B. UN ACCORD ÉQUILIBRÉ, MALGRÉ CERTAINES LIMITES

1. L'échange automatique prévu par l'accord est assorti de garanties relatives à la confidentialité et à l'utilisation des données

L'équilibre du mécanisme retenu par l'accord proposé est satisfaisant tant concernant les modalités de l'échange automatique qu'il prévoit, en termes de confidentialité et d'utilisation des données, qu'an regard des procédures de consultation et de sauvegarde qu'il comporte. Ces garanties permettent d'encadrer l'ouverture de l'accord à la signature de pays en cours d'insertion dans le système fiscal international.

En particulier, il convient de souligner que l'échange automatique ne constitue pas un échange ouvert à tous les États parties de toutes les déclarations, mais intervient uniquement entre juridictions dans lesquelles une des entités du groupe concerné exerce une activité, et sous condition de réciprocité.

L'adossement de cet accord à la convention de 1988 lui permet certes une ouverture à un grand nombre de pays, dont des États qui ne disposent pas des moyens humains et juridiques nécessaires à la conclusion d'un corpus de conventions et accords bilatéraux en matière fiscale, mais offre surtout des garanties de confidentialité des données transmises . En particulier, l'article 22 de la convention précise que « les renseignements obtenus par une partie en application de la présente convention sont tenus secrets et protégés dans les mêmes conditions que celles prévues pour les renseignements obtenus en application de la législation de cette partie » .

De même, l'accord reprend expressément les strictes conditions d'utilisation des renseignements échangés , en précisant qu'ils ne doivent pas être utilisés par les administrations fiscales pour proposer des ajustements de prix de transfert fondés sur une méthode de répartition globale des bénéfices. Les déclarations s'entendent comme un outil d'évaluation générale des risques liés aux prix de transfert.

Malgré ces strictes conditions, le risque d'une utilisation détournée ne peut être complètement écarté . Entendu par la commission des finances du Sénat le 9 mars 2016, Pascal Saint-Amans le notait ainsi : « il demeure certes un petit risque, celui que l'administration du pays A, où la marge serait de 10 % alors qu'elle est de 15 % dans le pays B, estime que 5 % lui sont soustraits et opère un redressement dans cette proportion, alors même que cette différence peut ne pas tenir à la planification fiscale mais à des conditions de marché différentes - l'entreprise pouvant se heurter à un compétiteur dans un pays et pas dans l'autre » .

Aussi l'accord multilatéral prévoit-il la possibilité de consultations entre parties et confie-t-il un rôle central au secrétariat de l'organe de coordination. En particulier, les dispositions contenues à la section 6 déterminent opportunément les consultations à effectuer en cas de difficulté relative à un ajustement du bénéfice imposable aboutissant à des résultats économiques indésirables et de défaut d'application ou d'interprétation de l'accord.

Enfin, dans les cas de défaillance manifeste ou de comportement à visée non-coopérative d'un État partie, l'accord multilatéral ouvre deux possibilités :

- d'une part, le multilatéralisme est pondéré dans la mesure où il est loisible à une partie de choisir les États avec lesquels elle souhaite mettre en oeuvre l'échange automatique : une des cinq notifications adressées au secrétariat peut ainsi dresser la liste des juridictions des autorités compétentes à l'égard desquelles il a l'intention que l'accord prenne effet ;

- d'autre part, est expressément prévue la possibilité de suspendre temporairement l'échange automatique en cas de manquements graves précisés au paragraphe 5 de la section 8. Même, un État peut mettre fin à sa participation au présent accord ou vis-à-vis d'une autre juridiction.

2. Plus largement, le dispositif prévu par BEPS présente toutefois certaines limites pratiques

En l'état actuel, le dispositif souffre de certaines faiblesses , relatives au maillage des différents groupes d'entreprises multinationales d'une part, et aux modalités techniques retenues dans le cadre de l'accord de BEPS.

