Rapport n° 123 (2018-2019) de Mme Sylvie VERMEILLET , fait au nom de la commission des finances, déposé le 13 novembre 2018

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N° 123

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2018-2019

Enregistré à la Présidence du Sénat le 13 novembre 2018

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des finances (1) sur la proposition de loi visant à lutter contre la désertification bancaire dans les territoires ruraux ,

Par Mme Sylvie VERMEILLET,

Sénatrice

(1) Cette commission est composée de : M. Vincent Éblé , président ; M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général ; MM. Éric Bocquet, Emmanuel Capus, Yvon Collin, Bernard Delcros, Mme Fabienne Keller, MM. Philippe Dominati, Charles Guené, Jean-François Husson, Georges Patient, Claude Raynal , vice-présidents ; M. Thierry Carcenac, Mme Nathalie Goulet, MM. Alain Joyandet, Marc Laménie , secrétaires ; MM. Philippe Adnot, Julien Bargeton, Jérôme Bascher, Arnaud Bazin, Yannick Botrel, Michel Canevet, Vincent Capo-Canellas, Philippe Dallier, Vincent Delahaye, Mme Frédérique Espagnac, MM. Rémi Féraud, Jean-Marc Gabouty, Jacques Genest, Alain Houpert, Éric Jeansannetas, Patrice Joly, Roger Karoutchi, Bernard Lalande, Nuihau Laurey, Mme Christine Lavarde, MM. Antoine Lefèvre, Dominique de Legge, Gérard Longuet, Victorin Lurel, Sébastien Meurant, Claude Nougein, Didier Rambaud, Jean-François Rapin, Jean-Claude Requier, Pascal Savoldelli, Mmes Sophie Taillé-Polian, Sylvie Vermeillet, M. Jean Pierre Vogel .

Voir les numéros :

Sénat :

730 (2017-2018) et 124 (2018-2019)

LES CONCLUSIONS
DE LA COMMISSION DES FINANCES

Réunie le mardi 13 novembre 2018 sous la présidence de M. Vincent Éblé, président, la commission a examiné le rapport de Mme Sylvie Vermeillet, sur la proposition de loi n° 730 (2017-2018) visant à lutter contre la désertification bancaire dans les territoires ruraux.

Ce texte, déposé par M. Éric Gold et plusieurs de nos collègues, vise à favoriser « le maintien ou la création de distributeurs automatiques de billets dans les communes victimes de désertification bancaire ».

La commission des finances a adopté sans modification les articles 1 er , 2 et 3.

EXPOSÉ GÉNÉRAL

Madame, Monsieur,

La proposition de loi n° 730 visant à lutter contre la désertification bancaire dans les territoires ruraux s'inscrit dans un double contexte de révolution des usages bancaires et de dévitalisation de certains territoires .

Sous la double impulsion de l'essor des nouvelles technologies et de modifications juridiques réduisant la capacité de paiement en espèces, les moyens de paiement évoluent. Cette transition rapide s'accompagne toutefois de difficultés pour certaines populations peu familières des nouveaux usages ainsi que pour certains territoires dont la couverture numérique n'est pas assurée.

Ces difficultés se conjuguent avec un autre phénomène : la dévitalisation progressive de nombreux territoires, où l'activité commerciale de proximité décline au profit des commerces de périphérie et du commerce en ligne, accentuant l'attrition des services du quotidien.

C'est à ces questions essentielles pour nos concitoyens que la proposition de loi entend apporter une réponse, en favorisant l'accès aux espèces par la présence de distributeurs automatiques de billets dans les territoires.

Pour ce faire, la proposition de loi comprend deux articles 1 ( * ) .

L'article 1 er prévoit la création d'un fonds dédié au maintien et à la création de distributeurs automatiques de billets dans les communes rurales, géré par la Caisse des dépôts et consignations.

L'article 2 complète les obligations de La Poste relatives à sa mission de service public d'aménagement du territoire, en prévoyant que chaque point de contact doit comprendre un distributeur automatique de billets. Cet ajout vise à assurer que, sauf circonstances exceptionnelles, seulement moins de 10 % de la population d'un département se trouve éloignée de plus de cinq kilomètres et de plus de vingt minutes de trajet automobile, dans les conditions de circulation du territoire concerné, des plus proches points de contact de La Poste.

I. LA DÉVITALISATION DES TERRITOIRES RURAUX, UNE PRÉOCCUPATION AU CoeUR DE L'ACTION DU SÉNAT

A. LA PROPOSITION D'UN PACTE NATIONAL DE REVITALISATION DES CENTRES-VILLES ET CENTRES-BOURGS ADOPTÉE PAR LE SÉNAT ENVISAGE UNE RÉPONSE GLOBALE

Le 14 juin dernier, le Sénat a adopté la proposition de loi portant pacte national de revitalisation des centres-villes et centres-bourgs 2 ( * ) . Ce texte était le fruit d'un travail approfondi de neuf mois conduit à l'initiative de nos collègues Rémy Pointereau et Martial Bourquin, réunissant des sénateurs de tous bords politiques et appartenant à l'ensemble des commissions permanentes du Sénat.

Il aborde un phénomène au coeur des préoccupations du Sénat : la dévitalisation progressive de nombre de territoires, ruraux et urbains, au profit des grands commerces périphériques et des grandes sociétés du e-commerce.

La proposition de loi adoptée par le Sénat offre une réponse novatrice à deux égards :

- d'abord, en prévoyant un dispositif maîtrisé par les collectivités territoriales à l'échelon communal, par la création d'opérations de sauvegarde économique et de redynamisation (« OSER »). L'initiative de leur création relève des communes et des intercommunalités, mieux à même d'identifier et de résoudre les facteurs d'attrition de l'activité locale ;

- ensuite, en recourant à une correction des coûts liés à la centralité par la fiscalité, afin d'encourager à l'installation de commerces de proximité.

B. LA PRÉSENTE PROPOSITION DE LOI SE DISTINGUE DE CES TRAVAUX PAR UNE DOUBLE SPÉCIFICITÉ

Dans ce cadre, la proposition de loi visant à lutter contre la désertification bancaire dans les territoires ruraux présente une double spécificité.

D'une part, le phénomène global d'attrition de l'activité dans les territoires est abordé sous un prisme spécifique : celui de l'accès aux espèces par les distributeurs automatiques de billets.

L'exposé des motifs souligne ainsi les conséquences en chaîne de la diminution du nombre de distributeurs automatiques de billets : « l'amplification [du] phénomène de désertification bancaire s'accompagne généralement de la baisse du chiffre d'affaires des commerces locaux, voire de leur fermeture et, ce, au profit des grandes surfaces en périphérie et du e-commerce . Ce processus participe à la fuite des équipements et des services du quotidien, rendant le territoire moins attractif pour ses habitants ».

D'autre part, la proposition de loi se concentre sur les seules communes rurales , confrontées à l'absence ou au risque de disparition de l'unique distributeur automatique de billets sur leur territoire.

II. UNE RÉVOLUTION DES USAGES BANCAIRES QUI NE DOIT PAS ÉCARTER LE RECOURS AUX ESPÈCES

A. LA BAISSE DU NOMBRE DE DISTRIBUTEURS AUTOMATIQUES DE BILLETS CONSTITUE UN AVATAR DE LA RÉVOLUTION DES USAGES BANCAIRES

Les données relatives à l'évolution du nombre de distributeurs automatiques de billets corroborent en partie le constat des auteurs de la proposition de loi.

Une tendance générale de diminution , lente mais structurelle, du nombre de distributeurs automatiques de billets peut être observée au sein de la zone euro. En France, cette baisse est supérieure à 2 % par an en 2016 et 2017 3 ( * ) . Environ 56 000 distributeurs automatiques de billets se répartissent sur environ 14 400 communes.

Toutefois, cette diminution ne correspond pas toujours à la désertification bancaire d'un territoire. Ces chiffres englobent également des situations où le nombre de distributeurs dans une même zone diminue, sans que l'accès de la population à un distributeur soit remis en cause.

Surtout, ce phénomène s'inscrit plus globalement dans un contexte de diminution du recours aux espèces, reflété dans la réduction plus marquée du nombre de retraits . Depuis 2011, la baisse du nombre de retraits est supérieure à celle du nombre de distributeurs automatiques de billets, puisqu'elles s'établissent respectivement à 6 % et 4,1 % 4 ( * ) .

Cette évolution traduit la mutation de l'usage des cartes bancaires , utilisées de plus en plus comme moyen de paiement. Entre 2011 et 2017, le volume de paiements par carte bancaire a ainsi progressé de 43 %, s'établissant à 10,5 milliards d'euros en 2017, tandis que le volume de retraits a diminué de 7 % sur la même période, pour un montant de 1,4 milliard d'euros en 2017.

