C. APB : UN SYSTÈME INTENABLE, REFLET DE RÈGLES INADAPTÉES POUR L'AFFECTATION DANS L'ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR

1. Admission post bac : un dispositif contesté

Introduit à partir de 2008, Admission post bac (APB) est un portail national de coordination des admissions dans l'enseignement supérieur. Il regroupe sur un site Internet unique l'ensemble des formations de l'enseignement supérieur public et privé reconnues par l'État et accessibles après le baccalauréat, permettant aux candidats de postuler aux différentes formations de leur choix, en vue d'y réaliser leur pré-inscription.

APB constituait une véritable simplification et un formidable progrès par rapport à la situation qui prévalait avant 2008. Alors qu'il existait quasiment autant de procédures de candidature que de catégories de formations, APB permet aux futurs bacheliers de saisir leurs candidatures sur une plateforme et selon un calendrier uniques.

APB, comme l'explique la Cour des comptes, « a été créé pour gérer les flux de pré-inscriptions des bacheliers dans l'enseignement supérieur : le système n'a été conçu, à l'origine, ni comme un outil d'orientation, ni comme un instrument de sélection » 21 ( * ) . En outre, APB ayant pour vocation initiale l'appariement entre l'offre et les candidatures dans les filières sélectives, « l'intégration des licences universitaires, dans le cadre de la généralisation de l'outil en 2009, a donc nécessité une = adaptation du système, qui s'est traduite par l'ajout d'un algorithme de classement des candidatures à la licence » 22 ( * ) .

Le déroulement de la procédure APB

« À l'ouverture de la procédure normale, les candidats disposent de deux mois (20 janvier - 20 mars) pour enregistrer leurs candidatures ou « voeux » à partir du catalogue des formations disponibles dans l'outil.

Puis s'ouvre la période de sélection des candidats par les établissements (avril-mai). À l'issue de ce processus de sélection, les établissements dressent une liste de candidats aptes à intégrer leurs formations. Pendant cette même phase, les candidats établissent également un classement de leurs candidatures par ordre de préférence dans une liste de voeux, sans savoir à ce stade où ils seront retenus.

Grâce à un algorithme d'appariement - ou algorithme d'affectation - qui croise les préférences exprimées par les établissements et par les candidats, APB propose à ces derniers, le 8 juin de chaque année, une admission dans un établissement d'enseignement supérieur correspondant au meilleur choix possible pour eux compte tenu des préférences indiquées et des possibilités existantes.

À cette proposition, le candidat est appelé à répondre via la plateforme APB par oui ou non, ou apporter une réponse conditionnelle, soit « oui, mais » (je prends cette inscription, mais je reste candidat à une place dans une formation mieux classée dans ma liste, si une place venait à se libérer au tour suivant), soit « non, mais » (je refuse cette proposition, mais si une offre mieux classée dans ma liste vient à se libérer, je prendrai cette nouvelle offre). APB organise au total trois phases de réponses en procédure normale pour affiner les ajustements. La dernière de ces phases se tient le 14 juillet, APB écartant automatiquement de la procédure les candidats ayant échoué au baccalauréat.

Une procédure complémentaire ouvre fin juin, qui permet aux formations qui n'ont pas fait le plein et aux candidats qui n'auraient pas encore trouvé de formation d'effectuer les dernières inscriptions. Cette procédure est aujourd'hui mise en cause : elle est considérée à la fois comme opaque, injuste et inefficace . »

Source : Cour des comptes 23 ( * )

Mais la procédure APB a fait progressivement l'objet d'une profonde remise en cause, liée :

- à l' opacité de son fonctionnement 24 ( * ) ;

- à l'usage du tirage au sort pour départager les candidats aux filières non sélectives à capacité d'accueil limitée faute de critères suffisants prévus par le législateur (ce qui a été le cas dans 78 licences publiques en 2016 et 169 en 2017) ;

- ainsi qu'au grand nombre de candidats sans affectation à l'issue de la procédure 25 ( * ) .

2. Les défaillances d'APB procèdent essentiellement d'une législation inadaptée à la réalité de l'enseignement supérieur

Ce n'est pas tant APB qui est en cause que les règles qui le sous-tendent et qu'on lui fait appliquer. La Cour des comptes souligne justement que la situation critique d'APB « n'est pas le signe d'une défaillance intrinsèque de l'outil, qui peut toujours être adapté » , la programmation d'APB « n'est que le révélateur des choix ministériels en matière d'accès à l'enseignement supérieur, qui ne répondent pas à la réalité de la situation » 26 ( * ) .

