B. LE POIDS DES DÉFAILLANCES PASSÉES

1. Un impact en dépenses évalué à 7 milliards d'euros pour le compte d'affectation spéciale

L'État actionnaire a annoncé qu'il souscrirait via l'APE à ces augmentations de capital :

- à hauteur de 3 milliards d'euros pour EDF 13 ( * ) ;

- pour un montant qui peut être estimé à 4 milliards d'euros pour Areva 14 ( * ) .

Au total, le compte devrait donc être mobilisé en dépenses à hauteur de 7 milliards d'euros en 2017 pour recapitaliser le secteur énergétique.

2. Un impact incertain sur les indicateurs maastrichtiens

En principe, une prise de participation ou une cession est traitée comme une opération financière en comptabilité nationale, sans impact sur le déficit au sens de Maastricht . En effet, dans la mesure où l'État reçoit en contrepartie de son (dés)investissement un actif financier de même valeur, il n'y a pas de modification du besoin de financement des administrations publiques.

De ce fait, le solde du compte d'affectation spéciale, en tant que support des opérations financières conduites par l'État actionnaire, n'a généralement pas d'impact sur le déficit maastrichtien.

La situation est toutefois différente s'agissant du cas particulier de la recapitalisation d'une entreprise publique.

Lorsque l'opération est considérée comme une opération financière, son impact sur les indicateurs maastrichtiens est identique à celui d'une prise de participation .

Toutefois, une telle opération peut dans certains cas être qualifiée de transfert de capital . Son impact sur le déficit au sens de Maastricht est alors analogue à celui d'une opération budgétaire classique .

Le traitement comptable des recapitalisations est apprécié par Eurostat au cas par cas selon le principe général suivant : « l'apport de capitaux doit être traité en opération non financière toutes les fois qu'il s'agit d'une opération sans contrepartie », c'est-à-dire lorsque « l'administration ne reçoit pas en échange un actif financier de même valeur » 15 ( * ) .

À titre d'exemple, la recapitalisation de France Télécom en 2003 a été qualifiée d'opération financière, l'État ayant agi en « investisseur avisé ». Financée via un emprunt garanti, elle a dégradé le ratio d'endettement à hauteur de 0,6 point du PIB, soit 9 milliards d'euros, mais n'a eu aucun impact sur le déficit maastrichtien 16 ( * ) .

À l'inverse, Eurostat a considéré que la recapitalisation du groupe Dexia en 2012 par la France et la Belgique ne pouvait être considérée comme une opération financière 17 ( * ) , compte tenu de l'absence de perspective de rentabilité - et ce contrairement à la première recapitalisation effectuée en 2008. L'opération a ainsi dégradé le déficit maastrichtien de la France et de la Belgique à hauteur respectivement de 0,1 point de PIB et de 0,7 point de PIB 18 ( * ) .

Pour se prononcer, Eurostat indique qu'il importe surtout de déterminer si l'administration anticipe « un retour sur investissement , sous la forme d'un flux futur de dividendes et/ou sous la forme d'une augmentation de la valeur de l'actif financier qui représente son droit sur l'entreprise » 19 ( * ) .

À cet égard, si la recapitalisation d'EDF devrait sans problème être qualifiée d'opération financière, la situation est moins évidente pour Areva, qui a accumulé des pertes importantes et ne distribue plus de dividendes depuis 2010.

La 19 juillet dernier, la Commission européenne a d'ailleurs ouvert une enquête approfondie afin d'évaluer la compatibilité du financement de la restructuration d'Areva par l'État français avec les règles de l'Union européenne sur les aides d'État, les lignes directrices exigeant notamment que les bénéficiaires « élaborent un plan de restructuration solide qui leur permette de devenir viables à long terme sur la base d'hypothèses réalistes » 20 ( * ) .

En pratique, lorsque l'entreprise a accumulé des pertes , Eurostat fait la distinction entre deux cas de figure , comme l'indique la décision de 2003 sur « les apports de capitaux par les administrations publiques dans des entreprises publiques » 21 ( * ) .

