AVANT-PROPOS

Mesdames, messieurs,

La mission « Investissements d'avenir » a été instituée l'an dernier, dans le cadre de la loi de finances pour 2017 1 ( * ) , afin d'y faire figurer l'enveloppe budgétaire consacrée au troisième programme d'investissements d'avenir (PIA 3).

L'essentiel des critiques qui ont été formulées à l'occasion de son examen par Albéric de Montgolfier, alors rapporteur spécial au nom de la commission des finances du Sénat, pourraient être reprises : « normalisation budgétaire artificielle », risques de débudgétisations, fragilité du programme en raison de la dissociation des autorisations d'engagement et des crédits de paiement prévus pour chaque action... 2 ( * )

Pour autant, ce troisième programme est désormais conforté puisque, contrairement à l'an dernier, des crédits de paiement sont prévus pour 2018 et dans le cadre de la programmation triennale 2018-2020.

Il nous appartient donc de nous prononcer sur une mission dont l'objet est de financer l'investissement à hauteur de 10 milliards d'euros et qui a notamment ceci de spécifique qu'elle ne devrait plus évoluer en termes d'autorisations d'engagement. Les décaissements devraient être opérés sur dix ans.

I. LE PIA 3 CONFIRMÉ PAR LE NOUVEAU GOUVERNEMENT MAIS SOUS CONTRAINTE BUDGÉTAIRE

A. L'INTÉGRATION AU SEIN DU GRAND PLAN D'INVESTISSEMENT

1. Un troisième PIA issu de la loi de finances initiale pour 2017 et dans la continuité des deux précédents, mais sans crédits de paiement

Le PIA 3 a été créé dans le cadre de la loi n° 2016-1917 du 29 décembre 2016 de finances initiale pour 2017 , avec l'ouverture de 10 milliards d'euros d'autorisations d'engagement qui s'ajoutent aux 47 milliards d'euros des deux précédents programmes.

Situation financière des PIA 1 et 2 depuis 2010

(en milliards d'euros)

Source : commission des finances du Sénat d'après les données du Commissariat général à l'investissement (CGI)

Dans la suite des efforts déjà fournis en faveur de l'investissement public par les PIA 1 et 2, ce troisième programme se concentre sur l'enseignement (scolaire et supérieur), la recherche et sa valorisation ainsi que l'innovation. À ce titre, il poursuit un certain nombre d'actions déjà engagées dans le cadre des deux précédents programmes 3 ( * ) .

L'article 134 de la loi de finances initiale pour 2017 a également étendu au PIA 3 les règles de gouvernance déjà applicables pour les PIA 1 et 2 à l'article 8 de la loi n° 2010-237 du 9 mars 2010 de finances rectificative pour 2010, tout en lui apportant quelques compléments.

Le précédent gouvernement a ainsi globalement reconduit l'essentiel des modalités de gestion et de gouvernance spécifiquement retenues pour la mise en oeuvre des PIA 1 et 2 , notamment en termes de modes de financement (subventions ou dotations, avances remboursables, fonds propres), de règles budgétaires (pas d'intégration dans les normes de dépenses, gestion extrabudgétaire...) ou encore de pilotage (par un service du Premier ministre, le Commissariat général à l'investissement, qui s'appuie sur des opérateurs) 4 ( * ) .

En revanche, il a fait le choix d'inscrire les crédits relatifs au PIA 3 au sein d'une mission spécifique , la mission « Investissements d'avenir », plutôt que de répartir l'ensemble des enveloppes au sein des missions existantes, dans des programmes « éphémères ».

Surtout, la mission avait pour particularité en 2017 de bénéficier uniquement de 10 milliards d'euros d'autorisations d'engagement, sans aucun crédit de paiement . Cette « astuce de budgétisation », notamment mise en exergue par Albéric de Montgolfier, alors rapporteur spécial de la mission pour l'examen du projet de loi de finances initiale 5 ( * ) , permettait d' éviter que le PIA 3 ne pèse sur le déficit budgétaire dès cette année.

