EXPOSÉ GÉNÉRAL

Mesdames, Messieurs,

Depuis 1992, le nombre de candidats aux élections sénatoriales a plus que triplé, pour s'élever à 1 995 lors du renouvellement triennal de septembre 2017.

Historiquement, l'âge d'éligibilité des candidats est plus élevé aux élections sénatoriales qu'aux élections législatives. Sous la III ème République, il fallait avoir 25 ans pour entrer à la Chambre des députés et 40 ans pour accéder au Sénat.

Longtemps fixé à 35 ans, l'âge d'éligibilité des sénateurs sous la V ème République a été abaissé à deux reprises : il est passé à 30 ans en 2003 puis à 24 ans en 2011, contre 18 ans pour les députés.

Ce seuil de 24 ans a été défini pour donner l'opportunité aux sénateurs, représentants des collectivités territoriales, d'exercer un mandat local avant d'entrer au Palais du Luxembourg.

La proposition de loi organique n° 744 (2017-2018) relative à l'élection des sénateurs, présentée par M. André Gattolin et plusieurs de nos collègues, poursuit un objectif unique : réduire de 24 à 18 ans l'âge d'éligibilité des sénateurs. Elle a été inscrite à l'ordre du jour de l'espace réservé au groupe La République en Marche du 21 novembre 2018.

Au terme d'un débat approfondi, votre commission n'a pas adopté cette proposition de loi organique, dans l'attente d'un débat à venir, plus large, sur les réformes institutionnelles et la préservation du bicamérisme différencié.

En conséquence, la discussion portera en séance publique sur le texte initial de la proposition de loi organique.

I. LES SPÉCIFICITÉS DU SÉNAT : UN BICAMÉRISME DIFFÉRENCIÉ MAIS ÉQUILIBRÉ

A. LE SÉNAT, PIERRE ANGULAIRE DE L'ÉQUILIBRE INSTITUTIONNEL

1. Le bicamérisme différencié sous la Vème République
a) Les équilibres de la Constitution du 4 octobre 1958

Conformément à l'article 24 de la Constitution, l'Assemblée nationale et le Sénat remplissent trois missions : voter la loi, contrôler l'action du Gouvernement et évaluer les politiques publiques.

Le Sénat assure également « la représentation des collectivités territoriales de la République » et des Français établis hors de France 1 ( * ) . À titre d'exemple, il dispose d'une priorité d'examen sur les projets de loi ayant pour principal objet l'organisation des collectivités territoriales 2 ( * ) .

Aussi, l'équilibre de la V ème République repose-t-il sur un bicamérisme différencié mais équilibré.

Si la fonction législative appartient concurremment aux députés et aux sénateurs, le Gouvernement peut, dans certains cas, demander à l'Assemblée nationale de statuer définitivement (« dernier mot ») 3 ( * ) .

De même, seuls les députés peuvent mettre en cause la responsabilité du Gouvernement et l'amener à démissionner, notamment par le vote d'une motion de censure. En contrepartie, le Président de la République peut dissoudre l'Assemblée nationale, après consultation du Premier ministre et des présidents des assemblées 4 ( * ) .

b) Le Sénat, un pouvoir « non aligné » assurant notamment la représentation des collectivités territoriales

Les élections sénatoriales présentent quatre particularités , qui font du Sénat une « assemblée de proximité à l'écoute des élus locaux » mais également un « gardien vigilant » de la décentralisation, pour reprendre les mots de notre regretté collègue Jacques Larché 5 ( * ) .

En premier lieu, les sénateurs sont élus au suffrage universel indirect par un collège électoral composé d'environ 162 000 grands électeurs 6 ( * ) ; le vote est obligatoire 7 ( * ) . Sauf pour l'élection des sénateurs représentant les Français établis hors de France, le scrutin se déroule dans une circonscription territoriale (les départements, les collectivités à statut particulier et les collectivités d'outre-mer).

