II. PRINCIPALES OBSERVATIONS DE VOTRE RAPPORTEUR SPÉCIAL

1. Des dépenses d'investissements en progression, quoiqu'inférieures au montant prévu, liées au remplacement d'aéronefs

L'augmentation du budget 2018 découlait d'une forte hausse des dépenses de titre 5 , en AE (440,7 millions d'euros contre 46,6 millions d'euros en 2017) comme en CP (97,8 millions d'euros contre 65,7 millions d'euros en 2017). Cette hausse s'expliquait par la notification en 2018 du marché d'acquisition de 6 Dash 8 Q400 MR en remplacement des Tracker vieillissant, de façon échelonnée entre 2019 et 2024.

L'impact budgétaire du renouvellement de la flotte de la Sécurité civile sur le budget pour 2018

À l'occasion de l'examen du projet de loi de finances pour 2018, votre rapporteur spécial avait constaté que le budget total du programme 161 était en baisse de 3,8 % en AE et de 6,7 % en CP, si l'on neutralisait les conséquences financières de l'acquisition des nouveaux avions Dash 8 au titre du projet de loi de finances pour 2018. Hors titre 2, le programme « Sécurité civile » était stable en AE (+ 0,3 %) et en baisse en CP (- 5 %).

Évolution des autorisations d'engagement et des crédits de paiement
du programme « Sécurité civile » à périmètre courant, avec neutralisation des crédits affectés au renouvellement de la flotte de Tracker

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat (d'après les documents budgétaires)

Les dépenses prévues pour l'acquisition de ces 6 avions multi-rôles, étaient manifestement surdotées. En effet, les crédits votés en loi de finances pour 2018, à hauteur de 404,1 millions d'euros en AE et 61,4 millions d'euros en CP ont été ramenés à 370,37 millions d'euros en AE et 34,36 millions d'euros en CP après l'attribution du marché en janvier 2018 pour un coût nettement plus faible qu'attendu. Cet abaissement des coûts de la commande explique pour l'essentiel la sous-exécution des AE et des CP en 2018.

Le premier avion multi-rôles devrait être livré en juillet 2019 alors que les Tracker Firecat seront retirés progressivement jusqu'en 2022. D'ici là, la diminution du nombre de bombardiers d'eau - 6 avions commandés contre 9 avions retirés - ne devrait pas générer de rupture capacitaire. En effet, le Dash 8 Q400 est un modèle d'avion pouvant assurer davantage de missions que le Tracker, étant plus rapide (450 km/h contre 300 km/h) et doté d'un emport supérieur (10 tonnes contre 3,3 tonnes).

Échéancier prévisionnel des acquisitions d'avions multi-rôles

(en millions d'euros)

2018

2019

2020

2021

2022

2023

2018-2023

Commande

6

6

Livraison

1

2

1

1

1

6

AE

322,08

10,77

5,5

10,76

8,86

12,4

370,37

CP

34,48

64,24

66,28

80,52

61,08

63,77

370,37

Source : Direction générale de la Sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC)

Les autres dépenses d'investissement concernent essentiellement les grands projets informatiques et les projets de modernisation des autres équipements de la Sécurité civile. Ces derniers ont mobilisé davantage de crédits qu'en 2017, notamment du fait du nécessaire remplacement des moteurs des trois avions Beechcraft, non prévu dans le projet de loi de finances pour 2018.

Principaux investissements de la sécurité civile

(en crédits de paiement et en millions d'euros)

Nature

Montant 2017

Part dans le total des investissement réalisés (2017)

Montant 2018

Part dans le total des investissement réalisés (2018)

Achat d'avions

0

0%

34,4

54,4%

Modernisation des avions

3,9

10,8%

6,5

10,3%

Projet SAIP

6,6

18,3%

4,1

6,5%

Projet ANTARES

5,2

14,4%

4,1

6,5%

Véhicules et équipements spécialisés des UIISC 282 ( * )

2,9

8%

2,1

4%

Modernisation des hélicoptères

0,9

2,5%

2,5

3,3%

Équipement du déminage

0,8

2,2%

1,7

2,7%

Source : commission des finances du Sénat (d'après la Cour des comptes)

2. L'arrêt du volet « mobile » pour le projet SAIP en mai 2018

Les dépenses d'investissement autorisées pour 2018 recouvraient notamment la poursuite du déploiement du système d'alerte et d'information des populations (SAIP). 4,1 millions d'euros ont été consommés en 2018 en vue de ce projet, alors que 5,2 millions d'euros étaient prévus en loi de finances.

Votre rapporteur spécial a déjà exprimé à plusieurs reprises ses doutes sur la pertinence des choix stratégiques ayant guidé ce projet de modernisation du système d'alerte, dont 80 % des crédits sont réservés à la rénovation du réseau des sirènes. Plus particulièrement, dans un rapport d'information consacré au SAIP 283 ( * ) , il recommandait notamment l'abandon du volet « mobile » de ce projet.

