit sections parisiennes créées par un décret du 21 mai 1790 sont remplacées par douze arrondissements. La municipalité de Paris est supprimée, cette dernière étant administrée par la Convention elle-même. Un officier public est désigné dans chaque arrondissement pour y exercer les fonctions d'état civil.

L'assemblée du département - mais non le département en tant que circonscription administrative - est également supprimée ; seul survit le directoire avec des membres nommés. L'administration centrale du département est assurée par cinq membres élus, auprès desquels est placé un commissaire central nommé par le Gouvernement qui surveille l'exécution des lois.

b) La tutelle préfectorale (1800-1977)

La loi du 28 pluviôse an VIII (17 février 1800) concernant la division du territoire de la République, complétée par un arrêté consulaire du 12 messidor an VIII (1 er juillet 1800) confirme la mise sous tutelle de la Ville de Paris.

Le pouvoir préfectoral est partagé entre le préfet de la Seine et le préfet de police créé quelques semaines plus tard. Ce dernier est spécialement chargé de la police administrative générale sous l'autorité immédiate des ministres. Aujourd'hui encore, l'arrêté consulaire du 12 messidor an VIII définit l'essentiel des compétences du préfet de police.

À la tête de chacun des douze arrondissements sont nommés, par le ministre de l'intérieur, un maire et deux adjoints ainsi qu'un commissaire de police. Paris ne dispose pas de maire et le conseil général de la Seine assume les fonctions du conseil municipal mais n'a qu'un pouvoir consultatif : il ne délibère que sur les questions que lui soumet le pouvoir central.

Il faudra attendre 1834 pour que Paris soit doté d'une assemblée spécialement dédiée aux affaires municipales, distincte de l'assemblée départementale. Les deux préfets - celui de la Seine et celui de police - conservent néanmoins l'administration de la commune de Paris et du département de la Seine.

Alors que les assemblées municipales et départementales françaises bénéficient d'un élargissement de leurs prérogatives en vertu des lois du 18 juillet 1837 et du 10 mai 1838, Paris est exclu de cette extension jusqu'à la loi du 24 juillet 1867 qui octroie au conseil municipal de Paris les attributions accordées aux autres conseils municipaux trente ans plus tôt. Le conseil de Paris se voit reconnaître un droit exclusif d'initiative dans de nombreux cas mais le pouvoir central conserve son droit d'autorisation.

L'effectif des assemblées des deux collectivités connaît plusieurs modifications. Une loi du 5 mai 1855 fixe à 36 le nombre de membres du conseil municipal tandis que son président est désigné par l'Empereur. Une loi du 18 juillet 1866 porte l'effectif de la commission départementale à 68 membres avec le droit d'adopter certaines délibérations, les autres demeurant soumises à l'approbation du pouvoir central.

Après la chute du Second empire, un décret du 7 septembre 1870 reconstitue la mairie centrale, maintient la préfecture de police et supprime la préfecture de la Seine, le conseil municipal et le conseil général de la Seine. Le 26 mars 1871, une Commune de 90 membres est élue. Elle place à la tête de chaque service de l'administration municipale une commission spéciale choisie au sein du conseil municipal et constitue une commission exécutive chargée de la direction générale. Dans chaque arrondissement, les conseillers assurent l'administration des affaires courantes.

Discutée en pleine tourmente communaliste, la loi du 14 avril 1871 définit un nouveau statut pour Paris : elle reconstitue le conseil municipal de Paris, chargé en particulier du contrôle budgétaire de l'administration préfectorale. Ses 80 membres sont élus au scrutin uninominal majoritaire à deux tours à raison d'un membre par quartier et deviennent membres de droit du conseil général de la Seine.

La grande loi municipale du 5 avril 1884 qui prévoit, pour chaque commune française, l'élection d'un maire par le conseil municipal ne s'applique pas à Paris. Celle-ci demeure régie par les lois de 1837, 1855 et 1867, ce qui accentue le caractère dérogatoire de son statut. Contrairement aux autres conseils municipaux, l'activité de celui de Paris est limitée aux matières d'administration dont la liste est déterminée par une loi.

S'agissant du département de la Seine, il faut attendre 1932 pour que s'applique la grande loi départementale du 10 août 1871.

En 1935, l'effectif du conseil municipal de Paris est relevé à 90 membres pour tenir compte de l'importance de la population dans certains quartiers périphériques.

Sous l'Occupation, les pouvoirs des deux assemblées - municipale et départementale - sont transférés aux deux préfets. En 1944, le Comité parisien de la Libération assume le rôle de conseil municipal de Paris et de conseil général de la Seine. Une ordonnance du 13 avril 1945 recrée les organes délibérants élus. Les 90 membres du conseil municipal de Paris sont élus au sein de six secteurs au scrutin proportionnel. L'effectif du conseil général de la Seine est porté à 150 (140 avant-guerre). Des attributions plus larges sont confiées aux deux assemblées sans toutefois remettre en cause la tutelle de l'État : le préfet de la Seine, devenu en 1968 le préfet de Paris, et le préfet de police demeurent les véritables administrateurs de Paris.

La loi du 10 juillet 1964 portant réorganisation de la région parisienne supprime le département de la Seine et fait déjà de la Ville de Paris « une collectivité territoriale à statut particulier ayant des compétences à la fois communales et départementales ». Son assemblée délibérante, le conseil de Paris, exerce à la fois les fonctions de conseil municipal et de conseil général. Toutefois, les délibérations de cette assemblée unique demeurent préparées et exécutées par le préfet de Paris et le préfet de police.

c) La « normalisation » initiée en 1975 du statut de Paris

La loi n° 75-1331 du 31 décembre 1975 portant réforme du régime administratif de la Ville de Paris marque une rupture radicale avec cette longue évolution statutaire en instituant l'élection au suffrage universel du maire de Paris, qui est effective lors des élections municipales de 1977.

Dès lors, le préfet de Paris n'est plus l'exécutif de Paris. Il revient désormais au maire de Paris de préparer et d'exécuter les délibérations du conseil et le budget, d'ordonnancer les dépenses, de gérer le domaine, sous le contrôle de l'assemblée qu'est le conseil de Paris. En revanche, il ne dispose pas de la plénitude des pouvoirs de police qui continuent d'être exercés par le préfet de police.

Le maire de Paris devient, dans le même temps, président du conseil général de Paris. En application de la loi du 2 mars 1982, le maire de Paris est l'exécutif des deux collectivités. Ainsi, le conseil de Paris est une assemblée unique qui recouvre deux collectivités territoriales distinctes : il gère les affaires relevant de la commune de Paris et du département de Paris.

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