II. PRINCIPALES OBSERVATIONS DE VOTRE RAPPORTEUR SPÉCIAL

1. Un manque de sincérité des prévisions budgétaires en matière d'aide médicale d'État (AME)

En 2017, 804,3 millions d'euros de crédits de paiement ont été consommés au titre de l'AME (programme 183 « Protection maladie »), soit une baisse de 21,1 millions d'euros par rapport aux crédits consommés en 2016 (-3 %).

Or, les prévisions budgétaires réalisées en loi de finances initiale pour 2017 estimaient à 815,2 millions d'euros le coût de l'AME. Si, comme l'illustre le graphique ci-dessous, cette prévision apparaissait en hausse de plus de 10,3 % par rapport aux crédits ouverts en loi de finances initiale pour 2016, elle était surtout inférieure de 10 millions d'euros à la consommation des crédits relatifs à l'AME à la fin de l'année 2016 .

Comparaison entre la prévision initiale et l'exécution

des crédits relatifs à l'AME de la mission « Santé »

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat (à partir des données des rapports annuels de performances pour 2010 à 2017 et du projet annuel de performances pour 2017

En dépit d'une programmation plus « cohérente », consistant à augmenter les crédits de paiement de plus de 10 % par rapport à la budgétisation initiale de l'année précédente, l'autorisation budgétaire donnée par le Parlement apparaissait d'ores et déjà « obsolète » au moment du vote des crédits de l'AME pour 2017 . En effet, la construction de la budgétisation des crédits de l'AME repose sur la prévision réalisée en loi de finances initiale de l'année n-1 , et non sur la consommation effective de l'année en cours, conduisant à une sous-budgétisation récurrente.

Au regard de la proximité entre la prévision réalisée pour 2018 et l'exécution constatée en 2017, cet « effet de base » devrait toutefois être moins important en 2018.

Votre rapporteur spécial s'interroge également sur la fiabilité des hypothèses sous-tendant la construction de la budgétisation de l'AME , sur lesquelles se basent les parlementaires au moment du vote des crédits. En loi de finances initiale pour 2017, les prévisions de dépenses d'AME de droit commun se basaient en effet sur un pourcentage d'évolution des effectifs de bénéficiaires consommant des soins contestable (+5 % par an, alors que la progression tendancielle des effectifs de bénéficiaires depuis 2011 atteint 12 % par an) ainsi que sur une diminution du coût moyen des dépenses de santé prises en charge . C'est exactement l'inverse de ces prévisions qui s'est réalisé en 2017. Ces hypothèses erronées ont toutefois entraîné l'annulation de crédits importante et imprudente sur le programme 183 (cf. infra ).

2. Une régulation budgétaire imprudente sur le programme 183

Alors qu'au cours des années précédentes, la quasi-totalité des annulations réalisées en cours et en fin de gestion portaient sur les crédits du programme 204, tandis que le programme 183 bénéficiait d'ouverture de crédits afin de couvrir le besoin de financement en matière d'AME, près de 62 % des crédits de paiement annulés en 2017 concernent le programme 183 .

Ainsi, près de 9,2 millions d'euros de crédits de paiement du programme 183 ont été annulés par voie de décret d'avance en 2017 215 ( * ) . À titre de comparaison, le même programme avait bénéficié en 2016 d'une ouverture de 85,3 millions de crédits, dans le cadre de la seconde loi de finances rectificative pour 2016 216 ( * ) .

Mouvements de crédits intervenus en gestion pendant l'exercice 2017

(en millions d'euros)

Prog.

LFI 2017

Décrets de transfert

Décrets d'avance

Décrets de virement

Arrêtés de report

Fonds de concours et attributions de produits

Lois de finances rectificatives

Total des ouvertures et annulations

Exécution 2017

Écart consommé/ crédits alloués en LFI

P204

AE

441,4

0,8

-22,4

5,3

-

18

0,008

1,7

443,1

0,4%

CP

442,7

0,8

-24,5

-

-

18

0,008

-5,7

437

-1,3%

P183

AE

823,2

-

-9,8

-1,6

-

-

-

-11,4

811,8

-1,4%

CP

823,2

-

-9,2

-

-

--

-

-9,2

814

-1,1%

Total mission

AE

1264,6

0,8

-32,2

3,7

0

18

0,008

-9,7

1254,9

-0,8%

CP

1265,9

0,8

-33,7

0

0

18

0,008

-14,9

1251

-1,2%

Note de lecture : les chiffres présentés n'intègrent pas les ajustements techniques prévus par le présent projet de loi de règlement ; ils peuvent donc légèrement différer des données présentées dans le rapport annuel de performances de la mission.