Deux facteurs expliquent cette évolution :

- d'une part, une évolution du cadre juridique en lien avec la stratégie nationale des moyens de paiement d'octobre 2015 mise en oeuvre par le précédent Gouvernement 5 ( * ) . Le plafond de paiement en espèces à un professionnel a été réduit de 3 000 euros à 1 000 euros 6 ( * ) , tandis que le plafond de paiement en espèces aux finances publiques est de 300 euros 7 ( * ) ;

- d'autre part, l'abaissement progressif du seuil d'acceptation de la carte bancaire et l'essor de nouveaux moyens de paiement adaptés pour de petits montants , comme le « paiement sans contact » par carte bancaire. Le volume de transactions réglées par carte bancaire sans contact a ainsi été multiplié par cinq entre 2015 et 2017, atteignant 1,2 milliard d'euros 8 ( * ) .

B. PLUSIEURS SOLUTIONS EXISTENT POUR ASSURER L'INDISPENSABLE ACCÈS AUX ESPÈCES

Il n'en demeure pas moins que l'utilisation des espèces demeure essentielle , en particulier pour certaines transactions quotidiennes et de proximité. De même, les nouveaux usages ne concernent pas l'ensemble de la population : pour certains de nos concitoyens peu familiers des usages digitaux, le recours aux espèces est essentiel.

Pour autant, les deux prismes retenus par la proposition de loi n'épuisent pas le sujet de l'accessibilité de nos concitoyens aux espèces :

- s'agissant des territoires concernés , dans la mesure où certains territoires périphériques ou certaines zones touristiques, soumises à une fréquentation ponctuellement très forte, font également face à des difficultés d'accès aux espèces ;

- s'agissant des outils de fourniture d'espèces , puisque les distributeurs automatiques de billets ne constituent qu'un des outils actuellement proposés.

Les distributeurs automatiques de billets ne constituent pas nécessairement l'outil le plus adéquat pour répondre à ces besoins. Leur installation est soumise à de nombreuses contraintes juridiques , relatives à des impératifs de sécurité ou de lutte contre le blanchiment d'argent par exemple, tandis que leur utilisation suppose de disposer d'une carte bancaire , ce qui n'est pas nécessairement le cas de tous les citoyens.

À cet égard, l'enquête réalisée par la Cour des comptes en juin 2017 à la demande de la commission des finances du Sénat sur les politiques publiques en matière d'inclusion bancaire, a souligné la nécessité pour cette politique publique de répondre aux nouvelles formes d'exclusions bancaires nées de la digitalisation croissante des services bancaires 9 ( * ) . La Cour des comptes précise à cet égard que « la question de la disponibilité des services bancaires sur le territoire et de l'inégal accès à ces services doit être examinée au regard de la diminution des services de guichet (...). Seule La Banque Postale, en raison des contraintes de présence territoriale imposées à La Poste 10 ( * ) , fait figure d'exception » 11 ( * ) .

Au titre de sa mission d'aménagement du territoire, La Poste propose, dans ses différents points de contact, des services d'accès aux espèces permettant, dans les 6 305 agences postales communales réparties sur le territoire, de retirer jusqu'à 350 euros par semaine, et, dans les 2 746 relais postaux commerçants, de retirer jusqu'à 150 euros par semaine.

Des accès alternatifs aux espèces existent déjà , en particulier auprès des commerçants dans le cadre des points relais 12 ( * ) . Mis en oeuvre par certains établissements bancaires, ces points relais permettent au commerçant, agissant comme agent pour le compte de la banque, de délivrer des espèces. Il en existe environ 4 000.

Surtout, la délivrance d'espèces à l'occasion d'une opération de paiement pour l'achat de biens et services, connue sous le terme anglais de « cashback » est désormais prévue par le code monétaire et financier 13 ( * ) . Son entrée en vigueur devrait intervenir d'ici la fin de l'année 2018 avec la publication du décret précisant le montant maximal d'espèces pouvant être délivré dans ce cadre 14 ( * ) .

III. FACE AUX DIFFICULTÉS DE LA SOLUTION PROPOSÉE, LES OUTILS EXISTANTS DOIVENT ÊTRE PRIVILÉGIÉS POUR GARANTIR L'INDISPENSABLE ACCÈS AUX ESPÈCES

A. LA SOLUTION PROPOSÉE AUX PROBLÈMES D'ACCÈS AUX ESPÈCES S'ACCOMPAGNE DE DIFFICULTÉS RÉELLES

Les problèmes d'accès soulignés par les auteurs de la proposition de loi concernent directement certains territoires. Tel est par exemple le cas en Lozère, où une concertation entre les élus locaux, les représentants des établissements bancaires et le directeur départemental de la Banque de France est organisée pour répondre à la fermeture de plusieurs distributeurs automatiques de billets.

À l'appui de ce constat, le comité de pilotage de la filière fiduciaire, animé par la Banque de France, a mandaté un groupe de travail sur l'accessibilité aux espèces. Selon les informations transmises à votre rapporteure, quatre missions lui sont assignées :

- recenser et diagnostiquer l'offre actuelle de distribution d'espèces tous canaux confondus ;

- analyser le recensement obtenu réalisé sous la forme d'une cartographie ;

- anticiper les évolutions de l'offre de distribution d'espèces et de demande d'accès aux espèces à l'horizon 2025-2030 ;

- définir les scénarios-cibles d'organisation et de distribution d'espèces, permettant de garantir leur accessibilité, ainsi que les conditions nécessaires à la réalisation de ces scénarios.

La proposition de loi s'inscrit pleinement dans ce cadre. Pour autant, la solution qu'elle envisage soulève des difficultés réelles .

La première résulte de son caractère trop global , au risque d'une mise en oeuvre trop longue et d'une prise en compte plus difficile des réalités locales.

Le fonds national dont la création est prévue à l'article 1 er introduit ainsi un modèle standardisé de conventions entre communes et établissements bancaires, répondant à des critères fixés par un décret en Conseil d'État. En tout état de cause, cette solution ne garantirait ni la rapidité ni la souplesse indispensables pour résoudre les difficultés d'accès aux espèces qui se manifesteraient dans certains territoires.

Or une telle démarche s'opère déjà en pratique au cas par cas en fonction des réalités locales. Conformément aux dispositions du code général des collectivités territoriales, en cas de défaillance de l'initiative privée 15 ( * ) , certaines communes concluent une convention avec un établissement bancaire pour maintenir un distributeur automatique de billets sur leur territoire.

La seconde difficulté résulte des effets indirects qu'elle pourrait entraîner . La création d'un fonds à grande échelle pourrait favoriser un désengagement des établissements bancaires du maillage territorial en distributeurs automatiques de billets. Ce risque est d'autant plus marqué que la plupart des distributeurs automatiques de billets ne sont pas rentables et occasionnent un coût annuel de fonctionnement d'environ 14 000 euros.

B. À L'APPUI DE LA FUTURE CARTOGRAPHIE DE L'ACCÈS AUX ESPÈCES, LES OUTILS EN VIGUEUR DEVRONT ÊTRE MOBILISÉS POUR CORRIGER LES DÉFAILLANCES IDENTIFIÉES

Il importe de prévenir cet écueil , qui se manifesterait au détriment des finances publiques.

C'est pourquoi deux critères doivent guider la réponse à apporter :

- le soutien financier public doit être réservé aux seules situations exceptionnelles de défaillance de l'initiative privée ;

- une initiative locale doit présider à l'élaboration de la solution proposée.

Votre rapporteure partage l'objectif des auteurs de la proposition de loi : pour certains territoires, non couverts par les réseaux de télécommunication et où l'usage de la carte bancaire n'est pas assuré, l'accès aux espèces doit être garanti.

Cependant, votre rapporteure estime qu'il aurait été préférable d'attendre les résultats de la cartographie du groupe de travail . Cette cartographie doit être rapidement disponible , puisqu'elle est attendue dans le courant de janvier prochain . Elle permettra de disposer d'un constat exhaustif et transversal des carences de l'accès aux espèces . À défaut de ce recensement et compte tenu de la multiplicité des modes d'accès aux espèces, il est particulièrement complexe de savoir combien de territoires seraient concernés par la présente proposition de loi.

Pour les situations de défaillance avérée de l'offre privée, l'application du « cashback » dès la fin 2018 assurera un accès rapide aux espèces , suffisant pour couvrir des besoins de quotidien.

Cependant, dans les zones où la connexion ne permet pas l'usage d'un terminal de paiement par carte bancaire et où aucun point de contact de La Poste ne se trouve à proximité directe, d'autres solutions devront être recherchées . Ce sont en priorité ces territoires que la proposition de loi vise .

Dans ce cas, votre rapporteure considère qu'une réponse rapide et souple aurait dû être privilégiée. Cette réponse aurait pu consister en une initiative locale des acteurs publics et privés soutenant l'installation d'un point relais commerçant. Dans cette démarche, les petites collectivités territoriales et les commerçants auraient pu être accompagnés par le fonds d'intervention pour les services, l'artisanat et le commerce (Fisac).

Ce fonds soutient en particulier des projets de modernisation ou d'adaptation des entreprises de proximité afin de conforter le commerce notamment en milieu rural. Son soutien peut donc être recherché pour aider un commerçant dans l'installation d'un distributeur automatique de billets en son sein.

Votre rapporteure rappelle à ce titre que la commission des finances du Sénat a adopté, dans le cadre de l'examen du projet de loi de finances pour 2019 le 6 novembre dernier, un amendement visant à rétablir les crédits du Fisac à hauteur de 30 millions d'euros en autorisations d'engagement et en crédits de paiement.

