Rapport n° 351 (2016-2017) de M. André REICHARDT , fait au nom de la commission des lois, déposé le 1er février 2017

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N° 351

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2016-2017

Enregistré à la Présidence du Sénat le 1 er février 2017

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur la proposition de loi , ADOPTÉE PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE après engagement de la procédure accélérée, visant à favoriser l' assainissement cadastral et la résorption du désordre de propriété ,

Par M. André REICHARDT,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Philippe Bas , président ; Mme Catherine Troendlé, MM. Jean-Pierre Sueur, François Pillet, Alain Richard, François-Noël Buffet, Alain Anziani, Yves Détraigne, Mme Éliane Assassi, M. Pierre-Yves Collombat, Mme Esther Benbassa , vice-présidents ; MM. André Reichardt, Michel Delebarre, Christophe-André Frassa, Thani Mohamed Soilihi , secrétaires ; MM. Christophe Béchu, Jacques Bigot, François Bonhomme, Luc Carvounas, Gérard Collomb, Mme Cécile Cukierman, M. Mathieu Darnaud, Mme Jacky Deromedi, M. Félix Desplan, Mme Catherine Di Folco, MM. Christian Favier, Pierre Frogier, Mme Jacqueline Gourault, M. François Grosdidier, Mme Sophie Joissains, MM. Philippe Kaltenbach, Jean-Yves Leconte, Roger Madec, Alain Marc, Didier Marie, Patrick Masclet, Jean Louis Masson, Mme Marie Mercier, MM. Michel Mercier, Jacques Mézard, Hugues Portelli, Bernard Saugey, Simon Sutour, Mmes Catherine Tasca, Lana Tetuanui, MM. René Vandierendonck, Alain Vasselle, Jean-Pierre Vial, François Zocchetto .

Voir les numéros :

Assemblée nationale ( 14 ème législ.) :

4166 , 4260 et T.A. 855

Sénat :

207 , 342 et 352 (2016-2017)

LES CONCLUSIONS DE LA COMMISSION DES LOIS

Réunie le mercredi 1 er février 2017, sous la présidence de M. Philippe Bas , président , la commission des lois a examiné le rapport de M. André Reichardt et établi son texte sur la proposition de loi n° 207 (2016-2017), adoptée par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, visant à favoriser l' assainissement cadastral et la résorption du désordre de propriété .

La commission des lois a considéré que les difficultés foncières qui affectent la sécurité de la propriété en Corse justifiaient la mise en oeuvre de moyens temporaires exceptionnels pour y remédier.

À l'initiative de son rapporteur, elle a décidé d' autoriser, en le limitant à la Corse, le recours aux actes de notoriété acquisitive notariés , qui permettent de fonder la propriété sur la possession.

Elle a ensuite adopté des règles de gestion des biens indivis assouplies , pour faciliter les sorties d'indivision en Corse.

Ces dispositions s'inscrivant dans le prolongement des travaux du groupement d'intérêt public pour la reconstitution des titres de propriété en Corse (GIRTEC), la commission des lois a choisi d'y mettre un terme au 31 décembre 2027 , date à laquelle le GIRTEC cessera de fonctionner.

Elle a par ailleurs supprimé certaines dispositions inutiles introduites à l'Assemblée nationale, comme le nouvel article 2261-2 du code civil, qui ne faisait que rappeler l'application de règles de procédure civile de droit commun.

Toujours sur proposition de son rapporteur, la commission des lois a complété la proposition de loi par un nouvel article qui entend permettre l'utilisation de la prescription acquisitive dans les départements de la Moselle, du Bas-Rhin et du Haut-Rhin .

Enfin, sans méconnaître les difficultés juridiques qu'elles soulèvent mais en l'absence de réponse satisfaisante pour les résoudre, la commission des lois a adopté sans modification les dispositions fiscales de ce texte.

La commission des lois a adopté la proposition de loi ainsi modifiée .

EXPOSÉ GÉNÉRAL

Mesdames, Messieurs,

Selon les termes du doyen Jean Carbonnier « prouver un droit, c'est le faire apparaître sinon comme vrai, du moins comme probable » 1 ( * ) .

En proposant d'utiliser la prescription acquisitive pour lutter contre les « désordres fonciers » en Corses, les auteurs de la présente proposition de loi semblent s'être approprié cette formule.

De fait, la Corse se trouve dans une situation tout à fait spécifique, liée à l'inexistence de titres de propriété pour environ 30 % du total des parcelles de l'île.

Cette situation n'est pas sans conséquences pour les Corses, qui ne peuvent jouir pleinement de leur droit de propriété, mais également pour les collectivités territoriales concernées, qui ne peuvent recouvrer l'impôt de manière satisfaisante faute d'identification des propriétaires de certains biens ou prendre les mesures de protection du patrimoine et de la population qui s'imposent (immeubles menaçant ruine, lutte contre les incendies...).

Lors de son discours du 4 juillet 2016 devant l'Assemblée de Corse, M. Manuel Valls, Premier ministre, s'était engagé à agir pour régulariser les titres de propriété et inciter les propriétaires et les héritiers à sortir des indivisions de fait qui résultent de ce défaut de titres. Il avait également prêté une oreille attentive à l'ensemble des élus nationaux et territoriaux de l'île qui s'inquiétaient du terme imminent des dispositifs fiscaux dérogatoires favorisant le « titrement » des biens et tenant compte de la spécificité foncière de la Corse 2 ( * ) .

C'est dans ce contexte que M. Camille de Rocca Serra et plusieurs de ses collègues ont déposé sur le bureau de l'Assemblée nationale, le 26 octobre 2016, la proposition de loi visant à favoriser l'assainissement cadastral et la résorption du désordre de propriété. Ce texte met en place un dispositif civil permettant de sécuriser la possession des biens par le jeu de la prescription acquisitive et d'assouplir les règles de gestion des indivisions. Ce dispositif s'accompagne de mesures fiscales temporaires visant à inciter les Corses à sortir de cette situation foncière problématique.

Le 16 novembre 2016, le Gouvernement a engagé la procédure accélérée sur ce texte. Il a ensuite été adopté en séance publique le 8 décembre 2016 à l'unanimité des présents.

Compte tenu de leur spécificité, votre commission a délégué au fond l'examen des dispositions fiscales (articles 3 à 6) à la commission des finances, qui a désigné M. Albéric de Montgolfier en qualité de rapporteur

À l'initiative de son rapporteur, votre commission a abordé l'examen de ce texte dans un esprit constructif. Elle a cherché à le préciser et l'enrichir, sans remettre en cause ses objectifs généraux.

I. UN « DÉSORDRE FONCIER » CORSE ANCIEN QUI N'A PU ÊTRE RÉGLÉ PAR LES ACTIONS ENGAGÉES

La situation particulièrement problématique du foncier en Corse est le résultat de l'application pendant plus de deux siècles d'un régime d'imposition des successions sur les biens immobiliers dérogatoire au droit commun.

L'absence de sanction du défaut de déclaration de succession, fondée sur les « arrêtés Miot » de juin 1801, est en grande partie responsable de la situation inextricable dans laquelle se trouve la Corse aujourd'hui. De nombreuses successions anciennes n'ont jamais été réglées, ne permettant pas la transmission de la propriété des biens et des droits qui s'y attachent.

Selon les chiffres adressés à votre rapporteur par les représentants du Groupement d'intérêt public pour la reconstitution des titres de propriété en Corse (GIRTEC), sur 995 386 parcelles cadastrées répertoriées en 2009, 405 727 appartenaient à des propriétaires présumés décédés, soit près de 41 % des parcelles. Depuis que le GIRTEC est en activité, ce pourcentage a diminué pour s'établir à 33 % en 2015.

Brève histoire du régime fiscal dérogatoire corse

En 1801, André-François Miot, administrateur du ministère de la guerre de Napoléon Bonaparte, fut envoyé en Corse pour réprimer les insurrections locales et rétablir le fonctionnement des administrations, notamment financières, afin de recouvrer l'impôt. Dans ce cadre, il prit plus d'une centaine d'arrêtés, qui ont conservé son nom, dont un arrêté du 21 prairial, qui tirait les conséquences de l'impossibilité de se référer en Corse à la valeur vénale des biens pour fixer le montant de la taxe à prélever, en raison de l'inexistence d'un marché foncier.

Cet arrêté mettait en place une évaluation forfaitaire des biens fixée à cent fois la contribution foncière. Ces droits étaient exigibles dès lors que le receveur de l'enregistrement avait « connaissance du décès de l'ex-propriétaire ». Ils étaient recouvrés sur les héritiers. Parallèlement, la peine encourue pour défaut de déclaration d'une succession dans le délai de six mois était abrogée.

Ce texte a été mis en place au seul bénéfice du trésor. Il n'avait pas pour objet de privilégier les Corses mais bien de rattraper un retard d'imposition avec une amnistie sur les pénalités encourues pour inciter les gens à régulariser leur situation.

