EXAMEN DE L'ARTICLE UNIQUE

Article unique
(art. 431-1 du code pénal)
Élargissement de la répression du délit d'entrave

1. Le droit en vigueur

L'article 431-1 du code pénal tend à protéger l'exercice des libertés fondamentales, ainsi que le bon fonctionnement des assemblées élues.

a) La protection des libertés fondamentales

L'article 431-1 punit le fait d'entraver l'exercice de la liberté d'expression, du travail, d'association, de réunion et de manifestation. Depuis la loi n° 2016-925 du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l'architecture et au patrimoine, il vise de plus explicitement la liberté de la création artistique, ainsi que la liberté de diffusion de la création artistique, dont on peut penser qu'elles étaient auparavant couvertes par la référence à la liberté d'expression.

La sanction encourue varie en fonction des moyens utilisés :

- si l'entrave a été réalisée à l'aide de menaces , la sanction encourue est d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende ;

- si elle a été réalisée à l'aide de coups , violences , voies de fait , destructions ou dégradations , alors la sanction est portée à trois ans d'emprisonnement et à 45 000 euros d'amende.

Dans tous les cas, l'entrave ne peut être punie que si elle résulte d'une action concertée , et non de celle d'un individu unique.

b) Le bon déroulement des débats des assemblées élues

Depuis la loi n° 2011-267 du 14 mars 2011 d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure, l'article 431-1 punit également le fait d'entraver le déroulement des débats d'une assemblée parlementaire ou d'une collectivité territoriale.

Le code pénal punit d'un an d'emprisonnement et de 15 000 euros d'amende ce délit d'entrave, sans exiger le recours à une action concertée. L'action d'un individu isolé peut donc être sanctionnée.

En cas de coups, violences, voies de fait, destructions ou dégradations, la sanction est portée à trois ans d'emprisonnement et à 45 000 euros d'amende.

c) L'apport de la jurisprudence

L'examen de la jurisprudence montre que c'est surtout dans le domaine de la protection de la liberté du travail qu'il a été fait application de cet article. Les mouvements de grève s'accompagnent parfois d'opérations de blocage d'usine qui font obstacle au droit des non-grévistes de continuer à travailler, ce qui peut donner lieu à des actions contentieuses.

La jurisprudence a notamment permis de préciser la notion de menace, que la chambre criminelle de la Cour de cassation a définie, dès 1937, comme tout acte d'intimidation qui inspire la crainte d'un mal 5 ( * ) . Les menaces prennent le plus souvent la forme de propos mais peuvent aussi consister en une entrave physique à la liberté du travail. Ainsi, le fait d'organiser un barrage à la porte d'une usine, afin d'y contrôler les cartes des adhérents d'une organisation syndicale et de s'opposer au passage des ouvriers qui n'en sont pas membres, a été jugé constitutif d'une menace au sens du code pénal 6 ( * ) .

La jurisprudence fournit aussi des exemples de voies de fait : le délit a été jugé constitué lorsque des grévistes se sont placés devant un train, sur la voie, pour empêcher son départ, dans la mesure où cette action avait été menée dans le but d'inciter les conducteurs à se joindre à la grève 7 ( * ) .

Quelques affaires mettent en cause la liberté d'expression : le fait de s'opposer, par des violences, menaces et jets d'oeufs, menés de concert par un groupe d'étudiants, à la tenue d'une conférence par un homme politique, constitue ainsi le délit d'entrave à la liberté d'expression 8 ( * ) .

La jurisprudence a également introduit une distinction entre l'entrave, qui est punissable, et le simple trouble , qui ne l'est pas. Le fait de troubler pendant quelques instants, par des cris et la distribution de tracts, la tenue d'une réunion d'un conseil municipal ne saurait constituer le délit d'entrave au déroulement des débats d'un organe délibérant d'une collectivité territoriale 9 ( * ) .

