II. PRINCIPALES OBSERVATIONS DE VOS RAPPORTEURS SPÉCIAUX

1. Une sous-budgétisation chronique de la prime d'activité et de l'allocation aux adultes handicapés portant atteinte au principe de sincérité budgétaire

Comme vos rapporteurs l'avaient annoncé dans leur rapport budgétaire à l'occasion du projet de loi de finances pour 2018, l'exécution des crédits en 2017 révèle, une nouvelle fois, des sous-budgétisations massives s'agissant notamment de la prime d'activité et de l'allocation aux adultes handicapés.

Concernant l'allocation aux adultes handicapés , les crédits prévus en loi de finances 2017 étaient quasiment équivalents au montant exécuté en 2016 ; une prévision sous-estimant « l'effet volume »  et « prix » (revalorisations) de cette prestation. Vos rapporteurs considèrent donc, que cette sous-budgétisation, existante depuis plusieurs années, porte atteinte à la sincérité budgétaire, puisque les facteurs de dynamisme de la prestation sont connus et identifiés depuis plusieurs années et non intégrés aux prévisions budgétaires.

Écart entre la prévision et l'exécution des dépenses d'AAH (en CP)

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat d'après documents budgétaires et Cour des comptes

S'agissant de la prime d'activité, alors que le dépassement observé en 2016 pouvait se comprendre au vu de la nouveauté de la prestation et de la difficile prévisibilité de ses déterminants, le dynamisme de cette nouvelle prestation aurait dû être mieux intégré dans la prévision des crédits pour 2017 . Le montant prévu en loi de finances pour 2017 était inférieur au montant exécuté en 2016, alors que l'estimation du taux de recours à la prime était connue en 2016.

Écart entre la prévision et l'exécution des dépenses
de la prime d'activité (en CP)

(en millions d'euros)

* à périmètre constant

Source : commission des finances du Sénat d'après documents budgétaires

S'agissant des prévisions inscrites en loi de finances pour 2018 , vos rapporteurs ont salué, dans leur rapport budgétaire, une « volonté louable de rendre plus sincère la budgétisation des crédits après des années de sous-budgétisation ». Toutefois, au vu de « l'effet volume » de ces prestations, qui sont extrêmement dynamiques et des revalorisations envisagées, vos rapporteurs estiment que les risques de dépassement budgétaires sont encore prégnants, notamment s'agissant de la prime d'activité.

Évolution de la prime d'activité et de l'AAH : les inquiétudes des rapporteurs spéciaux face aux annonces du Gouvernement

Vos rapporteurs - à la suite des annonces gouvernementales s'agissant d'une éventuelle réforme des prestations sociales - s'inquiètent de l'évolution de la prime d'activité mais également de l'AAH, et souhaitent pointer les contradictions du Gouvernement , en la matière. Alors que la revalorisation de la prime d'activité et de l'AAH constituaient des mesures phares du programme d'Emmanuel Macron, le Gouvernement semble aujourd'hui « faire machine arrière » . Déjà, à l'occasion de la loi de finances pour 2018, vos rapporteurs, avaient pointé, dans leur rapport spécial sur les crédits de la mission « Solidarité », l'écart entre les annonces faites par le Gouvernement et la réalité des mesures proposées . Ils avaient alors dénoncé l'augmentation « en trompe l'oeil » de la prime d'activité et de l'AAH , financée en partie par des mesures discrètes d'économie, faisant notamment sortir de la prime d'activité les bénéficiaires de pension d'invalidité et de rentes d'accidents du travail/maladie professionnelle.

Vos rapporteurs souhaitent également pointer la contradiction du Gouvernement quant aux arguments employés pour justifier d'une éventuelle réforme de la prime d'activité . Alors que le ministre Gérald Darmanin a souligné l'incohérence entre une augmentation de 2 milliards d'euros de dépenses entre 2016 et 2018 et l'amélioration de la situation économique, vos rapporteurs rappellent que cette augmentation est en grande partie liée à une sous-évaluation budgétaire du dispositif dès sa création en 2016, sous-évaluation qui est récurrente depuis lors.

Sur le sujet de l'AAH, vos rapporteurs souhaitent, par ailleurs, attirer l'attention sur la nécessité d'améliorer la qualité des délais de traitement dans les maisons départementales des personnes handicapées (MDPH). Le délai moyen de traitement des dossiers relatifs aux adultes est - d'après les dernières données disponibles dans le rapport annuel de performances - supérieur au délai légal de quatre mois. En revanche, vos rapporteurs saluent les efforts accomplis en matière d'harmonisation des pratiques des MDPH et souhaitent que ce travail - qui vise à réduire les disparités territoriales existantes - se poursuive.