Il a eu pour effet de mettre fin aux déclarations de succession en Corse.

Par la suite, dans un arrêt de 1992, la Cour de cassation a jugé que la contribution foncière qui servait de base à la taxation des immeubles corses avait été abrogée par un décret du 9 décembre 1948 3 ( * ) . Le législateur n'y ayant pas substitué une nouvelle règle d'imposition, les biens immobiliers ont donc été exonérés de fait de droits de succession.

La loi n° 98-1266 du 30 décembre 1998 de finances pour 1999 a abrogé « les arrêtés Miot » et modifié ce dispositif dérogatoire à compter du 1 er janvier 2000. La dispense de pénalité en cas de non-dépôt de la déclaration de succession a été abrogée. Les règles d'évaluation des biens immobiliers étaient désormais celles du droit commun.

Par la suite, le retour au droit commun a été repoussé chaque année en loi de finances, jusqu'à ce que la loi n° 2002-92 du 22 janvier 2002 relative à la Corse prenne en compte la situation particulière de la Corse liée à l'absence de titres de propriété régulièrement publiés et instaure un dispositif spécifique transitoire. Cette loi rétablissait l'obligation de déclarer les successions comportant un immeuble en Corse, dans un délai de 24 mois. Jusqu'au 31 décembre 2010, les immeubles étaient totalement exonérés de droits de succession. Cette exonération était ensuite portée à 50 % de la valeur du bien jusqu'au 31 décembre 2015.

La loi n° 2008-1443 du 30 décembre 2008 de finances rectificative a prorogé le délai de 24 mois pour la déclaration de succession, l'exonération totale de droits de succession sur les immeubles situés en Corse jusqu'au 31 décembre 2012 et l'exonération à hauteur de 50 % de la valeur de ces immeubles jusqu'au 31 décembre 2017.

Parallèlement, la loi n° 85-1403 du 30 décembre 1985 de finances pour 1986 avait exonéré d'imposition, de manière temporaire, les actes de partage de succession des immeubles situés en Corse. Adopté initialement pour une durée de cinq ans, ce régime avait été prorogé jusqu'au 31 décembre 2014.

La loi n° 2012-1509 du 29 décembre 2012 de finances pour 2013 puis la loi n° 2013-1278 du 29 décembre 2013 de finances pour 2014 ont tenté de proroger à nouveau ces différentes exonérations fiscales.

Dans les deux décisions rendues à propos de ces deux lois, le Conseil constitutionnel a censuré ces dispositions estimant qu'elles méconnaissaient le principe d'égalité devant la loi et les charges publiques 4 ( * ) .

La situation corse se caractérise par une double problématique : des situations d'indivision complexes cumulées à une absence de titres de propriété.

Comme l'ont relevé les représentants du GIRTEC, dans une contribution écrite adressée à votre rapporteur, « l'absence de titre a pour effet de rendre vaine toute velléité de partage et conduit à l'émergence d'une situation d'indivision de fait.

« Par ailleurs, une indivision particulièrement longue peut aboutir à une carence de titres : pertes de titres non enregistrés, dispersion des documents, difficulté de retrouver un acte ayant traversé plusieurs générations pouvant être exploité [...].

« Cette situation a pour résultat la multiplication des situations d'indivisions de fait impossibles à organiser et qui obèrent toutes tentatives de gestion des biens. »

Sans titres, les possesseurs de biens ne peuvent jouir pleinement des droits qui s'attachent à la propriété, notamment en matière de donation entre vifs, de vente, d'établissement de baux, de mise en valeur des biens ou de règlements successoraux.

Pour les collectivités territoriales ensuite, l'impossibilité d'identifier les propriétaires d'un bien constitue un manque à gagner important puisque le recouvrement des impôts locaux est alors impossible. De plus, elles ne peuvent prendre les mesures de protection du patrimoine et de la population qui s'imposent (immeubles menaçant ruine, lutte contre les incendies...).

Dès 1983, des initiatives ont été engagées pour tenter de mettre un terme à ces difficultés. À l'initiative de M. Robert Badinter, garde des sceaux, ministre de la justice, une commission sur l'indivision en Corse fut mise en place. Cette commission avait préconisé de recourir à la prescription acquisitive pour régulariser les titres de propriété et de mettre en place des incitations fiscales au partage successoral. C'est à partir de cette recommandation que s'est développée la pratique notariale des actes de notoriété acquisitive ( cf. infra ).

La loi 2006-728 du 23 juin 2006 relative aux successions et libéralités a autorisé la création d'un groupement d'intérêt public, le GIRTEC, chargé de rassembler tous les éléments propres à reconstituer les titres de propriété en Corse pour les biens fonciers et immobiliers qui en sont dépourvus. Il a toutefois fallu attendre l'arrêté interministériel du 31 octobre 2007 pour que le GIRTEC soit créé.

À l'issue d'une phase préparatoire de plus de deux années, la phase active des travaux du GIRTEC a commencé au début de l'année 2011. Le groupement a atteint sa vitesse de croisière en 2012 avec une capacité de traitement de l'ordre de 600 dossiers par an (un dossier peut concerner le traitement de plusieurs dizaines, voire de plusieurs centaines de parcelles).

La création du GIRTEC a permis d'apporter aux notaires les outils de recherche et d'expertise nécessaires à l'identification des propriétaires de biens afin de réunir les éléments permettant d'établir un acte de notoriété acquisitive.

Parallèlement, la loi du 23 juin 2006 précitée a procédé à un premier assouplissement des règles applicables à la gestion des biens en indivision, en facilitant le partage amiable en présence d'un indivisaire défaillant, incapable ou présumé absent (articles 836 et 837 du code civil) et en abaissant la majorité requise (deux tiers des indivisaires) pour accomplir certains actes conservatoires ou d'administration.

Si les actions engagées, et en particulier la mise en place du GIRTEC, ont amélioré les choses, elles n'ont cependant pas suffi à régler la problématique foncière corse. Aujourd'hui encore la Corse est dans une situation cadastrale et foncière critique du fait de l'absence de titres de propriété.

II. UN DISPOSITIF CIVIL SUBSTANTIELLEMNT MODIFIÉ EN PREMIÈRE LECTURE À L'ASSEMBLÉE NATIONALE

Bien que les auteurs du texte aient focalisé leur réflexion sur la situation corse, comme en témoigne l'exposé des motifs de la proposition de loi, le dispositif civil qu'ils proposent, non modifié sur ce point par l'Assemblée nationale en première lecture, serait applicable à l'ensemble du territoire.

L' article 1 er , dans sa rédaction initiale, consacrait dans le code civil (nouvel article 2272-1) les actes de notoriété acquisitive notariés, qui constatent une possession répondant aux conditions de la prescription acquisitive (usucapion) 5 ( * ) . Ces dispositions étaient applicables pour les actes de notoriété établis jusqu'au 31 décembre 2027.

Parallèlement, cet article encadrait l'action en revendication de la personne qui se prétendait le véritable propriétaire du bien dans un délai de cinq ans à compter de la publication de l'acte de notoriété par voie d'affichage et sur un site internet.

En première lecture, l'Assemblée nationale a prévu que seule l'action en contestation d'un acte de notoriété acquisitive serait encadrée dans un délai de cinq ans. Il serait donc toujours possible d'exercer une action en revendication du bien, conformément au caractère imprescriptible du droit de propriété.

Elle a ensuite apporté un certain nombre de précisions tenant à la valeur des actes de notoriété et à leur contenu.

Quant à la publicité qui leur serait accordée, l'Assemblée nationale a ajouté à la publication par voie d'affichage et sur un site internet une obligation de publicité au service de la publicité foncière.

Elle a également supprimé le caractère temporaire du dispositif.

Enfin, l'Assemblée nationale a créé un nouvel article 2261-2 dans le code civil selon lequel le possesseur est présumé propriétaire jusqu'à preuve du contraire et, à ce titre, est défendeur à l'action en revendication exercée par celui qui se prétend le véritable propriétaire.

Dans la continuité de la procédure de « titrement » du bien prévu à l'article 1 er , l' article 2 , dans sa rédaction initiale, entendait favoriser le partage des biens en assouplissant les règles de gestion de l'indivision.

Lorsqu'un titre de propriété avait été reconstitué par prescription acquisitive au bénéfice d'une personne décédée, les indivisaires pouvaient accomplir des actes conservatoire et des actes d'administration à la majorité simple, et non pas à la majorité des deux tiers, comme le prévoit le droit en vigueur.

La majorité simple était également applicable pour la conclusion d'actes de disposition sur ces biens nouvellement titrés dont les droits indivis concurrents ont été simultanément constatés. Actuellement, l'unanimité des indivisaires est requise pour ce type d'actes.

