AVANT-PROPOS

Madame, Monsieur,

À l'heure où internet est considéré comme un bien commun, dont la neutralité doit être préservée, il devient impératif de permettre à l'ensemble de nos concitoyens d'y accéder dans de bonnes conditions et dans des délais raisonnables, afin qu'ils puissent bénéficier de toutes les opportunités offertes par le numérique.

Dans ce but, il est indispensable que des réseaux de communications électroniques de dernière génération puissent irriguer rapidement l'ensemble de notre pays, sans privilégier certaines zones au détriment de territoires moins denses mais susceptibles de tirer profit autant sinon davantage du numérique pour leur développement futur.

Au regard de cet objectif prioritaire d'aménagement du territoire, la France s'est dotée depuis 2010 d'une programmation nationale en vue de déployer le très haut débit, permettant d'offrir des perspectives d'accès aux habitants de tous les territoires. Ce plan est fondé sur la complémentarité entre offre privée et initiative publique, cette dernière ayant été sollicitée pour compenser le manque d'intérêt économique des opérateurs sur une large partie du territoire national.

Au cours de l'année 2017, plusieurs annonces et tentatives d'opérateurs privés ont laissé paraître un risque de duplication des réseaux, sur certaines zones prises en charge par les pouvoirs publics. Par ailleurs, la concrétisation pleine et entière des intentions des opérateurs dans la zone réservée à l'initiative privée reste depuis plusieurs années une source de vives inquiétudes pour les collectivités et les habitants concernés.

Remettant en cause les principes structurants du déploiement du très haut débit, ces différents éléments ont révélé les fragilités d'un programme fondé sur un simple consensus entre acteurs publics et privés, en décalage avec l'ampleur financière et les enjeux d'une couverture intégrale du territoire par des réseaux en fibre optique. De telles perturbations appellent une intervention du législateur, en vue de sécuriser et d'inciter les investissements dans le très haut débit.

C'est à la lumière de ces considérations et de ces priorités que la présente proposition de loi a été examinée par la commission.

EXPOSÉ GÉNÉRAL

I. LA COMPLÉMENTARITÉ PUBLIC-PRIVÉ DU DÉPLOIEMENT DU TRÈS HAUT DÉBIT DOIT ÊTRE CONFORTÉE

A. LE DÉPLOIEMENT DU TRÈS HAUT DÉBIT EN FRANCE EST FONDÉ SUR UNE COMPLÉMENTARITÉ ENTRE LES INITIATIVES PUBLIQUE ET PRIVÉE

Le déploiement des réseaux de communications électroniques en fibre optique à très haut débit est organisé depuis 2010 par un programme national , en vue d'assurer une couverture exhaustive du territoire dans des délais raisonnables. Le choix fait en 2010 - confirmé depuis lors - a été de solliciter des financements et des maîtrises d'ouvrage publics, en complément de l'offre privée, pour doter l'ensemble du pays d'un réseau local en fibre optique jusqu'à l'utilisateur final. Le plan France très haut débit constitue depuis 2013 le cadre technique et financier de ces déploiements.

Le nouveau réseau doit permettre d'apporter d'ici 2022 à l'ensemble des utilisateurs un service de communications électroniques à très haut débit , défini comme un service offrant un débit descendant égal ou supérieur à 30 mégabits par seconde. Cette échéance a été complétée en 2017 par un objectif intermédiaire, visant à garantir un débit supérieur à 8 mégabits en 2020, et par un objectif complémentaire, en phase avec la nouvelle stratégie numérique de l'Union européenne, afin d'offrir des accès dépassant 100 mégabits à partir de 2025.

Si le déploiement du très haut débit peut s'appuyer à moyen terme sur des technologies hybrides ou complémentaires (montée en débit sur cuivre ou sur câble, réseaux radio terrestres, satellite), la France a fait le choix de prioriser la fibre optique jusqu'à l'utilisateur final (FttH) 1 ( * ) , qui apparaît comme la seule technologie permettant d'assurer à l'avenir une véritable évolutivité des débits proposés aux utilisateurs.

La responsabilité du déploiement de cette infrastructure à très haut débit sur le territoire national est divisée entre deux grandes zones .

La zone dite d'initiative privée est prise en charge par les opérateurs privés sur fonds propres , le cas échéant avec des accords de coinvestissement entre opérateurs. Elle comprend une centaine de communes identifiées comme zones très denses par l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP), ainsi qu'une zone moins dense, dont le périmètre a été défini suite à la procédure d'appel à manifestations d'intentions d'investissement (AMII) menée entre 2010 et 2011 afin de recenser les projets de déploiement des opérateurs privés, et qui regroupe environ 3 400 communes. L'ensemble de la zone d'initiative privée représente 57 % de la population et 10 % du territoire.

À partir de la délimitation des territoires suffisamment rentables pour être pris en charge par l'offre privée, a été déduite la zone dite d'initiative publique . Dans cette zone, les collectivités territoriales ou leurs groupements, et leurs opérateurs d'infrastructures, déploient des réseaux d'initiative publique (RIP) à très haut débit, financés par leurs propres ressources, des subventions de l'État et des fonds européens, un recours à l'emprunt et un cofinancement apporté par des partenaires publics (comme la Caisse des dépôts et consignations) et privés (opérateurs commerciaux, fonds d'infrastructures...). Cette zone regroupe 43 % de la population et près de 90 % du territoire.

RÉPARTITION DES ZONES DE DÉPLOIEMENT

Source : Agence du numérique.

Un cahier des charges définit les conditions d'éligibilité et la clef de répartition des financements apportés par l'État, au terme d'une procédure d'examen itératif pour chaque projet de RIP. Une fois engagées par l'État, ces subventions sont versées au fur et à mesure de l'achèvement du réseau.

Le coût d'une couverture intégrale de la population en très haut débit était estimé en 2013 à 20 milliards d'euros (Md€), ainsi répartis : 6 à 7 Md€ pour la zone d'initiative privée et 13 à 14 Md€ pour la zone d'initiative publique, dont 3,3 Md€ de subventions de l'État. Dans un rapport publié en janvier 2017, la Cour des comptes a toutefois évalué le coût total du plan France très haut débit à 34,9 Md€, en tenant compte des choix technologiques retenus par les différents projets de RIP et des variations importantes du coût des opérations de raccordement final 2 ( * ) .

En dehors des zones très denses, la réglementation définie par l'ARCEP en vue d'organiser le déploiement et l'accès aux lignes en fibre optique privilégie un niveau élevé de mutualisation des réseaux , compte tenu de la baisse de rentabilité des investissements résultant d'une moindre densité. En zone d'initiative publique, l'intégralité de la boucle locale optique est mutualisée. Comme l'a rappelé l'ARCEP dans son avis n° 2017-129 du 23 octobre 2017 rendu à la demande du Sénat : « la mutualisation de la boucle locale optique combinée au coinvestissement constitue le meilleur modèle pour le marché français et l'équipement du territoire » 3 ( * ) .


* 1 Fiber to the home.

* 2 « Les réseaux fixes de haut et très haut débit : un premier bilan », rapport public thématique de la Cour des comptes, janvier 2017.

* 3 Avis n° 2017-1293 de l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes en date du 23 octobre 2017 rendu à la demande du Sénat et portant sur la couverture numérique des territoires.

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