Le volet « mobile » du SAIP : un choix contestable de recourir
à l'application smartphone

Le ministère de l'intérieur a préféré recourir à une application smartphone plutôt qu'au Cell Broadcast. Pourtant, cette technologie présente plusieurs inconvénients qui conduisent à douter de sa pertinence :

- son activation nécessite un téléchargement de la part de l'utilisateur, ainsi qu'une activation des notifications et de la géolocalisation. Elle doit, par ailleurs, être conservée en tâche de fond sous iOS ;

- elle n'est, par définition, disponible que sur smartphone. Par ailleurs, elle n'est disponible que pour les smartphones fonctionnant sous Android et iOS (ce qui exclut notamment les téléphones de la marque BlackBerry et ceux fonctionnant sous le système d'exploitation de Windows) ;

- elle s'appuie sur des données transmise par internet. Or ce réseau peut être vulnérable en cas de crise (saturation, comme en cas de sur-sollicitation imprévue d'internet après un attentat, endommagement des antennes-relais suite à un phénomène naturel, etc.) ;

- elle entre en concurrence avec d'autres applications poursuivant le même objet, ou celle des médias traditionnels et des réseaux sociaux, également susceptibles de générer des « notifications push » en cas d'alerte. Par ailleurs, elle ne devrait être téléchargée en nombre significatif que par les personnes habitant régulièrement en France, et exclut de fait les personnes en voyage en France, ces dernières n'ayant qu'un faible intérêt à procéder à un téléchargement. Cette lacune revêt une gravité particulière s'agissant des alertes concernant des lieux touristiques fréquentés par des étrangers.

Au contraire, le Cell Broadcast aurait sans doute mérité de plus amples réflexions avant d'être abandonné si promptement. Déjà utilisé dans de nombreux pays, tels que les États-Unis, le Chili, le Japon, ou encore les Pays-Bas, il permet la diffusion rapide d'un message intelligible et facilement identifiable à l'ensemble des téléphones situés dans un espace géographique donné.

Extrait du rapport d'information de M. Jean Pierre Vogel, fait au nom de la commission des finances n° 595 (2016-2017) - 28 juin 2017

Cette recommandation a été suivie par le ministère de l'intérieur qui, après une évaluation d'inspection générale de l'administration , a décidé, en mai 2018, d'abandonner l'application SAIP au profit d'une diffusion des messages d'alerte sur les réseaux sociaux (Twitter, Facebook et Google), et sur les canaux de communication de la RATP, Vinci Autoroutes, Radio France et France Télévisions. Votre rapporteur spécial avait déjà souligné la pertinence d'un recours aux réseaux sociaux dans son rapport . Cependant, il aurait été préférable de conserver, en plus des réseaux sociaux, un moyen d'alerte et d'information des populations par smartphone dont l'État aurait eu la pleine maîtrise, à l'image de la technologie Cell Broadcast.

Le rapport annuel de performance pour 2018 mentionne que le développement de l'application liée au SAIP a coûté 1,4 million d'euros en 2016 et 2017, avant son arrêt en 2018.

3. La création d'un opérateur en appui des SDIS au titre du projet « NexSIS 18-112 »

L'exécution 2018 est marquée par la création d'un unique opérateur pour le programme 161 . Il s'agit de l'Agence du numérique de la Sécurité civile (ANSC), créée par le décret n° 2018-856 du 8 octobre 2018 . Ayant le statut d'établissement public administratif, cette agence est responsable du développement du programme « NexSIS 18-112 » (ex-programme SGA-SGO), lequel consiste en la mise en place d'un système d'information et de commandement unifié des services d'incendie et de secours (SDIS) et de la sécurité civile.

Une subvention d'1,75 million d'euros a été versée à cette agence pour l'année 2018 . En 2019, cette agence mobilisera les crédits jusqu'alors imputés sur la dotation de soutien aux investissements structurants (DSIS) des SDIS, soit 9 millions d'euros, dont 7 issus du programme 161 et 2 en provenance des SDIS.

L'impact de la création de cet opérateur en termes d'emplois est nul pour 2018, mais en 2019 lui sont affectés 12 ETPT, non rémunérés par le programme, mais placés sous son plafond d'emplois autorisés.

Si votre rapporteur spécial soutient ce projet de système unifié qui viendra utilement moderniser les équipements des SDIS, il réitère cependant son observation formulée à l'occasion de l'examen de la loi de finances pour 2018 . 284 ( * ) Il est en effet regrettable que ce projet concentre 70 % des crédits de la DSIS, par ailleurs en nette diminution (10 millions d'euros en 2018 contre 25 millions d'euros en 2017), alors même que les besoins d'investissements des SDIS sont croissants et que leur budget global d'investissement est en diminution.

