C. LA LUTTE CONTRE LA COMPLEXITÉ DU DROIT : UN COMBAT CONSTANT MAIS DIFFICILE À MENER

Depuis les années 1990, de nombreuses actions ont été menées pour améliorer l'accessibilité du droit et lutter contre sa complexité.

1. L'accessibilité du droit : de nombreuses réussites

Créé en 1999, le site Internet Légifrance a significativement amélioré l'accessibilité de notre droit. Signe de sa réussite, il a été visité près de 199 millions de fois pour la seule année 2017.

Légifrance ne donne toutefois pas accès aux textes les plus anciens. À titre d'exemple, sur les 44 lois mentionnées par le texte soumis à votre commission, huit ne sont pas accessibles en ligne .

Les efforts de codification ont également renforcé la lisibilité du droit, notamment depuis la création de la commission supérieure de codification en 1989.

Si 64 % des textes législatifs et 38 % des textes réglementaires sont aujourd'hui codifiés, ce travail a vocation à se poursuivre. La rédaction d'un code de la fonction publique semble par exemple nécessaire pour clarifier le droit applicable aux agents de l'État, des collectivités territoriales et des établissements hospitaliers.

2. La simplification du droit : des résultats contrastés

L'objectif de simplification du droit est plus difficile à atteindre. Le Conseil d'État regrette notamment « des hésitations et des revirements sur [...] la stratégie [et] des méthodes de simplification et d'amélioration de la qualité du droit insuffisamment rigoureuses ». En outre , « aucun cap n'est précisément défini : plus de dix circulaires ont été publiées sur ces sujets en dix ans » 28 ( * ) .

Ces initiatives ont d'abord pris la forme de lois de simplification -le Parlement en a adopté neuf entre 2003 et 2015 - comprenant des dispositions très diverses .

La loi n° 2012-387 du 22 mars 2012 29 ( * ) compte par exemple 134 articles, relatifs à la cession des fonds de commerce, aux comptes des organisations syndicales, aux opérations de géothermie « de minime importance », à l'utilisation de la langue anglaise dans les manuels aéronautiques, etc .

Ces « lois fourre-tout », pour reprendre l'expression du professeur Nicolas Molfessis, n'ont parfois de simplification que le nom et cachent souvent des textes qui ne sont qu'un pot-pourri de mesures ponctuelles et éparses, sans lien entre elles et sans véritable ambition simplificatrice. Ces lois sont elles-mêmes devenues « une source d'inflation normative » 30 ( * ) ...

Des dispositifs pérennes ont également été mis en place pour lutter contre l'inflation normative. À titre d'exemple, le Conseil national d'évaluation des normes (CNEN) est consulté sur l'impact technique et financier des projets de loi ou de règlement applicables aux collectivités territoriales et à leurs établissements publics. À l'initiative du Sénat 31 ( * ) , le CNEN évalue également l'impact des normes réglementaires déjà en vigueur.

Enfin, les Gouvernements successifs ont lancé plusieurs réflexions pour limiter la production de normes.

Sous l'actuel quinquennat, la circulaire du 26 juillet 2017 fixe le principe du « deux pour un » : la publication de certains décrets doit être compensée « par la suppression ou, en cas d'impossibilité avérée, la simplification d'au moins deux normes existantes ».

Le champ de cette circulaire reste toutefois limité, notamment parce qu'il exclut les décrets pris pour la première application d'une loi ainsi que les arrêtés ministériels. En 18 mois, seuls 32 projets de décret ont été concernés par ce dispositif .

La circulaire du 26 juillet 2017 relative à la maîtrise du flux des textes réglementaires et de leur impact

Comme le souligne la circulaire, « les tentatives opérées jusqu'à présent de maîtrise du flux des textes réglementaires n'ont pas produit des résultats à la hauteur des enjeux ».

Pour chaque ministère, l'adoption d'une nouvelle norme réglementaire est conditionnée à l'abrogation ou, à titre subsidiaire, à la simplification de deux normes existantes .

Chargé de veiller à la mise en oeuvre du dispositif, le secrétariat général du Gouvernement (SGG) saisit le cabinet du Premier ministre en cas de désaccord avec un ministère.

Néanmoins, cette circulaire ne s'applique pas aux décrets « qui sont par nature sans impact sur la charge administrative des acteurs de la société civile » ni aux décrets pris « pour la première application de la loi ou d'une ordonnance » .

Seuls 32 projets de décret ont été concernés depuis juillet 2017 , dont :

- 10 ont été partiellement ou intégralement abrogés et 2 sont en cours d'examen ;

- 20 ont été compensés par l'abrogation ou la simplification de normes existantes.

3. Les actions engagées par le Sénat

Depuis de nombreuses années, le Sénat s'engage pour améliorer la clarté, l'intelligibilité et l'accessibilité du droit .

Sur le plan procédural, le contrôle des irrecevabilités des articles 41 (dispositions non normatives ou de valeur réglementaire) et 45 (« cavaliers législatifs ») de la Constitution a été renforcé, sur proposition de nos collègues Roger Karoutchi et Alain Richard 32 ( * ) .

En outre, la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation a reçu pour mission d'évaluer et de simplifier les normes applicables aux collectivités territoriales 33 ( * ) . En juin 2016, elle a d'ailleurs conclu une charte de partenariat avec le Conseil national d'évaluation des normes (CNEN) afin de « mieux identifier les attentes des collectivités territoriales » en matière de simplification du droit.

Sur le fond, le Sénat a émis plusieurs propositions concrètes pour simplifier le droit applicable aux équipements sportifs 34 ( * ) , au service public d'eau potable 35 ( * ) ainsi qu'à l'urbanisme et à la construction 36 ( * ) .

Enfin, le groupe de travail du Sénat sur la révision constitutionnelle a proposé d' inscrire dans la Constitution le principe selon lequel « la loi et le règlement répondent aux exigences d'accessibilité, de clarté et de nécessité des normes » 37 ( * ) .


* 28 Conseil d'État, « Simplification et qualité du droit », op. cit. , p. 73-74.

* 29 Loi relative à la simplification du droit et à l'allégement des démarches administratives.

* 30 « Combattre l'insécurité juridique ou la lutte du système juridique contre lui-même », op. cit. , p. 395.

* 31 Loi n° 2013-921 du 17 octobre 2013 portant création d'un Conseil national d'évaluation des normes applicables aux collectivités territoriales et à leurs établissements publics.

* 32 « Pour un Sénat plus efficace, plus présent, plus moderne, plus garant de l'équilibre des pouvoirs et de la représentation des territoires », relevé de conclusions du groupe de réflexion sur les méthodes de travail du Sénat, mars 2015.

* 33 Arrêté du Bureau du Sénat du 13 novembre 2014.

* 34 Résolution adoptée par le Sénat le 28 mars 2018, à l'initiative de nos collègues Dominique de Legge, Christian Manable et Michel Savin.

* 35 Proposition de loi adoptée par le Sénat le 26 octobre 2017, à l'initiative de notre collègue Bernard Delcros et de notre ancien collègue René Vandierendonck.

* 36 Proposition de loi adoptée par le Sénat le 2 novembre 2016, à l'initiative de nos collègues François Calvet et Marc Daunis.

* 37 « 40 propositions pour une révision de la Constitution utile à la France », janvier 2018, p. 38.

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