L'Assemblée nationale n'a pas modifié la majorité applicable aux actes conservatoires et d'administration ; en revanche, elle a considéré que l'application de la majorité simple pour accomplir des actes de disposition n'était pas suffisamment protectrice des droits des indivisaires et a finalement retenu une majorité des deux tiers.

Quant aux dispositions fiscales prévues aux articles 3 à 6 , l'Assemblée nationale ne les a pas modifiées.

Les auteurs de la proposition de loi les ont conçues comme des mesures incitatives visant à accompagner la reconstitution des titres de propriété et les sorties d'indivision. Elles s'appliqueraient jusqu'au 31 décembre 2027 pour correspondre à la période de fonctionnement du GIRTEC.

L' article 3 tend à porter l'exonération des droits de mutation à titre gratuit à 50 % de la valeur des immeubles et des droits immobiliers concernés, lors de la première mutation d'un bien situé sur le territoire national, titré pour la première fois entre le 1 er octobre 2014 et le 31 décembre 2027.

L' article 4 , qui concerne spécifiquement la Corse, vise à repousser au 1 er janvier 2028 la fin de l'exonération partielle de droits de succession, à hauteur de 50 % de la valeur des immeubles et droits immobiliers situés en Corse, prévue à l'article 1135 bis du code général des impôts (CGI), en vigueur depuis le 1 er janvier 2013 6 ( * ) et jusqu'au 1 er janvier 2018.

L' article 5 , qui concerne également la Corse seulement, prévoit une exonération du droit de 2,5 % à hauteur de la valeur des immeubles pour les actes de partage de succession 7 ( * ) ou les licitations 8 ( * ) de certains biens héréditaires lorsque ces biens étaient situés en Corse.

Dans sa rédaction initiale, l' article 6 tendait à gager les pertes de recettes résultant de la proposition de loi. Le gage a été levé par le Gouvernement en séance publique à l'Assemblée nationale.

III. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION DES LOIS : ADAPTER LE DISPOSITIF À L'OBJECTIF POURSUIVI

Tout en approuvant les objectifs de la proposition de loi, votre commission a cherché à mieux encadrer les dispositions civiles proposées. Elle a ainsi adopté trois amendements à l'initiative de son rapporteur.

À l' article 1 er , après avoir constaté que les difficultés foncières liées à l'inexistence de titres de propriété pour des surfaces importantes de territoires étaient en réalité circonscrites à la Corse et à certaines collectivités situées outre-mer, votre commission a choisi de limiter le recours aux actes de notoriété acquisitive à la Corse 9 ( * ) . Le dispositif ne serait donc pas introduit dans le code civil.

En effet, comme l'avait déjà souligné votre commission des lois à l'occasion de l'examen de la loi n° 2015-177 du 16 février 2015 relative à la modernisation et à la simplification du droit et des procédures dans les domaines de la justice et des affaires intérieures, il n'est pas satisfaisant de répondre à des difficultés locales spécifiques en édictant une règle générale applicable à l'ensemble du territoire, où la propriété est constatée par titre et la possession acquisitive ne joue qu'à la marge, dans des conditions strictement définies à l'article 2261 du code civil.

Par ailleurs, le recours aux actes de notoriété acquisitive pour identifier les propriétaires d'un bien étant conçu par les auteurs du texte comme le prolongement des travaux du GIRTEC, votre commission a choisi de faire correspondre la durée d'utilisation de ce dispositif à la durée d'existence du GIRTEC. Comme le prévoyait la proposition de loi dans sa rédaction initiale, elle a précisé qu'il devrait s'appliquer seulement aux actes de notoriété acquisitive établis avant le 31 décembre 2027, date à laquelle le GIRTEC cessera de fonctionner.

Enfin, votre commission a supprimé certaines précisions inutiles introduites à l'Assemblée nationale. À cet égard, elle a préféré revenir aux termes de la proposition de loi dans sa rédaction initiale, celle-ci définissant les actes de notoriété acquisitive comme des actes notariés de notoriété qui constatent « une possession répondant aux conditions de la prescription acquisitive ». L'Assemblée nationale avait choisi de les définir comme des actes « contenant les éléments matériels attestant (des) qualités et de (la) durée » de la possession.

Elle a également supprimé le nouvel article 2261-2 du code civil, issu des travaux de l'Assemblée, car il ne faisait que rappeler l'application de règles de procédure civile de droit commun.

À l' article 2 , votre commission a souhaité conserver l'assouplissement des règles de gestion de l'indivision voté à l'Assemblée nationale, tout en levant certaines ambiguïtés. La rédaction qu'elle a retenue s'inspire à cet égard directement des termes de l'article 815-3 du code civil qui fixe les règles du droit commun applicables aux indivisions.

Bien que cet article soit très dérogatoire au droit commun, votre commission a estimé qu'il répondait à un véritable besoin et que, sans cet assouplissement, le dispositif prévu à l'article 1 er , mais également les travaux du GIRTEC, seraient privés d'effets. Une fois la propriété reconstituée, une fois les droits des différents indivisaires reconnus par des actes de notoriété acquisitive, la situation serait à nouveau bloquée en raison de l'impossibilité pour les indivisaires, souvent nombreux et issus de plusieurs générations différentes, de gérer et plus encore de céder le bien faute d'unanimité.

Elle a également estimé que ce texte, s'il présentait un intérêt évident pour la Corse, ne devait pas pouvoir s'appliquer à l'ensemble du territoire. Elle a donc choisi de ne pas insérer ces dispositions dans le code civil.

À l'initiative de son rapporteur, votre commission a complété le présent texte par un article 7 , qui vise à permettre l'utilisation de la prescription acquisitive dans les départements d'Alsace et de Moselle et à abroger une disposition obsolète de la loi la loi du 31 mars 1884 concernant le renouvellement du cadastre, la péréquation de l'impôt foncier et la conservation du cadastre des départements de la Moselle, du Bas-Rhin et du Haut-Rhin.

Enfin, sans méconnaître les difficultés juridiques qu'elles soulèvent mais en l'absence de réponse satisfaisante pour les résoudre, la commission des lois a adopté sans modification les dispositions fiscales de ce texte ( articles 3 à 6 ), écartant les quatre amendements déposés par la commission des finances, en accord avec le rapporteur de celle-ci.

*

* *

Votre commission a adopté la proposition de loi ainsi modifiée .

EXAMEN DES ARTICLES

Article 1er (art. 2261-1 et 2261-2 [nouveaux] du code civil) - Consécration législative des actes de notoriété acquisitive notariés

Le présent article vise à consacrer dans le code civil les actes de notoriété acquisitive, issus de la pratique notariale, qui permettent de constater que la possession d'un bien répond aux conditions de la prescription acquisitive (usucapion). Ces actes, une fois publiés, ne pourraient plus être attaqués que dans un délai de cinq ans.

Les conditions d'application du présent article sont renvoyées à un décret pris en Conseil d'État.

1. Le droit en vigueur

La prescription acquisitive, comme la définit l'article 2258 du code civil, est « un moyen d'acquérir un bien ou un droit par l'effet de la possession sans que celui qui l'allègue soit obligé d'en rapporter un titre ou qu'on puisse lui opposer l'exception déduite de la mauvaise foi ».

Elle ne peut jouer que si les conditions prévues à l'article 2261 du même code sont réunies. Elle suppose « une possession continue et non interrompue, paisible, publique, non équivoque, et à titre de propriétaire ».

Cette possession doit s'inscrire dans la durée. L'article 2272 du même code précise que « le délai de prescription requis pour acquérir la propriété immobilière est de trente ans ».

En pratique, la prescription ne produit ses effets que si elle est invoquée par le possesseur en défense à l'action en revendication intentée par la personne qui se prétend le véritable propriétaire du bien.

L'acte de notoriété acquisitive notarié est un outil probatoire. Il réunit les éléments matériels attestant que la possession du bénéficiaire répond, du fait de sa durée et de ses caractéristiques, aux conditions de la prescription acquisitive. Il repose sur des témoignages, des rapports d'expertise, des documents cadastraux, des rôles des impôts...

Une fois acquise, la prescription a pour effet de rendre le possesseur propriétaire du bien.

2. La proposition de loi initiale et le texte adopté par l'Assemblée nationale

Dans la version initiale de la proposition de loi, lorsqu'un acte de notoriété notarié constatait une possession répondant aux conditions de l'usucapion, l'action en revendication de la personne qui se prétendait le véritable propriétaire du bien était enserrée dans un délai de cinq ans (nouvel article 2272-1 du code civil). Ces dispositions étaient applicables, sur l'ensemble du territoire national, pour les actes de notoriété établis jusqu'au 31 décembre 2027.

Lors de l'examen de la loi n° 2015-177 du 16 février 2015 relative à la modernisation et à la simplification du droit et des procédures dans les domaines de la justice et des affaires intérieures, la commission des lois du Sénat, suivant son rapporteur M. Thani Mohamed Soilihi, s'était opposée à une disposition de ce type, estimant qu'en neutralisant l'action en revendication, elle portait atteinte au droit de propriété et à son caractère imprescriptible.