EXAMEN DES ARTICLES

ARTICLE 1er
(Art. L. 2335-17 du code général des collectivités territoriales)

Fonds de maintien et de création des distributeurs automatiques de billets dans les communes rurales

. Commentaire : le présent article prévoit de créer un fonds dédié au maintien et à la création de distributeurs automatiques de billets dans les communes rurales, financé par l'affectation d'une fraction du produit de la taxe au profit du fonds de soutien aux collectivités territoriales ayant contracté des produits structurés, des dons et une participation de la Caisse des dépôts et consignations, qui serait chargée d'en assurer la gestion.

I. LE DROIT EXISTANT

A. TROIS MOYENS GÉNÉRAUX D'ACCÈS AUX ESPÈCES SONT PERMIS

L'accès aux espèces fait l'objet d'un encadrement strict dans un double objectif de lutte contre le blanchiment de capitaux et de sécurité publique.

En application de l'article L. 141-5 du code monétaire et financier, la Banque de France a pour mission d'assurer l'entretien de la monnaie fiduciaire et de gérer la bonne qualité de sa circulation sur l'ensemble du territoire.

Le retrait d'espèces sur un compte de paiement constitue un service de paiement au sens de l'article L. 314-1 du code monétaire et financier. La définition des prestataires de paiement est précisée à l'article L. 521-1 du même code : sont visés « les établissements de paiement, les établissements de monnaie électronique, les établissements de crédit et les prestataires de services d'information sur les comptes ».

Trois moyens d'accès doivent être distingués :

- les distributeurs automatiques de billets proposés par les établissements de crédit, La Poste, les établissements de monnaie électronique, les établissements de paiement et leurs prestataires, dans le cadre de la mission générale de gestion de la monnaie fiduciaire confiée à la Banque de France. En application des articles R. 122-4 à R. 122-11 et R. 123-1 à R. 123-3 du code monétaire et financier, ces établissements doivent respecter les normes de conditionnement et de versement édictées par la Banque de France et procéder à la vérification des billets de banque. Ils doivent distribuer des billets prélevés directement auprès de la Banque de France. À défaut, les établissements de crédit doivent conclure au préalable une convention avec la Banque de France pour définir les conditions dans lesquelles ils alimentent un automate délivrant des billets. Le nombre de distributeurs automatiques de billets s'élève à environ 56 000 sur le territoire national ;

- en application de l'article L. 523-1 du code monétaire et financier, certains établissements bancaires passent une convention avec des commerçants pour qu'ils exercent pour leur compte des activités de services de paiement consistant en l'installation au sein de leurs locaux d'un distributeur automatique de billets . Environ 4 000 commerçants proposeraient ce service ;

- la délivrance d'espèces par un commerçant à l'occasion d'une opération de paiement pour l'achat d'un bien ou d'un service, souvent désignée sous le terme anglais de « cashback ». Cette faculté proposée aux commerçants volontaires est prévue à l'article L. 112-14 du code monétaire et financier, introduit par la loi du 3 août 2018 16 ( * ) . Elle n'est toutefois pas encore applicable , dans la mesure où un décret doit encore intervenir pour préciser le montant minimal de l'opération de paiement ouvrant droit à la délivrance d'espèces ainsi que le montant maximal pouvant être décaissé dans ce cadre. Ce décret pourrait être publié d'ici la fin de l'année.

B. UN MOYEN SPÉCIFIQUE EST PROPOSÉ POUR LES DÉTENTEURS D'UN COMPTE POSTAL

Par ailleurs, un moyen d'accès spécifique existe par l'intermédiaire du réseau de points de contacts de La Poste . Cet accès résulte de la conjonction des deux missions de service public confiées d'une part à La Poste, relative à l'aménagement du territoire , et d'autre part à La Banque Postale, relative à l'accessibilité bancaire .

L'article 6 de la loi du 2 juillet 1990 relative à l'organisation du service public de la poste et à France télécom oblige La Poste à disposer d'un réseau de 17 000 points de contact répartis sur le territoire national .

En parallèle, une mission historique d'accessibilité bancaire est confiée à La Banque Postale ; elle a été confirmée lors de l'ouverture à la concurrence du Livret A en 2008 17 ( * ) . S'exerçant au travers du Livret A, elle repose sur l'universalité, la gratuité du Livret A et la possibilité de l'utiliser comme quasi compte courant, en y rattachant certaines opérations. Environ deux millions de personnes utiliseraient ce dispositif de bancarisation .

En pratique, La Poste propose aux clients de La Banque Postale, dans chacun de ses points de contact, un service d'accès aux espèces permettant une gamme complète de services dans les agences postales. Pour les agences postales communales et les relais postaux commerçants, un retrait d'espèces dans la limite respectivement de 350 euros et de 150 euros par semaine est possible.

II. LE DISPOSITIF PROPOSÉ

Le présent article vise à créer un fonds de maintien et de création des distributeurs automatiques de billets dans les communes rurales.

Il complète à cet effet le code général des collectivités territoriales (CGCT) en créant une section 7 comprenant un article unique au sein du chapitre dédié aux dotations, subventions et fonds divers à destination des communes.

Le nouvel article L. 2335-17 du CGCT créé par le présent article institue un fonds dédié au maintien et à la création des distributeurs automatiques de billets dans les communes rurales.

A. LES RESSOURCES DU FONDS NE SONT PAS PRÉCISÉMENT DÉFINIES

Son I précise les ressources du fonds , composé de trois types de recettes :

- l'affectation d'une fraction du produit de la taxe pour le financement du fonds de soutien aux collectivités territoriales, acquittée par les établissements de crédit et autres établissements financiers, prévue à l'article 235 ter ZE bis du code général des impôts ;

- des dons de personnes physiques ou morales ;

- une participation de la Caisse des dépôts et consignations .

Le montant de la fraction de la taxe pour le financement du fonds de soutien aux collectivités territoriales n'est toutefois pas précisé par le présent article. En l'absence de modification de l'article 235 ter ZE bis du code général des impôts, cette affectation s'opérerait sans modification du taux de la taxe et donc à produit constant . Une partie du produit serait donc détourné du fonds de soutien aux collectivités territoriales vers le fonds dont la création est proposée par le présent article.

Surtout, cette disposition soulève des difficultés au regard de l'article 36 de la loi organique relative aux lois de finances du 1 er août 2001 18 ( * ) , qui précise que « l'affectation, totale ou partielle, à une autre personne morale d'une ressource établie au profit de l'État ne peut résulter que d'une disposition de loi de finances ». Le produit de la taxe prévue à l'article 235 ter ZE bis du code général des impôts fait l'objet d'une affectation au fonds de soutien aux collectivités territoriales ayant contracté des produits structurés. Or les dispositions de l'article 36 de la LOLF concernent également le changement d'affectation d'une taxe affectée.

Le montant de la participation de la Caisse des dépôts et consignations n'est pas non plus précisé par le présent article.

Par ailleurs, en l'absence de précision, les dons des personnes physiques ou morales au fonds ne seraient pas éligibles à une réduction d'impôt sur le revenu.

Il en résulte une double difficulté :

- s'agissant de la composition du panier de recettes du fonds, dès lors que le changement d'affectation d'une partie de la taxe prévue à l'article 235 ter ZE bis du code général des impôts n'est juridiquement possible qu'en loi de finances ;

- s'agissant de l'enveloppe financière dont le fonds disposerait : faute de précisions, il n'est pas possible de déterminer son montant et donc la capacité d'action du fonds.

B. LES MODALITÉS DE L'ACTION DU FONDS NE SONT GUÈRE DÉFINIES

Le II du nouvel article L. 2335-17 du CGCT créé par le présent article confie la gestion du fonds à la Caisse des dépôts et consignations .

Il prévoit également que le fonds est administré par un conseil de gestion, dont la composition serait, aux termes du troisième alinéa du III du nouvel article L. 2335-17 du CGCT, précisée par un décret en Conseil d'État. La composition du conseil de gestion - nombre de membres, présence de personnalités qualifiées, n'est pas déterminée.

Le III du nouvel article L. 2335-17 du CGCT créé par le présent article détermine les modalités du soutien apporté par le fonds.

Le premier alinéa précise que le soutien financier du fonds serait conditionné à la conclusion préalable d'une convention entre la commune et un établissement de crédit pour la maintenance et l'approvisionnement du dernier distributeur automatique de billets ou, dans le cas où un tel distributeur n'existerait pas, pour l'installation puis la maintenance et l'approvisionnement de l'unique distributeur. La convention devrait répondre à des conditions fixées par un décret en Conseil d'État.

Il est également précisé que plusieurs communes ayant conjointement conclu une telle convention pourraient bénéficier du soutien du fonds.

Il doit être relevé qu' aucun critère géographique, démographique ou économique n'est prévu s'agissant des communes pouvant solliciter une aide du fonds. En dépit du nom du fonds, il pourrait donc être loisible à une commune non rurale de solliciter une aide de sa part.

Le deuxième alinéa indique que la liste des communes bénéficiaires du fonds serait arrêtée conjointement par les ministres en charge de l'économie et des collectivités territoriales.