2. Les mineurs non accompagnés (MNA) et la protection juridique des majeurs : des sujets de tension budgétaire

S'agissant du dispositif d'accueil et d'orientation des mineurs non accompagnés (MNA) , les crédits exécutés en 2017 s'élèvent à 20,2 millions d'euros , soit une augmentation de 22 % par rapport au montant dépensé en 2016 (16,8 millions d'euros), et une hausse de 52 % par rapport à 2015 (9,5 millions d'euros). Le montant dépensé est croissant comme le nombre de mineurs non accompagnés pris en charge par les conseils départementaux : 10 200 en 2015, 13 000 en 2016, et près de 21 000 en 2017.

Afin de faire face à cette progression croissante du nombre de MNA, l'État avait décidé d'allouer, dans le projet de loi de finances pour 2018, une enveloppe exceptionnelle de 66,8 millions d'euros, en faveur des départements, au titre du financement d'une partie des dépenses d'aide sociale à l'enfance. Toutefois, comme indiqué dans leur rapport budgétaire à l'occasion du projet de loi de finances pour 2018, vos rapporteurs craignent que cette enveloppe soit insuffisante, au vu de la croissance exponentielle du nombre de MNA.

D'après les informations transmises par la DGCS à vos rapporteurs, le scénario envisagé pour le financement de ce dispositif pour 2019 prévoirait notamment une hausse du forfait de remboursement des départements pour les dépenses d'évaluation et de mise à l'abri, sans que cette solution ne soit, pour autant, pleinement satisfaisante pour les départements.

Par ailleurs, l'exécution 2017 confirme également la poursuite de la progression du nombre de mesures de protection des majeurs , qui a augmenté de 26 % entre 2010 (356 939) et 2017 (451 223). La hausse des crédits consommés - de 637,6 millions d'euros en 2016 à 649,5 millions d'euros en 2017 - s'explique ainsi par la progression des mesures et le financement du nouveau dispositif d'information et de soutien aux tuteurs familiaux. Toutefois, vos rapporteurs souhaitent rappeler que les crédits prévus, dans le projet de loi de finances pour 2018, sont en baisse et regrettent que cette diminution du financement public soit compensée par une augmentation de la participation des personnes protégées.

3. L'aide alimentaire : une gestion difficile se heurtant à la complexité des fonds européens

Le dispositif d'aide alimentaire est financé principalement par des crédits en provenance du fonds européen d'aide aux plus démunis (FEAD) qui sont complétés à hauteur de 15 % par des crédits nationaux .

Or, vos rapporteurs - dont le contrôle budgétaire sur le financement de l'aide alimentaire est en cours - ont constaté que, depuis 2014, des contrôles de la Commission européenne et de la Commission interministérielle de coordination des contrôles (CICC) , autorité d'audit française des fonds européens, ont conclu à « l'inéligibilité » de certaines dépenses . Ces audits ont, en effet, relevé des irrégularités dans la passation des marchés, des erreurs de gestion ou de défaut dans le système d'organisation (comme l'absence de séparation fonctionnelle entre services de gestion et de contrôle).

Ces dépenses inéligibles - pourtant réglées par France Agrimer, établissement public en charge du paiement des fournisseurs de denrées alimentaires - n'ont pas pu être déclarées en remboursement à la Commission européenne par les autorités françaises. Elles se sont donc traduites par des « corrections financières » sur les montants déclarés en remboursement, à hauteur de 18,56 millions d'euros . En raison de ces irrégularités, la France a suspendu ses appels de fonds auprès de la Commission européenne, qu'elle a pu reprendre en juin 2017, à la suite de la mise en place d'un plan d'actions destiné à corriger les anomalies constatées.

Au titre de l'exercice 2017, l'État a donc compensé France Agrimer - sur les crédits du programme 304 - des remboursements non effectués par la Commission européenne - à hauteur de 15,33 millions d'euros . Parallèlement, France Agrimer a remboursé l'avance consentie, en 2015, par l'État de 12,24 millions d'euros.

Toutefois, la complexité de gestion du FEAD demeure . Bien que des évolutions aient été engagées, la lourdeur des procédures et des contrôles - dont la nécessité interroge vos rapporteurs - met en difficulté les autorités de gestion du fonds, et notamment France Agrimer, qui fait actuellement face à un déficit de trésorerie de 105 millions d'euros concernant le FEAD.