2. Le dispositif de la proposition de loi

Le de l'article unique de la proposition de loi tend à modifier le premier alinéa de l'article 431-1 du code pénal, afin que la référence aux « menaces » soit remplacée par une référence à une entrave pouvant être réalisée « par tous moyens ».

L'intention des auteurs de la proposition de loi paraît claire : craignant que la référence aux menaces, coups, violences, voies de fait, destructions ou dégradations ne permette pas de sanctionner certaines entraves qui emploieraient d'autres modalités, ils proposent de retenir une formulation plus générale, susceptible de s'appliquer à tous les modes d'action.

Il est ensuite proposé de compléter ce même premier alinéa de l'article 431-1 afin de sanctionner le fait d'empêcher la tenue de tout événement ou l'exercice de toute activité autorisé par la loi .

L'objectif poursuivi est à nouveau d'élargir le champ d'application du délit d'entrave afin de pouvoir sanctionner, par exemple, une entrave à la pratique de la chasse ou un obstacle mis à l'organisation d'une manifestation taurine.

Par coordination, le de l'article unique propose, au dernier alinéa de l'article 431-1, de ne plus mentionner les seules « libertés » visées aux alinéas précédents, mais de faire référence « aux droits et libertés ». L'ajout d'une référence aux « droits » paraît justifié par la référence, au premier alinéa, aux événements et activités autorisés par la loi. Cette autorisation confère aux citoyens un droit qui peut être distingué des libertés qui requièrent surtout une abstention de l'État pour pouvoir s'exercer.

3. La position de votre commission

Votre commission partage les préoccupations des auteurs de la proposition de loi : incontestablement, des formes nouvelles d'entraves ont émergé ces dernières années, du fait notamment du développement de la mouvance végan ou antispéciste qui comporte, en son sein, des éléments extrémistes, heureusement minoritaires, auteurs d'intimidations, de dégradations ou de violences inacceptables.

Si les convictions des végans et des défenseurs des animaux sont parfaitement respectables et doivent pouvoir s'exprimer pacifiquement, dans le respect des lois de la République, la volonté d'imposer ces convictions, ou d'empêcher certaines activités par la force ou la menace doit être sanctionnée avec fermeté.

Votre commission n'est toutefois pas certaine que les modifications proposées par la proposition de loi soient véritablement nécessaires pour sanctionner de manière appropriée ces actes délictueux. Les représentants du ministère de la justice comme du ministère de l'intérieur, entendus par votre rapporteur, ont clairement indiqué que le droit en vigueur fournissait une base juridique suffisante.

Ainsi, les attaques contre les boucheries ou les abattoirs, pour prendre ce premier exemple, peuvent déjà être poursuivies sur le fondement de l'article 431-1 du code pénal, puisque cet article vise la liberté du travail. De plus, des procédures ont été diligentées sous d'autres qualifications : violation de domicile 10 ( * ) (en cas d'introduction sur le site d'un abattoir), incendie criminel, dégradation de biens privés en réunion. D'autres qualifications pourraient être invoquées : menaces, provocation à un crime ou à un délit, participation à un groupement en vue de la préparation de destruction ou dégradation de biens, voire association de malfaiteurs dans les cas les plus graves.

En ce qui concerne les entraves à la chasse, elles ne peuvent certes être poursuivies sur le fondement de l'article 431-1, mais peuvent donner lieu à une amende, comme cela a été exposé précédemment. En fonction des circonstances, les actions menées à l'encontre de l'exercice du droit de chasse peuvent également être constitutives de violences volontaires, menaces ou destructions et dégradations de biens.

Dans ce contexte, les modifications proposées, qui visent à prévoir de nouvelles qualifications pénales dont le champ d'application serait très étendu, ne paraissent pas s'imposer.

Elles pourraient même fragiliser l'article 431-1, leur formulation très générale risquant d'être jugée incompatible avec le principe constitutionnel de légalité des délits et des peines .