Le troisième alinéa renvoie à un décret en Conseil d'État le soin de préciser les modalités de calcul des subventions versées aux communes bénéficiaires.

*

Le II du présent article prévoit que ses dispositions, et donc le fonds dédié au maintien et à la création des distributeurs automatiques de billets dans les communes rurales, entrent en vigueur à partir du 1 er janvier 2019 .

III. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION DES FINANCES

A. LE FONDS PROPOSÉ N'EST PAS ABOUTI

L'article ne précise ni le cadre général du soutien apporté par le fonds ni son enveloppe financière .

Il en résulte plusieurs incertitudes :

- s'agissant du montant total de son soutien : il n'est pas indiqué si l'enveloppe est déterminée en fonction des demandes déposées par les communes ou si l'enveloppe est fixée en amont, conditionnant ensuite la capacité de subvention du fonds ;

- s'agissant de l'ampleur de son soutien : il n'est pas précisé si le fonds a vocation à soutenir intégralement les communes ou à intervenir par cofinancement ;

- s'agissant de la durée de son soutien : il est indiqué que le recours au fonds est assujetti à la conclusion préalable d'une convention entre la commune et un établissement de crédit pour la maintenance et l'approvisionnement du dernier distributeur automatique de billets ou, dans le cas où un tel distributeur n'existerait pas, pour l'installation puis la maintenance et l'approvisionnement de l'unique distributeur. Cependant, il n'est pas déterminé si le fonds intervient de façon ponctuelle , soit pour accompagner les coûts d'investissement liés à l'installation d'un distributeur, soit pour aider ponctuellement une commune dans les coûts de fonctionnement de l'unique distributeur, ou de façon récurrente , pour supporter annuellement une partie de ces coûts.

Il en résulte un type d'action et un effort financier distincts. Le coût d'investissement d'un distributeur automatique de billets s'élève environ à 90 000 euros et les coûts de fonctionnement à 14 000 euros par an, montant toutefois modulé à la hausse pour des territoires faisant face à des difficultés spécifiques d'accès.

B. LA CRÉATION D'UN FONDS SOULÈVE DES DIFFICULTÉS RÉELLES

Au-delà de ces lacunes, votre rapporteure relève que la création même d'un tel fonds soulèverait plusieurs difficultés.

Il prend mal en compte les démarches locales déjà mises en oeuvre par de nombreuses communes par voie de convention avec certains établissements bancaires bien implantés dans nos territoires. Élaborées au cas par cas pour répondre aux besoins identifiés, ces conventions devraient être renégociées pour respecter les critères définis par le décret en Conseil d'État et ainsi devenir éligibles au soutien du fonds.

De plus, la mise en oeuvre à grande échelle d'une aide publique à destination d'un nombre réduit d'acteurs économiques devrait conduire à une notification à la Commission européenne au regard de l'encadrement des aides d'État afin de sécuriser juridiquement le mécanisme. Sans même s'interroger sur l'issue de cette notification, la procédure prendrait en tout état de cause du temps.

Au regard du problème qu'elle entend résoudre, la solution proposée présente donc un double inconvénient tenant à la durée avant que le fonds soit opérationnel et à la rigidité de son action .

Or, pour les territoires concernés, il existe un besoin de souplesse et de rapidité .

Par rapport aux alternatives existantes, l'utilisation d'un distributeur automatique de billets se justifie en effet dans certaines situations exceptionnelles tenant soit à l'absence de couverture par les réseaux de télécommunication, soit à la présence importante de personnes n'utilisant pas les nouveaux moyens de paiement.

C. LE RECOURS AUX OUTILS EXISTANTS AURAIT PU ÊTRE PRIVILÉGIÉ

De façon plus générale, votre rapporteure s'inquiète de l'engrenage que le fonds proposé pourrait mettre en oeuvre . Alors que les établissements bancaires s'interrogent sur l'évolution de leur réseau d'agences, la création d'un soutien public à grande échelle pour l'installation et le maintien de distributeurs automatiques de billets pourrait conduire nombre d'entre eux à accélérer leur désengagement .

Une situation classique d'aléa moral serait de facto instaurée, le soutien public prenant progressivement le relai des établissements bancaires.

C'est pourquoi votre rapporteure estime qu'une solution rapide et adaptée aurait dû être privilégiée à la création du fonds .

La cartographie à laquelle travaille actuellement le groupe de travail formé sous l'égide de la Banque de France permettra, dès le premier semestre 2019, d'établir un constat exhaustif et fiable des situations de défaillance avérée dans l'accès aux espèces.

Pour ces situations, les acteurs politiques et économiques seront donc fortement incités à définir conjointement une réponse adaptée aux besoins des populations locales, en recourant à la palette d'outils prévus.

À cet égard, l'article L. 2251-3 du code général des collectivités territoriales permet à une collectivité territoriale d'aider financièrement à l'implantation de distributeurs automatiques de billets ou de distributeurs internes de banque placés chez des commerçants, voire dans les maisons de services au public 19 ( * ) .

Pour certaines petites communes, il importe toutefois qu'un soutien financier leur soit apporté dans cette démarche. Aussi votre rapporteure insiste-t-elle sur la nécessité de préserver les moyens d'action du fonds d'intervention pour les services, l'artisanat et le commerce (Fisac) , comme le propose la commission des finances du Sénat dans le cadre de l'examen du projet de loi de finances pour 2019.

En effet, les missions actuelles du Fisac, prévues à l'article L. 750-1-1 du code de commerce, lui permettent de subventionner la création, la modernisation ou l'adaptation des entreprises de proximité afin de conforter le commerce notamment en milieu rural.

Votre rapporteure considère que relève donc de ses missions l'accompagnement d'un commerce désireux d'ouvrir un distributeur interne de banque afin de pallier l'absence d'accès aux espèces dans son territoire.

Sous le bénéfice de ces analyses et afin de permettre un débat en séance publique, votre commission des finances a finalement adopté le présent article.

Décision de la commission : votre commission a adopté cet article sans modification.

ARTICLE 2
(Art. 6 de la loi n° 90-568 du 2 juillet 1990 relative à l'organisation du service public de la poste et à France télécom)

Extension de la mission d'aménagement du territoire de La Poste

Commentaire : le présent article prévoit de compléter l'étendue de la mission d'aménagement du territoire de La Poste, en précisant que chacun des 17 000 points de contacts du réseau de l'entreprise doit comprendre un distributeur automatique de billets.

I. LE DROIT EXISTANT

A. LA POSTE EST INVESTIE D'UNE MISSION D'AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE

L'article 2 de la loi du 2 juillet 1990 relative à l'organisation du service public de la poste et à France Télécom 20 ( * ) prévoit que La Poste remplit quatre missions de service public et d'intérêt général :

- le service universel postal ;

- la contribution, par son réseau de points de contact, à l'aménagement et au développement du territoire ;

- le transport et la distribution de la presse ;

- l'accessibilité bancaire.

Les modalités dans lesquelles La Poste exerce la mission d'aménagement et de développement du territoire sont précisées à l'article 6 de cette même loi.

Il prévoit que La Poste doit disposer d'un réseau comprenant au moins 17 000 points de contact répartis sur le territoire français en tenant compte de ses spécificités, notamment dans départements et collectivités d'outre-mer.

La loi du 20 mai 2005 relative à la régulation des activités postales 21 ( * ) a complété ces dispositions en introduisant un critère permettant de garantir que la plupart des habitants de chaque département sont situés à une distance raisonnable d'un point de contact de La Poste. En pratique, il est interdit que plus de 10 % de la population d'un département se trouve éloignée de plus de cinq kilomètres et de plus de vingt minutes de trajet automobile, dans les conditions de circulation du territoire concerné, des plus proches points de contact de La Poste.

Les conditions que doivent remplir les différents types de point de contact sont définies dans un contrat pluriannuel de la présence postale territoriale. Le contrat de présence postale territoriale actuellement en vigueur a été signé le 11 janvier 2017 entre La Poste, l'Association des maires de France (AMF) et l'État ; il couvre les années 2017 à 2019 22 ( * ) .

En pratique, le réseau de La Poste compte, fin septembre 2018, 17 365 points de contact , dont 8 314 bureaux de poste (48 %), 6 305 agences postales communales et intercommunales (36 %) et 2 746 relais postaux commerçants (16 %).

B. CETTE MISSION FAIT L'OBJET D'UNE COMPENSATION, SOUMISE AUX RÈGLES EUROPÉENNES EN MATIÈRE DE CONCURRENCE

Le II de l'article 6 de la loi du 2 juillet 1990 détermine les modalités de la compensation à La Poste au titre de la mission d'aménagement du territoire qui lui est confiée.

Cette compensation est assurée par le fonds postal national de péréquation , prévu par la loi et dont les modalités sont arrêtées par le contrat pluriannuel mentionné ci-avant.

Les ressources du fonds proviennent de l'abattement de contribution sur la valeur ajoutée des entreprises et de taxe foncière sur les propriétés bâties et non bâties dont La Poste bénéficie en application de l'article 1635 sexies du code général des impôts.

