EXAMEN DES ARTICLES

CHAPITRE IER
DE L'ORDONNANCE DE PROTECTION
ET DE LA MÉDIATION FAMILIALE

L'intitulé de ce chapitre a été modifié, à l'initiative de votre rapporteur, par l'adoption d'un amendement COM-34 , dans la mesure où ce chapitre contient non seulement des mesures relatives à l'ordonnance de protection mais aussi un article qui concerne la médiation familiale.

Article 1er
(art. 515-10 du code civil)
Conditions préalables requises pour la sollicitation d'une ordonnance
de protection et modalités de déroulement de l'audience devant le juge

L'article 1 er de la proposition de loi tend à exclure expressément l'exigence d'une plainte préalable pour la délivrance d'une ordonnance de protection et à revoir les modalités de l'audience devant le juge.

1. Faire obstacle à l'exigence d'une plainte pénale préalable comme condition de délivrance d'une ordonnance de protection

Le juge aux affaires familiales peut délivrer une ordonnance de protection compte tenu de la vraisemblance 30 ( * ) des faits de violence allégués et du danger auquel la victime ou un ou plusieurs enfants sont exposés 31 ( * ) .

L'ordonnance de protection est donc une possibilité offerte à la personne qui se déclare victime de violences conjugales, indépendamment de la plainte pénale, qui n'est nullement exigée par la loi 32 ( * ) , comme le rappellent la circulaire de la garde des Sceaux du 9 mai 2019 33 ( * ) ainsi que le guide de la Chancellerie publié en juillet 2019 sur l'ordonnance de protection 34 ( * ) .

Les statistiques du ministère de la justice 35 ( * ) font pourtant état d'une plainte pénale accompagnant la demande d'ordonnance de protection dans 74 % des cas.

Or, si la plainte peut venir à l'appui de la demande d'ordonnance de protection, il ne s'agit en aucun cas d'une condition nécessaire à la recevabilité ou au bien-fondé de la demande . Il semble pourtant, d'après les représentants des avocats et des associations de victimes entendus par votre rapporteur, tout comme d'après la doctrine autorisée, que certaines juridictions font, en pratique, du dépôt de plainte une condition de recevabilité de la demande d'ordonnance de protection .

D'après les informations portées à la connaissance de votre rapporteur par les services de la Chancellerie, seules 15 % des demandes acceptées l'ont été en l'absence d'une plainte ou d'une main courante.

Ces pratiques reflètent sans doute les difficultés d'administration de la preuve en matière d'ordonnance de protection , la victime devant apporter un faisceau d'indices établissant de manière sérieuse le caractère vraisemblable des violences et du danger, le défendeur devant quant à lui prouver la réalité des faits s'il la conteste. Le juge recherche donc des éléments matériels susceptibles d'étayer son jugement . Il peut s'agir d'un dépôt de plainte, d'une main courante, mais aussi d'un certificat médical du médecin généraliste ou d'une unité médico-judiciaire, d'attestations ou encore de témoignages. L'insuffisance des éléments de preuve versés au dossier constitue en effet un motif récurrent de refus de la demande d'ordonnance de protection.

Toutefois, si le juge est libre d'apprécier le bien-fondé de la demande , il n'est pas acceptable que des conditions supra legem soient imposées, qui méconnaissent l'esprit de la loi et portent ainsi atteinte au principe d'égalité entre les victimes.

En toute rigueur, votre rapporteur pourrait être réservée sur l'exclusion formelle de la plainte pénale comme condition de délivrance d'une ordonnance de protection, puisqu'il s'agit du droit positif. Toutefois, compte tenu des pratiques hétérogènes des juridictions et de l'obstacle que cela constitue pour les victimes, elle a choisi d'approuver cette précision.

Elle propose toutefois d' exclure toute plainte pénale préalable et non pas seulement le dépôt de plainte simple visé à l'article 15-3 du code de procédure pénale. Le code de procédure pénale comprend en effet trois types de plaintes : la plainte mentionnée à l'article 15-3 déposée auprès d'un officier ou d'un agent de police judiciaire, la plainte prévue à l'article 40 auprès du procureur de la République ; et la plainte avec constitution de partie civile auprès du juge d'instruction mentionnée à l'article 85.

Or, en précisant que la délivrance d'une ordonnance de protection n'est pas conditionnée au dépôt d'une plainte prévue par l'article 15-3 du code de procédure pénale, il pourrait être sous-entendu qu' a contrario une plainte auprès du procureur de la République ou une plainte avec constitution de partie civile sont nécessaires pour obtenir une ordonnance de protection.

Il importe donc de ne pas risquer d'interprétation a contrario qui viendrait restreindre le champ d'application de l'ordonnance de protection .

Sur proposition de son rapporteur, votre commission a adopté un amendement COM-35 en ce sens.