La proposition de loi a été modifiée en première lecture à l'Assemblée nationale. Les nouveaux articles créés ont été déplacés après l'article 2261 du code civil.

Seule l'action dirigée à l'encontre de l'acte de notoriété acquisitive serait désormais encadrée dans un délai de cinq ans.

Il serait donc toujours possible d'exercer une action en revendication du bien. Cependant, l'acte de notoriété acquisitive étant devenu incontestable, la preuve que le possesseur n'est pas dans son bon droit serait plus difficile à apporter.

Par ailleurs, conformément à la jurisprudence constante de la Cour de cassation, l'Assemblée nationale a estimé opportun de rappeler, au début du nouvel article 2261-1 du code civil, que la possession pouvait toujours se prouver par tous moyens, l'utilisation d'actes de notoriété acquisitive n'étant qu'une simple faculté.

Elle a ensuite précisé la teneur de ces actes. Ils devraient contenir des éléments matériels attestant des qualités et de la durée de la possession.

Quant à la publicité qui leur serait donnée, le texte initial imposait une publication par voie d'affichage et sur Internet. L'Assemblée nationale a ajouté une troisième obligation de publicité au service de la publicité foncière.

Elle a également supprimé le caractère temporaire du dispositif.

Enfin, l'Assemblée nationale a ajouté un nouvel article 2261-2 dans le code civil selon lequel le possesseur est présumé propriétaire jusqu'à preuve du contraire et, à ce titre, est défendeur à l'action en revendication exercée par celui qui se prétend le véritable propriétaire.

3. La position de votre commission : limiter le champ d'application du dispositif dans l'espace et dans le temps

Au fil des auditions qu'il a réalisées, votre rapporteur a pu constater que les difficultés foncières liées à l'inexistence de titres de propriété pour des surfaces importantes de territoires étaient en réalité circonscrites à la Corse et à certaines collectivités situées outre-mer.

Comme l'avait souligné votre commission des lois à l'occasion de l'examen de la loi du 16 février 2015 précitée, il n'est pas satisfaisant de répondre à des difficultés locales spécifiques en édictant une règle générale applicable à l'ensemble du territoire, où la propriété est constatée par titre et la possession acquisitive ne joue qu'à la marge, dans des conditions strictement définies à l'article 2261 du code civil.

Lors de son audition par votre rapporteur, le professeur Hugues Périnet-Marquet a confirmé cette analyse. Il a estimé que si le dispositif prévu au présent article se justifiait parfaitement en Corse, où les notaires sont familiers du maniement de cet outil, il n'en allait certainement pas de même dans des territoires qui ne connaissent pas de « désordres fonciers » similaires. Il a jugé que la généralisation d'un tel dispositif risquait de créer d'importantes difficultés dans des zones qui n'en rencontrent pas actuellement.

Lors de l'examen en première lecture du projet de loi de programmation relatif à l'égalité réelle outre-mer et portant autres dispositions en matière sociale et économique, qui s'est achevé le 19 janvier dernier, le Sénat a introduit dans le texte, à l'initiative du Gouvernement 10 ( * ) , un nouvel article 34 terdecies qui consacre l'utilisation des actes de notoriété acquisitive pour les immeubles situés en Guadeloupe, en Martinique, à La Réunion, en Guyane, à Saint-Martin et à Mayotte, territoires ultramarins touchés par des « désordres fonciers ».

La question étant sur le point d'être réglée pour les territoires ultramarins, il ne resterait plus qu'à rendre ce dispositif applicable en Corse.

C'est dans cette perspective que nos collègues Joseph Castelli et Jacques Mézard ont déposé un amendement au projet de loi relatif à la ratification de diverses ordonnances relatives à la Corse 11 ( * ) , reprenant en grande partie les dispositions de la présente proposition de loi.

Cependant, au cours de sa réunion du 25 janvier dernier, bien que soulignant l'urgence à légiférer sur ce sujet et le bien fondé de cet amendement, votre commission l'a qualifié de « cavalier législatif » et l'a déclaré irrecevable au regard du premier alinéa de l'article 45 de la Constitution et du troisième alinéa de l'article 48 du Règlement du Sénat.

S'agissant du volet civil, bien que très inspiré de la présente proposition de loi, le dispositif prévu par cet amendement était la transposition pour la Corse de l'article 34 terdecies qui a été introduit dans le projet de loi relatif à l'égalité réelle outre-mer.

Sur le fond, le recours aux actes de notoriété acquisitive était limité dans l'espace : seule la Corse était concernée. Le dispositif n'était donc pas introduit dans le code civil.

Il était également limité dans le temps, comme le prévoyait la proposition de loi dans sa rédaction initiale. Ce dispositif étant conçu comme le prolongement des travaux du groupement d'intérêt public pour la reconstitution des titres de propriété en Corse (GIRTEC), il devait s'appliquer seulement aux actes de notoriété acquisitive établis jusqu'au 31 décembre 2027, date à laquelle le GIRTEC cessera de fonctionner.

Estimant que le dispositif prévu par l'amendement de nos collègues répondait pleinement aux interrogations soulevées par son rapporteur, et par cohérence avec la rédaction retenue pour l'article 34 terdecies du projet de loi relatif à l'égalité réelle outre-mer, votre commission a adopté un amendement COM-1 reprenant ce dispositif.

Par ailleurs, en reprenant les termes de l'amendement de nos collègues, votre commission procède à la suppression de précisions inutiles introduites à l'Assemblée nationale.

À cet égard, il revient aux termes de la proposition de loi dans sa rédaction initiale, définissant les actes de notoriété acquisitive comme des actes notariés de notoriété qui constatent « une possession répondant aux conditions de la prescription acquisitive », plutôt que comme des actes « contenant les éléments matériels attestant (des) qualités et de (la) durée » de cette possession.

Il supprime ensuite le nouvel article 2261-2 du code civil, qui ne fait que rappeler l'application de la procédure civile de droit commun.

Votre commission a ensuite adopté l'article 1 er ainsi modifié .

Article 2 (art. 815-3-1 [nouveau] du code civil) - Assouplissement des règles de majorité applicables en matière d'indivision

Alors qu'actuellement l'article 815-3 du code civil impose une majorité d'au moins deux tiers des droits indivis pour effectuer les actes d'administration et de conservation d'un bien, le présent article prévoit que cette majorité serait abaissée à la majorité simple lorsque la propriété est acquise par prescription constatée dans un acte de notoriété acquisitive.

De même, l'unanimité ne serait plus exigée pour les actes de disposition sur un bien nouvellement titré « dont les droits indivis concurrents ont été simultanément constatés ». Une majorité des deux tiers suffirait 12 ( * ) .

Les règles qui régissent actuellement l'indivision 13 ( * ) sont issues de la loi n° 2006-728 du 23 juin 2006 portant réforme des successions et des libéralités qui a assoupli les dispositions fixées par la loi n° 76-1286 du 31 décembre 1976 relative à l'organisation de l'indivision, en prévoyant une majorité des deux tiers pour accomplir certains actes conservatoires et d'administration qui, jusque-là, ne pouvait être décidés qu'à l'unanimité. L'unanimité est cependant demeurée requise pour les actes de disposition, pour assurer la protection du droit de propriété.

Selon les auteurs de la proposition de loi 14 ( * ) , pour les « indivisions informelles », constatées sur des biens dépourvus de titres de propriété depuis plusieurs générations en raison de successions anciennes non réglées, et comportant une multitude d'indivisaires, ces règles ne sont pas suffisantes pour sortir de situations de blocage provoquées par le comportement d'une minorité, voire d'un seul indivisaire « taisant » ou en opposition franche avec les autres indivisaires.

Les chiffres avancés par le rapporteur de l'Assemblée nationale et premier signataire de la proposition de loi, M. Camille de Rocca Serra, parlent d'eux-mêmes : l'absence de titres concernerait aujourd'hui 34 % du total des parcelles de l'île 15 ( * ) .

Lors de son audition par votre rapporteur, le représentant du Conseil supérieur du notariat, Me Alain Spadoni, a ajouté qu'en raison de cette situation, à Ajaccio, ville qui compte près de 70 000 habitants, 50 % des biens n'ont pas fait l'objet de mutation depuis 1956 et, dans la commune de Sisco, en Haute-Corse, 90 % des biens sont toujours enregistrés comme appartenant à des personnes pourtant décédées depuis des décennies, voire plus d'un siècle.

La Corse recèle donc de nombreux biens à l'abandon en raison de ces situations inextricables.

