B. UNE INTERDICTION DE L'USAGE DÉJÀ PRATIQUÉE MALGRÉ UN CADRE JURIDIQUE INCERTAIN

1. Un cadre juridique incertain et peu adapté
a) L'encadrement de l'utilisation du téléphone portable dans les établissements

C'est d'abord dans un souci de protection de la santé publique, par la limitation de l'exposition des enfants aux ondes électromagnétiques, que la loi du 12 juillet 2010 dite « Grenelle II » a introduit l'article L. 511-5 du code l'éducation.

Ce dernier interdit, dans les écoles et les collèges publics, l'utilisation du téléphone portable pendant les activités d'enseignement ainsi que dans « les lieux prévus par le règlement intérieur ». Dans les lycées, l'absence de disposition légale ne fait pas obstacle à ce que le conseil d'administration, par le règlement intérieur de l'établissement qu'il adopte, y encadre l'utilisation du téléphone portable 18 ( * ) .

Le règlement intérieur des établissements scolaires

Chaque école et établissement d'enseignement public possède un règlement intérieur, adopté par le conseil d'école ou le conseil d'administration. En application de l'article L. 401-2 du code de l'éducation, il précise les « conditions dans lesquelles est assuré le respect des droits et devoirs de chacun des membres de la communauté éducative ».

Il est le texte de référence pour la vie quotidienne de l'établissement, dont il détermine les règles la régissant. Par exemple, il fixe les horaires d'entrée et de sortie des élèves, les modalités de contrôle de leur assiduité, les modalités de mouvement et de circulation des élèves dans et en dehors de l'établissement. En outre, il rappelle les règles de civilité et de comportement et comporte un chapitre consacré à la discipline des élèves qui reproduit l'échelle des sanctions définie à l'article R. 511-13 du code de l'éducation ainsi que « les principes directeurs qui doivent présider au choix des punitions scolaires » 19 ( * ) . Enfin, il dresse la liste des objets dangereux prohibés à l'intérieur des établissements et définit les modalités d'utilisation du téléphone mobile conformément à l'article L. 511-5. Longtemps considéré comme une mesure d'ordre intérieur, donc insusceptible de recours en excès de pouvoir, il constitue depuis 1992 une décision faisant grief 20 ( * ) .

Il est élaboré de manière différente dans les écoles primaires, où il reprend le règlement type départemental élaboré par le DASEN, et dans les collèges et lycées qui sont des établissements publics locaux d'enseignement (EPLE).

Ce cadre juridique actuel présente deux inconvénients majeurs.

• En premier lieu, il ne permet pas une interdiction générale et absolue de l'utilisation d'un téléphone portable dans l'établissement .

La direction des affaires juridiques (DAJ) du ministère interprète en effet la distinction opérée par l'article L. 511-5 entre l'activité d'enseignement et le reste de l'établissement comme ne permettant pas une interdiction générale et absolue de l'utilisation du téléphone portable au sein de l'établissement , « dans la mesure où, d'une part, cet appareil ne peut pas être qualifié de dangereux ou de toxique et où, d'autre part, son introduction dans un établissement scolaire ne signifie pas qu'il en sera fait usage » 21 ( * ) . Elle en conclut qu' « en dehors des heures de classe, le principe de la liberté d'utilisation de ces téléphones par les élèves doit prévaloir », son interdiction étant l'exception 22 ( * ) .

Cette analyse, qui tend à confondre la détention par un élève d'un téléphone portable et son utilisation, ne semble pas partagée par l'ensemble des interlocuteurs, ni respectée.

En effet, une part importante des collèges, que le ministère est incapable de mesurer, et certains lycées interdisent d'ores et déjà l'utilisation des téléphones portables dans l'enceinte de l'établissement. La légalité de leurs règlements intérieurs est, en l'état du droit, contestable.