2. Le PIA 3 correspond à 10 des 57 milliards d'euros du « Grand plan d'investissement » du Gouvernement

L'avenir du troisième programme d'investissements d'avenir paraissait susceptible d'être remis en cause à l'été dernier, comme l'indiquait le rapport préalable au débat d'orientation des finances publiques (DOFP) : « Les mesures décidées au cours de la précédente mandature sans financement identifié font actuellement l'objet d'une évaluation au regard de leur pertinence par rapport aux nouvelles priorités du Gouvernement et pourraient déboucher sur leur arrêt ou leur réorientation . Cela concerne notamment le troisième programme d'investissement d'avenir (PIA 3) dans le cadre d'une articulation à définir avec le plan d'investissement [...] ».

Dès lors que le PIA 3 avait été créé sans crédits de paiement associés et que sa mise en oeuvre n'était pas encore très avancée, le nouveau Gouvernement pouvait effectivement décider plus aisément de ne pas y donner suite.

Finalement, il a confirmé le maintien du PIA 3 le 25 septembre 2017 , lors de la présentation du projet de loi de finances pour 2017 mais en l'intégrant dans son « Grand plan d'investissement » (GPI) dont les contours sont issus de la mission confiée à Jean Pisani-Ferry 6 ( * ) .

Ainsi, parmi les 57 milliards d'euros identifiés pour ce plan sur la durée du quinquennat, 10 milliards d'euros restent alloués au PIA 3.

Origine des moyens de financement du « Grand plan d'investissement »

(en milliards d'euros)

Source : Commission des finances d'après les données du rapport précité de Jean Pisani-Ferry au Premier ministre sur le grand plan d'investissement 2018-2022, septembre 2017

Parmi les quatre axes identifiés par le « Grand plan d'investissement » (accélérer la transition écologique, édifier une société de compétences, ancrer la compétitivité sur l'innovation et construire l'État de l'âge numérique), la contribution du PIA concerne les secteurs de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation.

Indépendamment de l'opinion que l'on peut avoir sur ce « Grand plan d'investissement », qui certes porte de grandes ambitions mais correspond à de nombreux crédits déjà prévus dans les budgets des ministères, il a pour mérite, s'agissant du PIA 3, de lui assurer un financement là où le précédent gouvernement avait hypothéqué son avenir en n'inscrivant aucun crédit de paiement . Cependant, on notera que l'effort financier est reporté sur la fin du quinquennat dans la mesure où 1,08 milliard d'euros sont inscrits pour l'année 2018 et 4 milliards d'euros au total sur le triennal 2018-2020, les 6 milliards d'euros restant à financer au-delà.

3. Le maintien des principales caractéristiques du PIA 3
a) Trois programmes, divers moyens de financement maastrichtiens et non maastrichtiens et 4 opérateurs

Cette intégration dans le « Grand plan d'investissement » ne remet pas en cause, à ce stade, la structure du PIA. La mission « Investissements d'avenir » telle que présentée dans le projet de loi de finances pour 2018 reste identique à 2017, tant s'agissant des programmes et actions qui la composent que de la répartition des autorisations d'engagement inscrites.

Répartition des autorisations d'engagement du PIA 3 par programme

(en milliards d'euros et en %)

Source : commission des finances d'après le projet annuel de performances de la mission « Investissements d'avenir »

Toutefois, comme votre rapporteur spécial aura l'occasion d'y revenir, le rapport « Pisani-Ferry » n'exclut pas que de nouvelles orientations soient prises si certaines actions ne s'avéraient finalement pas pertinentes ou cohérentes avec les politiques développées par le Gouvernement 7 ( * ) .

De même, la répartition entre les différents modes de financement reste inchangée , avec 4 milliards d'euros de subventions ou avances remboursables, 2 milliards d'euros de dotations décennales 8 ( * ) et 4 milliards d'euros de fonds propres (prises de participation).

60 % de ce PIA doivent également contribuer au développement durable et à la croissance verte (50 % pour le PIA 2). Comme le rapporteur spécial, Albéric de Montgolfier, l'a indiqué l'an dernier à l'occasion de l'examen de la mission dans le projet de loi de finances pour 2017, l'objectif paraît irréaliste compte tenu des investissements prévus .

