EXPOSÉ GÉNÉRAL

Mesdames, Messieurs,

Le Sénat est appelé à se prononcer, en première lecture, sur la proposition de loi n° 621 (2016-2017) sur le régime de l'exécution des peines des auteurs de violences conjugales , présentée par Mme Françoise Laborde et plusieurs de nos collègues.

Alors que l'égalité entre les femmes et les hommes a été déclarée grande cause nationale du quinquennat par le Président de la République en novembre 2017, la présente proposition de loi vient souligner la prégnance des violences conjugales en France.

Selon l'auteure de la proposition de loi, les aménagements de peine et les crédits de réduction de peine entraînent un sentiment d'impunité pour les auteurs de ces violences et un sentiment de grande incompréhension chez les victimes et leurs proches.

La proposition de loi tend en conséquence à prévoir la création d'un régime dérogatoire en matière d'exécution des peines, applicable aux seuls auteurs de violences conjugales : ces derniers seraient exclus de certaines possibilités d'aménagement ou d'exécution des peines.

Alors que les conclusions du cinquième chantier de la justice sur le sens et l'efficacité des peines viennent d'être rendues 1 ( * ) , cette proposition de loi est une nouvelle occasion de s'interroger sur l'efficacité et l'efficience de notre régime de l'exécution des peines.

Votre commission des lois et le Sénat ont proposé récemment plusieurs modifications substantielles de ce régime, d'abord avec l'adoption au mois de janvier 2017 de la proposition de loi n° 126 (2016-2017) tendant à renforcer l'efficacité de la justice pénale , présentée par MM. François-Noël Buffet, Bruno Retailleau et plusieurs de nos collègues, puis la publication du rapport d'information « Cinq ans pour sauver la justice ! 2 ( * ) » suivie de l'adoption au mois d'octobre 2017 de la proposition de loi n° 641 d'orientation et de programmation pour le redressement de la justice, présentée par le président de votre commission, notre collègue Philippe Bas.

Si des progrès substantiels doivent encore être accomplis pour protéger les victimes des violences conjugales, votre commission estime que la création d'un régime de l'exécution des peines dérogatoire pour les auteurs de violences conjugales risquerait de déséquilibrer notre droit de l'exécution des peines sans améliorer la prévention de la récidive.

I. LA PROPOSITION DE LOI : SOUMETTRE LES PERSONNES CONDAMNÉES POUR DES VIOLENCES CONJUGALES À UN RÉGIME DÉROGATOIRE D'EXÉCUTION ET D'AMÉNAGEMENT DES PEINES D'EMPRISONNEMENT

A. LA LUTTE CONTRE LES VIOLENCES CONJUGALES, UN COMBAT TOUJOURS D'ACTUALITÉ

1. Les violences conjugales, une réalité trop peu dénoncée

En 2016 3 ( * ) , 123 femmes et 34 hommes ont été tués par leur conjoint ou ex-conjoint, concubin ou ex-concubin, partenaire ou ex-partenaire d'un pacte civil de solidarité. 110 000 victimes de violences commises par leur conjoint ou ex-conjoint, concubin ou ex-concubin, partenaire ou ex-partenaire d'un pacte civil de solidarité, âgées de plus de 18 ans, ont déposé plainte auprès des services de police ou de gendarmerie - 88 % des plaintes concernaient des victimes de sexe féminin - et 17 660 personnes ont été condamnées pour des violences sur leur conjoint ou ex-conjoint, concubin ou ex-concubin, partenaire ou ex-partenaire d'un pacte civil de solidarité .

Commis dans l'intimité, le huis clos du foyer conjugal, les faits de violences conjugales sont insuffisamment portés à la connaissance de la justice. Selon une enquête réalisée entre 2012 et 2017 4 ( * ) , moins d'une femme sur cinq victime de violences au sein du couple déclare avoir déposé plainte. Tous les milieux socio-culturels seraient concernés.

Enjeu essentiel des politiques publiques, la lutte contre les violences conjugales, qui touchent principalement les femmes, a fait l'objet de cinq plans interministériels depuis 2005 et motivé de nombreuses modifications législatives.

2. La protection civile et pénale des victimes de violences conjugales

De nombreuses dispositions civiles et pénales tendent à protéger les victimes des violences conjugales.