Le 3° du II de cet article prévoit que « les bases d'imposition de La Poste font l'objet d'un abattement égal à 85 % de leur montant, en raison des contraintes de desserte de l'ensemble du territoire national et de participation à l'aménagement du territoire qui s'imposent à cet exploitant. L'abattement ne donne pas lieu à compensation par l'État. En ce qui concerne la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, la valeur ajoutée retenue pour l'application de l'article 1586 ter fait l'objet d'un abattement de 70 % de son montant ».

De surcroît, il est précisé que « chaque année, le taux des abattements est fixé par décret, dans la limite de 95 %, de manière à ce que le produit de ces abattements contribue au financement du coût du maillage territorial complémentaire de La Poste tel qu'il est évalué par l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes ».

Par une décision du 20 septembre 2018, l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (ARCEP) a fixé ce coût à 203 millions d'euros pour 2017 23 ( * ) .

Conformément aux dispositions de l'article 106 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) relatif aux services économiques d'intérêt général ainsi qu'aux règles définies dans le « paquet Almunia » de décembre 2011 24 ( * ) , la compensation prévue à ce titre doit faire l'objet d'une notification aux autorités européennes de la concurrence .

Dans ce cadre, la Commission européenne a approuvé le 6 avril dernier la compensation accordée à La Poste pour sa mission de présence territoriale pour la période 2018-2022 pour un montant total maximal de 900 millions d'euros 25 ( * ) .

II. LE DISPOSITIF PROPOSÉ

Le présent article prévoit de compléter l'article 6 de la loi du 2 juillet 1990 relative à l'organisation du service public de la poste et à France Télécom qui détermine les obligations de La Poste au titre de sa mission d'accessibilité du territoire.

Il prévoit de compléter les critères pris en compte par le décret en Conseil d'État précisant les modalités d'application selon lesquelles les règles d'accessibilité au réseau de la poste par la voie des 17 000 points de contact sont déterminées au niveau départemental, afin que chaque point de contact offre un distributeur automatique de billets.

Le présent article prolonge cette extension des services offerts dans les points de contact de La Poste en précisant la règle selon laquelle, sauf circonstances exceptionnelles, plus de 10 % de la population d'un département ne peut pas se trouver éloignée de plus de 5 kilomètres et de plus de 20 minutes de trajet automobile, dans les conditions de circulation du territoire concerné, des plus proches points de contact de La Poste offrant un distributeur automatique de billets.

III. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION DES FINANCES

L'objectif du présent article tient essentiellement à assurer un maillage territorial minimum en distributeurs automatiques de billets.

Pour atteindre cet objectif, il propose de recourir à l'article 6 de la loi du 2 juillet 1990, qui détermine en particulier des critères permettant de garantir que la plupart des habitants de chaque département sont situés à une distance raisonnable d'un point de contact de La Poste.

Cependant, votre rapporteure estime qu'il n'est pas utile de prévoir que chaque point de contact de La Poste comporte un distributeur automatique de billets.

En effet, il doit être relevé que La Poste assure déjà un service de mise à disposition d'espèces dans ses différents points de contact , quelle que soit leur déclinaison. Le montant proposé , allant de 150 euros par compte et par semaine pour un relais postal commerçant à 350 euros par compte et par semaine pour une agence postale communale, soit respectivement environ 0,5 SMIC et 1,2 SMIC par mois, suffit à couvrir des besoins quotidiens

Surtout, votre rapporteure estime que le dispositif proposé soulèverait des difficultés pratiques, juridiques et financières pour les collectivités territoriales.

En pratique, l'installation d'un distributeur automatique de billets dans les agences postales communales ne semble guère souhaitable pour des raisons évidentes de sécurité . La volonté des maires de procéder à cette installation peut d'ailleurs être mise en doute.

De surcroît, la mission d'aménagement du territoire confiée à La Poste par la loi ne vise pas La Banque Postale. Il en résulte que, pour les distributeurs automatiques de billets qu'elle devrait proposer dans ses différents points de contact, La Poste serait tenue de recourir à un appel d'offre auprès de l'ensemble des établissements bancaires. Le caractère pour le moins incongru d'un distributeur automatique de billets installé par un établissement concurrent de La Banque Postale ne serait donc pas exclu.

D'un point de vue juridique, l'extension de la mission d'aménagement du territoire nécessiterait de prévoir une compensation complémentaire . Or, ainsi que cela a été rappelé précédemment, la compensation versée à La Poste à ce titre est assujettie au cadre européen relatif aux aides d'État, dont le principe actuel a été validé par la Commission européenne en avril dernier jusqu'en 2022. Compléter cette mission reviendrait donc à ouvrir la boîte de Pandore et à remettre en cause la sécurisation juridique de cette compensation.

De plus, cette compensation consiste en un allègement de fiscalité locale, non compensé par l'État. Le dispositif proposé serait donc supporté par les collectivités territoriales.

Pour toutes ces raisons, votre rapporteure estimait préférable de privilégier les solutions existantes et de ne pas adopter le présent article .

Malgré ces analyses et afin de permettre un débat en séance publique, votre commission des finances a adopté le présent article.

Décision de la commission : votre commission a adopté cet article sans modification.

ARTICLE 3

Gage « tabac »

. Commentaire : le présent article prévoit de compenser la perte de recettes résultant, pour l'État, de la présente proposition de loi, par la création d'une taxe additionnelle aux droits sur le tabac.

Décision de la commission : votre commission a adopté cet article sans modification.

EXAMEN EN COMMISSION

Réunie le mardi 13 novembre 2018 sous la présidence de M. Vincent Éblé, président, la commission a examiné le rapport de Mme Sylvie Vermeillet, sur la proposition de loi n° 730 (2017-2018) visant à lutter contre la désertification bancaire dans les territoires ruraux.

Mme Sylvie Vermeillet , rapporteure . - Au Sénat, nous sommes particulièrement familiers du phénomène de dévitalisation progressive de nos territoires. Qu'ils soient ruraux ou urbains, nous sommes tous confrontés à des difficultés similaires tenant à la disparition de commerces de proximité au profit des centres périphériques de consommation et au commerce en ligne. Pour autant, nous sommes convaincus qu'il n'y a pas de fatalité et qu'une action résolue et conjointe permettra d'enrayer les problèmes.

Tel était d'ailleurs l'objet de la proposition de loi portant Pacte national de revitalisation des centres-villes et centres-bourgs adoptée par le Sénat en juin dernier, sur l'initiative de nos collègues Martial Bourquin et Rémy Pointereau. Notre commission s'était alors prononcée sur le rapport pour avis de notre collègue Arnaud Bazin. Nos travaux de commission relatifs à l'essor du commerce en ligne ainsi qu'aux nouveaux moyens de paiement concernent aussi directement ces thématiques.

C'est d'ailleurs sous l'angle de l'accès aux espèces que la proposition de loi visant à lutter contre la désertification bancaire dans les territoires ruraux de notre collègue Éric Gold aborde la question.

Faisant le constat d'un accès parfois difficile aux espèces dans les territoires ruraux, ce texte souligne les conséquences en chaîne qui pourraient en résulter pour l'activité commerciale locale. En réponse, deux solutions complémentaires sont proposées dans chacun des deux articles qui la composent, le troisième étant classiquement dévolu au gage relatif au tabac. L'article 1 er prévoit la création d'un fonds dédié au maintien et à la création de distributeurs automatiques de billets dans les communes rurales. L'article 2 étend la mission d'aménagement du territoire confiée à La Poste, en prévoyant que chacun des 17 000 points de contact sur le territoire doit comprendre un distributeur automatique de billets.

Cette proposition de loi se distingue donc par une double singularité : géographique, d'une part, puisque seuls les territoires ruraux sont visés ; thématique, d'autre part, puisque l'accès aux espèces est envisagé par le seul recours aux distributeurs automatiques de billets. J'y vois à la fois un atout et une limite.

Un atout, car la proposition de loi se concentre sur des cas précis confrontés à un cumul de difficultés : des territoires mal couverts par les réseaux de télécommunication, dans l'incapacité de faire fonctionner des terminaux de paiement par cartes bancaires, souvent géographiquement enclavés et délaissés par les établissements bancaires.

Un inconvénient, car, pour des situations précises, est envisagée une réponse globale, qui me paraît peu adaptée à deux égards.

D'abord, le fonds dont il est proposé la création prévoit d'apporter une réponse nationale, qui s'accompagnera nécessairement d'une rigidité. Or c'est une réponse immédiate, souple et laissant la mainmise à l'initiative locale qui est nécessaire. Je relève que l'essentiel des modalités du fonds est renvoyé à un décret en Conseil d'État, ce qui n'est pas la meilleure méthode.

Ensuite, le fonds comme la présence obligatoire d'un distributeur automatique de billets dans un point de contact sous-tendent une même évolution, à savoir la mise en oeuvre d'un filet de sécurité public pour l'accès aux espèces. À l'heure où les établissements bancaires s'interrogent sur le redimensionnement de leur réseau - l'investissement est de 90 000 euros et les frais liés au fonctionnement et à l'entretien d'un distributeur automatique de billets s'élèvent à 14 000 euros par an, je crains un effet d'engrenage. En voulant traiter des défaillances ponctuelles, nous pourrions déplacer la charge sur les établissements bancaires. Or je ne pense pas que telle soit notre volonté. C'est pourquoi il ne m'a pas paru opportun de préciser le champ du fonds.