Comme pour les PIA 1 et 2, le Gouvernement attend un effet de levier au moins équivalent à 1. Il sera surtout attendu sur les programmes 422 « Valorisation de la recherche » et 423 « Accélération de la modernisation des entreprises ».

Programmes et actions du PIA 3

(en millions d'euros)

PRIORITÉS

ACTIONS

Subventions/
Avances remboursables

Dotations
décennales

Fonds propres

TOTAL

PROGRAMME 421
« SOUTIEN DES PROGRÈS DE L'ENSEIGNEMENT ET DE LA RECHERCHE »

« Territoires d'innovation pédagogique » dans l'enseignement scolaire

400

100

-

500

Nouveaux cursus à l'université

0

250

-

250

Programmes prioritaires de recherche

50

350

-

400

Équipements structurants pour
la recherche

200

150

-

350

Soutien des grandes universités de recherche

0

700

-

700

Constitution d'écoles universitaires de recherche

0

300

-

300

Création expérimentale de « sociétés universitaires et de recherche »

-

-

400

400

Total Programme 421

650

1 850

400

2 900

PROGRAMME 422 « VALORISATION DE LA RECHERCHE »

Nouveaux écosystèmes d'innovation

80

150

-

230

Démonstrateurs et territoires d'innovation de grande ambition

800

-

700

1 500

Accélérer le développement des écosystèmes d'innovation performants

620

-

-

620

Intégration des SATT, incubateurs et accélérateurs

50

-

100

150

Fonds national post-maturation « Frontier venture »

0

0

500

500

Total Programme 422

1 550

150

1 300

3 000

PROGRAMME 423

« ACCÉLÉRATION DE LA MODERNISATION DES ENTREPRISES »

Soutien à l'innovation collaborative

550

-

0

550

Accompagnement et transformation des filières

500

-

500

1 000

Industries du futur

350

-

-

350

Adaptation et qualification de la main d'oeuvre

100

-

-

100

Concours d'innovation

300

-

-

300

Fonds national d'amorçage n° 2

-

-

500

500

Fonds de fonds « Multi-cap-croissance » n° 2

-

-

400

400

Fonds à l'internationalisation des PME

-

-

200

200

Grands défis

-

-

700

700

Total Programme 423

1 800

0

2 300

4 100

TOTAL

4 000

2 000

4 000

10 000

Source : commission des finances d'après les données du projet annuel de performances de la mission « Investissements d'avenir, annexé au projet de loi de finances pour 2018

Les modalités de gouvernance du PIA, telles qu'issues de l'article 8 de la loi n° 2010-237 de finances rectificative pour 2010 sont également conservées.

Les quatre opérateurs retenus initialement sont confirmés, à savoir l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie (Adème), l'Agence nationale de la recherche, la Caisse des dépôts et consignations (CDC) et Bpifrance.

Répartition des autorisations d'engagement du PIA 3 par opérateurs

(en milliers d'euros)

Source : commission des finances d'après le projet annuel de performances de la mission « Investissements d'avenir »

La mise en oeuvre des programmes d'investissements d'avenir engendre une activité supplémentaire loin d'être anodine pour les opérateurs. À titre d'exemple, la direction des investissements d'avenir de l'Adème compte une trentaine de personnes et globalement, ce sont une soixantaine d'équivalents temps plein travaillés qui interviennent. À la Caisse des dépôts et consignations, 180 personnes travaillent sur les PIA, correspondant à 50 équivalents temps-plein.

Comme dans le cadre des précédents PIA, l'État a également prévu de recourir à des sous-opérateurs pour certains actions. Ainsi en est-il pour quatre d'entre elles dont l'opérateur est la Caisse des dépôts et consignations mais qui seront en réalité gérées par Bpifrance en tant que sous-opérateur.

Ces quatre actions (« fonds national d'amorçage n° 2 », « fonds à l'internationalisation des PME », « fonds de fonds "Multicap croissance" n° 2 » et « fonds national post-maturation "Frontier venture" ») font ainsi l'objet de conventions tripartites entre l'État, la Caisse des dépôts et consignations et Bpifrance. La présence de la Caisse des dépôts et consignations serait ainsi appréciée par l'État au sein du comité de pilotage de l'action, pour ses compétences en qualité d'investisseur. Surtout, d'un point de vue juridique, la gestion des fonds propres nécessite de distinguer la fonction d'opérateur de l'État (La Caisse des dépôts et consignations) de celle de gestionnaire d'actifs financiers qui constitue une activité concurrentielle (en l'occurrence Bpifrance, filiale de la Caisse des dépôts et consignations).