Bien que cet article soit très dérogatoire au droit commun, votre rapporteur a estimé qu'il répondait à un véritable besoin et que, sans cet assouplissement des règles applicables à l'indivision, le dispositif prévu à l'article 1 er , mais également les travaux du GIRTEC, seraient privés d'effets. Une fois la propriété reconstituée, une fois les droits des différents indivisaires reconnus par des actes de notoriété acquisitive, la situation serait à nouveau bloquée en raison de l'impossibilité pour les indivisaires, souvent nombreux et issus de plusieurs générations différentes, de gérer et plus encore de céder le bien faute d'unanimité.

Cependant, comme l'a relevé le professeur Hugues Périnet-Marquet, entendu par votre rapporteur, des détournements de la règle pourraient être possibles. Par exemple, alors même qu'elles disposeraient de titres de propriété valables, des personnes pourraient s'adresser à un notaire pour qu'il établisse, en toute bonne foi, ignorant l'existence de ces titres, un acte de notoriété acquisitive, pour pouvoir ensuite bénéficier des règles assouplies de fonctionnement de l'indivision et contourner l'opposition ou le silence d'un indivisaire connu et identifié.

Il a également fait valoir que ce texte, s'il présentait un intérêt évident pour la Corse, ne devait pas pouvoir s'appliquer à l'ensemble du territoire.

Votre rapporteur partage sans réserve ces deux mises en garde. Il a donc proposé à votre commission de préciser que ces règles dérogatoires, liées à l'établissement d'un acte de notoriété acquisitive, ne seraient applicables qu'à défaut de titre de propriété existant.

Quant à la limitation du dispositif à la Corse, elle découlerait automatiquement de l'adoption de l'article 1 er dans sa rédaction issue de l'amendement COM-1 précité.

En effet, cet amendement limitant l'utilisation des actes de notoriété acquisitive à la Corse, les règles dérogatoires de gestion de l'indivision adossées à l'établissement de ces actes notariés le seraient également. Par ailleurs, la précision apportée à l'article 1 er selon laquelle les actes de notoriété acquisitive ne pourraient être pris que jusqu'au 31 décembre 2027, implique de fait la même limitation dans le temps de l'application des règles dérogatoires de gestion de l'indivision.

À l'initiative de son rapporteur, votre commission a donc adopté un amendement COM-2 proposant une nouvelle rédaction du présent article, tenant compte de l'ensemble de ces remarques.

Compte tenu des précisions ainsi apportées et de l'encadrement du dispositif lui conférant une plus grande sécurité juridique, votre commission a adopté l'article 2 ainsi modifié .

Article 3 (non modifié) (art. 793 du code général des impôts) - Exonération de droits à hauteur de 50 % de la valeur de l'immeuble lors de la première mutation à titre gratuit d'un bien nouvellement titré

Le présent article tend à porter l'exonération des droits de mutation à titre gratuit à 50 % de la valeur des immeubles et des droits immobiliers concernés, lors de la première mutation d'un bien situé sur le territoire national, titré pour la première fois entre le 1 er octobre 2014 et le 31 décembre 2027.

L'examen de cet article a été délégué au fond à la commission des finances par votre commission des lois.

Lors de sa réunion du mardi 26 janvier 2017, la commission des finances a adopté un amendement COM-4 tendant à augmenter de 50 à 60 % l'exonération partielle de droits pour la première mutation à titre gratuit d'un immeuble suite à la reconstitution des titres de propriété.

Elle a également adopté un amendement COM-5 qui avait pour objet de réduire de dix à trois ans la durée de la prorogation de cette exonération partielle.

Cependant, ces amendements ne permettant pas de résoudre les difficultés juridiques posées par le présent article, votre commission a décidé de ne pas les adopter, en accord avec le rapporteur de la commission des finances, M. Albéric de Montgolfier.

En conséquence, votre commission a adopté l'article 3 sans modification .

Article 4 (non modifié) (art. 1135 bis du code général des impôts) - Report au 1er janvier 2028 de la fin de l'exonération partielle de droits de succession applicable aux immeubles situés en Corse

Le présent article, qui concerne spécifiquement la Corse, vise à repousser au 1 er janvier 2028 la fin de l'exonération partielle de droits de succession, à hauteur de 50 % de la valeur des immeubles et droits immobiliers situés en Corse, prévue à l'article 1135 bis du code général des impôts (CGI), en vigueur depuis le 1 er janvier 2013 16 ( * ) et jusqu'au 1 er janvier 2018.

L'examen de cet article a été délégué au fond à la commission des finances par votre commission des lois.

Lors de sa réunion du mardi 26 janvier 2017, la commission des finances a adopté un amendement COM-6 visant à réduire de dix à trois ans la durée de la prorogation d'exonération partielle de droits de succession pour les immeubles situés en Corse.

Cependant, cet amendement ne permettant pas de répondre aux interrogations de nature constitutionnelle que soulève le présent article, votre commission a décidé de ne pas l'adopter, en accord avec le rapporteur de la commission des finances, M. Albéric de Montgolfier.

En conséquence, votre commission a adopté l'article 4 sans modification .

Article 5 (non modifié) (art. 750 bis B [nouveau] du code général des impôts) - Exonération de droits pour les actes de partage de succession ou les licitations de certains biens héréditaires situés en Corse

Le présent article, qui concerne également la Corse seulement, prévoit de rétablir l'exonération du droit de 2,5 % à hauteur de la valeur des immeubles pour les actes de partage de succession 17 ( * ) ou les licitations 18 ( * ) de certains biens héréditaires lorsque ces biens sont situés en Corse, prévu jusqu'au 31 décembre 2014 par l'article 750 bis A du code général des impôts.

L'examen de cet article a été délégué au fond à la commission des finances par votre commission des lois.

Lors de sa réunion du mardi 26 janvier 2017, la commission des finances a adopté un amendement COM-7 supprimant le rétablissement de ce dispositif d'exonération en raison des difficultés de nature constitutionnelle qu'il posait.

Cependant, cette suppression devait être compensée par l'augmentation de l'exonération partielle de droits prévue par l'amendement COM-4 précité. Cet amendement ayant été rejeté, par cohérence, votre commission a également décidé de ne pas adopter l'amendement COM-7, en accord avec le rapporteur de la commission des finances, M. Albéric de Montgolfier.

En conséquence, votre commission a adopté l'article 5 sans modification .

Article 6 (suppression maintenue) - Gage

Dans sa rédaction initiale, le présent article tendait à gager les pertes de recettes résultant de la proposition de loi.

L'examen de cet article a été délégué au fond à la commission des finances par votre commission des lois.

Lors de sa réunion du mardi 26 janvier 2017, la commission des finances n'a adopté aucun amendement portant sur cette disposition.

En conséquence, votre commission a maintenu la suppression de l'article 6.

Article 7 (nouveau) (art. 24 de la loi du 31 mars 1884 concernant le renouvellement du cadastre, la péréquation de l'impôt foncier et la conservation du cadastre des départements de la Moselle, du Bas-Rhin et du Haut-Rhin ) - Application de la prescription acquisitive dans les départements d'Alsace et de Moselle et abrogation d'une disposition désuète

Résultant de l'adoption par votre commission de l' amendement COM-3 de son rapporteur, le présent article vise à « toiletter » l'article 24 de la loi du 31 mars 1884 concernant le renouvellement du cadastre, la péréquation de l'impôt foncier et la conservation du cadastre des départements de la Moselle, du Bas-Rhin et du Haut-Rhin.

Le troisième alinéa de cet article 24 écarte en effet l'application de la prescription acquisitive aux empiètements excédant les limites cadastrales. En d'autres termes, il interdit l'agrandissement de toute propriété par prescription acquisitive.

Le 1° du présent article propose de renverser cette logique en permettant l'application du titre XXI du livre troisième du code civil intitulé « De la possession et de la prescription acquisitive ». Ainsi, la prescription acquisitive définie par le code civil s'appliquerait désormais dans les départements d'Alsace et de Moselle.

Le 2° propose la suppression du dernier alinéa de l'article 24 de la loi précitée du 31 mars 1884, relatif aux cartes du cadastre, en raison de son caractère désuet.

Ces dispositions sont la reprise de l'article 5 de la proposition de loi de votre rapporteur, co-signée par plusieurs membres de votre commission, tendant à moderniser diverses dispositions de la législation applicable dans les départements de la Moselle, du Bas-Rhin et du Haut-Rhin 19 ( * ) , dans sa rédaction issue des travaux de votre commission, adoptée par le Sénat le 19 juin 2014.

Cet article avait initialement été introduit dans le projet de loi de modernisation de la justice du XXI e siècle, en première lecture à l'Assemblée nationale, avant d'être censuré comme « cavalier législatif » par le Conseil constitutionnel dans sa décision n° 2016-739 DC du 17 novembre 2016 rendue à propos de ce texte.

Votre commission a adopté l'article 7 ainsi rédigé .

*

* *

Votre commission a adopté la proposition de loi ainsi modifiée .