• Deuxièmement, elle interdit tout usage pédagogique de ces appareils dans la classe . Or celui-ci est mis en oeuvre de manière croissante dans le cadre du bring your own device (« apportez votre propre appareil ») (BYOD), démarche qui consiste à utiliser les appareils des élèves pour l'enseignement, les élèves ne possédant pas de smartphone ou de tablette s'en voyant prêter un par l'établissement. Du point de vue des collectivités territoriales et des établissements, le BYOD permet de contourner les politiques coûteuses d'équipement individuel de l'ensemble des élèves , aux bilans plus que mitigés, à l'heure où ces derniers possèdent déjà un smartphone ou une tablette. Dans son avis sur les crédits de la mission « Enseignement scolaire » inscrits au titre du projet de loi de finances pour 2016, notre collègue Jean-Claude Carle rappelait le fiasco du plan « Ordicollège 19 », mis en oeuvre entre 2008 et 2015 par le conseil départemental de la Corrèze 23 ( * ) . Dans son rapport d'évaluation, l'inspection générale faisait état de difficultés majeures liées à la maintenance et à l'entretien des appareils ainsi que de leur détournement ; ainsi, « les ordinateurs sont rarement utilisables [dans la classe] par tous les élèves (en moyenne un tiers des ordinateurs est manquant : panne ou oubli) », alors que « les élèves comme leurs parents déclarent que l'usage des matériels au domicile est d'ordre presque uniquement ludique » 24 ( * ) .

Comme l'ont fait remarquer certains enseignants et principaux, cette démarche a l'intérêt de faire comprendre aux élèves que ces appareils peuvent être utilisés à d'autres fins que la conversation ou le jeu, de manière raisonnée et pour apprendre.

b) Le cas de la confiscation

La confiscation de l'appareil constitue, après la réprimande, la solution la plus courante pour mettre fin à une utilisation illicite du téléphone portable . Confisqué par un membre de l'équipe éducative (professeur, assistant d'éducation, conseiller principal d'éducation, directeur ou chef d'établissement), l'appareil est conservé par la direction ou la vie scolaire et, le plus souvent, n'est restitué qu'aux parents de l'élève ou à ses représentants légaux en fin de journée. De l'aveu de certains chefs d'établissements ou enseignants, cette solution présente l'avantage de faire venir certains parents d'élèves peu présents ou difficiles d'accès .

Le cadre juridique de la confiscation des appareils est toutefois incertain et fait l'objet d'interprétations contradictoires .

Si elle est autorisée par les cellules juridiques de certains rectorats, la confiscation n'apparaît ni parmi les punitions scolaires ni parmi les sanctions disciplinaires, dont la liste est arrêtée par l'article R. 511-13 du code de l'éducation. Les circulaires du 1 er août 2011 et du 27 mai 2014 ne mentionnent la confiscation que pour les objets dangereux 25 ( * ) . C'est probablement sur ce fondement que le site service-public.fr affirme que « la confiscation du téléphone n'est pas autorisée, car il ne s'agit pas d'un objet dangereux » 26 ( * ) .

Si le juge administratif a considéré que la confiscation d'un appareil jusqu'à la fin de l'année scolaire portait une atteinte disproportionnée au droit de propriété 27 ( * ) , aucune décision n'éclaire la question pour des confiscations d'une durée moindre ; or, lorsqu'elle est pratiquée, la confiscation n'excède pas, le plus souvent, une à deux journ ées scolaires .

2. Une interdiction de l'utilisation du téléphone portable dans l'établissement déjà largement mise en oeuvre
a) Les effets bénéfiques de l'interdiction...

Malgré les doutes sur la légalité de cette solution (cf. supra ), l'interdiction totale de l'utilisation par les élèves du téléphone portable dans l'ensemble de l'établissement est déjà mise en oeuvre dans un certain nombre de collèges .

Cette interdiction ne porte que sur l'utilisation de l'appareil, non sa possession : dans la grande majorité des établissements, il est exigé que les téléphones demeurent éteints dans les sacs des élèves.