2. Renforcer le rôle du ministère public comme partie à la procédure

L'article 1 er tend, en deuxième lieu, à préciser que le ministère public intervient « à fin d'avis » et non plus à fin de réquisition, comme le prévoyait le texte initial de la proposition de loi. Cette précision résulte d'un amendement de notre collègue député Aurélien Pradié, rapporteur, adopté en commission.

Les textes en vigueur confient en effet un rôle particulier au parquet en matière d'ordonnance de protection , puisqu'il est présent à tous les stades de l'instance civile .

L'article 515-10 du code civil dispose en effet que le juge aux affaires familiales « convoque », outre les parties demanderesse et défenderesse, le ministère public, qui n'est toutefois présent que dans 10 % des cas 36 ( * ) . S'il n'est pas à l'initiative de la procédure 37 ( * ) , le procureur de la République reçoit donc notification de la demande d'ordonnance de protection et est convoqué à l'audience. Partie jointe à la procédure, il peut émettre un avis écrit 38 ( * ) .

Il est alors essentiel qu'il transmette au juge aux affaires familiales tout élément pertinent dont il dispose afin d'éclairer le juge sur les antécédents pénaux du défendeur. Il peut ainsi mentionner les éventuelles condamnations, mesures alternatives ou poursuites en cours pour des faits similaires, ou si le défendeur fait l'objet d'un contrôle ou d'un suivi judiciaire. Le parquet peut également développer son avis à l'audience.

D'après la doctrine autorisée et certaines personnes entendues par votre rapporteur, le parquet se contente parfois de donner un avis qui n'est pas toujours étayé ou qui indique seulement que la procédure pénale est en cours. Il ne rend d'ailleurs de conclusions que dans 57 % des cas 39 ( * ) , sans nul doute faute de temps et en raison d'une charge de travail toujours plus grande.

Enfin, le parquet est informé des suites données à toutes les demandes d'ordonnance de protection puisque :

- la décision prise par le juge aux affaires familiales lui est notifiée pour information par remise avec émargement ou envoi contre récépissé (article 1136-9 du code de procédure civile) ;

- il doit procéder à l'inscription au fichier des personnes recherchées des personnes faisant l'objet d'une interdiction de contact ou de détention et de port d'armes (article 230-19 du code de procédure pénale) ;

- le juge aux affaires familiales effectue auprès de lui un signalement sans délai de toute ordonnance de protection délivrée en raison de violences susceptibles de mettre en danger un ou plusieurs enfants, afin de permettre, le cas échéant, la saisine du juge des enfants (article 515-11 du code civil).

Ainsi, en l'état actuel des textes, le procureur de la République a déjà communication de toutes les demandes et décisions d'ordonnance de protection et peut délivrer un avis .

Préciser que le ministère public est convoqué « à fin d'avis » n'emporte en réalité pas de conséquence sur l'état du droit positif mais pourrait permettre de clarifier le rôle du parquet . Son implication peut en effet lui permettre d'engager des poursuites contre l'auteur des faits de violence allégués et d'assurer ainsi la coordination, par une information réciproque, entre la chaîne pénale et la chaîne civile .

3. Revoir les modalités de l'audience du juge aux affaires familiales

À l'initiative de notre collègue député Stéphane Peu, l'Assemblée nationale a décidé que les auditions devant le juge aux affaires familiales auraient lieu séparément, à la demande de la partie demanderesse , et qu'elles se tiendraient en chambre du conseil, transformant de ce fait en obligations ce qui ne sont aujourd'hui que des facultés offertes au juge. Le premier ajout a été adopté contre l'avis du Gouvernement et avec l'avis de sagesse du rapporteur en séance publique. Le second, adopté en commission avec l'avis favorable du rapporteur, n'a pas suscité de difficulté en séance publique.

S'agissant de la tenue séparée des auditions de chacune des parties, dans sa rédaction en vigueur, l'article 515-10 du code civil donne déjà au juge la faculté de convoquer les parties à des auditions séparées.

Cela répond au souci de protéger la victime en évitant qu'elle soit confrontée directement à l'auteur des violences.

La question de systématiser cette comparution séparée s'était déjà posée lors de l'examen de la loi n° 2010-769 du 9 juillet 2010 relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants, et de la loi n° 2014-873 du 4 août 2014 pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes.

Le Sénat avait alors écarté une telle solution estimant qu'elle n'était pas conforme au principe du contradictoire , corollaire du principe constitutionnel des droits de la défense 40 ( * ) résultant de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et consacré par l'article 6 § 1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Il craignait qu'en pratique, elle prive le juge d'un moyen d' écarter les demandes abusives , ainsi que de l'un des moyens les plus adaptés et les plus efficaces qu'il possède pour forger son opinion , en confrontant dans la même pièce chacun aux déclarations et aux preuves avancées par l'autre, alors qu' aucune mesure d'instruction spécifique autre que l'audition n'est prévue . L'article 515-11 du code civil dispose d'ailleurs que le juge se prononce « au vu d'éléments probants produits devant lui et contradictoirement débattus ».

