D. UNE EXÉCUTION 2018 QUI ILLUSTRE CERTAINES PARTICULARITÉS DU PILOTAGE DES RÉGIMES DE RETRAITE DES FONCTIONNAIRES DE L'ÉTAT

Dans la présentation qu'en propose le COR, le pilotage financier du régime global de retraite repose, à législation inchangée, sur trois leviers essentiels : la variation de la valeur de la pension moyenne relative au revenu moyen d'activité, la hausse du taux de prélèvement obligatoire, le relèvement de l'âge de départ en retraite.

Si l'application de ces leviers aux régimes des fonctionnaires présente des particularités, elle pose également des problèmes de même nature que pour les autres régimes.

1. Les régimes de retraite de la fonction publique d'État ont mobilisé les leviers disponibles pour assurer les besoins de financement liés au vieillissement de la population

Dans son dernier rapport, le COR présente les contributions respectives de ces trois leviers dans le cadre de trois scenarios de croissance différents.

Projections des besoins de financement liés au vieillissement et des contributions à leur résorption dans trois scenarios de croissance économique

Les deux principaux leviers agissant à législation inchangé seraient le décrochage de la pension moyenne par rapport au revenu d'activité et la hausse de l'âge de départ en retraite.

Quant au décrochage de la valeur relative de la pension moyenne par rapport aux revenus d'activité , il jouerait d'autant plus, en général, que le taux de croissance économique serait fort ce qui suppose de raisonner à partage de la valeur ajoutée entre les salaires et les profits inchangé. Il s'agit d'une hypothèse implicite, dont la cohérence peut être discutée 247 ( * ) .

Le décrochage de la pension moyenne par rapport au revenu d'activité exerce un effet d'équilibrage des comptes de retraite en augmentant le différentiel entre la dynamique des recettes et celle des charges de pension.

En ce qui concerne les régimes de fonctionnaires, l'impact sur les recettes paraît devoir être assez limité, voire peu désiré (voir infra ). Une certaine rigidité des recettes à la croissance semble se constater ces dernières années, rigidité illustrée par l'exécution 2018. Ni l'emploi public, ni la politique salariale de l'État ne paraissent répondre nécessairement au taux de croissance économique.

En revanche, pour les régimes de retraite de la fonction publique, l'impact du décrochage entre les revenus d'activité et les pensions en termes de dynamique des dépenses est fort et paraît être désormais structurel, aux évolutions de la composition catégorielle des personnels publics près.

Ce dernier facteur peut être illustré par l'évolution dans le temps des indices servant à la liquidation des pensions. Ainsi pour les fonctionnaires de l'État, l'indice moyen de liquidation est passé de 498 en 1992 à 612 en 2010. Il est de 649 en 2017.

Une inflexion de la dynamique en volume de la base indiciaire s'est produite au fil du temps, amplifiée par la modération des revalorisations appliquées au point d'indice.

Dans ces conditions, si la valeur des pensions aujourd'hui liquidées est structurellement supérieure à celle des pensions en stock c'est à des facteurs déjà anciens qu'on le doit globalement, l'inertie produite par ces facteurs étant appelée à s'atténuer au fil du temps.

D'ores et déjà, les pensions nouvellement liquidées dans de nombreux compartiments de la fonction publique semblent avoir décroché depuis 2000 par rapport à l'inflation.

Croissance de la pension moyenne nouvellement liquidée par rapport
à l'inflation dans les différents compartiments de la fonction publique

Source : rapport sur les pensions de retraite de la fonction publique 2019

Ces évolutions ouvrent une perspective de réduction continue du poids des retraites des fonctionnaires dans le PIB, plus ou moins forte selon le scenario de croissance économique, malgré la perspective d'un repyramidage des emplois publics.