Les témoignages recueillis par votre rapporteur mettent en avant les conséquences positives d'une telle mesure :

- lorsqu'ils n'en sont pas été à l'origine, la grande majorité des parents d'élèves et les enseignants ont bien accueilli la mesure , les débats préalables à l'adoption du règlement intérieur ayant permis à la communauté éducative de s'emparer de la question ;

- la simplicité et la lisibilité de l'interdiction facilitent son appropriation par les élèves et leurs parents ;

- le climat scolaire s'est amélioré et l'on observe une plus grande socialisation entre élèves, les jeux de ballon font leur retour dans la cour de récréation ;

- l'extension de l'interdiction s'est traduite par un moindre nombre d'incidents en classe ;

- le nombre de confiscations d'appareils est demeuré limité, voire diminue, et tend à se réduire avec le temps ; ainsi au collège Henri-Barbusse d'Alfortville, une quarantaine d'appareils sont confisqués en moyenne chaque année, soit à peine plus d'un par semaine 28 ( * ) ;

- les problèmes liés au harcèlement sur Internet ne disparaissent pas mais les comportements incriminés n'ont plus lieu dans l'établissement scolaire .

b) ...plaident pour une clarification du cadre législatif

La nécessité de légiférer provient dès lors de la clarification du cadre législatif en vigueur , permettant de mettre fin aux divergences d'interprétation. Le renversement du paradigme proposé par la présente proposition de loi , à savoir faire désormais de l'interdiction la règle en renvoyant au règlement intérieur la détermination des exceptions, simplifie la règle et facilite sa mise en oeuvre effective .

Il s'agit également de sécuriser les pratiques actuelles, notamment la confiscation des appareils et leur usage en classe dans le cadre du BYOD .

Les personnels de direction interrogés ont aussi mis en avant la dimension symbolique d'une telle mesure , l'autorité de la loi facilitant les relations avec les parents d'élèves récalcitrants. En outre, elle constituerait un signal positif en direction des élèves et des parents d'élèves et participerait de la prise de conscience de la nécessité de construire un rapport équilibré des enfants aux écrans .

Enfin, les chefs d'établissement rencontrés ont insisté sur l'importance de renvoyer au conseil d'école ou au conseil d'administration de l'établissement la définition des lieux et des circonstances dans lesquels il peut être dérogé au principe d'interdiction . Il s'agit de permettre d'adapter la portée de l'interdiction au contexte de chaque établissement et, à l'occasion de la révision du règlement intérieur, de construire un consensus au sein de la communauté éducative sur cette question.


* 18 MEN-DAJ, Lettre d'information juridique, janvier 2012, n° 61.

* 19 Circulaire n° 2011-112 du 1 er août 2011 relative au règlement intérieur des établissements publics locaux d'enseignement.

* 20 Conseil d'État, 2 nov. 1992, Kherouaa , n° 130394.

* 21 MEN-DAJ, Lettre d'information juridique, janvier 2012, n° 161.

* 22 Idem.

* 23 Projet de loi de finances pour 2016 : Enseignement scolaire. Avis n° 168 (2015-2016) de M. Jean-Claude Carle et Mme Françoise Férat, fait au nom de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication, novembre 2015.

* 24 IGEN, Le plan Ordicollège dans le département de la Corrèze , rapport n° 2011-112, novembre 2011.

* 25 Circulaire n° 2011-111 du 1 er août 2011 relative à l'organisation des procédures disciplinaires dans les collèges, les lycées et les établissements régionaux d'enseignement adapté, mesures de prévention et alternatives aux sanctions ; circulaire n° 2014-059 du 27 mai 2014 sur l'application de la règle, les mesures de prévention et les sanctions.

* 26 DILA, Service-public.fr, « Peut-on utiliser un téléphone portable à l'école primaire ? », consulté le 27 juin 2018. https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/F21316

* 27 TA de Strasbourg, 12 octobre 2004, M. Z ., n° 0204316.

* 28 Audition du 26 juin 2018.

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