B. UN TEXTE DEVENU PRESQUE ILLISIBLE

Au fil des différents rebondissements qui ont émaillé son examen, de la révélation d'un avant-projet de loi par la presse le 18 février 2016 à son adoption définitive par l'Assemblée nationale le 21 juillet suivant, la loi « Travail » s'est transformée en un texte fourre-tout . Alors qu'elle comptait initialement 52 articles , elle avait presque doublé de volume en première lecture à l'Assemblée nationale, atteignant 102 articles . Au final, la loi publiée au Journal officiel comporte 123 articles , sur près de 100 pages .

A l'origine destiné à traduire dans la loi certaines des recommandations du rapport Combrexelle 11 ( * ) , en particulier l'élargissement du champ de la négociation d'entreprise et l'inversion de la hiérarchie des normes qui en découle, ce texte s'est tout d'abord vu adjoindre, sous la forme initialement envisagée d'un préambule au code du travail , les 61 principes essentiels du droit du travail identifiés par la commission présidée par Robert Badinter 12 ( * ) et destinés à guider les travaux de la commission de refondation du code du travail . Il a également servi de véhicule à la définition du cadre juridique du compte personnel d'activité (CPA), dont la loi du 17 août 2015 précitée avait fixé la création au 1 er janvier 2017, et ce malgré l'échec de la négociation nationale et interprofessionnelle engagés à ce sujet. Il apporte également une nouvelle définition du licenciement économique , qui n'avait fait l'objet d'aucune concertation avant sa présentation au Conseil d'Etat . Il prévoyait à l'origine de créer un barème obligatoire s'imposant au juge prud'homal pour indemniser les licenciements sans cause réelle et sérieuse, pourtant jugé contraire à la Constitution par le Conseil constitutionnel dans sa décision 13 ( * ) du 5 août 2015. Enfin, il réforme en profondeur la médecine du travail et renforce la lutte contre le détachement illégal de travailleurs .

Au vu de la mobilisation citoyenne et sociale que l'avant-projet de loi avait suscitée, le Gouvernement a été contraint de retarder de quinze jours, du 9 au 24 mars, l'adoption du projet de loi en Conseil des ministres et de faire plusieurs concessions. Après avoir saisi le Conseil d'Etat sur l'ensemble du projet de loi le 12 février, il lui a transmis une lettre rectificative le 15 mars qui entérine un rétropédalage sur plusieurs points : le barème obligatoire des indemnités prud'homales est retiré du texte et l'inscription des principes essentiels du droit du travail en préambule du code du travail est abandonnée. Plusieurs mesures, destinées à répondre à la forte opposition à ce texte au sein de la jeunesse, ont en revanche été ajoutées, comme la généralisation de la garantie jeunes ou la création du compte d'engagement citoyen (CEC).

L'examen du projet de loi par le Parlement n'a pas apporté plus de cohérence à son contenu . Les principes fondamentaux du droit du travail ont été purement et simplement retirés du texte à l'initiative du rapporteur de l'Assemblée nationale. De nombreuses thématiques ont été ajoutées , à l'instar de la responsabilité sociale des plateformes de mise en relation ou du dialogue social dans les réseaux de franchise . Son article 8 (ex-article 2), qui acte l'inversion de la hiérarchie des normes et la primauté de l'accord d'entreprise, même défavorable au salarié, sur l'accord de branche en matière de durée du travail et de congés, n'a pas été rendu plus intelligible. Ses 26 pages publiées au Journal officiel et les 181 nouveaux articles qu'il insère dans le code du travail ont donc été rendues difficilement accessibles aux personnes, salariés comme chefs d'entreprise, qui chercheraient à en mesurer les conséquences.

Enfin, le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 4 août 2016 14 ( * ) , a censuré deux articles introduits au cours du débat parlementaire en raison de leur absence de lien avec les dispositions du projet de loi initial (cf. infra ).

Ce périmètre fluctuant et ces ajouts incessants soulignent le pilotage défaillant de ce texte par le Gouvernement qui l'a conduit, avant même le début de son examen parlementaire, à décider d'un passage en force à l'Assemblée nationale.


* 11 Jean-Denis Combrexelle, « La négociation collective, le travail et l'emploi »,
rapport au Premier ministre, France Stratégie, septembre 2015.

* 12 Comité chargé de définir les principes essentiels du droit du travail, rapport au Premier ministre, janvier 2016.

* 13 Conseil constitutionnel, décision n° 2015-715 DC du 5 août 2015, Loi pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques.

* 14 Conseil constitutionnel, décision n° 2016-736 DC du 4 août 2016, Loi relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels.

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