S'agissant de la capacité du cadre prévu à couvrir effectivement l'ensemble des groupes d'entreprises multinationales, la principale difficulté porte sur la mise en oeuvre du mécanisme secondaire de dépôt pour les groupes dont la société mère est établie dans une juridiction ne prévoyant pas la déclaration pays par pays. Cette situation avait d'ailleurs été invoquée dans le recours formé devant le Conseil constitutionnel à propos de l'article 121 de la loi de finances pour 2016 introduisant le dispositif en droit national. Il était ainsi soutenu que la mesure soulevée méconnaissait le principe d'égalité devant la loi, dès lors qu'elle avait pour effet d'instaurer des obligations déclaratives différentes entre une société mère ayant son siège en France et une entité contrôlée par une société ayant son siège à l'étranger. En effet, la seconde serait soumise à une formalité impossible dans la mesure où elle serait dans l'incapacité de produire des informations qui ne lui auraient pas été transmises par sa société mère. Cependant, le Conseil constitutionnel a considéré que ces dispositions ne créaient pas de différence de traitement, compte tenu du fait que « les dispositions contestées imposent la même obligation déclarative à une société mère ayant son siège en France (...) et à une société établie en France contrôlée par une société ayant son siège à l'étranger » 38 ( * ) .

Pour autant, si le problème juridique a été écarté, la difficulté pratique subsiste : une filiale devant déposer la déclaration au nom de la société mère du groupe pourrait ne pas disposer des éléments nécessaires, en raison soit d'un obstacle volontaire, soit de difficultés concrètes. Le droit en vigueur 39 ( * ) prévoit que la désignation de l'entité chargée de souscrire la déclaration pays par pays se fera à l'occasion du dépôt de la déclaration de résultat, de sorte que la décision de désignation appartient au groupe. Lorsqu'une entité tenue au dépôt de la déclaration pays par pays s'abstient de la déposer ou dépose une déclaration incomplète ou inexacte, une pénalité jusqu'à 100 000 euros est prévue par l'article 1729 F du code général des impôts. Dans ces conditions, il existe bien une limite au mécanisme prévu, qui pourrait placer des groupes concurrents dans une situation différente .

S'agissant des modalités techniques retenues , deux observations peuvent être formulée, relatives :

- à la source des données utilisées dans la déclaration . Le rapport final sur l'action 13 de BEPS offre la possibilité de choisir la source des données utilisables - données consolidées, sociales ou analytiques - à condition qu'elle soit homogène d'un exercice sur l'autre et que les sources et principes retenus soient expliqués à l'administration fiscale dans le troisième tableau de la déclaration comportant les « informations complémentaires ». En France, la coexistence de deux référentiels comptables pour l'établissement des comptes consolidés, soit selon les normes françaises, soit selon les principes de l'IFRS 40 ( * ) , laisse le choix pour les entreprises françaises. Il est précisé que le choix d'un référentiel ne sera pas neutre du point de vue des données qui seront retracées dans la déclaration ;

- à la référence monétaire utilisée pour le seuil de chiffre d'affaires conditionnant l'assujettissement à l'obligation de déclaration . Il est précisé que « le seuil retenu est égal à 750 millions d'euros ou à un montant équivalent en monnaie nationale au cours en vigueur en janvier 2015 (...). Une juridiction qui utilise un seuil exprimé dans une autre monnaie que l'euro n'est pas tenue de réviser périodiquement le montant de ce seuil pour tenir compte des fluctuations monétaires » 41 ( * ) . Une éventuelle actualisation du seuil ne pourrait intervenir qu'à l'occasion du réexamen de 2020. Par conséquent, des fluctuations monétaires importantes pourraient conduire à un traitement différent de groupes d'entreprises multinationales dont le chiffre d'affaires s'approche du seuil.


* 38 Conseil constitutionnel, décision n° 2015-725 DC du 29 décembre 2015 rendue sur la loi de finances pour 2016, considérant n° 31.

* 39 Le VIII de l'article 46 quater-O YE de l'annexe III au code général des impôts.

* 40 International financial reporting standards , normes comptables élaborées par le bureau international des normes comptables (IASB).

* 41 « Instructions relatives à la mise en oeuvre de la déclaration pays par pays », BEPS action 13, OCDE, décembre 2016, page 8.

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