Ce principe impose que les éléments constitutifs de l'infraction soient définis en des termes clairs et précis. Il est à craindre que la référence à une entrave effectuée par « tous moyens » ou que la mention de « tout événement » ou de « toute activité autorisé par la loi » ne soient jugées trop vagues et exposent, de ce fait, le texte à une déclaration d'inconstitutionnalité.

En 2012, la chambre criminelle de la Cour de cassation a examiné une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) portant sur le délit d'entrave à la liberté d'expression. Elle a jugé qu'il n'y avait pas lieu de renvoyer la question au Conseil constitutionnel, considérant que les termes de violences et de voies de fait, qui constituent l'un des éléments constitutifs de l'infraction, étaient suffisamment clairs et précis pour ne pas méconnaître le principe de légalité des délits et des peines. A contrario , on peut donc craindre que la suppression de la référence aux menaces, pour la remplacer par une formule plus vague, ne fasse peser un risque d'inconstitutionnalité sur la définition de l'infraction.

Enfin, l'article 431-1 vise à préserver des libertés fondamentales, ainsi que le bon fonctionnement de la démocratie, et il changerait donc de nature s'il visait désormais tout événement ou toute activité. Cette extension pourrait altérer l'équilibre obtenu jusqu'ici dans la conciliation entre les différentes libertés, peut-être au détriment de la liberté d'expression. Si les organisateurs d'un événement décident de l'annuler face à des protestations exprimées de manière tout-à-fait pacifique, pourrait-on sanctionner les protestataires au motif qu'ils auraient empêché la tenue de l'événement, alors qu'ils auraient seulement fait usage de leur liberté d'expression ?

Tenant compte de ces observations, la commission a d'abord adopté un amendement COM-2 de son rapporteur, qui tend à préciser que l'entrave peut prendre la forme, outre les menaces, coups, violences, voies de fait, destructions ou dégradations déjà mentionnés dans le code pénal, d'actes d'obstruction ou d'intrusion. Cette précision devrait permettre de sanctionner l'ensemble des entraves constatées, quelle qu'en soit la forme, sans menacer la liberté d'expression.

Cette précision n'a cependant pas été suffisante pour lever toutes les réserves suscitées par la proposition de loi au sein de la commission.

Ainsi, le champ d'application du texte, qui couvre tous les événements et activités autorisés par la loi, a fait l'objet de critiques en raison de son caractère très étendu et partant assez imprécis. La crainte a été exprimée que le texte, ainsi formulé, puisse être utilisé pour réprimer l'expression ou la manifestation pacifique d'une position politique. Votre rapporteur a souligné que l'article 5 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, qui a valeur constitutionnelle, proclame que « tout ce qui n'est pas défendu par la Loi ne peut être empêché », mais cet argument n'a pas emporté l'adhésion d'une majorité des membres de la commission.

Compte tenu du nombre de dispositions législatives ou réglementaires qui permettent, d'ores-et-déjà, de poursuivre les entraves, mais aussi les menaces, les violences ou les dégradations, la nécessité d'adopter un nouveau texte a également été contestée. Le rapporteur a fait valoir que certaines entraves physiques non accompagnées de violences ni de menaces pouvaient être difficiles à qualifier pénalement, sans parvenir toutefois à dissiper les doutes qui s'étaient exprimés.

Pour l'ensemble de ces raisons, votre commission n'a pas adopté l'article unique de la proposition de loi.

En conséquence, et en application du premier alinéa de l'article 42 de la Constitution , la discussion portera en séance sur le texte initial de la proposition de loi.


* 5 Cass. Crim., 11 juin 1937.

* 6 Cass. Crim, 10 mars 1939.

* 7 Cass. Crim, 21 novembre 1951.

* 8 Cass. Crim., 22 juin 1999.

* 9 Cass. Crim., 11 juin 2013.

* 10 Selon la jurisprudence, un local industriel ou commercial doit être assimilé au domicile, l'accès pouvant en être réglementé et subordonné à l'autorisation du propriétaire ou de l'exploitant.

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