II. L'OBJET : FACILITER LA GESTION ET LA SORTIE DE L'INDIVISION SUCCESSORALE ET PRÉCISER LE CADRE JURIDIQUE DES CONCESSIONS DES AÉRODROMES D'ÉTAT EN POLYNÉSIE FRANÇAISE

A. UN OBJET INCOMPLET AU REGARD DE LA CENSURE INTERVENUE

L'auteur de la proposition de loi a fait le choix de n'inclure dans son texte que les dispositions relatives à l'indivision successorale et aux aérodromes.

Votre rapporteur regrette que n'aient pas été intégrés deux sujets importants - les crématoriums et le stationnement payant - sur lesquels un accord avait pourtant été trouvé entre les deux assemblées .

Faute de base légale, la crémation des corps ne peut être effectuée en Polynésie française, ce qui oblige les familles qui souhaitent y recourir à entreprendre des voyages onéreux en Nouvelle-Zélande. C'est la raison pour laquelle votre rapporteur avait fait adopter un article ad hoc lors de la discussion de la loi portant diverses dispositions institutionnelles en Polynésie française.

Par ailleurs, le Gouvernement avait souhaité revenir sur la dépénalisation du stationnement payant opérée par la loi MAPTAM du 27 janvier 2014 7 ( * ) qui empiète ainsi sur une compétence locale en matière de réglementation pénale et routière.

Soucieux de permettre une adoption rapide du texte - en particulier des dispositions sur l'indivision successorale, qui sont discutées pour la troisième fois au Parlement en moins d'un an et demi 8 ( * ) - et compte tenu du risque d'irrecevabilité au regard de l'article 45 de la Constitution 9 ( * ) , votre rapporteur a fait le choix de ne pas proposer de réintroduire les dispositions manquantes . Celles-ci méritent toutefois une réponse législative dans un proche avenir.

B. DES MESURES POUR FACILITER LA GESTION ET LA SORTIE DE L'INDIVISION SUCCESSORALE EN POLYNÉSIE FRANÇAISE

La question foncière est particulièrement complexe en Polynésie française où « les nombreuses indivisions réunissent parfois des centaines d'indivisaires à la faveur de successions non liquidées depuis quatre à cinq générations et alimentent l'abondant contentieux des ?affaires de terre? », ainsi que l'a relevé en 2016 le rapport d'information fait au nom de la délégation aux outre-mer 10 ( * ) . Ces situations d'indivision entraînent un gel du foncier et constituent un frein au développement économique et social des territoires polynésiens.

En 2018, lors de la discussion de la proposition de loi déposée par nos collègues députés Olivier Faure et Serge Letchimy 11 ( * ) , des dispositions reprenant les recommandations de ce rapport 12 ( * ) avaient été adoptées à l'initiative du Sénat en première lecture. Celles-ci avaient finalement été retirées du texte en discussion , d'un commun accord entre le Gouvernement et les parlementaires polynésiens, avec la promesse de réexaminer des dispositifs plus aboutis dans le cadre du projet de loi portant diverses dispositions institutionnelles en Polynésie française déposé sur le bureau du Sénat à la même période.

En février 2019, lors de la discussion de ce projet de loi, votre commission a donc souhaité réintroduire des dispositions relatives à l'indivision en Polynésie française pour apporter enfin une solution à un problème connu de longue date. C'est dans ce cadre qu'ont été intégrés, à l'initiative de nos collègues Lana Tetuanui et Thani Mohamed Soilihi, les cinq articles censurés par le Conseil constitutionnel, sur le fondement de l'article 45 de la Constitution, que le texte examiné par votre commission vise à rétablir.

Les articles 1 er à 5 de la proposition de loi, reprenant les rédactions adoptées par le Sénat, ont déjà fait l'objet de commentaires par votre rapporteur à l'occasion de l'examen de la loi censurée 13 ( * ) . Ils ne feront donc l'objet que d'un rappel succinct.

Table de correspondance

Projet de loi n° 293 (2018-2019) portant diverses dispositions institutionnelles en Polynésie française

Proposition de loi n° 666 (2018-2019) relative à la Polynésie française

Article 9

Article 1 er

Article 10

Article 2

Article 11

Article 3

Article 12

Article 4

Article 13

Article 5

• Conditions de l'attribution préférentielle d'un bien au conjoint survivant ou au copropriétaire qui y réside (article 1 er )

Cet article vise à adapter aux spécificités polynésiennes - en particulier l'ancienneté des successions - la condition de résidence exigée du conjoint survivant ou d'un héritier copropriétaire pour bénéficier de l'attribution préférentielle d'une propriété en application du 1° de l'article 831-2 du code civil.

Il tend ainsi à permettre au conjoint survivant ou à l'héritier copropriétaire de demander l'attribution préférentielle du bien, s'il démontre qu'il y a sa résidence « par une possession continue, paisible et publique depuis un délai de dix ans antérieurement à l'introduction de la demande », et non « à l'époque du décès ».

