II. PRINCIPALES OBSERVATIONS DE VOTRE RAPPORTEUR SPÉCIAL

1. Une évolution contrastée des taux d'exécution de l'ensemble des crédits et des seules dépenses de personnel

Le niveau élevé des taux d'exécution des crédits ne doit pas masquer la différence existant entre les dépenses de personnel et les dépenses hors titre 2. Si l'ensemble des dépenses affichent des taux d'exécution proches de 100 %, les dépenses de fonctionnement et d'investissement présentent un niveau d'exécution plus faible, respectivement à 94,8 % pour la police nationale et à 97 % pour la gendarmerie nationale.

Taux d'exécution des crédits des programmes « Police nationale » et « Gendarmerie nationale » en 2017

(en crédits de paiement)

Source : commission des finances du Sénat (d'après les documents budgétaires)

Au total, en prenant en compte les dépenses hors titre 2, les deux programmes présentent une exécution très inférieure à celle prévue en loi de finances initiale, alors même que la sécurité intérieure est continuellement présentée comme une priorité gouvernementale. En considérant le niveau des crédits en valeur absolue, la Cour des comptes indique que la mission « Sécurités » est la troisième mission du budget de l'État la plus touchée par ce phénomène, avec une sous-exécution de 136 millions d'euros, soit -4,7 % , derrière les missions « Écologie, développement et mobilité durables » et « Action extérieure de l'État » 219 ( * ) .

2. Une poursuite des recrutements sur l'année 2017, fragilisant la qualité du recrutement et de la formation des policiers et des gendarmes

Le schéma d'emplois réalisé en 2017 par la mission « Sécurités » (2 284 ETP) est proche de celui prévu en loi de finances initiale (2 306 ETP). Il se situe à un niveau intermédiaire en comparaison des schémas d'emplois de faible ampleur, voire déflationnistes, réalisés de 2013 à 2015, et le schéma d'emplois en nette rupture exécuté en 2016 (4 730 ETP).

La réalisation du schéma d'emplois de 2017 est principalement imputable au programme « Police nationale » (2 031 ETP), le programme « Gendarmerie nationale » ayant réalisé un schéma d'emplois de moindre importance (233 ETP).

Créations nettes d'emplois prévues et réalisées

(en ETP)

Gendarmerie nationale

Police nationale

LFI

Exécution

LFI

Exécution

Sorties

10 017

11 618

7 757

10 801

dont retraites

2 800

3 235

2 895

2 868

Entrées

10 272

11 851

9 788

12 832

Schéma d'emplois

255

233

2 031

2 031

Source : commission des finances du Sénat (d'après les documents budgétaires)

Les plans de recrutement importants décidés par le gouvernement sont source de risques importants. Dès le début de l'année 2017, un risque de sous-exécution du schéma d'emplois est apparu du fait d'un nombre de sorties et de mobilités supérieur aux prévisions, notamment dans la catégorie des adjoints de sécurité. En outre, le concours de commissaires est resté infructueux, faute de candidats « de qualité », ce qui témoigne de la fragilité de ces plans de recrutement massifs en l'absence de vivier suffisant. Le schéma d'emplois n'a pu être rempli qu'en ouvrant des recrutements supplémentaires de gardiens de la paix et d'adjoints de sécurité, en septembre puis en décembre.

Les recrutements prévus par les plans affichent une sur-réalisation de 31 ETP dans la police nationale, provenant d'un reliquat de l'année 2016 reporté sur l'année 2017, soit 7 ETP pour le PLAT et 24 pour le PDS.

Créations nettes d'emplois prévues et réalisées
dans le cadre des plans de renfort

(en ETP)

Gendarmerie nationale

Police nationale

PLAT

55

366

PDS

0

1365

Total

55

1 731

Réalisé

55

1 762

Source : commission des finances du Sénat (d'après la Cour des comptes)

Si l'exercice est, globalement, marqué par le respect des annonces gouvernementales et des mesures votées en loi de finances initiale, ces importants recrutement ont, comme en 2016, « nécessité un effort particulier des filières de formation » 220 ( * ) . Votre rapporteur rappelle que cette mise sous tension des filières de formation n'est à terme, pas soutenable. Il est à cet égard symptomatique que les durées de scolarité aient été réduites de 12 à 8 mois pour les gendarmes et de 12 à 9,5 mois pour les policiers, dans un contexte où les difficultés opérationnelles sont accrues et le matériel utilisé de plus en plus exigeant (utilisation de fusils d'assaut HK, par exemple).

Les décisions prises en la matière par le nouveau gouvernement ne devraient pas inverser cette tendance. Le rythme de recrutement devrait sensiblement s'accroître sur le quinquennat actuel, puisque le Président de la République s'est engagé à créer 10 000 emplois sur la période 2018/2022 pour renforcer les forces de sécurité intérieure. Dans ce cadre, la Police nationale bénéficiera de 7 500 ETP et la Gendarmerie nationale de 2 500 ETP.

