EXAMEN EN COMMISSION

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JEUDI 18 JUILLET 2019

M. Mathieu Darnaud , rapporteur . - La proposition de loi relative à la Polynésie française a été déposée sur le bureau de l'Assemblée nationale le 1 er juillet dernier par notre collègue député Guillaume Vuilletet. Il a souhaité ainsi réagir à la décision de non-conformité partielle du Conseil constitutionnel le 27 juin 2019 sur la loi portant diverses dispositions institutionnelles en Polynésie française.

Le Conseil, saisi de cette loi ordinaire par le Premier ministre en même temps que de la loi organique portant modification du statut d'autonomie de la Polynésie française, a en effet estimé que certaines dispositions ne présentaient pas de lien, même indirect, avec le projet de loi initial ; il a prononcé une censure d'office sur le fondement de l'article 45 de la Constitution.

Le rapporteur de l'Assemblée nationale a voulu rétablir rapidement les articles censurés en déposant cette proposition de loi, ce qui est une initiative louable. Toutefois, je regrette - et ce sentiment est partagé par nos collègues polynésiens - que cela ait été fait de manière quelque peu précipitée et incomplète.

Huit articles ont été censurés comme « cavaliers législatifs » par le Conseil constitutionnel. Seuls six ont été repris dans la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui. Ont été laissées de côté, sans que l'on comprenne pourquoi, les dispositions relatives aux crématoriums et à la dépénalisation du stationnement payant.

Je vous rappelle que, faute de base légale, la crémation des corps ne peut être effectuée en Polynésie française et qu'il s'agissait d'une demande présentée par l'assemblée de la Polynésie française dans son avis sur le projet de loi. Quant à la dépénalisation du stationnement payant opérée par la loi de 2014 de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles, dite loi Maptam, elle empiète sur une compétence locale en matière de réglementation pénale et routière. Ces deux sujets méritaient donc d'être repris.

Toutefois, soucieux de permettre une adoption et une entrée en vigueur rapides du texte, en particulier pour les dispositions sur l'indivision successorale - elles sont attendues de longue date ! -, je vous proposerai une adoption conforme.

Le texte qui nous est soumis comprend cinq articles facilitant la gestion et la sortie de l'indivision foncière ainsi qu'un article précisant le cadre des concessions des aérodromes d'État ; nous avons déjà eu l'occasion de les examiner à l'occasion du texte censuré par le Conseil constitutionnel. Les dispositions relatives aux indivisions successorales s'inspirent, pour l'essentiel, des recommandations du rapport d'information de 2016 de la délégation aux outre-mer sur la sécurisation des titres fonciers dans les outre-mer.

L'article 1 er vise à adapter aux spécificités polynésiennes, en particulier l'ancienneté des successions, la condition de résidence exigée du conjoint survivant ou d'un héritier copropriétaire pour bénéficier de l'attribution préférentielle d'une propriété, en application de l'article 831-2 du code civil.

L'article 2 prévoit un dispositif dérogatoire au droit commun permettant le retour à la famille du défunt sans descendants de la totalité des biens immobiliers qu'il détenait en indivision avec celle-ci.

L'article 3 vise à empêcher la remise en cause d'un partage judiciaire par un héritier omis.

L'article 4 prévoit, sous certaines garanties, un dispositif dérogatoire et temporaire, jusqu'au 31 décembre 2028, favorisant les sorties d'indivision.

L'article 5 institue une expérimentation, jusqu'au 31 décembre 2028, du partage par souche tel qu'il est opéré par la cour d'appel de Papeete, qui accepte que l'un des membres d'une branche de la famille représente toute la branche, en interprétant de manière extensive la notion de représentation de l'article 827 du code civil.

Enfin, l'article 6 précise le cadre juridique dans lequel l'État peut concéder l'exploitation d'un aérodrome qui relève de sa compétence en Polynésie française.

