II. PRINCIPALES OBSERVATIONS DE VOS RAPPORTEURS SPÉCIAUX

1. La sous-exécution des crédits résulte d'économies ponctuelles sur les dépenses d'intervention, et non de réformes structurelles

En 2017, la mission est composée à 35 % de dépenses d'intervention, 33 % de dépenses de personnel et 30 % de dépenses de fonctionnement.

Les dépenses de fonctionnement en exécution ont enregistré une baisse d'environ 2 % et s'élèvent ainsi à 846,9 millions d'euros, contre 861,2 millions d'euros en 2016. Cette baisse résulte principalement des annulations de crédits portant sur les crédits du programme 185 dédiés aux subventions pour charges de service public (SCSP) des opérateurs (voir infra). En effet, les SCSP versées ont diminué de près de 7,6 % en 2017, soit un montant d'environ 34,1 millions d'euros. Les SCSP du programme 185 représentent en 2017 72 % des dépenses de fonctionnement de la mission, ce qui contribue à la rigidité à court terme de celles-ci.

Les dépenses d'investissement en exécution s'élèvent à 52 millions d'euros en CP, soit une augmentation de 28 % par rapport à l'exercice précédent . Cette augmentation résulte principalement des travaux d'entretien du parc immobilier, en France comme à l'étranger (voir infra ). Les dépenses d'investissement incluent également les dépenses de sécurité à hauteur de 37 millions d'euros et le financement de projets informatiques (4 millions d'euros).

L'exécution des dépenses de personnel est globalement stable par rapport à celle constatée pour l'exercice 2016 . Les dépenses du titre 2 s'élèvent à 951,1 millions d'euros (AE=CP).

Seules les dépenses d'intervention constituent les variables d'ajustement des dépenses de la mission . Les crédits d'intervention consommés en 2017 représentent un montant de 989,6 millions d'euros (CP), et un taux d'exécution de 90 % par rapport aux crédits votés en loi de finances pour 2017. Les dépenses d'intervention représentent le principal gisement d'économies pour l'ensemble de la mission grâce à la conjonction de deux facteurs :

- la diminution du financement des opérations de maintien de la paix (OMP) . La contribution globale pour 2017 s'élève à 304 millions d'euros, soit deux fois moins que celle pour 2016. Outre la clôture d'OMP, il faut noter le report des appels à contribution sur l'exercice 2018, notamment pour les opérations en Somalie et au Soudan du Sud, ainsi que la révision du barème des contributions à l'ONU ;

- l'évolution favorable du change euro-dollar a permis de réduire les dépenses d'intervention du programme 105 étant donné que près de 80 % des contributions aux OMP ont été payées en dollars américains.

Toutefois, vos rapporteurs spéciaux souhaitent souligner que la couverture du risque de change, même si elle a connu une évolution favorable en 2017, constitue toujours un risque pour la soutenabilité de la mission. Un rapport du Gouvernement au Parlement, réalisé par l'Inspection générale des finances et des affaires étrangères, a été rendu en août 2016 sur la question. Il préconise notamment d'établir une provision budgétaire en loi de finances initiale pour couvrir ce risque. Or, le ministère de l'Europe et des affaires étrangères (MEAE) n'a toujours pas mis en oeuvre cette recommandation, ni fait évoluer la convention qui lie l'Agence France Trésor (AFT) et le ministère en la matière. Vos rapporteurs spéciaux demandent à ce que des mesures soient prises rapidement afin de pallier un risque de dégradation du taux de change de l'euro.

2. La poursuite de la rationalisation des effectifs du ministère de l'Europe et des affaires étrangères (MEAE) est difficilement soutenable