4. L'aide à la réinsertion familiale et sociale des anciens migrants : un dispositif qui n'a pas trouvé son public et qui nécessite une simplification d'accès

La loi de finances pour 2016 avait mis en place, à compter du 1 er janvier 2016, une nouvelle aide à la réinsertion familiale et sociale des anciens migrants dans leurs pays d'origine (ARFS) .

Cette aide est destinée aux travailleurs immigrés âgés disposant de faibles ressources afin de leur permettre de compenser la perte de certaines prestations sociales servies sous condition de résidence (par exemple les aides personnelles au logement) lors des séjours prolongés qu'ils effectuent dans leurs pays d'origine. Elle est exclusive des aides au logement et des minima sociaux.

À l'origine, en 2016 , le Gouvernement prévoyait qu' environ 10 000 à 15 000 personnes bénéficieraient de cette aide - pour un coût estimé à 60 millions d'euros-, mais dès le mois de juin 2016, 50 millions d'euros ont été annulés par décret. En 2017, les crédits demandés ont été divisés par six (soit 10 millions d'euros) par rapport aux crédits ouverts en 2016, mais aucune dépense n'a été effectuée à ce titre sur 2017.

Vos rapporteurs spéciaux s'interrogent sur les raisons pour lesquelles ce dispositif ne trouve pas son public, et notamment sur la complexité de cette aide et de ses conditions d'éligibilité. Ils souhaitent que le Gouvernement procède à un examen attentif de ces facteurs de blocage afin d'aboutir à une mise en oeuvre effective de cette aide.

5. L'égalité femmes-hommes : une priorité politique qui ne se traduit pas dans l'exécution budgétaire

Le taux d'exécution des crédits du programme 137 relatif à l'égalité entre les hommes et les femmes s'élève à 74,9 % en 2017 . Ce programme fait ainsi l'objet d'une sous-exécution récurrente depuis 2014 .

Taux d'exécution du programme 137 relatif à l'égalité
entre les femmes et les hommes

Source: commission des finances du Sénat

Alors que les crédits ouverts en loi de finances initiale pour 2017 étaient en hausse de 7,9 % par rapport à 2016 - sous l'effet de l'augmentation des moyens affectés à la lutte contre les violences sexistes et contre le système prostitutionnel - l'exécution budgétaire s'avère extrêmement décevante .

La sous-consommation des crédits s'explique principalement par le retard dans la mise en oeuvre du parcours de sortie de la prostitution - prévu par la loi n° 2016-444 du 13 avril 2016 visant à renforcer la lutte contre le système prostitutionnel et à accompagner les personnes prostituées - et de l' aide financière à la réinsertion sociale et professionnelle (AFIS) . Sur les 3,8 millions d'euros prévus en loi de finances initiale pour 2017, 20 000 euros seulement ont été dépensés, en 2017, pour le financement de cette aide.

Vos rapporteurs regrettent la lenteur de la montée en charge de ce dispositif et souhaitent que le Gouvernement s'attèle à sa mise en oeuvre effective , en identifiant et levant les facteurs de blocage à la montée en charge de ce dispositif.

Par ailleurs, ils réitèrent leur remarque faite à l'occasion de leur rapport sur le projet de loi de finances pour 2018, selon laquelle l'augmentation des crédits, en loi de finances initiale, n'a d'intérêt pour le programme et les actions concernés que si les crédits sont ouverts et exécutés. Ils estiment, en effet, que si l'on veut faire de ce programme une priorité politique, il faut absolument qu'elle se traduise dans l'exécution budgétaire.

6. Le programme 124, support des ministères sociaux, touché sévèrement par des mesures de régulation budgétaire

Le programme 124 porte l'ensemble des crédits de soutien des politiques des ministères sociaux (ministère de la santé et solidarité, du travail et du sport), c'est-à-dire les dépenses de personnel et de fonctionnement liées aux directions centrales et déconcentrées de la cohésion sociale, de la jeunesse et des sports, ainsi que la contribution de l'État au fonctionnement des agences régionales de santé (ARS).

Sur les 1 507,8 millions d'euros de crédits de paiement prévus en loi de finances pour 2017, 1 470,3 millions d'euros ont été consommés . Le solde des mouvements intervenus sur l'année 2017 s'élève à - 28,3 millions d'euros en CP. Ce programme a ainsi fait l'objet d'annulations de crédits importantes, les ministères sociaux faisant partie des ministères non prioritaires, touchés de manière importante par les mesures d'économies budgétaires.