Ces articles avaient tous été introduits par le Sénat, en commission ou en séance, dans la loi portant diverses dispositions institutionnelles en Polynésie française. Ils reprennent à l'identique les rédactions issues du texte élaboré le 7 mai 2019 par la commission mixte paritaire et approuvé par nos deux chambres. La seule modification apportée par l'Assemblée nationale a été de simplifier le titre initial : la proposition de loi visant à faciliter la gestion et la sortie de l'indivision successorale et l'exploitation d'un aérodrome en Polynésie française est devenue « proposition de loi relative à la Polynésie française ».

Il me semble que nous devons être cohérents avec nos précédents travaux, tout en permettant une entrée en vigueur rapide des articles en discussion. C'est pourquoi je vous propose d'adopter la proposition de loi sans modification, même si elle est malheureusement incomplète.

M. Philippe Bas , président . - Mais elle est certainement fort bien écrite, puisque ni le rapporteur ni aucun collègue n'ont jugé utile de déposer des amendements...

M. Jean-Pierre Sueur . - Ce texte est le révélateur du zèle avec lequel le Conseil constitutionnel applique l'article 45 de la Constitution, et nous sommes les victimes de ce phénomène. J'ajoute que notre assemblée contribue elle-même à accentuer ce problème, puisque de plus en plus d'amendements sont jugés irrecevables au moment même de l'examen des textes. Ainsi, le nombre d'amendements jugés irrecevables sur le projet de loi relatif à l'énergie et au climat qui est en débat cette semaine au Sénat est considérable. J'avais moi-même déposé des amendements relatifs aux éoliennes ; ils ont été déclarés irrecevables, ce qui est un comble pour un texte consacré à l'énergie et au climat... Le Sénat devrait vraiment se saisir de la question de l'application de l'article 45 de la Constitution.

Sur le fond, comme le rapporteur, je ne comprends pas bien pourquoi cette proposition de loi ne reprend pas tous les articles censurés, y compris ceux sur le stationnement payant et sur les crématoriums. Sincèrement, je suis tenté de déposer des amendements pour reprendre ces dispositions, ne serait-ce que pour manifester mon étonnement !

M. Mathieu Darnaud , rapporteur . - Il semblerait que la non-reprise de ces dispositions dans le texte résulte d'un défaut de coordination avec le ministère de la justice. Nos collègues polynésiens ne souhaitent pas que l'adoption de ce texte soit retardée. En effet, ces dispositions sont attendues de longue date. La rapidité et l'efficacité priment l'exhaustivité !

M. Jean-Pierre Sueur . - J'insiste sur le caractère ubuesque de la situation. Si nous réintroduisons un jour ces dispositions par voie d'amendement, elles risquent d'être de nouveau censurées par le Conseil constitutionnel au motif qu'elles n'auraient pas de lien avec le texte en discussion. Et si nous déposons une proposition de loi spécifique, son inscription à l'ordre du jour du Sénat, et encore plus à celui de l'Assemblée nationale, est aléatoire... Cet exemple nous montre bien les grandes difficultés auxquelles se heurte aujourd'hui l'initiative parlementaire.

M. Philippe Bas , président . - Nous connaissons en effet très bien cette situation et je ne peux que partager les propos de Jean-Pierre Sueur. Les restrictions semblent s'ajouter les unes aux autres et constituent finalement une forme d'impasse parlementaire, alors même que notre régime démocratique a besoin de respiration. Je regrette d'ailleurs que le débat constitutionnel ait été reculé sous un prétexte fallacieux, puisque le Sénat a répété à de nombreuses reprises sa disponibilité pour discuter de ces sujets. Une assemblée ne peut s'opposer à une réforme qu'après en avoir débattu et avoir voté ! On ne peut pas dire avant cette étape qu'elle s'y oppose... Comme le disait justement Leonid Brejnev depuis Tbilissi au moment d'engager la conférence sur la sécurité et la coopération en Europe : « À un moment, il faut goûter le vin pour voir s'il est bon ! »

La proposition de loi est adoptée sans modification.

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