Le nombre d'équivalent temps plein travaillé (ETPT) a diminué de près de 22 % depuis 2011, en passant de 15 271 ETPT à 11 920 ETPT . Toutefois, comme le souligne un référé de la Cour des comptes relatif à la gestion des ressources humaines du MEAE en date de novembre 2016, la masse salariale du ministère n'a cessé de croître. Les dépenses de personnel de la mission s'élevaient en 2011 à 862 millions d'euros (en CP), contre 951 millions d'euros en 2017 , soit une progression de 10 % environ en 6 ans seulement. La progression continue de la masse salariale s'explique tout d'abord par un glissement vieillesse technicité (GVT) ainsi que, dans une moindre mesure, par l'évolution du point d'indice. De plus, le MEAE se distingue par une surreprésentation des catégories A+ par rapport aux autres catégories de personnel, résultant de flux de recrutement très élevés de conseillers des affaires étrangères jusqu'en 2012. Dans son référé, la Cour des comptes évoque plusieurs pistes pour contenir l'évolution croissante de la masse salariale du ministère, telles que le rééquilibrage de la structuration de l'encadrement supérieur du ministère , ou encore le remplacement progressif d'agents titulaires par des agents de droit local et des contractuels de droit français . Ces deux catégories de personnel représentent en 2017 déjà près de 48 % des effectifs du ministère .

Catégories d'emplois pour chaque programme en 2017

(en ETPT)

P105

P185

P151

Total

Titulaires et CDI en administration centrale

2 221

59

493

2 773

Titulaires et CDI dans le réseau

1 532

62

1 103

2 697

CDD et volontaires internationaux

618

588

97

1 303

Militaires

631

0

0

631

Agents de droit local

2 801

81

1 634

4 516

Total

7 803

790

3 327

11 920

Source : Commission des finances du Sénat (à partir des documents budgétaires)

Concernant l'exercice 2017, le plafond d'emplois a été respecté, même s'il a été rehaussé à hauteur de 18 ETPT. Pour rappel, une suppression nette de 450 emplois était initialement prévue entre 2015 et 2017. Néanmoins, la mise en oeuvre du plan de renforcement des moyens de lutte anti-terroriste et de sécurisation des implantations à l'étranger s'est traduite par la création de 67 ETPT, par dérogation au schéma d'emplois initial.

La réduction du nombre ETPT au sein du MEAE devrait se poursuivre au cours des exercices 2019 et 2020. Lors d'une audition devant votre commission des finances en mai dernier, le ministre de l'action et des comptes publics, Gérald Darmanin, a annoncé une réduction de 10 % des effectifs en postes à l'étranger , à l'exception des ETPT alloués à l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger (AEFE).

Vos rapporteurs spéciaux s'inquiètent de la poursuite de la rationalisation des effectifs du ministère, en particulier si celle-ci n'est pas associée à une réforme complète de la gestion des ressources humaines. À l'occasion de l'examen du PLF pour 2018, le MEAE avait déjà indiqué à vos rapporteurs spéciaux que « compte tenu des effets qu'auront ces suppressions sur l'organisation générale du ministère, une réflexion doit être conduite afin de déterminer les mesures nécessaires à l'accomplissement de ces objectifs (de suppression) après plusieurs années de réduction continue des effectifs parallèlement à un accroissement des missions exercées par le MEAE » 8 ( * ) . La question de l'évolution du schéma d'emplois interroge nécessairement le dimensionnement du réseau diplomatique et consulaire, ainsi que son articulation avec les services à l'étranger d'autres ministères, tels que la direction générale du trésor .

Par ailleurs, vos rapporteurs spéciaux souhaitent attirer l'attention du Gouvernement sur le fait que l'évolution de la masse salariale reste difficile à apprécier étant donné que le montant exact de l'indemnité de résidence (IRE) ne fait pas l'objet d'une documentation précise. Or, d'après les estimations de la Cour des comptes, l'IRE pourrait représenter jusqu'à 40 % des dépenses de personnel du ministère.

L'évolution de la masse salariale étant un déterminant majeur de la soutenabilité de la mission, les rapporteurs spéciaux pourront en approfondir l'examen à l'occasion d'un prochain contrôle budgétaire.

3. La gestion pluriannuelle du patrimoine immobilier reste à améliorer

D'après la direction du budget, le parc immobilier du MEAE est composé de plus de 1600 bâtiments et est valorisé à hauteur de 4,3 milliards d'euros en 2016.

Les dépenses de fonctionnement du parc immobilier comprennent l'entretien et la maintenance ainsi que les contrats de locations et les loyers budgétaires. L'augmentation en AE et en CP par rapport à la loi de finances s'explique par les engagements pluriannuels réalisés pour les nouveaux baux. Ces dépenses supplémentaires sont difficilement prévisibles car très sensibles aux variations du change.