4. Une activité opérationnelle moindre en raison de la faible intensité de la saison des feux

Le bilan des incendies de forêts est plutôt encourageant en 2018, avec 5 124 hectares de consumés contre 24 500 en 2017. Dans la forêt méditerranéenne, principale zone de départs de feux, 1 034 feux ont parcouru 2 979 hectares en 2018, ce qui représente le record minimal de surfaces brûlées depuis 1973 , année de la création de la base de données « Prométhée » 285 ( * ) . S'il est difficile d'isoler ce qui relève de l'aléa météorologique et ce qui tient à l'efficacité des moyens de prévention, la direction générale de la Sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC) précise tout de même que ces derniers ont permis de limiter l'ampleur du danger d'incendie.

En effet, l'un des deux indicateurs de performance mesurant l'efficacité du dispositif de protection contre les feux de forêts prend en compte cet aléa climatique et traduit un résultat bien meilleur qu'escompté en 2018 286 ( * ) :

Évolution de l'indicateur 1.1 - nombre d'hectares brûlés en fonction
de l'intensité de l'aléa climatique pendant la campagne « saison feux »

Source : commission des finances du Sénat (d'après les documents budgétaires)

Les conséquences de cette « modeste » saison des feux sont visibles au niveau de l'activité opérationnelle de la sécurité civile et des dépenses qui y sont associées . En effet, le montant des dépenses de fonctionnement ou d'intervention affectées aux moyens opérationnels d'attaque des feux est en baisse, ce qui souligne l'importance des dispositifs de prévention tels que le guet aérien armé (GAAr) par exemple. Certes, l'objectif de ces dispositifs dépasse largement l'enjeu financier puisqu'il s'agit davantage de protéger les vies humaines, les habitats et l'écosystème forestier. Votre rapporteur spécial aura l'occasion de développer ces observations dans un prochain rapport à l'issue de sa mission de contrôle sur la lutte contre les feux de forêts.

Ainsi, le coût du MCO des avions est inférieur à la prévision et l'exécution 2017 , ne mobilisant que 35,2 millions d'euros sur les 47,6 millions d'euros prévus. Celui des hélicoptères est cependant en hausse de 5 millions d'euros. Il faut souligner que le déploiement de ces derniers, contrairement aux avions, dépend également de la survenance d'autres sinistres que les feux de forêts, tels que les inondations.

La consommation de produits retardants a aussi été nettement plus faible par rapport à la prévision, 82,5 % des 2,4 millions d'euros de CP ayant été consommés, contre 6,6 millions d'euros en 2017.

Les remboursements des « colonnes de renfort » , réalisés au profit de personnes publiques ou privées dont les moyens ont été mobilisés par le préfet en réponse aux risques naturels, sont stables en apparence, à 5,8 millions d'euros en 2018, contre 5,7 millions d'euros en 2017 . En effet, ces dépenses auraient dû en principe s'approcher de la prévision, de 2,4 millions d'euros , mais ont été affectées par le report de charges issu de la saison opérationnelle de 2017, qui explique la quasi-totalité de l'écart à la prévision.

À cet égard, l'observation de votre rapporteur spécial lors de l'examen du PLF pour 2018 au sujet d'une possible sous-budgétisation du montant alloué aux colonnes de renfort peut être renouvelée. En effet, les dernières exécutions faisaient état de surconsommations et de reports de charges réguliers, d'un montant non négligeable. Or, depuis 2013, la prévision de remboursement oscille entre 2 et 2,5 millions alors que les exécutions des trois dernières années rendent compte d'une consommation moyenne de 5,5 millions d'euros.

Si ces dépenses sont par nature difficilement prévisibles compte tenu de l'intensité variable des risques naturels, votre rapporteur spécial suggère néanmoins d'améliorer la budgétisation de la dotation pour les colonnes de renfort en la rapprochant des derniers montants exécutés, ce qui permettrait sans doute d'éviter de tels reports de charges sur les prochains exercices.


* 282 Unités d'instruction et d'intervention de la sécurité civile.

* 283 « Le système d'alerte et d'information des populations : un dispositif indispensable fragilisé par un manque d'ambition », rapport d'information de M. Jean Pierre Vogel, fait au nom de la commission des finances n° 595 (2016-2017) - 28 juin 2017.

* 284 Rapport spécial n° 108 (2017-2018) de M. Jean Pierre VOGEL, fait au nom de la commission des finances, déposé le 23 novembre 2017.

* 285 Alimentée par les SDIS, l'ONF et les DDTM, cette base recense les données statistiques des incendies de forêts dans la zone de sécurité et de défense Sud, l'Ardèche et la Drôme.

* 286 La prévision pour 2018 se fonde sur une moyenne des 11 dernières années. L'indicateur 1.1 a été présenté pour la première fois dans le projet annuel de performance pour 2016.

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