II. PRINCIPALES OBSERVATIONS DE VOTRE RAPPORTEUR SPÉCIAL

1. Un dérapage des dépenses relatives à l'allocation pour demandeurs d'asile, traduisant l'incapacité de l'État à faire face à l'importance des flux

Les dépenses de l'action 2 « Garantie de l'exercice du droit d'asile » concentrent à elles seules plus de 78 % des crédits de paiement de la mission. Elles visent notamment au financement de l'allocation pour demandeur d'asile et des dispositifs d'hébergement de ces derniers. Cette action connaît, sur l'exercice, un taux d'exécution dépassant les 150 %. Les crédits prévus en loi de finances initiale pour 2017 s'élevaient à 868,7 millions d'euros en AE et à 740,9 millions d'euros en CP. L'exécution s'est ainsi révélée supérieure à cette prévision de plus de 410,9 millions d'euros en AE et 399,2 millions d'euros en CP.

Ces dépenses sont en augmentation de 42% par rapport à l'exercice précédent. Cette croissance s'explique notamment par la hausse importante de la demande d'asile entre 2016 et 2017, qui constitue le principal déterminant de ces dépenses, avec le délai d'instruction des demandes par l'Office française de protection des réfugiés et des apatrides (Ofpra) et la Cour nationale du droit d'asile (Cnda).

Nombre de demandes d'asile enregistrées
par l'Ofpra

Source : commission des finances (d'après le rapport annuel 2017 de l'Ofpra)

Les dépenses relatives à l'allocation pour demandeurs d'asile, qui a remplacé, à compter du 1 er novembre 2015 l'allocation temporaire d'attente, connaissent pour la deuxième année consécutive une sur-exécution massive.

Cette sur-exécution s'explique par l'augmentation du nombre de bénéficiaires. Leur nombre moyen par mois s'est élevé à 112 500 en 2017 contre 95 000 en 2016. En 2017, le seuil des 110 000 individus bénéficiaires a été dépassé à partir de juillet et le pic annuel a été atteint en décembre avec près de 122 000 individus.

Le montant moyen versé par individu bénéficiaire est de 259 euros (361 euros en moyenne par mois par ménage bénéficiaire). Depuis le 1 er avril 2017, à la suite de la décision du Conseil d'État du 23 décembre 2016, le pécule versé aux bénéficiaires n'étant pas hébergés a été revalorisé à 5,40 euros par jour et par adulte bénéficiaire contre 4,20 euros antérieurement (décret n° 2017-430 du 29 mars 2017).

Montants prévus et exécutés des dépenses afférentes à l'allocation
temporaire d'attente et de l'allocation pour demandeur d'asile

(en CP, en millions d'euros)

ATA

ADA

LFI

Exécution

LFI

Exécution

2009

30

68,4

2010

53

105

2011

54

157,8

2012

89,7

149,8

2013

140

149,2

2014

129,8

169,5

2015

93,3

81

2016

0

30

148,8

316,1

2017

0

177,3

220

348,8

Source : commission des finances (d'après les documents budgétaires)

Montants prévus et exécutés des dépenses afférentes
à l'allocation temporaire d'attente

(en CP, en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat (d'après les documents budgétaires)

Votre rapporteur spécial estime que cette sur-exécution est particulièrement préoccupante. Le caractère manifestement insincère de la prévision de dépense réduit à outrance la portée de l'autorisation parlementaire votée en loi de finances .

Si ces dépenses de guichet sont en partie imprévisibles et susceptibles de diverger de la prévision en fonction de la conjoncture, l'augmentation du nombre de demandeurs d'asile (+ 17% par rapport à 2016) n'était pas inattendue, comme elle l'a pu l'être, par exemple, en 2015.

Au contraire, ces sous-budgétisations chroniques s'assimilent davantage à une volonté délibérée, de la part des gouvernements successifs, de masquer le niveau réel des dépenses afférentes à la prise en charge sociale des demandeurs d'asile .

