B. DANS LES SERVICES : L'INQUIÉTANTE IMPRÉPARATION DE LA DGFIP FACE AUX MUTATIONS À VENIR

1. Prélèvement à la source, prélèvement forfaitaire unique, impôt sur la fortune immobilière et révision des valeurs locatives : des réformes aux effets systémiques mal anticipées

L'enjeu de la réorganisation territoriale des services se cumule, notamment à la DGFiP, avec celui de l'organisation interne aux services. Or il existe, sur ce point, d'importants motifs d'inquiétude .

Lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2016, vos rapporteurs spéciaux Michel Bouvard et Thierry Carcenac avaient alerté sur le surcroît de charge de travail que causait, dans les services, la mise en oeuvre du crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (CICE) . La transformation du CICE en allègement pérenne de cotisations patronales 21 ( * ) , à compter du 1 er janvier 2019, ne met pas fin à ce problème, car la « bascule » sera progressive et les créances de CICE demeureront.

Dans ce contexte, la prochaine mise en oeuvre de réformes majeures de la fiscalité , prévues notamment par le présent projet de loi de finances pour 2018, est de nature à accroître encore la désorganisation des services :

- la mise en oeuvre du prélèvement à la source (cf. supra ) ;

- la suppression progressive de la taxe d'habitation pour 80 % des foyers 22 ( * ) , sous la forme d'un dégrèvement pris en charge par l'État, dans la limite des taux et abattements en vigueur pour les impositions de 2017 ;

- la mise en place du prélèvement forfaitaire unique 23 ( * ) (PFU) sur les revenus de l'épargne, au taux de 30 % (dont 12,8 % d'impôt sur le revenu), à la place de l'imposition au barème et de la plupart des régimes spécifiques existants ;

- la création de l'impôt sur la fortune immobilière 24 ( * ) (IFI) et l'abrogation de l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF) ;

- la révision des valeurs locatives des locaux professionnels 25 ( * ) , qui sera mise en oeuvre dès 2017 pour taxe foncière (TF), de taxe d'enlèvement des ordures ménagères (TEOM) et de cotisation foncière des entreprises (CFE) et en 2018 en matière de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE), et à laquelle pourrait succéder une révision des valeurs locatives des locaux d'habitation , le rapport rendu le 1 er mars 2017 à la suite d'une période d'expérimentation ayant conclu à l'absence d'obstacles techniques.

Il s'agit là de réformes systémiques pour la DGFiP, dont l'impact sur l'organisation interne des services, la charge de travail des agents et l'évolution de leurs missions pourrait être considérable , et est en tout état de cause inédit depuis plusieurs années.

Or vos rapporteurs spéciaux n'ont obtenu que des informations très vagues quant aux mesures prises pour assurer la bonne mise en oeuvre de ces réformes, de manière concrète, au sein des services et dans les relations avec les usagers. Les documents budgétaires ne contiennent presque aucune précision relative à l'organisation des tâches, à la gestion du temps de travail, à la formation des agents, à la communication interne et externe etc. Compte tenu de l'ampleur de ces réformes et de leur caractère simultané, de surcroît dans un contexte de poursuite de la réduction des effectifs (en dépit des 500 ETP prévus au titre du prélèvement à la source), la DGFiP doit impérativement s'attacher à formuler des réponses concrètes à ces inquiétudes, au risque d'une désorganisation profonde et durable de l'ensemble de cette administration .

2. Le risque d'un affaiblissement durable du contrôle fiscal

En dépit de la baisse tendancielle des effectifs de la DGFiP, la lutte contre la fraude et l'évasion fiscales constitue - à juste titre - une priorité forte du Gouvernement. À ce titre, les effectifs du contrôle fiscal au sein de la DGFiP, soit environ 9,7 % du total, sont « sanctuarisés » depuis plusieurs années.

Toutefois, cette stabilité globale n'empêche pas, au sein de cet ensemble, une hausse tendancielle des effectifs affectés aux services spécialisés tels que les DIRCOFI 26 ( * ) (+4 % entre 2014 et 2016), la DNEF 27 ( * ) (+ 4 % entre 2014 et 2016) ou encore la DVNI 28 ( * ) (+ 3,7 % entre 2014 et 2016). Ce choix permet une concentration sur les dossiers à plus fort enjeu, et est en soi justifié.

Toutefois, sa conséquence est une baisse corrélative des effectifs chargés du contrôle fiscal « de proximité » , notamment dans les brigades départementales. Une telle diminution a toutefois ses limites, et ne peut pas demeurer viable à long terme , qu'il s'agisse d'efficacité ou d'égalité devant l'impôt. Plusieurs remarques peuvent être faites à cet égard :

- la loi de finances rectificative pour 2016 29 ( * ) a créé une procédure dite d'« examen de comptabilité », qui permet aux agents de l'administration d'examiner la comptabilité des entreprises tenue sous forme informatisée, sans se déplacer dans l'entreprise. Il s'agit donc d'un contrôle sur place... à distance . Cette nouvelle procédure, permettra aux agents d'effectuer un plus grand nombre de contrôles, dans les cas où il n'est pas nécessaire de se déplacer. Mais on pourrait aussi y voir un risque - ou un aveu - d'affaiblissement des moyens du contrôle fiscal , notamment dans les cas où seul un déplacement dans les locaux de l'entreprise permet d'obtenir certaines informations (par exemple un contrôle physique des stocks) ;

- d'une manière générale, le recouvrement effectif des droits et pénalités redressées demeure un point faible . Mesuré par l'indicateur 1.2 du programme 156, le taux net en droits et pénalités sur créance de contrôle fiscal prises en charge en N-1 reste peu élevé, et est même en baisse (69 % en 2015, 66 % en 2016, cible de 65 % en 2017 et 2018). Ceci s'explique par les faillites, les procédures contentieuses, ou encore les difficultés à recouvrer les sommes redressées dès lors que le contribuable est établi à l'étranger, et que l'assistance administrative internationale, avec ses lenteurs et ses dysfonctionnements, doit être activée ;

- dans ce contexte, l'annulation du redressement fiscal de Google en juillet 2017 (1,1 milliard d'euros) rappelle qu'un risque juridique élevé pèse sur les dossiers les plus importants, auxquels une part importante des résultats du contrôle fiscal est due ces dernières années ;

- de même, la fermeture du service de traitement des déclarations rectificatives (STDR) au 31 décembre 2017 rappelle que de telles recettes ont par définition un caractère exceptionnel (au-delà du la partie « pérenne » due aux assiettes auparavant dissimulées, qui est très difficile à évaluer et en tout état de cause peu importante par rapport aux droits et pénalités dus). Ces recettes avaient d'ailleurs commencé à se tarir : 1,9 milliards d'euros en 2014, 2,7 milliards d'euros en 2015, 2,5 milliards d'euros en 2016, et moins de un milliard d'euros attendus en 2017.


* 21 Article 42 du projet de loi de finances pour 2018.

* 22 Article 3 du projet de loi de finances pour 2018.

* 23 Article 11 du projet de loi de finances pour 2018.

* 24 Article 12 du projet de loi de finances pour 2018.

* 25 Article 48 de la loi n° 2015-1786 du 29 décembre 2015 de finances rectificative pour 2015.

* 26 Directions interrégionales du contrôle fiscal.

* 27 Direction nationale des enquêtes fiscales.

* 28 Direction des vérifications nationales et internationales.

* 29 Article 14 de la loi n° 2016-1918 du 29 décembre 2016 de finances rectificative pour 2016.

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