La pression démographique a eu pour conséquence de mettre un grand nombre de licences universitaires, non sélectives de jure , sous tension, c'est-à-dire dans l'incapacité d'accueillir l'ensemble des candidats.

Les critères prévus dans cette circonstance par l'article L. 612-3 du code de l'éducation, le « domicile », « la situation de famille du candidat » et les « préférences exprimées par celui-ci » ne permettent pas de départager tous les candidats.

Pour sortir d'une situation juridiquement inextricable, et plutôt que de modifier l'article L. 612-3, les gouvernements successifs ont préféré avoir recours dans APB à un second algorithme, dit de classement, auquel a été confié la tâche d'opérer une sélection en fonction des critères de l'article L.612-3 (ordre du voeu, académie de résidence, situation familiale) et par recours au tirage au sort. Cela a eu pour conséquences :

- une complexification de la procédure, rendant le fonctionnement d'APB difficilement compréhensible ;

- le retour d'une dimension stratégique dans le classement des voeux, à rebours de la vocation première de l'algorithme initial, dit d'appariement, dont le bon fonctionnement dépend de la sincérité des voeux ;

- enfin, afin de départager les candidats, le recours à des critères qui ne sont pas prévus par la loi, dont le tirage au sort 27 ( * ) .

In fine , c'est une clarification de la législation applicable à l'admission dans le premier cycle de l'enseignement supérieur qui est nécessaire, en vue de donner un fondement légal à la sélection à l'admission en licence, qu'exclut la rédaction actuelle de l'article L. 612-3 du code de l'éducation.

C'est pourquoi la mission d'information de votre commission, dans son rapport consacré à l'orientation scolaire 28 ( * ) , proposait de permettre une sélection pour l'accès aux licences à capacité limitée, par l'édiction de « prérequis ».

L'examen des dérives et déboires d'APB conduit votre rapporteur à faire six recommandations pour l'établissement d'une nouvelle plateforme :

1. renforcer l'accompagnement des candidats par les équipes pédagogiques de lycée ;

2. intégrer dans la plateforme la totalité des formations d'enseignement supérieur publiques et privées reconnues par l'État ;

3. donner un fondement légal à la sélection pour l'accès en licence ;

4. assurer la publicité des critères et des procédures de sélection de chaque formation ;

5. assurer la simplicité d'utilisation de la future plateforme ;

6. revenir au principe de sincérité des choix et éviter toute dimension stratégique dans l'ordonnancement des voeux des candidats.


* 21 Cour des comptes, Admission post bac et l'accès à l'enseignement supérieur, un dispositif contesté à réformer, octobre 2017.

* 22 Idem.

* 23 Idem.

* 24 Le 30 août 2017, la CNIL a ainsi mis en demeure le Gouvernement de se conformer à la législation, relevant trois manquements : « s'agissant des formations non sélectives, seul l'algorithme détermine automatiquement, sans intervention humaine, les propositions d'affectation faites aux candidats » ; « l'information des candidats sur le portail APB est insuffisant (...) s'agissant notamment de l'identité du responsable de traitement, de la finalité du traitement et des droits des personnes » ; « la procédure de droit d'accès ne permet pas aux personnes d'obtenir des informations précises relatives à l'algorithme et à son fonctionnement, notamment la logique qui sous-tend le traitement APB ou le score obtenu par le candidat ».

* 25 À l'issue de la procédure complémentaire, 3 729 bacheliers n'avaient pas obtenu d'affectation en 2017 (ils étaient 2 517 en 2016) Ce chiffre peut être sous-estimé, en ce qu'il ne comprend pas les étudiants en réorientation qui n'auraient pas obtenu d'affectation, ni les candidats qui auraient abandonné à l'issue de la procédure normale.

* 26 Idem.

* 27 Voir à cet effet la décision Conseil d'État, 22 décembre 2017, Associations SOS Éducation, Promotion et défense des étudiants et Droits des Lycéens, n° s 410561, 410641, 411913.

* 28 Une orientation réussie pour tous les élèves, op. cit.

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