C. LES CRÉDITS DU PROGRAMME 158, STABLES, SONT APPELÉS À FINANCER LES INDEMNISATIONS DES VICTIMES DE SPOLIATION ET DES MISSIONS DONT LES OBJECTIFS SONT LOIN D'ÊTRE TOUS ATTEINTS

Le programme 158 porte les indemnisations versées sous forme de rente ou de capital aux victimes des persécutions antisémites et des actes de barbarie pendant la Seconde Guerre mondiale .

Ces indemnisations ont été mises en place par les différents décrets suivants : n° 99-778 du 10 septembre 1999 et n° 2000-657 du 13 juillet 2000 (action 01 « Indemnisation des orphelins de la déportation et des victimes de spoliations du fait des législations antisémites en vigueur pendant l'Occupation ») et le décret n° 2004-751 du 27 juillet 2004 (action 02 « Indemnisation des victimes d'actes de barbarie durant la Seconde Guerre mondiale »).

Répartition des crédits entre les actions du programme 158

(en millions d'euros)

Source : commission des finances sur la base du projet annuel de performances pour 2016

Prolongeant le redressement constaté l'année dernière, après la baisse de plus de 4 % intervenue dans la loi de finances pour 2015, ces crédits sont en très légère hausse de 0,1 % (après 0,5 % en 2016) .

La programmation budgétaire traduit une très modeste augmentation des crédits d'intervention, qui sont largement prédominants au sein du programme (97 %), accompagnée d'une économie sur les dépenses de fonctionnement, les dépenses de personnel demeurant stables.

L'augmentation des dépenses d'intervention concerne exclusivement l'action 01 qui finance l'indemnisation des orphelins de la déportation et celle des victimes de spoliation (+ 291 000 euros) tandis que, de son côté, l'indemnisation des victimes d'actes de barbarie durant la seconde guerre mondiale (action 02) verrait ses moyens baisser un peu (- 208 000 euros) .

• L'action 01 réunit des crédits de 46,4 millions d'euros (46 % des dotations du programme). Elle est majoritairement dédiée (37,2 millions d'euros, soit plus de 80 % de ses moyens) à verser aux orphelins des victimes de persécutions antisémites les arrérages qui leur sont dus 34 ( * ) . Au total, les crédirentiers bénéficiant de cette catégorie d'interventions seraient au nombre de 5 430 au 31 décembre 2016 pour une rente annuelle de 6 853,9 euros.

De son côté, l'action 02 sert également des arrérages, mais aux orphelins des victimes d'actes de barbarie commis pendant la seconde guerre mondiale , dont les droits ont été aménagés en 2004 quelques années après ceux des orphelins des victimes de persécutions antisémites (2000) 35 ( * ) .

Les prestations versées dans le cadre de ces dispositifs ont entraîné des coûts effectifs supérieurs aux prévisions au cours des dernières années si bien que la réserve de précaution a dû être entièrement dégelée. La prévision pour 2018 fait d'ores et déjà d'une progression des crédits à inscrire de 3,8 % au terme de laquelle ceux-ci passeraient, pour les interventions, de 98,3 millions d'euros en 2017 à 102 millions d'euros. De nouvelles demandes sont reçues et il faut traiter les dossiers en souffrance (voir ci-dessous) en tenant compte des revalorisations automatiques prévues par la réglementation.

Le niveau unitaire annuel de ces deux rentes est identique mais des différences temporelles dans les entrées dans les deux dispositifs se produisent de sorte que certains nouveaux bénéficiaires ne sont pas indemnisés en année pleine (ainsi, le coût moyen des nouvelles rentes est estimé à 5 711,60 euros pour les titulaires des droits ouverts à compter de 2014 aux orphelins des victimes d'actes de barbarie).

Au total, la rente mensuelle s'élevait dans les deux cas à 557,23 euros en 2016 et devrait être revalorisée de 2,5 % comme prévu par le décret n° 2009-1003 du 24 août 2009 pour passer à 571,16 euros en 2017.

Le nombre des demandes reçues dans le cadre de ces deux dispositifs a été inégal, le dispositif le plus récent (barbarie) ayant suscité 33 984 demandes depuis 2004 quand celui réservé aux victimes d'actes antisémites a engendré 17 632 demandes en quinze ans.