Un tel dispositif est déjà applicable dans les collectivités régies par l'article 73 de la Constitution et dans les collectivités de Saint-Barthélemy, Saint-Martin et Saint-Pierre-et-Miquelon 14 ( * ) .

• Retour à la famille du défunt des biens de famille, en l'absence de descendants de celui-ci (article 2)

Cet article prévoit un dispositif dérogatoire du droit commun permettant le retour à la famille du défunt , lorsqu'il n'a pas de descendants, des biens immobiliers qu'il détenait en indivision avec celle-ci.

Ce dispositif va plus loin que l'article 757-3 du code civil en instituant, en Polynésie française, un droit de retour au bénéfice des frères et soeurs du défunt, ou de leurs descendants, de la totalité des biens « de famille », et non pas seulement de la moitié, dès lors que le défunt les détenait en indivision avec ses collatéraux ou ascendants, et à condition que ses frères et soeurs ou leurs descendants soient eux-mêmes descendants du ou des parents prédécédés à l'origine de la transmission.

• Attribution en nature ou en valeur de sa part à l'héritier omis, sans remise en cause du partage intervenu (article 3)

Cet article vise à empêcher la remise en cause d'un partage judiciaire par un héritier omis : l'héritier omis ne pourrait que « demander de recevoir sa part, soit en nature , soit en valeur , sans annulation du partage ». Cette demande n'est aujourd'hui qu'une simple faculté laissée au demandeur par le deuxième alinéa de l'article 887-1 du code civil.

Un tel dispositif est déjà applicable dans les collectivités régies par l'article 73 de la Constitution et dans les collectivités de Saint-Barthélemy, Saint-Martin et Saint-Pierre-et-Miquelon 15 ( * ) .

• Dispositif dérogatoire temporaire de partage des biens indivis (article 4)

Cet article vise à prévoir, sous certaines garanties, un dispositif dérogatoire et temporaire favorisant les sorties d'indivision , en permettant le partage des biens immobiliers indivis à l'initiative du ou des indivisaires titulaires d'au moins deux tiers en pleine propriété des droits indivis, alors que l'article 815-3 du code civil exige le consentement de tous les indivisaires pour effectuer un tel acte.

Ce dispositif est quasiment identique à celui prévu par la loi du 27 décembre 2018 pour les collectivités régies par l'article 73 de la Constitution et dans les collectivités de Saint-Barthélemy, Saint-Martin et Saint-Pierre-et-Miquelon.

Il aurait vocation à s'appliquer jusqu'au 31 décembre 2028 .

• Expérimentation d'un dispositif dérogatoire de partage par souche (article 5)

Cet article consacre le partage par souche tel qu'opéré par la cour d'appel de Papeete qui accepte que l'un des membres d'une branche de la famille représente toute la branche, en interprétant de manière extensive la notion de représentation de l'article 827 du code civil 16 ( * ) . . Cet article institue une expérimentation jusqu'au 31 décembre 2028 .


* 7 Loi n° 2014?58 du 27 janvier 2014 de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles (MAPTAM).

* 8 Lors de la discussion en première lecture de la loi n° 2018-1244 du 27 décembre 2018 visant à faciliter la sortie de l'indivision successorale et à relancer la politique du logement en outre-mer, puis lors de la discussion de la loi n° 2019-707 du 5 juillet 2019 portant diverses dispositions institutionnelles en Polynésie française.

* 9 L'Assemblée nationale a déclaré irrecevables deux amendements du rapporteur visant à réintroduire les deux articles pour défaut de lien, même indirect, avec le texte.

* 10 « Une sécurisation du lien à la terre respectueuse des identités foncières : 30 propositions au service du développement des territoires », rapport d'information n° 721 (2015-2016) de MM. Thani Mohamed Soilihi, Mathieu Darnaud et Robert Laufoaulu, fait au nom de la Délégation sénatoriale à l'outre-mer, déposé le 23 juin 2016.

* 11 Loi n° 2018-1244 du 27 décembre 2018 visant à faciliter la sortie de l'indivision successorale et à relancer la politique du logement en outre-mer.

* 12 Il s'agissait de dispositions relatives au partage par souche, à l'attribution préférentielle d'un bien et aux conséquences de l'omission d'un héritier lors d'un partage.

* 13 Rapport n° 292 (2018-2019) de M. Mathieu Darnaud, fait au nom de la commission des lois, déposé le 6 février 2019.

* 14 Loi n° 2018-1244 du 27 décembre 2018 visant à faciliter la sortie de l'indivision successorale et à relancer la politique du logement en outre-mer.

* 15 Loi n° 2018-1244 du 27 décembre 2018 visant à faciliter la sortie de l'indivision successorale et à relancer la politique du logement en outre-mer.

* 16 Cette position est contraire à la jurisprudence de la Cour de cassation (Cass. 2 e civ, 13 septembre 2007, 06-15.646).

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