Le premier cas concerne les entreprises publiques qui affichent des pertes mais pour lesquelles « des investisseurs privés (en incluant des nouveaux investisseurs) participent de façon substantielle à l'apport de fonds » . Sous réserve que « certaines conditions relatives aux investisseurs privés sont satisfaites (notamment pour ce qui concerne leurs droits et risques, similaires à ceux qui incombent à l'administration publique) », l'apport de fonds peut alors être traité en opération financière dans sa totalité.

Le deuxième cas concerne les opérations pour lesquelles l'administration publique intervient seule . Dans une telle situation, l'apport de fonds est en principe traité en opération non financière dans la limite du montant des pertes à couvrir et en opération financière pour sa partie excédentaire. Une exception est toutefois prévue en cas de « restructuration fondamentale » de l'entreprise : l'apport de fonds peut alors être traité en opération financière dans sa totalité « s'il existe un large consensus quant à la forte probabilité que l'entreprise redevienne bénéficiaire dans un avenir proche ». À l'inverse, s'il apparaît « une incertitude sur les futurs effets de la restructuration », l'apport est traité en opération non financière dans la limite du montant des pertes.

Au regard de cette grille d'analyse, une partie de la recapitalisation d'Areva pourrait poser problème.

En effet, Areva a d'ores et déjà annoncé que l'augmentation de capital d'un montant global de 5 milliards d'euros devrait être répartie à hauteur de 2 milliards d'euros au niveau d'Areva SA et de 3 milliards d'euros au niveau de NewCo 22 ( * ) .

Or, Areva SA constitue une structure de défaisance : il est donc peu probable qu'un investisseur privé participe à l'opération. La presse spécialisée a ainsi indiqué que si des investisseurs privés pourraient participer à hauteur d'un tiers à la recapitalisation de NewCo, la recapitalisation d'Areva SA devrait être « assumée en totalité par l'État français » 23 ( * ) , ce que tendent à confirmer les déclarations d'Emmanuel Macron devant votre commission des finances en mai dernier 24 ( * ) .

En l'absence de perspective de rentabilité, il existe donc un risque que cette partie de l'opération soit qualifiée d'opération non financière par Eurostat.


* 13 APE, « Face aux défis du secteur de l'énergie, l'État accompagne EDF dans sa stratégie de développement », communiqué de presse du 22 avril 2016.

* 14 Les Échos , « Martin Vial : "Nous prévoyons de nouvelles cessions sur le portefeuille coté" », 17 mai 2016.

* 15 Commission européenne, Manuel SEC95 pour le déficit public et la dette publique, édition 2002, p. 61.

* 16 Rapport n° 23 (2008-2009) de Philippe Marini relatif au projet de loi de finances rectificative pour le financement de l'économie, fait au nom de la commission des finances et déposé le 15 octobre 2008, p. 51.

* 17 Eurostat, « Recapitalisation of Dexia Group », Lettre de M. François Lequiller adressée à M. Jean-Marc Delporte, 19 mars 2013, p. 2.

* 18 Alexandre Garabedian, « Le sauvetage de Dexia vient gonfler les déficits belge et français », L'AGEFI Quotidien, 20 mars 2013.

* 19 Eurostat, « Apports de capitaux par les administrations publiques dans des entreprises publiques », 21 août 2003, p. 1.

* 20 Commission européenne, « Aides d'État: la Commission ouvre une enquête approfondie sur le financement de la restructuration d'Areva par l'État français », communiqué de presse, 19 juillet 2016.

* 21 Eurostat, « Apports de capitaux par les administrations publiques dans des entreprises publiques », 21 août 2003, p. 2

* 22 AREVA, « Lancement du transfert des activités du cycle du combustible nucléaire vers NewCo », communiqué de presse du 30 août 2016.

* 23 Les Échos , « La restructuration d'Areva sur le fil du rasoir », 16 juin 2016.

* 24 « Nous avons décidé de recapitaliser le nouvel Areva en deux fois : d'abord avec une structure de défaisance, entité juridique propre qui gérera le risque et qui devra être recapitalisée - cela relèvera du droit des aides d'État ; ensuite avec une recapitalisation du nouvel Areva avec l'entrée d'actionnaires minoritaires chinois et japonais - l'État intervient alors en tant qu'investisseur avisé, même si tout cela sera bien entendu ratifié à la Commission européenne. » (cf. compte rendu de l'audition le 25 mai 2016 d'Emmanuel Macron, ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique, devant la commission des finances du Sénat).

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