B. LA MULTIPLICATION RÉCENTE DU NOMBRE D'ORGANISMES EXTRAPARLEMENTAIRES ET DES RÈGLES DE NOMINATION PEU COORDONNÉES

1. Une multiplication récente du nombre d'organismes extraparlementaires, souvent à l'initiative de l'exécutif

On dénombre aujourd'hui 202 organismes extraparlementaires, contre 147 en 2004, soit une hausse de 37 %.

Entre octobre 2014 et mai 2018, 60 nouveaux OEP ont été institués, dont 29 pour la seule année parlementaire 2016-2017. Les organismes les plus récents ont été créés il y a moins de trois mois, à l'initiative de l'Assemblée nationale (comité d'éthique et comité des rémunérations du comité d'organisation des jeux Olympiques et Paralympiques, COJO) 14 ( * ) .

Comme le rappellent les présidents de l'Assemblée nationale et du Sénat, « cette inflation du nombre d'organismes extraparlementaires, conjuguée à l'absence de règles claires régissant leur existence, a conduit à générer de la confusion » 15 ( * ) .

En outre, plus de 40 % des OEP ont été institués par la voie réglementaire, ce qui soulève une réelle difficulté au regard du principe constitutionnel de séparation des pouvoirs .

À titre d'exemple, un décret du 12 novembre 2014 16 ( * ) a prévu la présence de deux députés et de deux sénateurs au sein du Conseil national de l'insertion par l'activité économique, alors que cet organisme fonctionnait sans la présence de parlementaires depuis 1991 17 ( * ) . En 2017, le ministre chargé des sports a nommé un sénateur au sein de la nouvelle Instance nationale du supportérisme 18 ( * ) , sans l'accord préalable du Sénat.

Dans un courrier au Premier ministre daté du 23 décembre 2014, le président du Sénat s'est ému de ces pratiques : « il est légitime de se demander sur quel fondement le pouvoir réglementaire peut prévoir la présence de parlementaires au sein de ce type d'organismes, ce qui pose indirectement la question du respect du principe de séparation des pouvoirs ».

D'ailleurs, la désignation de députés et de sénateurs au sein des OEP relève historiquement du niveau législatif . En effet, comme l'écrivait M. Eugène Pierre en 1905, « le pouvoir législatif ne peut être mis en mouvement que par un texte constitutionnel ou par sa volonté propre » 19 ( * ) .

La pratique a toutefois été différente sous la IV ème puis la V ème Républiques : en 1981, près des trois quarts des OEP étaient prévus par un texte réglementaire 20 ( * ) .

2. Des organismes divers

Les organismes extraparlementaires sont si divers qu'ils échappent à toute typologie cohérente. Ils peuvent être imparfaitement classés en quatre catégories :

a) les commissions administratives à caractère consultatif , prévues par un texte réglementaire et placées auprès d'un membre du Gouvernement, comme la Commission nationale consultative des gens du voyage ou le Conseil national de l'habitat 21 ( * ) . En application de l'article R. 133-2 du code des relations entre le public et l'administration (CRPA), ces commissions sont créées pour une durée maximale de cinq ans. Dans les faits, elles sont souvent reconduites , à l'instar du Conseil de l'immobilier de l'État, créé en 2006 et prorogé à deux reprises depuis ;

b) les conseils d'administration d'établissements publics , comme l'Institut des hautes études de défense nationale (IHEDN) ou l'École nationale d'administration (ENA) 22 ( * ) ;

c) les autorités administratives et publiques indépendantes (AAI-API) et les organismes de régulation ou de protection des droits fondamentaux , comme la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL), la Commission d'accès aux documents administratifs (CADA) ou le Comité placé auprès de la personnalité qualifiée chargée de contrôler la plate-forme nationale des interceptions judiciaires 23 ( * ) ;

d) les organismes ad hoc , comme le Conseil consultatif des terres australes et antarctiques françaises, le Comité des finances locales ou la commission de surveillance de la Caisse des dépôts et consignations 24 ( * ) .

3. Des règles de nomination peu coordonnées

Comme l'indiquent les exposés des motifs des propositions de loi du président de l'Assemblée nationale et du président du Sénat, « les règles relatives à la nomination des parlementaires dans (les organismes extraparlementaires) sont disparates : les modalités de désignation comme les objectifs de respect de la parité et du pluralisme variant selon les organismes ».