Le taux de réponse aux demandes transmises apparaît au premier regard comme peu satisfaisant , les services instructeurs ayant été quelque peu débordés, tout particulièrement les premières années, par le flux des dossiers qu'ils ont reçus. Sur les 17 632 demandes de victimes d'actes antisémites, 13 626 décisions ont été rendues (soit environ 75 %) tandis que pour les demandes formulées dans le cadre du dispositif de 2004 le taux de décision est encore moindre avec près de 67 %. Il est vrai que dans le contingent des non-réponses figurent les dossiers classés sans suite. Au total, il resterait 80 % de demandes non traitées à ce jour pour le dispositif créé en 2004 tandis que le taux de dossiers non-traités ne serait que de 3 % pour les rentes versées aux victimes d'actes antisémites.

Les taux de satisfaction sont également différents . Dans le dernier cas mentionné, le taux de décision favorable atteindrait 77 % tandis qu'il ne serait que de 67 % pour les victimes d'actes de barbarie. Ce dernier taux est sans doute influencé, par le bas, par le niveau encore trop élevé des dossiers n'ayant pas reçu d'instruction définitive à ce jour.

Le taux de conflictualité des décisions administratives n'est pas négligeable (30,0 % des décisions de rejet dans le cadre de chacun des dispositifs). Cependant, aucun des recours formés dans le cadre du premier dispositif n'a prospéré. En revanche, il reste quelques contentieux (28) liés au dispositif au profit des victimes d'actes de barbarie pour lequel des annulations de décisions de rejet ont été prononcées. Vingt-trois recours sont pendants.

Le nombre des bénéficiaires varie selon le dispositif envisagé 36 ( * ) . Les victimes de persécutions antisémites qui ont été indemnisés ont été au nombre de 13 620 (chiffre qui demanderait une évaluation du dispositif au regard de l'histoire), pour un coût total de 749,4 millions d'euros . Pour les victimes d'actes de barbarie , le nombre des crédirentiers a été nettement supérieur (22 607) pour un coût de 931,4 millions d'euros . Le coût moyen cumulé par bénéficiaire ressort ainsi comme inégal (54 900 euros dans un cas, 41 199 euros dans l'autre) ce qui traduit les effets d'une ancienneté inférieure du dispositif des victimes d'actes de barbarie compensée par une longévité des bénéficiaires qui apparaît supérieure.

Il faut ajouter aux deux dispositifs envisagés ici le dispositif d'indemnisation ménagé dans l'accord conclu le 8 décembre 2014 entre la République française et les États-Unis pour assurer l'indemnisation de certaines victimes de la Shoah déportées depuis la France mais non couverts par les programmes français d'indemnisation. Une somme de 54,5 millions d'euros a été ouverte à ce titre dans les crédits du programme 158 au cours de l'année 2015. Le nombre des bénéficiaires ultimes de l'accord n'a pas été communiqué à votre rapporteur spécial, leur identification demeurant de la responsabilité du Gouvernement des États-Unis.

• Le reste des crédits (un peu plus de 9 millions d'euros, soit moins de 10 % des dotations du programme) est consacré à l'indemnisation des victimes de spoliations confiée à la commission d'indemnisation des victimes de spoliations (CIVS). C'est le décret n° 99-778 du 10 septembre 1999 qui, à la suite des travaux de la commission présidée par M. Jean Matteoli, a créé ce dispositif. Il est censé dépasser le strict cadre d'un système d'indemnisation puisque la CVIS a pour responsabilité de proposer des mesures équitables de réparation, restitution ou indemnisation appropriées.

Cette mission suppose une activité résolue d'enquête afin d'actualiser, le cas échéant, la consistance des biens spoliés (ils peuvent être financiers, mobiliers ou immobiliers) et de retrouver leurs ayants droit.

Or, cette mission n'est pas exercée dans des conditions pleinement satisfaisantes , comme l'ont établi différents travaux auxquels le Sénat a tout particulièrement contribué à travers la mission d'information de sa commission de la culture sur les oeuvres d'art spoliées par les nazis.

Sa rapporteure, notre collègue Mme Corinne Bouchoux, avait ainsi formulé 9 propositions dont votre rapporteur spécial met particulièrement en exergue celles consistant à réaliser un répertoire complet des archives portant sur les oeuvres spoliées, à assurer un plus grand pluralisme des acteurs et à assurer une meilleure accessibilité des oeuvres, parmi d'autres. Certaines de ces recommandations sont applicables aux autres éléments patrimoniaux ayant pu se trouver spoliés pour lesquels l'accès aux archives de certaines institutions financières est tout à fait crucial. Par ailleurs, la recherche active des oeuvres a progressé, ce dont il faut se féliciter mais en notant qu'une diversification des intervenants et une exploitation systématique des oeuvres ( recto et verso ), aujourd'hui inégalement accessible, et de leur parcours marchand seraient souhaitables.