Les dépenses d'investissement comprennent à la fois l'achat d'immobilisations corporelles et les dépenses d'entretien lourd des bâtiments à l'étranger. D'après les informations du MEAE, le parc immobilier nécessiterait des investissements à hauteur de 1 à 2 % de sa valeur par an, soit entre 50 et 100 millions d'euros par an . Or, l'exécution des dépenses d'investissements est 30 % inférieure à celle prévue en lois de finances pour le programme 105 (en CP). Cette sous-consommation résulte de retards importants pris dans la mise en oeuvre des travaux lourds , notamment pour la rénovation de plusieurs postes diplomatiques.

Dépenses de fonctionnement et d'investissement
relatives à l'immobilier du MEAE supportées par le programme 105

(en millions d'euros)

Crédits votés 2017

Exécution

Écart crédits votés/consommés

AE

CP

AE

CP

AE

CP

Dépenses de fonctionnement

88,3

86,9

90,7

89,7

2,7 %

3,2 %

Dépenses d'investissement

Dont entretien lourd

65,5

12,2

65,5

12,2

48,9

10,45

45,4

9,8

- 25,3 %

- 14,4 %

- 30,7 %

- 19,7 %

Total

153,8

152,4

136,1

135 ,1

- 11,4 %

- 11,4 %

Source : commission des finances (à partir des documents budgétaires)

L'examen du projet de loi de règlement pour 2016 avait déjà mis en évidence le non-respect des délais de travaux pour plusieurs projets d'investissement immobilier. Le rapport annuel de performance indiquait qu'une procédure de priorisation des nouvelles opérations devait être établie. Vos rapporteurs spéciaux regrettent que les résultats de cette procédure ne leur aient pas été transmis . Ils s'associent à la recommandation renouvelée à plusieurs reprises de la Cour des comptes qui vise à créer « un outil interministériel de programmation pluriannuelle des dépenses immobilières pour apprécier la pertinence des dépenses et opérations découlant de la stratégie d'implantation du ministère 9 ( * ) ».

Vos rapporteurs spéciaux soulignent par ailleurs que la question de l'efficience de la gestion du parc immobilier est indissociable de celle de l'évolution des ressources humaines du MEAE en ce qu'elle interroge la pertinence et la soutenabilité de la cartographie du réseau diplomatique et consulaire.

4. Les annulations réalisées en cours d'exercice ont accru la participation des opérateurs aux efforts de maîtrise de la dépense, non sans difficultés

Les subventions pour charges de service public (SCSP) versées aux opérateurs se sont élevées à 416 millions d'euros (en CP), contre 450 millions d'euros en 2016 , soit une baisse de 7,6 % environ . Les SCSP ont baissé pour tous les opérateurs, hors dotation liée à la sécurité, à hauteur de 3,3 % pour l'AEFE, 2 % pour Atout France, 3 % pour l'Institut français. La SCSP de Campus France est restée stable par rapport à 2016.

Les annulations occasionnées par les décrets d'avance ont compliqué la fin de la gestion des opérateurs, et en particulier de l'AEFE. Sa SCSP a été amputée de 33 millions d'euros en juillet 2017. Plusieurs mesures budgétaires ont été prises par l'opérateur afin de couvrir ses dépenses jusqu'à la fin de l'exercice. Ainsi, le taux de contribution des établissements du réseau (en gestion directe et conventionnés) est passé de 6 à 9 % de leurs frais de scolarité, des reports de subvention au titre de 2017 ont été prévus, et d'autres mesures structurelles ont été décidées telles que la suppression de 180 postes à partir de la rentrée de septembre 2018. Cette dernière a entraîné des journées de grève et une forte mobilisation des enseignants français à l'étranger depuis l'automne dernier.

Vos rapporteurs spéciaux ont alerté le Gouvernement à plusieurs reprises sur la brutalité de l'annulation d'une partie de la SCSP de l'AEFE, cette dernière ayant entraîné une mobilisation politique forte. Leurs travaux de contrôle budgétaire en cours vont s'attacher à évaluer la soutenabilité budgétaire de l'Agence qui fait face à une augmentation constante de ses effectifs (2 % par an environ) alors que le financement public tend à diminuer au détriment des familles .


* 8 Rapport spécial, PLF 2018, p.21.

* 9 Note d'exécution budgétaire de la Cour des comptes, p.7.

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