Le droit en vigueur prévoit plusieurs cas de figure :

a) soit les règles de nomination sont fixées par le législateur ou le pouvoir réglementaire.

À titre d'exemple, le député et le sénateur participant au conseil d'administration de France télévisions sont « désignés respectivement par les commissions chargées des affaires culturelles de l'Assemblée nationale et du Sénat » 25 ( * ) .

Ces textes sectoriels sont toutefois épars et parfois contredits par la pratique. Les deux sénateurs membres du Conseil de l'immobilier de l'État sont ainsi nommés par le Sénat, sur proposition de la commission des finances, alors qu'un décret prévoit qu'ils sont désignés par le président du Sénat 26 ( * ) ;

b) soit ces règles de nomination sont déterminées par chaque assemblée, dont le règlement prévoit une procédure de nomination spécifique : appel à candidatures et scrutin en séance pour l'Assemblée nationale ; proposition des commissions permanentes, annonce en séance et ratification en l'absence d'opposition dans un délai d'une heure pour le Sénat 27 ( * ) .

Le Sénat applique par exemple la procédure prévue par son règlement pour la désignation des sénateurs membres de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL).

En pratique, le président de l'Assemblée nationale procède, depuis 2005, à l'ensemble des nominations dans les OEP, après consultation des présidents des groupes parlementaires. De même, le président du Sénat procède à une part importante des désignations , comme par exemple pour l'Observatoire de la laïcité ou le Haut conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes 28 ( * ) .

En outre, les règles de désignation de suppléants sont hétérogènes : dans certains OEP, un suppléant est obligatoirement désigné (comme pour la Commission nationale d'évaluation des politiques de l'État outre-mer) ; dans d'autres, aucun suppléant n'est prévu (comme pour le Conseil supérieur de l'aviation civile) 29 ( * ) .

Dès 1981, la doctrine appelait à une uniformisation des règles de nomination dans les organismes extraparlementaires : « la désignation des membres des assemblées s'effectue aujourd'hui selon des modalités très diverses. Cette grande diversité ne paraît pas répondre à des justifications très précises . Si une remise en ordre s'avère, dans la pratique, difficile pour les nombreux organismes existants, l'adoption par les pouvoirs publics d'une règle unique pour les organismes futurs pourrait en revanche être envisagée » 30 ( * ) .


* 14 Article 28 de la loi n° 2018-202 du 26 mars 2018 relative à l'organisation des jeux Olympiques et Paralympiques de 2024.

* 15 Source : exposé des motifs des propositions de loi déposées par le président de l'Assemblée nationale et par le président du Sénat.

* 16 Décret n° 2014-1355 du 12 novembre 2014 relatif au Conseil national de l'insertion par l'activité économique.

* 17 Décret n° 91-422 du 7 mai 1991 relatif au Conseil national de l'insertion par l'activité économique.

* 18 Arrêté du 7 mars 2017 portant nomination des membres de l'Instance nationale du supportérisme.

Un mois plus tard, l'article D. 224-2 du code du sport a toutefois été modifié pour prévoir la présence facultative d'un député et d'un sénateur ; le siège de sénateur n'a pas été pourvu depuis lors, conformément à la position prise par le Sénat (voir infra ).

* 19 Traité de droit politique, électoral et parlementaire, op.cit.

* 20 Source : « La représentation du Parlement dans les organismes extraparlementaires », op. cit ., p. 171.

* 21 Voir le commentaire des articles 5 et 9 de la proposition de loi.

* 22 Voir le commentaire des articles 10 et 35 de la proposition de loi.

* 23 Voir le commentaire de l'article 14 de la proposition de loi.

* 24 Voir le commentaire des articles 36, 66 et 67 de la proposition de loi.

* 25 Article 47-1 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, dite « loi Léotard ».

* 26 Article 2 du décret n° 2006-1267 du 16 octobre 2006 instituant un Conseil de l'immobilier de l'État et article 13 de la proposition de loi.

* 27 Voir le commentaire de l'article 2 de la proposition de loi pour plus de précisions.

* 28 Articles 34 et 42 de la proposition de loi.

* 29 Articles 8 et 39 de la proposition de loi.

* 30 « La représentation du Parlement dans les organismes extraparlementaires », op. cit ., p. 179.

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