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

Cette annulation de crédits découlait d'une prévision de baisse des dépenses de l'AME de droit commun, en raison d'une diminution du nombre de ses bénéficiaires ayant recours à des soins, observée au premier semestre 2017. Or, celle-ci s'est finalement révélée imprudente, dans la mesure où une augmentation de la dépense au titre de l'AME a finalement été constatée en fin d'année.

Le rapport annuel de performance de la présente mission annexé au projet de loi de règlement indique que cette hausse découle principalement d'une augmentation du coût moyen par bénéficiaire de l'AME en 2017 , de 5,3 % par rapport à 2016. Cette hausse concerne surtout les dépenses de médicament et dispositifs médicaux (+ 8,2 %) et les honoraires d'auxiliaires médicaux (+ 9,5 %).

L'annulation de 9,2 millions d'euros de crédits au titre de l'AME en cours de gestion témoigne d'une prise de risque excessive, décidée sur la base d'une hypothèse contestable de baisse du nombre de bénéficiaires de l'AME - que notre ancien collègue Francis Delattre, alors rapporteur spécial, avait d'ailleurs contestée lors de l'examen du projet de loi de finances initiale.

3. ... entraînant un accroissement de la dette de l'État auprès de l'assurance maladie au titre de l'AME

En apparence, les crédits de paiement dédiés à l'AME budgétés sur le programme 183 diminuent entre 2016 et 2017, passant de 825 à 804 millions d'euros.

Crédits consommés au titre de l'AME (programme 183)

2016

2017

Évolution 2017/2016

AME

AME de droit commun

783,7

763,3

-3 %

Soins urgents

40

40

-

Autres

1,7

0,99

-42%

Total

825,4

804,3

-3 %

Source : commission des finances du Sénat

Or, pour appréhender le coût total de l'AME, il convient de prendre en compte le solde restant dû à l'assurance maladie en fin d'exercice, dans la mesure où les crédits exécutés inscrits en loi de règlement ne couvrent généralement pas l'intégralité des dépenses du dispositif géré par la CNAMTS. Ce décalage entraîne la constitution d'une dette de l'État vis-à-vis de la CNAMTS.

Ainsi, les dépenses enregistrées par la CNAMTS au titre de l'AME de droit commun ont finalement dépassé le montant des crédits exécutés sur l'exercice 2017 de la mission : les crédits de paiement dédiés s'élevaient à 763,3 millions d'euros en fin de gestion 2017 , tandis que la CNAMTS enregistrait un montant total de dépenses pour 2017 de 801,1 millions d'euros .

La dette cumulée de l'État vis-à-vis de la CNAMTS au titre des dépenses d'AME représentait ainsi 11,5 millions d'euros fin 2016 , en diminution par rapport aux années précédentes (57,3 millions d'euros de dette à la fin de l'année 2014). L'accroissement non anticipé des dépenses, aggravé par des mesures de régulation imprudentes a entraîné la reconstitution d'une dette dont le montant passe de 11,5 millions d'euros à 49,8 millions d'euros à la fin de l'année 2017 (+38,3 millions d'euros) .

À cette dette s'ajoute celle résultant de l'écart entre la dotation forfaitaire de 40 millions d'euros au titre des soins urgents de l'AME et les dépenses effectivement prises en charge par l'assurance maladie (65,1 millions d'euros en 2017).

Finalement, la diminution des crédits dédiés à l'AME exécutés en 2017, qui permet au Gouvernement d'afficher une maîtrise de la dépense publique, a été compensée par l'assurance maladie . Votre rapporteur spécial déplore ce désengagement de l'État et dénonce ce transfert à l'assurance maladie de la prise en charge de dépenses qui relèvent pourtant exclusivement du périmètre de la politique de santé publique - périmètre qui d'ailleurs, se réduit d'année en année à la portion congrue.

4. En dépit d'un paysage des opérateurs sanitaires profondément remanié, les économies structurelles tardent à se concrétiser

Le programme 204 enregistre une forte baisse des crédits de paiement consommés en 2017 par rapport à 2016 (-8,3 %, cf. tableau supra ), principalement en raison de mesures de périmètre.