Le Sénat constitue ainsi le « grand Conseil des communes » de France loué par Léon Gambetta devant les électeurs de Belleville en février 1875. Le Conseil constitutionnel rappelle d'ailleurs que « le Sénat doit, dans la mesure où il assure la représentation des collectivités territoriales de la République, être élu par un corps électoral qui est lui-même l'émanation de ces collectivités » 8 ( * ) .

En deuxième lieu, l'âge d'éligibilité des sénateurs est fixé à 24 ans , contre 18 ans pour les députés (voir infra ).

En troisième lieu, les élections sénatoriales combinent deux modes de scrutin :

- un scrutin majoritaire à deux tours, pour les 52 départements ou collectivités qui comptent un seul ou deux sénateurs ;

- un scrutin de liste à la représentation proportionnelle, pour l'élection des sénateurs représentant les Français établis hors de France et les 55 départements ou collectivités qui comptent trois sénateurs ou plus.

En dernier lieu, les membres du Sénat sont élus pour un mandat de six ans (contre cinq ans pour les députés), avec un renouvellement partiel tous les trois ans.

Le Sénat constitue ainsi « le seul pouvoir non aligné, libre et indépendant » de notre République, comme l'a récemment déclaré notre collègue Philippe Bas, président de la commission des lois. En effet, « le mode d'élection des sénateurs, leur enracinement dans nos collectivités sont pour la démocratie une garantie de liberté et de pragmatisme » 9 ( * ) .

2. Le Sénat, une institution en mouvement

Le Sénat est une institution en mouvement, qui a su réformer son mode de scrutin pour renforcer sa représentativité .

Fruits d'initiatives sénatoriales, les lois du 16 juillet 1976 10 ( * ) et du 30 juillet 2003 11 ( * ) ont actualisé la répartition des sièges de sénateurs et réduit les écarts de représentation entre les territoires ruraux et urbains.

Le Sénat a également réformé son fonctionnement et renforcé son efficacité , à partir des préconisations du groupe de réflexion sur ses méthodes de travail, dont les deux rapporteurs étaient nos collègues Alain Richard et Roger Karoutchi, et du groupe de travail sur la gouvernance, dont le rapporteur était notre ancien collègue Jean-Léonce Dupont.

Les principaux apports de la résolution du 13 mai 2015 sur la réforme des méthodes de travail du Sénat

- Mieux organiser l'agenda sénatorial , en articulant les travaux des commissions, des délégations et des groupes parlementaires ;

- Créer un tableau nominatif des activités des sénateurs et prévoir des obligations de présence , sous peine de retenues financières 12 ( * ) ;

- Rationaliser le temps de parole en séance , en limitant à 2 minutes 30 les paroles sur articles, les présentations d'amendements et les explications de vote ;

- Dynamiser les procédures de questionnement et de contrôle , notamment en modernisant les séances de questions au Gouvernement et en communicant à la Conférence des présidents un programme prévisionnel des travaux de contrôle ;

- Constituer les groupes parlementaires sous forme d' associations, pour sécuriser leur gestion et garantir leur transparence financière ;

- Permettre au Bureau de prononcer des sanctions disciplinaires à l'encontre des sénateurs ayant manqué à leurs obligations en matière de conflits d'intérêts.

La résolution du 13 mai 2015 a aussi permis d'expérimenter la procédure d'examen en commission (PEC), pérennisée en décembre 2017 sous la dénomination de « législation en commission » (LEC) .

En application de cette procédure, qui peut désormais porter sous tout ou partie d'un texte, le droit d'amendement des sénateurs et du Gouvernement s'exerce uniquement en commission, sauf exceptions limitativement énumérées par le Règlement du Sénat 13 ( * ) .

Depuis 2015, le Sénat a utilisé cette procédure simplifiée pour quinze textes , dont la liste figure en annexe. Le Gouvernement propose désormais de l'élever au rang constitutionnel 14 ( * ) .

Enfin, le groupe de travail du Sénat sur la révision constitutionnelle, dirigé par le président Gérard Larcher et dont le rapporteur était notre collègue François Pillet, a formulé, en janvier 2018, 40 propositions pour réformer nos institutions 15 ( * ) .