3. Un risque de dérapage des dépenses de personnel de plus en plus prégnant

Les dépenses de personnel ont connu, en 2017, une forte augmentation, de plus de 3,8 %, par rapport à l'exercice précédent.

Variation des dépenses de personnel

(en CP, en millions d'euros)

2012

2013

2014

2015

2016

2017

Évolution 2016-2017

Police nationale

Titre 2

8 269,30

8 421,50

8 568,30

8 692,7

8 837,9

9 174,2

3,81%

Total

9 205,20

9 345,50

9 467,30

9 702,5

9 957,8

10 311,2

3,55%

Titre 2 / Total

89,80%

90,10%

90,50%

89,60%

88,80%

88,97%

Gendarmerie nationale

Titre 2

6 649,50

6 825,90

6 859,40

6 908,6

6 998,1

7 331,6

4,77%

Total

7 849,30

8 051,50

8 076,50

8 147,3

8 308,3

8 653,6

4,16%

Titre 2 / Total

84,70%

84,80%

84,90%

84,80%

84,20%

84,72%

Total pour les deux programmes

Titre 2

14 918,90

15 247,50

15 427,60

15 601,3

15 836

16 505,8

4,23%

Total

17 054,60

17 397

17 543,80

17 850

18 266,1

18 964,8

3,83%

Titre 2 / Total

87,50%

87,60%

87,90%

87,40%

86,70%

87,03%

Source : commission des finances du Sénat (d'après les documents budgétaires)

Outre les plans massifs de recrutement (cf. supra ), l'augmentation des dépenses de personnel s'explique par les mesures de revalorisation générales (point d'indice) et catégorielles. Les policiers et les gendarmes ont obtenu, en avril 2016, la signature de deux protocoles leur accordant d'importantes mesures de revalorisation des carrières et des rémunérations. Les coûts supplémentaires liés à ces protocoles, limités sur l'année 2016, seront particulièrement élevés sur les années 2017 à 2019 et s'échelonneront jusqu'en 2022.

Comme l'a relevé la Cour des comptes dans un récent référé 221 ( * ) , l'ensemble de ces mesures catégorielles ont un coût annuel élevé et mal maîtrisé. Leur coût supplémentaire en 2017 par rapport au montant des dépenses exécutées en 2016, hors contribution au CAS « Pensions » est ainsi estimé à plus de 200 millions d'euros en 2017 et à 492,8 millions en 2019.

Coût des mesures générales et catégorielles en 2017

(en millions d'euros, hors CAS « Pensions »)

Coûts PPCR

Coûts hors PPCR

Revalorisation du point d'indice

Total

Gendarmerie nationale

18

46,1

28,2

92,3

Police nationale

29,9

49,8

40,5

120,2

Deux forces

47,9

95,9

68,7

212,5

Source : commission des finances du Sénat (d'après les données de la Cour des comptes)

La soutenabilité des dépenses de rémunération est en outre obérée par l'augmentation du stock d'heures supplémentaires, qui atteint 21,2 millions d'heures au 31 décembre 2017 (l'équivalent de 13 000 ETPT), soit une variation de 3,17 % par rapport à l'année précédente.

Stock d'heures supplémentaires

(en heures)

Source : commission des finances du Sénat (d'après les documents budgétaires)

Par ailleurs, la refonte, en cours, de l'organisation du temps de travail au sein de la police comme de la gendarmerie nationale apparait comme un facteur de diminution de la disponibilité des policiers et des gendarmes.

Au total, la perte opérationnelle liée à la mise en place de la « vacation forte » au sein de la police nationale ne devrait s'élever, en 2018, qu'à 433 ETPT. Toutefois, les choix propres à chaque unité ne sont pas immuables, et il est possible que davantage d'effectifs soient, à terme, concernés par la « vacation forte », ce cycle suscitant un fort enthousiasme des agents. Dans la police, la mise en place dans l'ensemble des services de sécurité publique de ce nouveau cycle horaires nécessiterait la mobilisation de 3 000 à 4 000 emplois supplémentaires de policiers.

Depuis le 1 er septembre 2016, la directive européenne de 2003 relative au temps de travail 222 ( * ) est applicable à la gendarmerie nationale. Son application dans les groupements départementaux a d'ores et déjà entraîné une diminution de la durée moyenne du travail représentant l'équivalent de 4 000 ETPT.

4. Une augmentation de la proportion des dépenses de personnel...

La part des dépenses de personnel au sein de l'ensemble des dépenses des deux programmes avait connu une diminution à partir de 2014, à la faveur, notamment des volets « investissements » des différents plans décidés par le Gouvernement.