Concernant les ressources prévues pour alimenter le fonds, l'affectation d'une fraction du produit de la taxe pour le financement du Fonds de soutien aux collectivités territoriales ayant souscrit des emprunts à risque n'est pas possible, car il s'agirait d'un changement d'affectation : en vertu de l'article 36 de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF), seule une loi de finances peut y procéder. D'ailleurs, je rappelle que ce fonds a été créé pour résorber les emprunts toxiques.

Je rejoins toutefois l'auteur de cette proposition de loi, les défaillances ne sont pas acceptables et un égal accès aux espèces doit être assuré pour tous. Pour ce faire, il me semble préférable de recourir au Fonds d'intervention pour les services, l'artisanat et le commerce (Fisac), qui doit jouer un rôle dans l'accompagnement des commerçants volontaires pour accueillir en leur sein un distributeur automatique de billets. Pour certains territoires non couverts par les réseaux de communication, c'est l'unique recours envisageable. Un tel soutien du Fisac est possible aux termes des missions que lui confère le code de commerce ; je vous proposerai un amendement pour le préciser expressément. La semaine dernière, notre commission a adopté un amendement visant à conforter l'existence de ce fonds, menacé par le projet de loi de finances pour 2019 ; cet amendement me paraît plus que jamais indispensable.

Concernant l'extension de la mission d'aménagement du territoire de La Poste, cette évolution ne me paraît pas souhaitable. Je ne suis pas certaine que tous les maires se réjouissent à l'idée d'installer un distributeur automatique de billets dans leur agence postale communale. De surcroît, le jeu de la libre concurrence pourrait paradoxalement conduire La Poste à héberger des distributeurs automatiques de billets d'un établissement bancaire concurrent de La Banque postale ! Je vous proposerai donc de supprimer l'article 2.

Lors des auditions que j'ai conduites, il m'a été indiqué qu'un groupe de travail sur l'accessibilité aux espèces avait récemment été mandaté par la Banque de France : celui-ci doit recenser l'offre d'accès aux espèces, tous canaux confondus, et définir les scénarios d'organisation de la distribution permettant de garantir l'accessibilité des espèces. Ce travail est complexe, compte tenu de la multiplicité des modes d'accès aux espèces. Aux côtés des distributeurs automatiques de billets des établissements bancaires il y a également des distributeurs dans des commerces (les 4 000 points relais), les services postaux ainsi que, dès la fin d'année sans doute, le « cashback ».

C'est à partir de ces différents outils que le groupe de travail doit remettre une cartographie en janvier prochain, qui mettra en évidence les situations de défaillance. Il sera alors indispensable de définir, entre acteurs publics et privés locaux, une solution à partir de la palette d'outils que j'ai mentionnée. J'ai rencontré Philippe Wahl et Rémy Weber, présidents de La Poste et de La Banque postale, qui m'ont assuré de leur entière coopération en la matière. Je vous mets en garde sur l'effet pervers à constituer un fonds pour maintenir les distributeurs automatiques de billets. Il ne faudrait pas que les banques se mettent à exiger le recours à ce fonds pour rester sur le territoire.

Enfin, je voudrais mentionner quelques éléments chiffrés. En France, il existe 56 000 distributeurs automatiques de billets dans 14 400 communes. Depuis 2011, la baisse du nombre de retraits en espèces, de 6 %, est supérieure à la baisse du nombre de distributeurs automatiques de billets, de 4,1 %, tandis que les paiements par carte bancaire ont augmenté de 43 %, s'élevant à 10,5 milliards d'euros en 2017. Le plafond de paiements en espèces est passé de 3 000 euros à 1 000 euros. Dans 17 000 points de contact, 6 305 agences postales communales peuvent délivrer jusqu'à 350 euros en espèces par semaine et 2 746 relais postes peuvent délivrer jusqu'à 150 euros. Le paiement par carte bancaire est aujourd'hui possible à partir d'un euro. Le paiement sans contact a été multiplié par cinq entre 2015 et 2017 et atteint 1,2 milliard d'euros. L'installation d'un distributeur automatique de billets n'est pas seulement liée à son coût ; les questions de lutte contre la fraude et le blanchiment, la sécurité des agents et du transport de fonds ainsi que le contrôle des billets sont soumis à des règles exigeantes.

Dans ces conditions, je vous propose d'adopter les amendements que je vous présenterai et d'adopter la proposition de loi ainsi réécrite.

M. Éric Gold , auteur de la proposition de loi . - De nombreuses agences bancaires ferment dans des territoires déjà désertés par nombre de services publics, de services au public. Différents groupes bancaires prévoient la fermeture de plus de 400 agences en deux ans ; d'autres 450 établissements d'ici à 2020 ; 236 guichets ont été fermés au cours de ces dernières années. Si de nombreuses opérations bancaires et de paiement sont désormais dématérialisées, il n'en demeure pas moins que tous les territoires ne peuvent pas bénéficier de la même couverture numérique.

Deux logiques m'ont animé, qui peuvent s'entendre individuellement. Je propose que des communes menacées, voire victimes de désertification bancaire, puissent subventionner des banques conventionnées grâce à la création d'un fonds alimenté par des banques. Je propose également de renforcer le maillage territorial via l'introduction d'un critère de distance minimale entre les bureaux postaux.

Le Sénat, dans sa mission de représentation des territoires, se doit de lutter contre la désertification bancaire. La réécriture totale de la proposition de loi par un amendement tendant à réduire cette lutte à une extension des missions du Fisac, appelé à disparaître, enverrait, à mon sens, un signal négatif à destination des élus locaux. Rien ne dit que l'amendement de la commission des finances visant à pérenniser l'existence de ce fonds dans le cadre du projet de loi de finances pour 2019 sera adopté. Le « cashback » ne constitue pas un palliatif, compte tenu notamment du montant maximum pouvant être décaissé et des horaires d'ouverture des commerçants.

Cet amendement très limitatif ne permet pas à mon sens de lutter efficacement contre la désertification bancaire et n'envoie pas un bon signal aux territoires. Je l'accueillerais plus favorablement s'il pouvait se conjuguer avec le dispositif prévu pour la création d'un fonds et le maintien des distributeurs automatiques de billets dans les territoires ruraux, financé par les banques. Je ne renonce pas à l'idée de proposer d'ici à la séance publique un amendement prévoyant un mode de financement plus approprié. Peut-être pourrions-nous profiter de l'examen ce texte pour montrer la capacité du Sénat à accompagner les territoires les plus en difficulté. Nous ne pouvons guère proposer uniquement une extension des missions du Fisac, qui est voué à disparaître, je le répète.

M. Jacques Genest . - Cette proposition de loi est intéressante, même si elle n'est peut-être pas parfaite. Pour répondre à la rapporteure, la commune signerait une convention. Les groupes de travail, c'est comme les commissions : plus on en crée, plus on enterre des dossiers. En outre, on le sait très bien, le Fisac est mort-né, et notre amendement ne sera sûrement pas accepté par le Gouvernement.

Vous avez beaucoup parlé de La Poste, mais on ne peut pas tout miser sur cette entité. Pour le moment, elle doit respecter les missions de service public, mais peut-on être sûr que les petits villages ne seront pas un jour abandonnés ? Dans ma petite commune, le distributeur automatique de billets attire du monde, ce qui est positif pour les petits commerces. Je suis donc favorable à ce texte et je le soutiendrai.

M. Yvon Collin . - Cette proposition de loi illustre l'inégalité à laquelle sont confrontés nos concitoyens face aux services publics. Au travers des distributeurs automatiques de billets, les zones blanches sont ici visées. La Poste répond assez bien aux missions de service public qui lui sont confiées, contrairement à l'opérateur Orange. Depuis un an, certains territoires sont privés du réseau cuivre. Cette situation est insoutenable. Je vous invite, mes chers collègues, à soutenir ce texte pour montrer les inégalités insupportables qui existent sur notre territoire.

M. Jérôme Bascher . - On comprend bien l'idée que sous-tend cette proposition de loi. Sur le fond, on ne peut qu'être d'accord : il nous semble normal que tous les citoyens puissent accéder aux espèces sur tout le territoire. Mais que paie-t-on en liquide ? On retire des espèces pour consommer sur place. Encore faut-il qu'il y ait des commerces !

Qui plus est, c'est un texte de transition. Orange est certes sous le coup d'une amende très importante, mais la fibre optique est le projet de demain. Il serait bizarre d'adopter une loi dont la mise en oeuvre serait problématique. Le Fisac risque de mourir, faute d'ailleurs d'avoir été souvent mal utilisé, il faut le dire. J'aurais tendance à prôner d'autres solutions et, donc, je soutiens les propositions de Sylvie Vermeillet.

M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général . - Cette proposition de loi pose une vraie question. Des zones entières, y compris des villes d'une certaine importance, se retrouvent aujourd'hui sans aucun distributeur automatique de billets. Or la réalité, c'est que l'on ne peut pas utiliser la carte bancaire partout.