Depuis 1994, les peines encourues par les auteurs de violences sont aggravées lorsqu'elles ont été infligées par le conjoint ou par le concubin de la victime. Depuis la loi n° 2006-399 du 4 avril 2006 renforçant la prévention et la répression des violences au sein du couple ou commises contre les mineurs , cette circonstance aggravante a été élargie au partenaire lié à la victime par un pacte civil de solidarité (PACS), ainsi qu'à son ancien conjoint, concubin ou partenaire d'un PACS lorsque les violences ont été infligées en raison des relations ayant existé entre eux.

Depuis la loi n° 2004-439 du 26 mai 2004 relative au divorce, le droit civil organise également « l'éviction » de l'auteur des violences conjugales du domicile commun : lorsque les violences exercées par l'un des époux mettent en danger son conjoint et/ou un ou plusieurs enfants, le juge aux affaires familiales peut statuer, en amont de la procédure de divorce, sur la résidence séparée des époux. Une mesure d'éviction peut également être prononcée dans le cadre d'un contrôle judiciaire. Depuis la loi n° 2007-297 du 5 mars 2007 relative à la prévention de la délinquance , les personnes reconnues coupables de violences conjugales peuvent également être condamnées à un suivi socio-judiciaire.

Une ordonnance de protection des victimes de violences conjugales peut également être délivrée en urgence par le juge aux affaires familiales, depuis la loi n° 2010-769 du 9 juillet 2010 relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au sein du couple et aux incidences de ces dernières sur les enfants . Le juge peut également retirer l'autorité parentale au parent condamné comme auteur ou complice d'un crime sur l'autre parent. Cette même loi a également prévu un dispositif de télé-protection, appelé « téléphone grave danger » (TGD), permettant d'alerter les autorités en cas de violation par l'auteur de violences conjugales d'une interdiction de rencontrer la victime. Ce dispositif a été généralisé par la loi n° 2014-873 du 4 août 2014 pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes .

3. La préservation des intérêts de la victime en matière d'exécution des peines

En application de l'article 707 du code de procédure pénale, l'autorité judiciaire est tenue de garantir la prise en compte des intérêts de la victime, sa tranquillité et sa sûreté . La victime a également le droit d'être informée , si elle le souhaite, de la fin de l'exécution d'une peine privative de liberté.

Préalablement à toute sortie d'incarcération , les juridictions de l'aménagement des peines doivent évaluer les conséquences d'une telle décision sur les intérêts de la victime. Elles doivent notamment apprécier le risque que le condamné puisse se retrouver en sa présence . Si elles l'estiment opportun, avant leur prise de décision, elles peuvent informer la victime ou la partie civile, directement ou par l'intermédiaire de son avocat, de la possibilité de présenter des observations par écrit dans un délai de quinze jours à compter de la notification de cette information.

En outre, s'il apparaît qu'il existe un risque que le condamné puisse se retrouver en présence de la victime ou de la partie civile et qu'il faille, au regard de la nature des faits ou de la personnalité de l'intéressé, éviter une telle rencontre, les juridictions de l'application des peines assortissent toute décision entraînant la cessation de l'incarcération d'une interdiction d'entrer en relation avec la victime et, le cas échéant, de paraître à proximité de son domicile ou de son lieu de travail . Une telle interdiction doit être prononcée lorsque la personne a été condamnée pour l'une des infractions visées à l'article 706-47 du code de procédure pénale (infractions sexuelles et infractions commises à l'encontre des mineurs).


* 1 M. Bruno Cotte et M e Julia Minkowski, « Sens et efficacité des peines », cinquième chantier de la justice. Le rapport est consultable à l'adresse suivante :

www.justice.gouv.fr/publication/chantiers_justice/Chantiers_justice_Livret_05.pdf

* 2 Rapport d'information n° 495 (2016-2017) de M. Philippe Bas président-rapporteur, et Mme Esther Benbassa, MM. Jacques Bigot, François-Noël Buffet, Mme Cécile Cukierman, MM. Jacques Mézard et François Zocchetto, fait au nom de la commission des lois du Sénat, déposé le 4 avril 2017. Ce rapport est consultable à l'adresse suivante : http://www.senat.fr/notice-rapport/2016/r16-495-notice.html

* 3 Selon les chiffres du ministère de l'intérieur et du ministère de la justice cités dans la lettre n° 12 de l'observatoire national des violences faites aux femmes (novembre 2017). Le document est consultable à l'adresse suivante :

http://stop-violences-femmes.gouv.fr/IMG/pdf/lettre_observatoire_novembre_2017_-no12.pdf

* 4 Enquêtes « Cadre de vie et sécurité (CVS) » 2012 à 2017, Institut national de la statistique et des études économiques, Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales (ONDRP) et Service statistique ministériel de la sécurité intérieure (SSMSI).

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