Évolution du poids des pensions de droit direct du régime
de la fonction publique d'État

(en % du PIB)

Source : service des retraites de l'État

Évolution du poids des pensions de droit dérivé du régime
de la fonction publique d'État

(en % du PIB)

Source : service des retraites de l'État

Ce résultat, obtenu moyennant une indexation des pensions sur l'inflation, repose sur la poursuite d'un décrochage des pensions de retraite de la fonction publique nouvellement liquidées par rapport au salaire moyen.

Il est également tributaire d'une stabilisation du rapport démographique des régimes de fonctionnaires.

Dans cette perspective, le second levier d'équilibrage financier des dépenses de retraites, le relèvement de l'âge de départ en retraite a joué un rôle important ces dernières années.

Entre 2010 et 2017, l'âge conjoncturel de départ à la retraite des fonctionnaires de l'État progresse tous les ans, en lien avec le relèvement de l'âge légal de départ à la retraite.

En 2017, il s'élevait à 61 ans et 5 mois avec une augmentation annuelle moyenne de plus de 3 mois depuis 2010.

La hausse de l'âge conjoncturel entre 2010 et 2017 a été plus importante chez les actifs que chez les sédentaires : pour les actifs elle a été de 2 ans et 1 mois (pour atteindre 58 ans et 9 mois en 2017), contre 1 an et 8 mois chez les sédentaires (pour atteindre 62 ans et 5 mois en 2017, soit davantage que l'âge légal d'ouverture des droits).

Relèvement de l'âge effectif de départ à la retraite depuis 2010

Source : réponse au questionnaire de la rapporteure spéciale

2. L'impact des instruments d'équilibrage des régimes de retraite sur les régimes de la fonction publique, quelques observations
a) Le décrochage de la pension moyenne par rapport aux revenus d'activité, un paradoxe propre aux régimes de fonctionnaires et une interrogation plus générale

Si du point de vue financier l'équilibre des régimes de retraite est d'autant mieux assuré que les recettes croissent davantage que les dépenses, condition à laquelle le décrochage de la pension moyenne par rapport au revenu moyen d'activité contribue par hypothèse, il est probable que l'inélasticité des évolutions salariales dans la fonction publique au rythme de la croissance économique conduise à limiter l'impact du décrochage de la pension par rapport aux salaires d'activité.

Ce constat n'est pas prolongé dans les projections réalisées par le COR, qui ouvrent sur une sensibilité des recettes du CAS « Pensions » à la croissance économique.

Entre un scenario de croissance à 1 % et un scenario de croissance à 1,8 %, l'écart spontané de recettes atteint environ 35 milliards d'euros en 2050.

Recettes du CAS
selon les scenarios de croissance

Source : service des retraites de l'État, calculs du COR

Cette partie des projections du COR semble reposer sur une évolution de l'élasticité des recettes du CAS à la croissance économique par rapport aux observations les plus récentes. On ne peut ainsi la considérer comme tendancielle 248 ( * ) .

En ce qui concerne la fonction publique, la contrainte financière, même contrariée par des dynamiques spontanées des rémunérations publiques, est un déterminant spécifique qui incline à limiter la dynamique des recettes des régimes de fonctionnaires, puisque l'État contribue fortement à ces dernières.

L'augmentation de la contribution employeur suscite autant de dépenses supplémentaires pour le budget général. Cet enchaînement n'équivaut pas à une augmentation des dépenses publiques puisqu'aussi bien cette dernière dépend exclusivement de l'évolution des dépenses de pension à la charge du compte. Seule cette dernière importe en réalité.

Or, sous cet angle, les projections dessinent une tendance baissière qui, loin d'impliquer une augmentation des contributions au compte, ouvre la perspective d'une réduction des dépenses publiques et, logiquement, d'une baisse de la contribution du budget général aux ressources du compte spécial « Pensions ».

Il est vrai que ces équilibres sont tributaires d'un décrochage soutenu des pensions par rapport aux revenus d'activité qui, tout comme dans les autres compartiments du régime de retraite, pose certains problèmes.