Votre rapporteur spécial avait salué, l'an dernier, la poursuite de cette diminution, de nature à contribuer à restaurer la capacité opérationnelle des forces de sécurité intérieure.

Il est regrettable que l'exercice 2017 inverse les efforts entamés en 2015, la part des dépenses de personnel dans les dépenses totales passant, de 2016 à 2017, de 86,70 % à 87,03 %.

Dépenses de personnel / dépense totale des programmes
« Police nationale » et « Gendarmerie nationale »

Source : commission des finances du Sénat (d'après les documents budgétaires)

De ce fait, la part des dépenses de personnel dans le total des dépenses demeure encore à un niveau significativement plus élevé qu'en 2006. Alors que les dépenses de personnel ont augmenté de plus de 30 % en 11 ans, les dépenses de fonctionnement et d'investissement ont connu une baisse de 6,89 % sur la période.

Évolution comparée des dépenses de personnel
et des autres dépenses depuis 2006

(en millions d'euros)

2006

2017

Évolution 2006 / 2016

Titre 2

12 685

16 505,8

30,12%

Hors titre 2

2 641

2 459

-6,89%

Source : commission des finances du Sénat (d'après les documents budgétaires)

5. ... préjudiciable à l'effort d'investissement et d'équipement

Les dépenses de fonctionnement augmentent de 5,6% en AE et de 3,3 % en CP (contre respectivement 14,7 % et 3,8 % l'année précédente). Ces dépenses ont principalement été affectées à l'intégration et aux premiers équipements des recrues, à la protection et à l'armement, et aux munitions.

Évolution des dépenses de fonctionnement entre 2016 et 2017

(en millions d'euros)

Programme

Dépenses de fonctionnement 2016

Dépenses de fonctionnement 2017

Variation

Police nationale

AE

897

998

11,26%

CP

841

903

7,37%

Gendarmerie nationale

AE

1302

1325

1,77%

CP

1147

1151

0,35%

Total

AE

2199

2323

5,64%

CP

1988

2054

3,32%

Source : commission des finances du Sénat (d'après les documents budgétaires)

Les dépenses d'investissement connaissent pour leur part une hausse de 11,82 % en AE et une baisse de 7,93 % en CP. Les investissements des deux forces ont principalement porté sur les véhicules et les opérations immobilières.

Évolution des dépenses d'investissement entre 2016 et 2017

(en millions d'euros)

Programme

Dépenses d'investissement 2016

Dépenses d'investissement 2017

Variation

Police nationale

AE

147

190

29,25%

CP

234

197

-15,81%

Gendarmerie nationale

AE

183

179

-2,19%

CP

157

163

3,82%

Total

AE

330

369

11,82%

CP

391

360

-7,93%

Source : commission des finances du Sénat (d'après les documents budgétaires)

Si elles représentent près de 40 % des dépenses d'investissement de la police nationale, les acquisitions de véhicules diminuent de 25 % par rapport à 2016. Les dépenses réalisées n'ont, à titre d'exemple, pas permis de réaliser le plan de renouvellement automobile prévu , puisque seule 2 085 véhicules légers ont été acquis, contre les 2 813 prévus. Ceci constitue une évolution préoccupante, le parc des véhicules légers ayant déjà atteint un âge trop élevé, de 6,7 ans, contre 5,16 ans en 2017 223 ( * ) .

Nombre de véhicules de la police nationale et âge moyen

Source : commission des finances du Sénat (d'après les réponses aux questionnaires budgétaires)

Alors même que le rajeunissement de cette flotte est régulièrement présenté par le directeur général de la police nationale comme une priorité, le parc automobile de la police nationale aura poursuivi son vieillissement en 2017, puisque le seuil permettant de l'enrayer se situe entre 2 500 et 3 000 acquisitions annuelles 224 ( * ) . Votre rapporteur spécial estime que cette évolution est préoccupante pour le maintien des capacités opérationnelles de la police nationale. Ce « retard » accumulé dans l'acquisition des véhicules est tel que la cible à atteindre afin d'enrayer ce vieillissement devra nécessairement atteindre un niveau sensiblement supérieur à 3 000, ce qui apparaît difficilement compatible avec la trajectoire pluriannuelle et les objectifs de création de postes de policiers annoncés par le président de la République.


* 219 Cour des comptes, le budget de l'État en 2017 - résultats et gestion, mai 2018.

* 220 Rapport IGA-IGF « Évolution des effectifs de la police et de la gendarmerie nationales », février 2017.

* 221 Cour des comptes, référé au Premier ministre du 13 mars 2018 sur les rémunérations et le temps de travail dans la police et la gendarmerie nationales.

* 222 Directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail.

* 223 Rapport général n° 108 (2017-2018) de M. Philippe Dominati, fait au nom de la commission des finances, déposé le 23 novembre 2017.

* 224 Ibid.

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