EXAMEN EN COMMISSION

_______

Mercredi 1 er février 2017

M. André Reichardt , rapporteur . - Cette proposition de loi a été déposée par M. Camille de Rocca Serra et plusieurs de ses collègues en octobre dernier.

Elle met en place un dispositif civil pour sécuriser la possession des biens par le jeu de la prescription acquisitive, et assouplir les règles de gestion des indivisions. Cela s'accompagne de mesures fiscales temporaires visant à inciter les Corses à sortir d'une situation foncière problématique.

Les chiffres avancés par le rapporteur du texte à l'Assemblée nationale, M. Camille de Rocca Serra, sont éloquents : l'absence de titre de propriété concernerait 34 % du total des parcelles en Corse.

Le texte comportait six articles à l'origine ; il n'en compte plus que cinq après que le Gouvernement a levé le gage prévu à l'article 6 au cours de son examen à l'Assemblée nationale. Les articles 1 er et 2 concernent le volet civil de la réforme, les articles 3 à 5 regroupent des dispositions de nature fiscale. Nous avons délégué l'examen au fond de ces articles à la commission des finances.

L'article 1 er crée un acte de notoriété acquisitive notarié. Dans la version initiale de la proposition de loi, lorsqu'un acte de notoriété notarié constatait une possession répondant aux conditions de l'usucapion, à savoir trente années de possession continue et non interrompue, paisible, publique et non équivoque, l'action en revendication de la personne qui se prétendait le véritable propriétaire du bien était enserrée dans un délai de cinq ans. Ces dispositions étaient applicables non seulement en Corse, mais aussi sur l'ensemble du territoire national, et ce pour les actes de notoriété établis jusqu'au 31 décembre 2027.

La proposition de loi a été modifiée en première lecture à l'Assemblée nationale. Désormais, seule l'action dirigée à l'encontre de l'acte de notoriété acquisitive serait encadrée par un délai de cinq ans. Il serait donc toujours possible d'exercer une action en revendication du bien au-delà des cinq années prévues. Cependant, dès lors que l'acte de notoriété acquisitive est devenu incontestable, la preuve que le possesseur n'est pas dans son bon droit serait plus difficile à apporter.

Par ailleurs, l'Assemblée nationale a estimé opportun de rappeler que la possession pouvait toujours se prouver par tous moyens, l'utilisation d'actes de notoriété acquisitive n'étant qu'une simple faculté. Elle a ensuite précisé la nature de ces actes. Ceux-ci devraient contenir des éléments matériels attestant des qualités et de la durée de la possession ; une publication par voie d'affichage et sur internet était prévue. À ces deux obligations, l'Assemblée nationale a ajouté une obligation de publicité au service de la publicité foncière. Elle a également supprimé le caractère temporaire du dispositif.

Enfin, l'Assemblée nationale a ajouté un nouvel article 2261-2 dans le code civil, selon lequel le possesseur est présumé propriétaire jusqu'à preuve du contraire et, à ce titre, est défendeur à l'action en revendication exercée par celui qui se prétend le véritable propriétaire.

Au fil des auditions, j'ai pu constater que les difficultés foncières liées à l'inexistence de titres de propriété étaient en réalité circonscrites à la Corse et à certaines collectivités ultramarines. Or il n'est pas satisfaisant de répondre à des difficultés locales spécifiques par une règle générale applicable à l'ensemble du territoire, où la propriété est constatée par titre et où la possession acquisitive ne joue qu'à la marge, dans des conditions strictement définies à l'article 2261 du code civil.

Lors de l'examen en première lecture du projet de loi de programmation relatif à l'égalité réelle outre-mer, le Sénat a introduit dans le texte, à l'initiative du Gouvernement, un nouvel article 34 terdecies qui consacre l'utilisation des actes de notoriété acquisitive pour les immeubles situés en Guadeloupe, en Martinique, à La Réunion, en Guyane, à Saint-Martin et à Mayotte, territoires ultramarins qui, comme la Corse, sont touchés par des désordres fonciers. La question est donc sur le point d'être réglée pour les territoires ultramarins, puisque le projet de loi relatif à l'égalité réelle outre-mer devrait être définitivement adopté d'ici peu. Il ne reste plus qu'à rendre ce dispositif applicable en Corse.

C'est dans cette perspective que nos collègues Joseph Castelli et Jacques Mézard ont récemment déposé un amendement au projet de loi de ratification de diverses ordonnances relatives à la Corse, reprenant en grande partie la présente proposition de loi. Cependant, notre commission des lois l'a déclaré irrecevable au titre de l'article 45 de la Constitution.

S'agissant du volet civil, cet amendement transposait pour la Corse l'article 34 terdecies du projet de loi relatif à l'égalité réelle outre-mer. Sur le fond, le recours aux actes de notoriété acquisitive était limité dans l'espace : seule la Corse était concernée. Il était également limité dans le temps, comme le prévoyait la présente proposition de loi dans sa rédaction initiale. Le dispositif ne devait s'appliquer qu'aux actes de notoriété acquisitive établis jusqu'au 31 décembre 2027, date à laquelle le groupement d'intérêt public pour la reconstitution des titres de propriété en Corse (Girtec) cessera de fonctionner.

Cet amendement ne reprenait pas certaines précisions inutiles introduites dans la proposition de loi par l'Assemblée nationale. À cet égard, il revenait aux termes de la proposition de loi initiale et définissait les actes de notoriété acquisitive comme des actes notariés de notoriété qui constatent « une possession répondant aux conditions de la prescription acquisitive », plutôt que comme des actes contenant les éléments matériels attestant des qualités et de la durée de cette possession. Enfin, il supprimait le nouvel article 2261-2 du code civil, qui ne faisait que rappeler l'application de la procédure civile de droit commun.

Pour ma part, j'estime que l'amendement de nos collèges Castelli et Mézard apporte une réponse pertinente à la problématique corse. Mon amendement COM-1 en reprend donc la teneur.

L'article 2 issu des travaux de l'Assemblée nationale prévoit l'assouplissement des règles de majorité applicables en matière d'indivision. Actuellement, le code civil impose une règle de majorité qualifiée des deux tiers des droits indivis pour effectuer les actes d'administration et de conservation d'un bien. Le seuil serait abaissé à la majorité simple lorsque la propriété est acquise par prescription constatée dans un acte de notoriété acquisitive. De même, l'unanimité ne serait plus exigée pour les actes de disposition sur un bien nouvellement titré, à la suite de l'établissement d'un acte de notoriété acquisitive. Une majorité des deux tiers suffirait alors.

Selon les auteurs de la proposition de loi, pour sortir de situations de blocage provoquées par le comportement d'une minorité, voire d'un seul indivisaire « taisant » ou en opposition franche avec les autres, les règles actuelles ne sont pas suffisantes, du moins pas pour les indivisions complexes corses.

Bien que l'article 2 soit très dérogatoire au droit commun, il répond à un véritable besoin. Sans cet assouplissement des règles, l'article 1 er serait privé d'effets. Une fois la propriété reconstituée, une fois les droits des différents indivisaires reconnus par des actes de notoriété acquisitive, la situation serait à nouveau bloquée en raison de l'impossibilité pour les indivisaires, souvent nombreux et issus de plusieurs générations, de gérer et plus encore de céder le bien, faute d'unanimité.

Cependant, comme l'ont révélé nos travaux, des détournements de la règle demeurent possibles. Par exemple, alors même qu'elles disposeraient de titres de propriété valables, certaines personnes de mauvaise foi pourraient s'adresser à un notaire pour qu'il établisse, en toute bonne foi, ignorant l'existence de ces titres, un acte de notoriété acquisitive. Ils bénéficieraient ensuite des règles assouplies de fonctionnement de l'indivision et pourraient contourner l'opposition ou le silence d'un indivisaire connu et identifié.

Par ailleurs, s'il présente un intérêt évident pour la Corse, ce texte ne devrait pas pouvoir s'appliquer à l'ensemble du territoire. J'ai donc déposé un amendement COM-2 qui règle ces deux problèmes tout en donnant pleine satisfaction aux Corses.

Quant à l'amendement COM-3, il concerne le droit local d'Alsace et de Moselle.

Dans le projet de loi « Justice du XXI e siècle », le Sénat et l'Assemblée nationale avaient adopté conforme un article modifiant la loi de 1884 concernant le renouvellement du cadastre, la péréquation de l'impôt foncier et la conservation du cadastre des départements de la Moselle, du Bas-Rhin et du Haut-Rhin pour rendre la prescription acquisitive applicable dans les départements d'Alsace et de Moselle. Or, cette mesure a été censurée comme cavalier législatif par le Conseil constitutionnel. Mon amendement a pour objet d'introduire cette disposition dans la proposition de loi que nous examinons, puisqu'elle traite de prescription acquisitive et de cadastre.

M. Philippe Bas , président . - Pour gagner du temps, notre rapporteur vient de présenter à la fois son rapport et ses amendements.