Plus largement, elle traduit leur incapacité à maîtriser et anticiper suffisamment les flux migratoires au sein de l'Union européenne, comme en atteste notamment l'augmentation des mouvements secondaires. En effet, en 2016, 22 500 personnes (mineurs inclus) placées sous procédure « Dublin » avaient été recensées, soit environ 25 % des premières demandes d'asile en décembre 2016 contre 10 % en janvier de la même année. La tendance se poursuit : en 2017 ces demandeurs sont au nombre de 41 350 alors que les premières demandes en procédure normale s'élèvent à 46 150 (mineurs inclus). Ils représentent 36 % des premières demandes (tous types de procédure) et 34 % du total des demandes (y compris réexamen).

2. Une absence de prévision sincère des dépenses d'hébergement d'urgence (Huda)

Les dépenses relatives à l'hébergement d'urgence des demandeurs d'asile (Huda local) ont connu, en 2017, une évolution similaire. Alors que la loi de finances pour 2017 avait prévu 54,48 millions d'euros en AE et en CP, les dépenses s'élèvent finalement à 119,65 millions d'euros en AE et 120,22 millions d'euros en CP.

Montants prévus et exécutés des dépenses afférentes
à l'hébergement d'urgence des demandeurs d'asile

(en CP, en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat (d'après les documents budgétaires)

Ce niveau d'exécution s'explique, selon le gouvernement, par le fait que le parc d'hébergement d'urgence géré par les services déconcentrés a subi l'impact de l'augmentation du nombre des demandeurs placés sous procédure « Dublin », des orientations hebdomadaires en centres d'accueil et d'orientation (CAO) depuis l'Île-de-France et du démantèlement de campements comme celui de Grande-Synthe dont une partie des évacués a été prise en charge dans des hôtels.

Ce taux d'exécution, supérieur à 220 %, traduit là encore l'incapacité de l'État à maîtriser ces dépenses, qui découlent de l'absence de maîtrise des flux et des délais d'instruction des demandes d'asile.

3. Une sous-exécution regrettable des crédits relatifs à l'éloignement

L'action 03 « Lutte contre l'immigration irrégulière » est en sous-exécution de 9,70 millions d'euros en AE et de 13,07 millions d'euros en CP. Cet écart se décompose principalement comme suit :

a) + 1,99 million d'euros en AE et - 0,02 millions d'euros en CP s'agissant des dépenses de fonctionnement hôtelier des centres de rétention administrative (CRA) ;

b) + 0,2 million d'euros en AE et - 0,77 millions d'euros en CP au titre des investissements et de l'entretien immobilier des CRA ;

c) - 0,93 million d'euros en AE et - 0,95 millions d'euros en CP au titre de la prise en charge sanitaire des personnes en CRA ;

d) - 1,85 million d'euros en AE et - 1,81 millions d'euros en CP au titre de la prise en charge de migrants de Calais et Dunkerque (fin du démantèlement du camp de la lande de Calais et démantèlement du camp de Grande-Synthe).

L'exercice 2017 est surtout marqué par la sous-exécution, de 3,57 millions d'euros en AE et de 3,75 millions d'euros en CP des dépenses d'éloignement , qui s'élèvent à 29,76 millions d'euros en AE et 29,57 millions d'euros en CP, contre 33,29 millions d'euros en AE et en CP prévus en loi de finances initiale. Le gouvernement explique notamment cette sous-exécution par le fait que la police aux frontières est prioritairement impliquée dans la lutte contre le terrorisme et le contrôle aux frontières.

Le nombre total d'éloignements est passé de 24 707 en 2016 à 27 373 en 2017, soit une variation de 10,8 % ; le nombre des éloignements forcés a aussi augmenté de 14,6 % par rapport à 2016 (14 859 contre 12 961), et celui des éloignements forcés vers les pays tiers hors Union européenne de 7 % (6 596 contre 6 166).

Cette sous-exécution témoigne de l'absence de priorité politique accordée aux éloignements, notamment forcés, alors même que le contexte migratoire auraient dû entrainer, à minima, une consommation des crédits prévus.

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