Ce problème étant posé, les réponses sont multiples. Historiquement, la France a un niveau de bancarisation très élevé, alors que de nombreux pays offrent la possibilité de retrait chez les commerçants. Introduit dans la loi ratifiant l'ordonnance de transposition de la seconde directive concernant les services de paiement dans le marché intérieur (dite « DSP 2 »), le « cashback » permet le retrait d'espèces chez un commerçant, lequel est rémunéré à cet effet. Par ailleurs, dans de nombreux pays, comme les États-Unis, on trouve des distributeurs automatiques de billets dans les commerces, ce qui coûte beaucoup moins cher en termes de maintenance. C'est aussi le coût de recharge du distributeur, avec le transport de fonds, qui est onéreux. C'est donc une piste à creuser, surtout pour les commerces dont l'équilibre est fragile.

Vous le savez, l'administration fiscale cherche à ne plus avoir un centime dans les trésoreries. La Poste répondra sans doute à cette mission, mais le ministre parle aussi des buralistes.

Dans ces conditions, je ne suis pas certain que cette proposition de loi réponde à tous les problèmes. D'ailleurs, comment le fonds prévu sera-t-il alimenté ? Je crains que les dons prévus à l'article 1 er ne soient pas nombreux...

M. Patrice Joly . - Je salue la proposition de loi de notre collègue Éric Gold et je remercie l'analyse de notre rapporteure et les propositions qu'elle a émises. Ce texte évoque une problématique réelle sur nos territoires. L'idée de maintenir, voire de développer, un maillage sur nos territoires pour permettre à nos concitoyens d'accéder aux espèces me semble indispensable. J'ajouterai deux remarques.

Les populations dans nos territoires sont vieillissantes. Même si elles ne sont pas nécessairement réticentes à l'évolution des modalités de paiement, des habitudes se sont créées, et une part importante de la population a besoin d'espèces. De plus, les commerces dans nos territoires développent une activité relativement réduite et sont réservés sur l'utilisation de la carte bancaire au regard du coût que cela représente.

Il s'agit là d'un enjeu lié à l'aménagement du territoire, comme on l'évoque assez régulièrement dans cette institution. Récemment encore, nous avons adopté à l'unanimité la proposition de loi Bourquin-Pointereau. Ce texte s'inscrit aussi parfaitement dans le programme « Action coeur de ville » porté par le Gouvernement.

Certes, la question des ressources reste à affiner ; je ne suis pas sûr que la solution du Fisac soit la plus pertinente puisque la suppression de ce fonds est envisagée. En revanche le financement par les banques me semble justifié, car elles exercent une responsabilité sociale et territoriale, contrepartie de l'accès à une épargne abondante : le rapport entre l'encours de dette et l'épargne est particulièrement faible dans ces territoires. L'obligation de leur demander de mettre la main à la poche est intéressante.

Je terminerai par deux propositions : si un distributeur automatique de billets doit être fermé, il faut envisager un redéploiement dans le même périmètre et éviter la concurrence inutile dans les petites collectivités territoriales. Dans ma commune, j'ai obtenu, après dix ans de négociations, l'implantation d'un distributeur automatique de billets par La Banque postale ; trois mois plus tard, un autre distributeur était installé par le Crédit agricole à quelques dizaines de mètres, le tout dans une zone de chalandise de 2 500 habitants ! C'est inacceptable. Ce texte traite donc d'un sujet bien réel, même s'il n'aura vocation à s'appliquer que dans une période de transition d'une dizaine d'années.

M. Bernard Delcros . - Je souhaite rappeler Jérôme Bascher à la réalité des territoires ruraux : les distributeurs automatiques de billets dans les communes où il n'y a pas de commerces sont moins à craindre que l'absence de distributeurs automatiques de billets dans les communes où il y a des commerces ! Aucun risque de ce côté-là.

M. Jérôme Bascher . - Bien sûr que si !

M. Bernard Delcros . - L'enjeu de ce texte est la présence de services dans les territoires à faible densité de population. Nous savons qu'un jour les espèces ne seront plus utilisées, mais, dans ce domaine comme dans beaucoup d'autres de la révolution numérique, il faut réussir la gestion humaine et sociale des périodes transitoires. Les générations les plus anciennes ont du mal à passer au « tout numérique ».

Si le « cashback » se développe, par qui sera rémunéré le commerçant pour cette prestation ? Par la banque ou le client ?

Cette proposition de loi a tout son sens, même si, comme la rapporteure l'a souligné, il faut la faire évoluer jusqu'à un équilibre satisfaisant. Elle marque le besoin de conforter les services en milieu rural.

M. Thierry Carcenac . - Ce texte répond à un besoin exprimé par ceux qui n'ont pas encore vécu la révolution monétique. J'ai été membre d'une commission départementale de présence postale territoriale. Les activités postales de La Poste relèvent d'une mission de service universel, mais pas ses activités bancaires. La rémunération et le financement du dispositif sont assurés, au départ, par La Poste, mais font ensuite l'objet d'une compensation, par le biais d'un prélèvement sur le Fonds national d'aménagement et de développement du territoire (FNADT), jusqu'à ce qu'une convention soit signée entre l'Association des maires de France (AMF) et La Poste. Implanter de nouveaux distributeurs automatiques de billets est problématique eu égard à cette enveloppe, votée par le Parlement, dont le montant résulte d'une évaluation menée par l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (Arcep). De plus, ces dispositifs sont examinés par la Commission européenne au regard des règles relatives aux aides d'État applicables aux services d'intérêt économique général. Pour les collectivités territoriales, le financement proposé est un manque à gagner puisqu'il est alimenté par un prélèvement sur les impôts locaux non compensé par l'État.

De plus, il existe une solution moins coûteuse que les distributeurs automatiques de billets : les points de retrait, qui sont plus faciles à gérer parce que moins sécurisés et moins approvisionnés. Le besoin, cependant, est incontestable.

M. Jean-Marc Gabouty . - Les mesures proposées dans ce texte revêtent sans doute un caractère provisoire, avec la dématérialisation - quoiqu'il puisse se produire des retours en arrière : on assiste ainsi, dans un autre domaine, à un retour au vrac, dont on redécouvre les vertus face à l'emballage systématique.

Je suis favorable à l'esprit de cette proposition de loi : il faut restaurer de la proximité dans les territoires ruraux où le handicap du déplacement est prégnant, qu'il soit lié à la vitesse de circulation ou au prix du carburant...

Il faut également tenir compte, en plus des activités commerciales, de celles des particuliers dans leurs activités de loisir, associatives ou touristiques. La clientèle étrangère privilégie parfois le liquide ; le chèque n'offre pas toutes les garanties de solvabilité et la carte bancaire ne peut pas toujours être utilisée. Il faut aussi se poser la question du coût de traitement des transactions par carte à un euro... Le chèque a lui aussi un coût de traitement, et certaines banques refusent d'en émettre en dessous d'un certain montant. Les territoires ruraux ont besoin de solutions à court terme, et pas seulement de perspectives à dix ans.

Le financement de ces mesures doit, à mon avis, être assuré par le secteur bancaire et non par des fonds publics. Le système doit financer un service qui lui est bénéfique.

M. Vincent Éblé , président . - Il est de tradition, confirmée par une Conférence des présidents de 2016, qu'une proposition de loi examinée dans le cadre de l'espace réservé d'un groupe ne soit pas modifiée en commission sans l'accord de celui-ci. En l'absence de cet accord, des amendements de commission peuvent être examinés sous la forme d'amendements de séance.

M. Jacques Genest . - À mon tour de vous rassurer, Jérôme Bascher : il n'y a pas de risque qu'une commune signe une convention avec un établissement bancaire sans avoir de commerce sur son territoire. Le bon sens paysan est demeuré dans les communes rurales !

Il convient de prévoir, dans ces conventions, un financement par le système bancaire et par la commune si elle le souhaite. Mais si le financement repose entièrement sur les banques, ce texte n'est pas nécessaire puisqu'elles implanteront les distributeurs là où elles le souhaiteront. Il est déjà possible de retirer de l'argent dans les commerces grâce aux points relais de certains établissements bancaires, avec deux limites : les horaires d'ouverture des commerces et l'importance du dépôt d'argent liquide nécessaire.

M. Jean-Claude Requier . - C'est un texte d'appel, qui attire l'attention sur le manque de distributeurs dans certains territoires. Une commune rurale a besoin de commerces ; ceux-ci ont besoin d'un distributeur automatique de billets ; et, enfin, le distributeur automatique de billets nécessite un espace pour se garer devant. De plus, dans le cadre des festivités, les jeunes retirent beaucoup d'argent liquide, puisque c'est le mode de paiement privilégié. Ce texte rend compte des difficultés du monde rural ; le groupe du RDSE souhaiterait qu'il soit présenté en séance en l'état.

Dernière remarque : en Occitanie, on appelle le distributeur de billets un « tiradou » ! C'est un signe que les populations se sont approprié le service et souhaitent le conserver, au bénéfice de l'économie locale.