M. Michel Mercier. - À en juger par l'écart qui existe entre son titre et son contenu, ce texte me semble un peu hypocrite. Je vois mal en quoi il pourrait favoriser « l'assainissement cadastral » et résorber quelque « désordre » que ce soit, sauf à en créer de plus importants ! Notre commission a examiné toutes sortes de textes. Si l'un d'eux justifie l'adoption d'une question préalable, c'est bien celui-là !

En disposant que la possession vaut titre, le cinquième alinéa de l'article 1 er a pour principal effet de revenir sur la distinction majeure faite par notre droit entre biens immeubles et biens meubles, ainsi que sur le droit pratiqué dans notre pays depuis le haut Moyen Âge. Ce texte, c'est un peu la règle du Châtelet, lorsque les immeubles étaient adjugés à la bougie par les notaires royaux ! C'est le règne de la confusion.

S'il est réellement nécessaire de voter des dispositions spécifiques à la Corse, examinons un texte qui porte sur la Corse et non une proposition de loi à portée générale. Comme l'a suggéré le rapporteur, il vaudrait mieux reprendre l'amendement de Joseph Castelli et Jacques Mézard qui portait spécifiquement sur la Corse, plutôt que de bouleverser tout notre droit civil. Sans compter que l'issue d'un tel texte est tout sauf certaine.

Faire disparaître la distinction entre ces règles de propriété des immeubles et des meubles dans notre droit me paraît poser de véritables problèmes juridiques. Il n'est pas satisfaisant d'examiner ce sujet à toute vitesse...

M. Philippe Bas , président . - C'est précisément pourquoi notre rapporteur propose des procédures connues en matière immobilière, comme l'usucapion, et de mieux encadrer cette question.

Le désordre foncier en Corse est une réalité. La piste esquissée à l'Assemblée nationale, avec l'appui des notaires de Corse, ne peut être balayée d'un revers de main. Bien sûr, un certain nombre de précisions doivent être apportées : c'est ce que nous propose notre rapporteur.

M. Alain Vasselle . - On devrait écouter avec beaucoup d'attention les remarques très pertinentes de Michel Mercier sur le titre de la proposition de loi. Notre rapporteur a lui-même précisé que le texte visait à régler des problèmes limités à la Corse et non pas à l'ensemble du territoire.

Cela étant, considérer que le problème n'existe qu'en Corse me laisse dubitatif. En tant que maire d'une commune rurale, j'ai été confronté à plusieurs reprises aux revendications de particuliers qui entendaient obtenir la propriété de parcelles à la suite de la disparition de chemins communaux. En raison de la négligence de quelques collectivités locales, certains agriculteurs qui cultivaient ces espaces depuis plus de trente ans se les sont appropriés au motif que la prescription trentenaire les rendaient propriétaires de fait. Pourtant, aucun acte ne validait ce transfert de propriété. Il s'agissait bien, dans ces cas, de prescription acquisitive.

Selon moi, les difficultés ne se limitent pas à la Corse et peuvent parfaitement survenir dans n'importe quelle commune rurale en France.

M. Pierre-Yves Collombat . - Le problème ne se pose certes pas uniquement en Corse, mais nulle part ailleurs il n'a pris une envergure aussi exceptionnelle ! Près d'un tiers des propriétés, nous dit le rapporteur !

Si les règles que nous appliquons depuis le haut Moyen Âge n'ont pas permis de sortir de cette situation, il nous faut bien trouver une autre solution. Pour moi, ce texte constitue une première étape vers la résolution des difficultés. Par la suite, on pourra très bien l'améliorer et mettre fin aux abus s'il y en a.

Aborder ce sujet en le limitant strictement à la Corse, modulo le problème cadastral de l'Alsace et de la Moselle, me semble une bonne chose. Cette proposition de loi ne règlera pas tout, mais elle permettra un nettoyage cadastral efficace et facilitera la mise à plat complète de la situation foncière en Corse.

Le texte tel qu'il est modifié par les amendements de notre rapporteur me semble de nature à améliorer sensiblement les choses.

M. Alain Richard . - La situation foncière en Corse est embarrassante et exige d'être assainie. C'est pourquoi il convient de légiférer et de déroger temporairement aux règles applicables sur le reste du territoire, en limitant évidemment les effets de cette dérogation aux situations foncières qui le justifient.

Nous devons avoir pour seul objectif de reconstituer une connaissance et une assise juridique solide de la situation foncière dans ces deux beaux départements. La durée du régime temporaire doit être la plus réduite possible, mais il faudra vraisemblablement compter plusieurs décennies.

Appuyons-nous sur les procédures qui sont déjà en vigueur dans notre droit civil. C'est ce à quoi s'attache la proposition de loi, notamment dans sa version amendée par notre rapporteur.

Peut-on ou doit-on cantonner ces dispositions particulières et temporaires à la Corse ? Pour ma part, j'ai de grands doutes, car cette question touche aux principes élémentaires d'égalité et d'unité du droit français. La seule raison pour laquelle on pourrait déroger à ces principes tient à l'existence d'une situation foncière spécifique qui justifierait de ne traiter que le cas de la Corse.

Mes doutes portaient jusqu'à présent sur la véritable intention des auteurs. Le désordre foncier qu'ils invoquaient pour l'ensemble du territoire, servait-il de prétexte pour intervenir en Corse ? Ou, au contraire, ce désordre correspondait-il à la réalité dans d'autres zones du territoire ? S'il existe réellement un problème de biens sans maître ou sans propriétaire connu, même à un moindre degré que celui qui a été évoqué, le seul argument que l'on puisse imaginer pour contourner le principe d'égalité tombe.

En l'état actuel de nos travaux, j'incline à penser qu'il faudrait des dispositions applicables sur l'ensemble du territoire national. Cela étant, j'ai bien conscience que l'étendue de la dérogation mériterait alors une vigilance particulière de notre part. Par conséquent, je suis d'avis d'adopter une position prudente et d'aller dans le sens de notre rapporteur.

M. Jacques Bigot . - L'amendement relatif aux départements de la Moselle, du Bas-Rhin et du Haut-Rhin éclaire le fait que notre droit n'est pas totalement uniforme sur le territoire national.

Il existe une spécificité en Alsace et en Moselle, comme en Corse. Cela étant, cette spécificité joue à l'inverse, car la loi du 31 mars 1884 concernant le renouvellement du cadastre, d'inspiration allemande, prévoit des règles très différentes des règles françaises : en France, la seule vocation du cadastre est de déterminer quels sont les redevables de l'impôt foncier ; en Allemagne, le cadastre détermine non seulement qui sont les redevables de l'impôt mais aussi qui sont les propriétaires. À cet égard, le système en Alsace et en Moselle est peut-être plus performant qu'ailleurs !

Dans le cadre de la législation allemande, la notion de prescription acquisitive ne pouvait donc pas exister. De ce point de vue, la loi de 1884 pose des problèmes aujourd'hui. C'est la raison pour laquelle nous souhaiterions que la prescription acquisitive de droit français puisse s'appliquer dans les trois départements d'Alsace et de Moselle. Encore fallait-il trouver le texte dans lequel faire figurer cette disposition. C'est pourquoi je tiens à remercier notre rapporteur pour son initiative.

EXAMEN DES ARTICLES

Article 1 er

M. André Reichardt , rapporteur . - L'amendement COM-1 tend à rendre l'article 1 er moins bavard que la version adoptée par les députés. En prévoyant un dispositif limité à la Corse et temporaire, puisqu'il s'applique aux « actes de notoriété dressés et publiés avant le 31 décembre 2027 », il apporte une réponse aux observations soulevées par les uns et les autres.

L'amendement COM-1 est adopté.

Article 2

M. André Reichardt , rapporteur . - Je le répète : sans l'assouplissement prévu à l'article 2, l'article 1 er serait privé d'effets. Pardonnez-moi cet anglicisme, mais je vous invite à adopter le « package » que forment les articles 1 er et 2.

M. Pierre-Yves Collombat . - Cet article est au moins aussi important que le précédent. En effet, c'est à cause de l'indivision que certains problèmes n'ont pas pu être réglés. Si on ne parvient pas à améliorer les règles de majorité applicables en matière d'indivision, on n'en sortira pas !

M. André Reichardt , rapporteur . - J'ai bien entendu les observations d'Alain Richard et c'est d'ailleurs avec beaucoup d'hésitation que j'ai élaboré ce rapport. Je suis d'autant plus favorable à l'idée de régler le problème pour la seule Corse que celui-ci est en passe d'être réglé pour les territoires ultramarins concernés.

