B. UNE OBLIGATION DE MISE À DISPOSITION DE SALLE COMMUNALE QUI SE HEURTE À DE NOMBREUX ÉCUEILS PRATIQUES ET JURIDIQUES

Les dispositions adoptées par l'Assemblée nationale se heurtent à de nombreux écueils juridiques et pratiques.

En premier lieu, en obligeant les communes à « garantir l'organisation de funérailles républicaines », elles tendent à confier à une personne publique l'organisation de funérailles, alors que cette démarche relève de la sphère privée. En effet, en droit français, les funérailles sont organisées par la personne ayant qualité pour pourvoir aux funérailles. D'ailleurs, la référence dans la proposition de loi aux « familles » ou à la « famille » est donc impropre, puisqu'elle n'a aucun caractère juridique en matière de droit funéraire.

En deuxième lieu, la définition de telles « funérailles républicaines » permettant aux familles de « se recueillir » n'est pas aussi évidente qu'il y paraît. Si l'intention des auteurs de la proposition de loi vise bien l'organisation d'obsèques civiles, le qualificatif « républicaines » n'a pas pour autant une telle portée juridique. Plusieurs représentants des cultes ont ainsi fait remarquer qu'une cérémonie d'obsèques religieuses n'était pas moins « républicaine » qu'une cérémonie civile. De fait, en vertu du principe constitutionnel d'égalité devant la loi, la commune pourrait-elle légitimement refuser la demande d'une famille souhaitant organiser une cérémonie d'obsèques religieuses dans la salle communale, surtout si elle ne faisait pas appel à un officier de l'état civil pour procéder à une cérémonie civile 36 ( * ) ?

Selon une jurisprudence constante 37 ( * ) , le Conseil d'État considère que l'article L. 2144-3 du code général des collectivités territoriales 38 ( * ) permet à une commune d'autoriser, dans le respect du principe de neutralité à l'égard des cultes et du principe d'égalité, l'utilisation d'un local qui lui appartient pour l'exercice d'un culte par une association, dès lors que les conditions financières de cette autorisation excluent toute libéralité. Une commune ne peut donc rejeter une demande d'utilisation d'un tel local au seul motif que cette demande lui est adressée par une association dans le but d'exercer un culte. Il n'est toutefois pas possible qu'une collectivité territoriale mette un local à disposition d'un culte de façon pérenne et exclusive, ce local devenant alors de ce fait un édifice cultuel.

Selon certains opérateurs funéraires entendus par votre rapporteur, certaines cérémonies religieuses ont déjà lieu dans des salles municipales. Ainsi, par parallélisme, si une famille sollicite la mise à disposition d'une salle municipale en vue de l'organisation d'obsèques religieuses, faisant simplement venir le jour de la célébration un ministre du culte, si cette démarche se distingue de celle entreprise par une association cultuelle, rien ne semble actuellement s'opposer à ce que cela soit possible. En tout état de cause, l'absence de définition juridique des « funérailles républicaines » poserait sans nul doute des difficultés d'interprétation sur la nature des cérémonies d'obsèques que la proposition de loi entend viser, cultuelles ou non, et, partant, sur la légitimité de l'exclusion des cérémonies cultuelles.

En troisième lieu, pour mettre en oeuvre cet objectif de garantir à tous des « funérailles républicaines », la proposition de loi tend à imposer aux communes qui disposent d'une salle communale « adaptable » de la mettre à disposition sur demande, à titre gratuit. La proposition de loi ne définit pas les conditions du caractère adaptable de la salle ce qui pourrait poser des difficultés d'interprétation par le juge administratif en cas de contentieux.

De plus, l'absence de mention expresse de la condition de disponibilité de la salle pourrait conduire à interpréter ces dispositions comme accordant une priorité à la demande de réservation d'une salle pour l'organisation de funérailles républicaines 39 ( * ) . Or, comme évoqué ci-dessus, une convention écrite accompagne la mise à disposition de la salle communale. Cela ne manquerait donc pas de soulever des difficultés en cas de signature d'une telle convention pour la mise à disposition de la salle communale en vue d'un autre usage antérieurement à la formulation d'une demande de mise à disposition pour l'organisation de funérailles républicaines.

De façon générale, la proposition de loi ne fait pas mention des cas dans lesquels la mairie pourrait légitimement refuser la demande de mise à disposition gratuite de la salle communale, pour un motif d'intérêt général ou d'organisation du service par exemple 40 ( * ) .

Avec la nouvelle obligation qui résulterait des dispositions adoptées par l'Assemblée nationale, le risque d'augmentation du contentieux sur la qualité de la salle « adaptable » , d'une part, et sur les refus des mairies d'autre part, est réel.

En quatrième lieu, et comme l'ont indiqué à votre rapporteur tant les représentants des opérateurs funéraires que ceux de la direction générale des collectivités locales, les dispositions adoptées par l'Assemblée nationale auraient une incidence marginale sur le coût des obsèques, qui nécessiteraient toujours l'intervention d'opérateurs funéraires habilités à assurer le service public extérieur des pompes funèbres.

Les représentants des opérateurs funéraires interrogés par votre rapporteur ont ainsi estimé, d'une part, que le coût de la location d'une salle représentait une faible part du coût global des obsèques, d'autre part, qu'il était rare de devoir louer une salle car la cérémonie peut avoir lieu au cimetière.

En outre, le dispositif de mise à disposition de salle par les opérateurs funéraires 41 ( * ) dans le cadre de l'organisation d'obsèques civiles prenant la forme d'une prestation facturée, votre rapporteur s'est interrogé sur le risque éventuel de distorsion de concurrence en raison de la gratuité de la mise à disposition de la salle municipale.


* 36 Voir infra .

* 37 Conseil d'État, 19 juillet 2011, commune de Montpellier, n° 313518.

* 38 « Des locaux communaux peuvent être utilisés par les associations ou partis politiques qui en font la demande. Le maire détermine les conditions dans lesquelles ces locaux peuvent être utilisés, compte tenu des nécessités de l'administration des propriétés communales, du fonctionnement des services et du maintien de l'ordre public. Le conseil municipal fixe, en tant que de besoin, la contribution due à raison de cette utilisation. Les locaux communaux peuvent également être mis à la disposition des organisations syndicales, dans les conditions prévues à l'article L. 1311-18. »

* 39 Logiquement réalisée dans le délai légal d'inhumation des 6 jours suivant le décès.

* 40 Étant rappelé comme indiqué supra que tout titre d'occupation du domaine public est accordé à titre précaire et révocable.

* 41 Dans les crématoriums ou directement attenantes aux chambres funéraires.

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