Le taux de remplacement assuré par les pensions devrait se replier considérablement à l'avenir.

Taux de remplacement net moyen sur le cycle de vie
pour un non-cadre du secteur privé

Source : rapport annuel du COR, 2019

Pour un agent de la fonction publique de catégorie B, la dynamique serait analogue compte tenu d'un taux de remplacement net de départ inférieur.

Taux de remplacement net moyen sur le cycle de vie
pour un fonctionnaire de catégorie B non sédentaire
(part de primes inchangée) non-cadre du secteur privé

Source : rapport annuel du COR, 2019

À terme, le taux de remplacement net moyen sur le cycle de vie assuré par les régimes de retraite de la fonction est appelé à atteindre un faible niveau et impliquerait une baisse du niveau de vie relatif des retraités d'autant plus prononcé que l'écart entre la croissance économique et l'indexation des pensions serait fort. Dans un tel modèle d'équilibre des comptes de la retraite, l'attractivité des régimes obligatoires de retraite tend à se détériorer par rapport à des alternatives où les créances constituées par les épargnants se trouvent implicitement indexées sur le PIB.

La baisse du taux de couverture du risque viager par les régimes de retraite créera un besoin de revenus complémentaires dont les conditions de réunion n'ont aucune raison d'être équivalentes à celles dont dépendent les pensions versées par les régimes.

La perspective d'une baisse des taux de rendement offerts par ceux-ci au niveau desquels la subvention de la collectivité publique contribue aujourd'hui fortement, posera la question de la distribution entre les différents niveaux de revenu des transferts publics alternatifs qui peuvent bénéficier à certaines formes d'épargne de précaution.

b) Le relèvement de l'âge de liquidation des droits, quelle faisabilité ?

Le levier du report du départ de l'âge de liquidation des pensions est censé assurer une part importante du financement du besoin de financement supplémentaire engendré par le vieillissement démographique, à législation inchangée.

D'ores et déjà, les fonctionnaires partent généralement à la retraite après l'âge légal qui leur est applicable, l'âge effectif de liquidation des pensions ayant significativement augmenté.

Les générations encore en activité devraient continuer à décaler leur départ en raison du durcissement des conditions d'obtention d'une pension à taux plein.

Dans la fonction publique, ce paramètre ne pose pas les mêmes problèmes que dans le secteur privé où le taux d'activité aux abords de l'âge légal de départ en retraite, pour avoir nettement augmenté, demeure très bas. En revanche, il se heurte à des difficultés particulières. Les premières sont liées à l'importance des catégories actives et super-actives dans la fonction publique, catégories de personnels qui sont en diminution après les reclassements opérés dans le passé, mais qui représentent une proportion importante d'effectifs pour lesquels la prolongation de la vie active peut poser de réels problèmes fonctionnels. Les secondes sont relatives à la gestion des ressources humaines relevant de la fonction publique. L'objectif d'augmenter la productivité dans le secteur public semble passer par une réduction du format des effectifs. Dans ce contexte, l'allongement de l'activité des fonctionnaires en place réduit les possibles et se traduit par une rigidification au moins transitoire des emplois publics et des rémunérations.


* 247 On pourrait supposer que le taux d'accumulation du capital est une condition de la croissance qui suppose une déformation plus ou moins forte du partage de la valeur ajoutée ou encore qu'aux horizons de projection utilisés une modification de la fonction de production économisant du travail se produira, toutes supputations qui conduisent à poser la question de la structure de financement de la protection sociale, particulièrement prégnante pour la protection contre le risque viager, dont le financement est essentiellement contributif.

* 248 On ne peut davantage estimer qu'elle est arbitraire tant la soutenabilité d'une rigidité des salaires publics pose problème. Par ailleurs, il existe des facteurs moins économiques qui peuvent modifier la trajectoire tendancielle des recettes du CAS.

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