Après le regroupement, en 2016, de trois opérateurs, l'Institut de veille sanitaire (InVS), l'Institut national de prévention et d'éducation à la santé (INPES) et l'Établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires (EPRUS), au sein d'une nouvelle Agence nationale de santé publique (ANSP) dénommée « Santé publique France », l'année 2017 a emporté un resserrement du périmètre de la mission . Les crédits du programme 204 destinés aux agences régionales de santé (ARS) pour le financement des projets régionaux de santé (PRS) ont été transférés sur le Fonds d'intervention régional (FIR) de l'Assurance maladie, pour un montant de 116 millions d'euros. Ce transfert a permis d'unifier autour d'un financeur unique la contribution au FIR.

En sens inverse, la part de financement de l'ANSP relevant de l'assurance maladie a été transférée à l'État (64 millions d'euros).

Ces mesures de transfert de dépenses traduisent une volonté de simplification du financement des dépenses de santé ainsi qu'un pilotage resserré du périmètre de la mission , en lieu et place de la poursuite d'économies structurelles sur les opérateurs sanitaires , qui peinent toujours à se faire sentir.

Ainsi, alors que le regroupement des trois opérateurs au sein de l'ANSP devait permettre une réduction de 10 % des effectifs d'ici 2019, les gains d'efficience ne devraient produire leur effet qu'à moyen terme . En 2017, les équipes ont été regroupées temporairement sur un même site, à Saint-Maurice (94), ce qui a permis de mettre un terme aux baux locatifs occupés par les ex-organismes constitutifs ayant fusionné. Ce regroupement implique la construction d'un nouveau bâtiment dont la livraison n'est prévue qu'au troisième trimestre 2018, et permet une réduction des dépenses de 1,26 million d'euros.

Les crédits de paiement exécutés au titre des subventions pour charges de service public ont considérablement augmenté en 2017, passant de 259 millions d'euros en 2016 à 329,6 millions d'euros en 2017 . Cette augmentation découle d'une part, de la montée en charge de la nouvelle ANSP et d'autre part, du transfert de son financement de l'assurance maladie au programme 204.

La situation des cinq opérateurs qui n'ont pas évolué entre 2016 et 2017 est contrastée : excepté pour l'Agence de biomédecine (ABM) et l'Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), les crédits consommés ont augmenté entre ces deux exécutions - pour l'INCa, ils sont supérieurs de 10 millions d'euros en 2017 par rapport à 2016 (+30,9 %).

Si cette augmentation découle principalement de l'élargissement de leurs missions prévu par la loi de la modernisation de notre système de santé du 26 janvier 2016, votre rapporteur estime que les opérateurs de la mission représentent un gisement d'économies que le pilotage resserré de la mission et de son périmètre n'ont pas permis, à ce jour, de mobiliser.

Subventions pour charges de service public versées aux opérateurs

(en millions d'euros)

Opérateur

Exécution 2015

Exécution 2016

LFI 2017

Exécution 2017

Écart crédits consommés/ alloués en LFI

Écart 2017/2016

Agence de biomédecine (ABM)

12,7

13

13,8

12,9

-6,5 %

-0,8 %

Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM)

113,2

111,8

112,7

109,8

-2,6 %

-1,8 %

Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Ansés)

14,5

12,7

14,3

13,3

-7,0 %

4,7 %

École des hautes études en santé publique (EHESP)

9,7

7,1

9,2

7,4

-19,6 %

4,2 %

Institut national du cancer (INCa)

38,8

31,4

44,5

41,1

-7,6 %

30,9 %

Établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires (Eprus)

8,4

Institut national de prévention et d'éducation pour la santé (Inpes)

22,3

Institut de veille sanitaire (INVS)

53,3

Agence nationale de santé publique (ANSP)

82,9

150,5

145,1

-3,6 %

198 %

Total

272,9

259

344,9

329,6

-4,5 %

46,7 %

Source : commission des finances du Sénat (à partir des données des projet et rapport annuels de performances de la mission Santé pour 2017)


* 215 Décret n° 2017-1639 du 30 novembre 2017 portant ouverture et annulation de crédits à titre d'avance.

* 216 Loi n° 2016-1918 du 29 décembre 2016 de finances rectificative pour 2016.

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