Les principales propositions du groupe de travail du Sénat sur la révision constitutionnelle

Le groupe de travail a préconisé de :

- moderniser l'exécutif , en limitant à vingt le nombre de membres du Gouvernement et en garantissant le respect du principe de parité ;

- préserver l'ancrage territorial des parlementaires , en prévoyant l'élection d'au moins un député et un sénateur par département, par collectivité territoriale à statut particulier et par collectivité d'outre-mer ;

- rénover le travail législatif  au service de la qualité de la loi , grâce à la consécration dans la Constitution d'une nouvelle exigence de nécessité des normes, une information parlementaire renforcée, un meilleur encadrement des ordonnances, une amélioration de la navette parlementaire, un rééquilibrage des prérogatives gouvernementales et une meilleure protection du domaine de la loi ;

- renforcer le contrôle parlementaire de l'action du Gouvernement et de l'évaluation des politiques publiques ;

- moderniser les juridictions et de supprimer la Cour de justice de la République.


* 1 Initialement, l'article 24 de la Constitution du 4 octobre 1958 disposait que « les Français établis hors de France [étaient] représentés au Sénat », excluant leur représentation à l'Assemblée nationale. Il a fallu attendre 2008 pour que les Français de l'étranger élisent des députés (loi constitutionnelle n° 2008-724 du 23 juillet 2008 de modernisation des institutions de la V e République).

* 2 Article 39 de la Constitution.

* 3 Article 45 de la Constitution.

* 4 Articles 12, 20, 49 et 50 de la Constitution.

* 5 Rapport n° 333 (2002-2003) fait au nom de la commission des lois du Sénat sur la proposition de loi organique portant réforme de la durée du mandat et de l'élection des sénateurs ainsi que de la composition du Sénat, p. 12-13. Ce rapport est consultable à l'adresse suivante : www.senat.fr/rap/l02-333/l02-3331.pdf .

* 6 Soit les députés, les sénateurs, les conseillers régionaux, les conseillers départementaux et les délégués des conseils municipaux (article L. 280 du code électoral).

* 7 Conformément à l'article L. 318 du code électoral, « tout membre du collège électoral [des élections sénatoriales] qui, sans cause légitime, n'aura pas pris part au scrutin, sera condamné à une amende de 100 euros ».

* 8 Conseil constitutionnel, 6 juillet 2000, Loi relative à l'élection des sénateurs , décision n° 2000-431 DC du 6 juillet 2000.

* 9 Propos recueillis par Le Figaro , 5 septembre 2018.

* 10 Loi organique n° 76-643 du 16 juillet 1976 modifiant l'article L. O. 274 du code électoral relatif à l'élection des sénateurs dans les départements et loi n° 76-644 du 16 juillet 1976 modifiant le tableau n° 5 annexé à l'article L.O. 276 du code électoral relatif à la répartition des sièges de sénateurs entre les séries.

* 11 Loi organique n° 2003-696 du 30 juillet 2003 portant réforme de la durée du mandat et de l'âge d'éligibilité des sénateurs ainsi que de la composition du Sénat et loi n° 2003-697 du 30 juillet 2003 portant réforme de l'élection des sénateurs.

* 12 Ce dispositif vise à pénaliser les absences répétées d'un sénateur lors des votes solennels et des explications de vote qui les précèdent en séance, des séances de questions d'actualité au Gouvernement et des réunions de commission du mercredi matin avec un ordre du jour législatif.

* 13 Peuvent être présentés en séance publique les amendements tendant à assurer le respect de la Constitution, à opérer une coordination avec une autre disposition du texte en discussion, avec d'autres textes en cours d'examen ou avec les textes en vigueur ou à procéder à la correction d'une erreur matérielle (articles 47 ter à 47 quinquies du Règlement du Sénat).

* 14 Projet de loi constitutionnelle pour une démocratie plus représentative, responsable et efficace, déposé sur le bureau de l'Assemblée nationale le 9 mai 2018.

* 15 « 40 propositions pour une révision de la Constitution utile à la France », janvier 2018. Ce rapport est consultable à l'adresse suivante :

www.senat.fr/les_actus_en_detail/article/-0bc153bee1.html .

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