Mme Sylvie Vermeillet , rapporteure . - Éric Gold, votre texte prévoit que le fonds dédié au maintien et à la création de distributeurs automatiques de billets sera financé par un fonds alimenté par les banques ainsi que par une contribution de la Caisse des dépôts et consignations. Il y a donc bien un recours à des ressources publiques.

Je partage les observations de plusieurs d'entre vous sur les nécessités liées à l'aménagement du territoire, d'autant que je suis du Jura, un département très rural. Mais il faut que votre dispositif puisse être mis en oeuvre ! Le texte mobilise une fraction de la taxe qui alimente le Fonds de soutien aux collectivités territoriales ayant souscrit des emprunts à risque, financé par les établissements bancaires, mais qui est prévu uniquement pour la résorption des emprunts toxiques. Or le détournement de l'objet d'une taxe ne peut résulter, je le répète, que d'une disposition de loi de finances, aux termes l'article 36 de la LOLF. Je suis tout à fait favorable à un financement par les banques, mais c'est techniquement impossible dans la rédaction retenue.

Un décret fixera, avant la fin de l'année, le montant maximal autorisé du « cashback », qui n'est pas encore connu. Dans ce cadre, une commission serait prélevée par le commerçant.

J'ai pris note de vos doutes à l'égard du Fisac. J'ai proposé cette solution dans l'esprit de l'abondement de ce fonds, voté par notre commission la semaine dernière notamment pour financer l'entretien des 2 000 stations-service de proximité. Je conviens cependant que l'on ne peut pas trop demander à La Poste. Comme Thierry Carcenac. je siège dans une commission départementale de présence postale territoriale... J'y entends les représentants de l'entreprise nous répéter combien le maintien d'une présence postale est difficile et coûteux. L'obligation d'implantation des distributeurs automatiques de billets ajoutera à ces difficultés, et nous n'avons pas intérêt à porter atteinte à la compétitivité de La Poste. Les efforts demandés doivent être soutenables.

Yvon Collin, je suis tout à fait d'accord avec vous : les zones blanches sont inacceptables, et c'est précisément l'objet de mon premier amendement que de permettre la mobilisation du Fisac pour les commerces situés dans ces zones. Ceux-ci subissent une double peine : l'absence d'accès au numérique est aggravée par l'impossibilité d'installer des terminaux numériques pour cartes bleues.

Je rappelle qu'il existe 4 000 points relais chez des commerçants, sur la base de conventions entre ceux-ci et les organismes bancaires. Les points retraits, sur le même principe, seraient en effet une solution économique, comme l'a souligné Thierry Carcenac.

Pour répondre à Patrice Joly, le financement par les banques peut se défendre, mais il n'est techniquement pas possible. En revanche, je partage l'avis selon lequel il faut éviter la concurrence inutile.

La transition que vous avez évoquée sera courte. Les paiements par carte bancaire ont augmenté de 43 % et les paiements sans contact ont été multipliés par cinq entre 2015 et 2017. Ce ne sont pas les campagnes, mais les villes qui ont réduit l'accès aux espèces. Les 17 000 points postaux desservent une population âgée, utilisatrice du livret postal.

Je répète que l'obligation d'implanter un distributeur automatique de billets dans un point de présence postale n'implique pas que ce distributeur automatique de billets appartienne à La Banque postale.

J'en conviens, Jean-Marc Gabouty, les espèces peuvent être nécessaires au tourisme, mais, surtout, il n'est pas acceptable que des commerçants, dans les territoires non couverts numériquement, ne puissent pas installer des terminaux de carte bancaire.

Enfin, je comprends et respecte la position exprimée par Jean-Claude Requier, même si je pensais être parvenue à un accord avec Éric Gold. En l'état je proposerai un rejet du texte, qui pose un problème de forme : je vous renvoie à l'article 36 de la LOLF.

M. Jean-Claude Requier . - Le groupe du RDSE se ralliera à l'avis de l'auteur de la proposition de loi.

M. Éric Gold , auteur de la proposition de loi . - Je souhaite que ce texte d'appel puisse être discuté tel quel en séance publique, pour que soient évoquées les problématiques du clivage entre l'urbain et le rural, les zones couvertes et les zones non couvertes, celles qui sont abandonnées par les services et celles où ils s'y maintiennent. Le groupe du RDSE pourra lui aussi y apporter des amendements.

M. Albéric de Montgolfier , rapporteur général . - Laissons la proposition de loi être discutée en séance publique dans sa formulation initiale, ne nous y opposons pas, nous aurons le débat dans l'hémicycle et la rapporteure aura l'occasion d'exprimer à nouveau sa position.

M. Vincent Éblé , président . - Les propositions formulées par notre rapporteure Sylvie Vermeillet pourront être reprises sous forme d'amendements de séance.

L'amendement COM-1 rectifié est retiré, ainsi que les amendements COM-2 et COM-3 .

La proposition de loi est adoptée sans modification.

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES

Sénat

- M. Éric GOLD, sénateur du Puy-de-Dôme (Groupe du RDSE), auteur de la proposition de loi visant à lutter contre
la désertification bancaire dans les territoires ruraux.

Fédération bancaire française

- M. Benoît de la CHAPELLE-BIZOT, directeur général délégué ;

- M. Nicolas BODILIS-REGUER, directeur du département relations institutionnelles France ;

- Mme Anne BALLERINI, chargée de mission au département numérique, systèmes et moyens de paiement.

Groupe La Poste

- M. Philippe WAHL, président-directeur général ;

- M. Rémy WEBER, président du directoire de La Banque Postale ;

- M. Yannick IMBERT, responsable des territoires ;

- Mme Smara LUNGU, déléguée aux affaires territoriales et institutionnelles.

TABLEAU COMPARATIF


* 1 Hormis l'article 3 qui constitue un gage « tabac » et prévoit de compenser la perte de recettes résultant, pour l'État, de la présente proposition de loi, par la création d'une taxe additionnelle aux droits sur le tabac.

* 2 Voir le texte adopté par le Sénat le 14 juin 2018.

* 3 Selon les données du groupement des cartes bancaires.

* 4 Selon les données communiquées par la fédération bancaire française.

* 5 Voir la stratégie nationale sur les moyens de paiement d'octobre 2015.

* 6 Article D. 112-3 du code monétaire et financier.

* 7 L'article 1680 du code général des impôts dans sa rédaction résultant de l'article 74 de la loi n° 2017-1775 du 28 décembre 2017 de finances rectificative pour 2017 prévoit que le plafond de paiement des impositions de toute nature et des recettes recouvrées par un titre exécutoire mentionné à l'article L. 252 A du livre des procédures fiscales sont payables en espèces, jusqu'à un montant fixé par décret entre 60 euros et 300 euros. En l'absence de la publication du décret, le plafond de 300 euros continue de s'appliquer.

* 8 Selon les données du groupement des cartes bancaires.

* 9 Cour des comptes, « Les politiques publiques en faveur de l'inclusion bancaire et de la prévention du surendettement », communication à la commission des finances du Sénat, juin 2017.

* 10 La loi impose à La Poste de maintenir 17 000 points de contact sur le territoire.

* 11 Rapport de la Cour des comptes précité, page 166.

* 12 En application de l'article L. 523-1 du code monétaire et financier.

* 13 Article 112-14 du code monétaire et financier.

* 14 Selon les informations transmises par la direction générale du Trésor, ce montant devrait s'établir entre 80 euros et 100 euros.

* 15 L'article L. 2251-3 du code général des collectivités territoriales prévoit que « lorsque l'initiative privée est défaillante ou insuffisante pour assurer la création ou le maintien d'un service nécessaire à la satisfaction des besoins de la population en milieu rural ou dans une commune comprenant un ou plusieurs quartiers prioritaires de la politique de la ville, la commune peut [...] accorder des aides, sous réserve de la conclusion avec le bénéficiaire de l'aide d'une convention fixant les obligations de ce dernier ».

* 16 Article 2 de la loi n° 2018-700 du 3 août 2018 ratifiant l'ordonnance n° 2017-1252 du 9 août 2017 portant transposition de la directive 2015/2366 du Parlement européen et du Conseil du 25 novembre 2015 concernant les services de paiement dans le marché intérieur.

* 17 Loi n° 2008-776 du 4 août 2008 de modernisation de l'économie.

* 18 Loi organique n° 2001-692 du 1 août 2001 relative aux lois de finances.

* 19 Voir la réponse du ministère de la cohésion des territoires à la question écrite n° 04924 du sénateur Hervé Maurey, président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, publiée dans le Journal officiel du Sénat du 2 août 2018.

* 20 Loi n° 90-568 du 2 juillet 1990 relative à l'organisation du service public de la poste et à France Télécom.

* 21 Loi n° 2005-516 du 20 mai 2005 relative à la régulation des activités postales.

* 22 Voir le contrat de présence postale territoriale 2017-2019.

* 23 Décision n° 2018-1136 de l'Autorité de régulation des communications électroniques et des postes du 20 septembre 2018 relative à l'évaluation pour l'année 2017 du coût net du maillage complémentaire permettant à La Poste d'assurer sa mission d'aménagement du territoire.

* 24 Voir les règles relatives aux services d'intérêt économique général du 20 décembre 2011.

* 25 Voir la décision du 6 avril 2018 de la Commission européenne.

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