Votre rapporteur spécial s'inquiète du niveau des moyens humains et financiers confiés à la CVIS qui paraissent assez loin de pouvoir couvrir les besoins d'une action difficile qui, pour mobiliser le bénévolat de plusieurs intervenants et les efforts des héritiers, doit bénéficier des outils nécessaires à sa réussite. Le plafond d'emplois de la commission est de 24 ETPT dont un volant d'agents contractuels qui, de 7 l'an dernier, a été ramené à 4 après titularisation de 3 agents.

Il n'est pas sûr, par exemple, que l'implication de la CVIS dans la Taskforce créée après la découverte de 1 500 oeuvres au domicile du fils d'un marchand d'art agissant pour le compte du régime nazi, puisse être aussi effective qu'il serait souhaitable avec les moyens disponibles alors qu'une convention entre la CVIS et cet organisme a été signée le 10 juillet 2015.

Par ailleurs, des incidents sérieux sont intervenus en 2015 qui montrent la nécessité de mettre à niveau la sécurité des outils informatiques de la CVIS. À cet égard, les déménagements répétés de la CVIS peuvent constituer un obstacle à une remédiation pourtant nécessaire. La CIVS, qui a changé de locaux récemment, a vocation à rejoindre en 2017 le site Ségur Fontenoy qui hébergera les services rattachés au Premier ministre. Certes, ceci devrait réduire d'autant ses frais de fonctionnement. Mais, cette perspective ne favorise pas les initiatives pour améliorer sa sécurité.

Avec la disponibilité de moyens suffisants, il y va, bien sûr avant tout, d'un devoir de justice. Il y va aussi d'enjeux financiers très importants.

À ce jour, le système d'indemnisation a suscité 467,4 millions d'euros de dépenses budgétaires depuis sa création (début 2000) jusqu'au 31 juillet 2016 pour 23 558 dossiers déposés dont 21 677 dossiers admis à indemnisation, soit un taux de satisfaction de 92 %. Le niveau moyen d'indemnisation par dossier s'élève à 21 539 euros mais le nombre des bénéficiaires ultimes étant supérieur en raison des règles de succession, le niveau moyen d'indemnisation par bénéficiaire s'est élevé à 9 819 euros. Ces données moyennes n'ont une signification que relative dans la mesure où les préjudices associées à chacun d'entre eux varient fortement. Ainsi, la baisse régulière des nouvelles recommandations de la CIVS (351 en 2015 contre 974 en 2012) ne peut pas être considérée comme totalement prédictive des enjeux financiers dont certains sont encore à venir. Dans ces conditions, si les services de la commission anticipaient en 2016 la fin de l'instruction de dossiers à fort enjeu financier , ainsi que la levée de parts d'indemnité réservées importantes 37 ( * ) , ces prévisions sont toujours susceptibles de révision.

La CIVS a été renouvelée pour une durée de cinq ans par décret du 28 mai 2014 38 ( * ) . Il a explicitement été envisagé son arrêt progressif dans les années qui viennent, les versements de rente pouvant être gérés par l'ONAC-VG .

Toutefois, les dossiers complexes relatifs à l'indemnisation des victimes de spoliations et à la recherche de provenance des oeuvres d'art nécessitent des compétences spécifiques et il semble difficile et, surtout, peu recommandable , d'envisager une disparition de la CIVS tant que ces dossiers seront en cours.


* 33 Cf. jugement du tribunal administratif de Paris en date du 27 octobre 2014.

* 34 Elle comporte également (voir ci-après) une indemnisation pour les spoliations alors commises.

* 35 Cette « postériorité » a donné lieu à des contentieux qui n'ont pas prospéré.

* 36 Le nombre des bénéficiaires effectifs dépasse les bénéficiaires immédiats du fait des règles de partage successoral.

* 37 Ces parts sont réservées lorsque des héritiers clairement établis n'ont pas été associés à la requête ou que les ayants droit ne sont pas connus et doivent se manifester.

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