M. Alain Richard . - Le Conseil constitutionnel s'est-il déjà prononcé sur le projet de loi Égalité réelle outre-mer ?

M. Philippe Bas , président . - Non, pas encore. Ce texte est en cours d'examen.

L'amendement COM-2 est adopté

Articles 3, 4 et 5

M. Philippe Bas , président . - Les amendements COM-4, COM-5, COM-6 et COM-7 sont présentés par la commission des finances. Dans la mesure où cette dernière se réunit ce matin en présence de son rapporteur général, Albéric de Montgolfier, celui-ci ne peut pas être présent avec nous pour les présenter. Cependant, je me suis entretenu avec lui hier soir pour en savoir davantage.

La commission des finances s'interroge sur plusieurs points de constitutionnalité. C'est la raison pour laquelle elle a déposé des amendements sur des dispositions fiscales qui ont fait l'objet d'un accord unanime à l'Assemblée nationale, accord auquel le Premier ministre a également souscrit.

Néanmoins, Albéric de Montgolfier reconnaît que ces quatre amendements ne résolvent pas toutes les difficultés. Avec son accord, il a par conséquent été convenu de ne pas les adopter. Cela permettra d'approfondir la réflexion.

Les amendements COM-4, COM-5, COM-6 et COM-7 ne sont pas adoptés.

Article additionnel après l'article 5

L'amendement COM-3 est adopté.

La proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

Article 1 er
Consécration législative des actes de notoriété acquisitive notariés

M. REICHARDT

1

Limitation dans l'espace et dans le temps du recours aux actes de notoriété acquisitive notariés comme fondement du droit de propriété

Adopté

Article 2
Assouplissement des règles de majorité applicables
en matière d'indivision

M. REICHARDT

2

Assouplissement des règles de gestion des biens en indivision

Adopté

Article 3
Exonération de droits à hauteur de 50 % de la valeur de l'immeuble
lors de la première mutation à titre gratuit d'un bien nouvellement titré

M. de MONTGOLFIER

4

Augmentation de l'exonération partielle de droits pour la première mutation à titre gratuit d'un immeuble suite à la reconstitution des titres de propriété

Rejeté

M. de MONTGOLFIER

5

Réduction de la durée de la prorogation de l'exonération partielle de droits de mutation lors de la première mutation à titre gratuit d'un immeuble suite à la reconstitution des titres de propriété

Rejeté

Article 4
Report au 1 er janvier 2028 de la fin de l'exonération partielle
de droits de succession applicable aux immeubles situés en Corse

M. de MONTGOLFIER

6

Réduction de la durée de la prorogation de l'exonération partielle de droits de succession pour les immeubles situés en Corse

Rejeté

Article 5
Exonération de droits pour les actes de partage de succession
ou les licitations de certains biens héréditaires situés en Corse

M. de MONTGOLFIER

7

Suppression du rétablissement du dispositif d'exonération de droits sur les actes de partage de succession pour les immeubles situés en Corse

Rejeté

Article additionnel après l'article 5

M. REICHARDT

3

Application dans les départements de la Moselle, du Bas-Rhin et du Haut-Rhin de la prescription acquisitive

Adopté

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES ET CONTRIBUTIONS ÉCRITES

Ministère de la Justice

Pour le cabinet du ministre :

M. Grégoire Lefebvre , conseiller droit civil et droit social

Pour la direction des affaires civiles et du sceau :

Mme Marie Walazyc , chef du bureau du droit immobilier et du droit de l'environnement

Mme Mélanie Bessaud , rédactrice au bureau du droit des personnes et de la famille

Ministère de l'économie et des finances

M. Étienne Duvivier , conseiller fiscal au cabinet du ministre de l'économie et des finances

Conseil supérieur du notariat

M. Alain Spadoni , président du Conseil régional des notaires de Corse

Mme Christine Mandelli , chargée des relations avec les institutions

Personnalité qualifiée

M. Hugues Périnet-Marquet , professeur de droit privé à l'université Paris II Panthéon-Assas

Contributions écrites :

Groupement d'intérêt pour la reconstitution des titres de propriété en Corse (GIRTEC)

Conseil supérieur du notariat

Délibération de l'Assemblée de Corse sur la proposition de loi


* 1 J. Carbonnier, Droit civil, Introduction, PUF, p. 335.

* 2 Discours de M. Manuel Valls, Premier ministre, devant l'Assemblée de Corse, le 4 juillet 2016. Ce discours est consultable à l'adresse suivante :

http://www.gouvernement.fr/sites/default/files/document/document/2016/07/20160704_discours_de_manuel_valls_premier_ministredevant_lassemblee_corse_a_ajaccio_corrige_2.pdf.

* 3 Cour de cassation, chambre commerciale, 28 janvier 1992, n° 90-13.706.

* 4 Dans sa décision n° 2012-662 DC du 29 décembre 2012 « loi de finances pour 2013 », il a considéré que : « le maintien du régime fiscal dérogatoire applicable aux successions sur des immeubles situés dans les départements de Corse condui [rait] à ce que, sans motif légitime, la transmission de ces immeubles puisse être dispensée du paiement de droits de mutation ; que la nouvelle prorogation de ce régime dérogatoire méconnaî [trait] le principe d'égalité devant la loi et les charges publiques » (considérant 133). Dans sa décision n° 2013-1278 DC du 29 décembre 2013 « loi de finances pour 2014 », il a estimé qu'en majorant la réduction des droits de mutation attachée au régime fiscal dérogatoire applicable aux successions sur des immeubles situés dans les départements de Corse et en prolongeant le bénéfice d'un tel régime dérogatoire du 31 décembre 2017 au 31 décembre 2022, ces dispositions conduiraient « à ce que, sans motif légitime, la transmission de ces immeubles puisse être dispensée du paiement d'une partie des droits de mutation ; qu'en outre, les modifications des caractéristiques du régime fiscal applicable aux successions sur des immeubles situés dans les départements de Corse dont l'extinction est prévue au 31 décembre 2017, accro [îtraient ] son caractère dérogatoire ; que ces dispositions méconnaissent le principe d'égalité devant la loi et les charges publiques » (considérant 140).

* 5 L'article 2261 du code civil dispose que « pour pouvoir prescrire, il faut une possession continue et non interrompue, paisible, publique, non équivoque, et à titre de propriétaire ».

* 6 Les successions ouvertes avant le 1 er janvier 2013 étaient exonérées de droits de mutation.

* 7 Le partage est l'acte par lequel des personnes qui possèdent un bien en indivision mettent fin à cette indivision en répartissant ce bien entre eux.

* 8 La licitation est la vente aux enchères d'un bien meuble ou immeuble faisant l'objet d'une indivision. Elle est régie par les articles 1686 et suivants du code civil.

* 9 Pour les territoires ultramarins concernés, la situation est sur le point d'être réglée par l'article 34 terdecies du projet de loi de programmation relatif à l'égalité réelle outre-mer et portant autres dispositions en matière sociale et économique.

* 10 L'amendement n° 224 rect. bis du Gouvernement est consultable à l'adresse suivante :

https://www.senat.fr/amendements/2016-2017/288/Amdt_224.html.

* 11 Projet de loi ratifiant les ordonnances n° 2016-1561 du 21 novembre 2016 complétant et précisant les règles budgétaires, financières, fiscales et comptables applicables à la collectivité de Corse, n° 2016-1562 du 21 novembre 2016 portant diverses mesures institutionnelles relatives à la collectivité de Corse et n° 2016-1563 du 21 novembre 2016 portant diverses mesures électorales applicables en Corse.

* 12 Dans sa rédaction initiale, les auteurs de la proposition de loi avaient retenu une majorité simple pour les actes de disposition. En séance publique, à l'initiative de M. Camille de Rocca Serra, rapporteur du texte, l'Assemblée nationale a retenu une majorité des deux tiers, plus protectrice des droits des indivisaires.

* 13 L'indivision est une situation juridique dans laquelle deux ou plusieurs personnes sont propriétaires ensemble d'un même bien.

* 14 Exposé des motifs de la proposition de loi p. 4.

* 15 Rapport n° 4260 de M. Camille de Rocca Serra, fait au nom de la commission des lois de l'Assemblée nationale, déposé le 30 novembre 2016, p. 5. Ce rapport est consultable à l'adresse suivante : http://www.assemblee-nationale.fr/14/pdf/rapports/r4260.pdf.

* 16 Les successions ouvertes avant le 1 er janvier 2013 étaient exonérées de droits de mutation.

* 17 Le partage est l'acte par lequel des personnes qui possèdent un bien en indivision mettent fin à cette indivision en répartissant ce bien entre eux.

* 18 La licitation est la vente aux enchères d'un bien meuble ou immeuble faisant l'objet d'une indivision. Elle est régie par les articles 1686 et suivants du code civil.

* 19 Proposition de loi n° 826 (2012-2013) tendant à moderniser diverses dispositions de la législation applicable dans les départements de la Moselle, du Bas-Rhin et du Haut-Rhin. Ce texte est consultable à l'adresse suivante : http://www.senat.fr/leg/ppl12-826.pdf

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