Votre rapporteur spécial entend cet argument qui justifie le recours à un sous-opérateur en l'espèce. Pour autant, cette pratique doit être circonscrite dans la mise en oeuvre des PIA car elle est source de complexité pour les porteurs de projet et risque de dédoubler les activités d'opérateur , alors qu'il convient au contraire, dans l'esprit d'ailleurs du programme « Action publique 2022 » lancé par le Gouvernement, de parvenir à des procédures plus simples et rationnalisées .

Dans son rapport sur le programme d'investissements d'avenir de décembre 2015, la Cour des comptes indiquait pour sa part que « ce recours à un sous-opérateur n'est pas neutre en termes de coût, de temps et de complexité administrative, mais peut être de bonne gestion pour acquérir des compétences dont l'usage est ponctuel ou n'a pas vocation à être durable » 9 ( * ) .

b) Le maintien des règles budgétaires dérogatoires

Les règles budgétaires dérogatoires applicables aux PIA sont également maintenues pour la mise en oeuvre de ce troisième programme .

Ainsi, les crédits inscrits ne sont pas soumis à régulation budgétaire et ne peuvent à ce titre faire l'objet de mise en réserve . Le rapport « Pisani-Ferry » recommande d'ailleurs que l'intégralité du « Grand plan d'investissement » bénéficie de cette exception budgétaire. L'annexe au projet de loi de finances pour 2018 relative au plan confirme que les crédits qui lui sont dédiés ne peuvent faire l'objet d'une mise en réserve.

La gestion des crédits du PIA reste très largement extrabudgétaire puisqu'une fois ouverts, ils sont versés aux opérateurs qui gèrent les actions concernées et procèdent aux décaissements nécessaires. Certes, la décision de financement d'un projet reste toutefois de la compétence du Premier ministre.

Ensuite, le versement des crédits aux opérateurs de l'État ainsi que les décaissements de ces derniers vers les bénéficiaires , retenus à la suite d'une sélection, continueront de ne pas être intégrés dans les normes de dépenses (en valeur comme en volume), contrairement à la recommandation de la Cour des comptes 10 ( * ) .

Enfin, la mission « Investissements d'avenir » n'a pas fait l'objet d'une lettre de cadrage dans le cadre du projet de loi de finances pour 2018.


* 1 Loi n° 2016-1917 du 29 décembre 2016 de finances pour 2017.

* 2 Annexe 18 au rapport général n° 140 (2016-2017) d'Albéric de Montgolfier, fait au nom de la commission des finances.

* 3 Cf. la suite du présent rapport pour une présentation plus détaillée des actions du PIA 3.

* 4 Cf . la suite du présent rapport pour davantage de détail sur ces modalités de gestion et de gouvernance.

* 5 Cf. le rapport précité.

* 6 Rapport de Jean Pisani-Ferry au Premier ministre sur le Grand plan d'investissement 2018-2022, septembre 2017.

* 7 Cf. le B du II du présent rapport.

* 8 Pour mémoire, la dotation décennale a remplacé dans le PIA 3 la dotation non consomptible prévue dans les PIA 1 et 2. Les crédits seront décaissés progressivement sur une période de dix ans et pour un montant annuel ne pouvant dépasser 10 % de la dotation initiale.

* 9 Rapport public thématique de la Cour des comptes, Le programme d'investissement d'avenir, une démarche exceptionnelle, des dérives à corriger , décembre 2015.

* 10 Recommandation n° 3 du rapport public thématique précité de la Cour des comptes, relatif au programme d'investissements d'avenir : « Élargir le périmètre des normes de dépenses aux décaissements annuels effectués par les opérateurs dans le cadre de la mise en oeuvre du PIA (dotations consommables et intérêts versés au titre des dotations non consommables) ».

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