Les ARS ont également fait l'objet - au titre de l'exercice 2017 - d'annulations de crédit, qui sont d'ailleurs récurrentes et croissantes depuis 2015 . L'écart entre la loi de finances initiale et l'exécution est passé de 35 millions d'euros en 2016 à 52 millions d'euros en 2017. La Cour des comptes, dans sa note d'analyse de l'exécution budgétaire de la mission, pointe ainsi l'impact de ces annulations de crédits sur le fonctionnement des ARS . Leur trésorerie disponible a ainsi été ramenée à 14 jours de fonctionnement courant en moyenne fin 2017, alors que la direction des finances, des achats et des services du Secrétariat général des ministères chargés des affaires sociales (SGMAS) - responsable du programme 124 - estime que le seuil prudentiel de référence devrait être de 20 jours. Vos rapporteurs s'inquiètent ainsi de ces choix de gestion du Gouvernement qui risquent de mettre les ARS en difficulté.

Par ailleurs, les ARS comme les ministères sociaux ont vu leur plafond d'emploi largement sous-consommé sur l'exercice 2017. L'écart au plafond d'emploi 2017 s'élève à -187 ETPT pour les ARS qui ont atteint 8 409 ETPT en 2017, et à -186 ETPT pour les ministères sociaux qui ont atteint 10 070 ETPT en 2017.

7. Une hausse des dépenses fiscales, qui pourraient faire l'objet d'un meilleur pilotage

En sus des crédits budgétaires alloués à la mission, sont rattachées 29 dépenses fiscales , dont la prévision actualisée pour 2017 s'établit à 13,72 milliards d'euros, soit un montant équivalent à 70 % des dépenses budgétaires de la mission. Les trois dépenses fiscales 243 ( * ) les plus importantes représentent 55 % du montant total des dépenses.

Ce montant est en légère augmentation par rapport à 2016 (13,55 milliards d'euros) et fait de la mission « Solidarité, insertion, égalité des chances », la troisième mission la plus importante en matière de dépenses fiscales derrière les missions « Économie » et « Cohésion des territoires ».

Néanmoins, ces dépenses fiscales font l'objet de critiques récurrentes de la Cour des comptes depuis quelques années ; la Cour des comptes estimant le pilotage de ces dépenses insuffisant, et regrettant notamment l'absence de conférence fiscale en 2017. À la lueur des remarques de la Cour des comptes, vos rapporteurs souhaitent également - sans remettre en cause à ce stade ces dépenses - qu'une réflexion soit menée sur l'évolution et le pilotage de ces dépenses.

8. Des inquiétudes s'agissant de la compensation des 5,2 millions d'euros consommés au titre de la réserve parlementaire en 2017

D'après les informations indiquées dans le rapport annuel de performances, 5,2 millions d'euros ont été utilisés au titre de la réserve parlementaire pour financer des actions de la mission « Solidarité, insertion, égalité des chances ».

Bien que ces crédits constituent un montant relativement faible au regard du montant total de la mission, ils constituent néanmoins une ressource capitale voire vitale pour certaines associations oeuvrant dans le domaine de la solidarité. Ainsi, 1,1 million d'euros de crédits issus de la réserve ont été versés à des associations d'aide alimentaire, 1,4 million d'euros à des associations venant en aide aux personnes vulnérables, et près de 2,5 millions d'euros aux associations oeuvrant pour les droits et la défense des femmes.

Vos rapporteurs expriment, de nouveau, leurs inquiétudes quant à la non-compensation de ces crédits issus de la réserve parlementaire . La seule réponse apportée par la direction du budget sur ce sujet est l'abondement du fonds pour le développement de la vie associative (FDVA). Or, l'augmentation de ce fonds à hauteur de 25 millions d'euros est largement insuffisant au regard du montant de la réserve qui est d'un montant près de trois fois supérieur sur l'exercice 2017.


* 243 Il s'agit des dépenses fiscales n° 120401 : abattement de 10 % sur le montant des pensions (y compris

les pensions alimentaires) et des retraites (programme 157) : 4 060 millions d'euros ; n° 120202 : exonération des prestations familiales, de l'allocation aux adultes handicapés ou des pensions d'orphelin, de l'aide à la famille pour l'emploi d'une assistante maternelle agréée, de l'allocation de garde d'enfant à domicile, et, depuis le 1er janvier 2004, de la prestation d'accueil du jeune enfant (programme 304) : 1 905 millions d'euros ; n° 070101 : exonération de taxe d'habitation en faveur des personnes âgées, handicapées ou de condition modeste (programme 157) : 1 647 millions d'euros.

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