En tout état de cause, notre ancien collègue François Pillet, rapporteur de la loi du 9 juillet de 2010 précitée, précisait que, lorsque le juge décidait de tenir des auditions séparées, pour que soit respectée l'exigence du contradictoire, il convient que la partie absente au moment de l'audition puisse avoir connaissance des déclarations de la partie entendue et qu'elle puisse y répondre 41 ( * ) .

Votre commission a donc estimé que la tenue d'auditions séparées n'était pas, en soi, contraire au principe du contradictoire, si le juge aux affaires familiales interroge l'autre partie sur les éléments qui lui ont été communiqués et s'il existe une forme de restitution au défendeur lui permettant d'y répondre.

Ce faisant, la transmission du procès-verbal de l'audition à la partie adverse et sa réponse risquent toutefois d'allonger les délais de la procédure, ce qui explique sans doute pourquoi les juges y ont actuellement peu recours : les parties sont en effet entendues ensemble dans 97 % des affaires 42 ( * ) . Il est toutefois possible d'imaginer que ces auditions se tiennent dans un délai court l'une après l'autre, le temps pour le greffe d'éditer le procès-verbal et pour la partie absente d'en prendre connaissance.

Tenant compte de la sensibilité du contexte pour la victime et de la possibilité pour le juge d'organiser le contradictoire, votre commission a approuvé le principe de la tenue d'auditions séparées dès lors que la partie demanderesse le souhaiterait . Le juge garderait, en outre, la faculté de procéder ainsi s'il l'estime nécessaire.

Quant à la publicité des auditions , à l'heure actuelle, l'article 515-10 du code civil prévoit qu'elles peuvent se tenir en chambre du conseil , c'est-à-dire à huis clos. Il s'agit, de nouveau, d'une simple possibilité. L'article 1 er de la proposition de loi tend à rendre ce format systématique, ce qui correspond à la règle fixée par l'article 1074 du code de procédure civile pour les contentieux familiaux.

Cette question s'était déjà posée lors de l'examen de la loi du 4 août 2014 précitée. Le Sénat avait approuvé la tenue systématique des auditions en chambre du conseil compte tenu du caractère délicat des affaires de violences exercées au sein des couples , qui touchent à l'intimité et à la vie privée des personnes et de la pratique qui est déjà largement celle des auditions en chambre du conseil.

Dans une décision récente par laquelle il a, pour la première fois, déduit des articles 6 et 16 de la Déclaration de 1789 un principe de publicité des audiences devant les juridictions civiles et administratives , le Conseil constitutionnel a jugé qu'il était « loisible au législateur d'apporter à ce principe des limitations liées à des exigences constitutionnelles, justifiées par l'intérêt général ou tenant à la nature de l'instance ou aux spécificités de la procédure, à la condition qu'il n'en résulte pas d'atteintes disproportionnées au regard de l'objectif poursuivi » 43 ( * ) .

À cet égard, il a jugé que « si le législateur a prévu, en matière gracieuse et dans les matières relatives à l'état et à la capacité des personnes ou intéressant la vie privée déterminées par décret, que les débats ont lieu en chambre du conseil et que les jugements ne sont pas prononcés publiquement, sans que le juge ne dispose d'un pouvoir d'appréciation sur l'un ou l'autre de ces points, il n'en résulte, compte tenu de la nature des matières en cause ou des enjeux particuliers qu'elles présentent au regard de l'intimité et de la vie privée des personnes, aucune méconnaissance du principe de publicité des audiences ni d'aucune autre exigence constitutionnelle » 44 ( * ) .

Compte tenu de ces éléments, votre commission a approuvé le principe de la systématisation des auditions en chambre du conseil s'agissant de la délivrance d'une ordonnance de protection.

Enfin, par l'adoption d'un amendement COM-39 de son rapporteur , votre commission a distingué les notions d'audience et d'auditions , pour permettre une meilleure compréhension de l'article 515-10 du code civil . Le juge convoquerait ainsi les parties à une audience de jugement, laquelle se tiendrait en chambre du conseil. Les auditions ont lieu lors de cette audience et, si nécessaire, de manière séparée.

Votre commission a adopté l'article 1 er ainsi modifié .

Article 1er bis
(art. 515-9 du code civil)
Critères de conjugalité applicables
à la délivrance d'une ordonnance de protection

Adoptée à l'initiative de notre collègue député Stéphane Peu en séance publique avec l'avis favorable du rapporteur et du Gouvernement, l'article 1 er bis de la proposition de loi tend à préciser que l' ordonnance de protection peut être délivrée en l'absence de cohabitation , en cas de violences exercées au sein du couple ou d'un ancien couple.

Dans sa rédaction en vigueur depuis 2010, l'article 515-9 du code civil dispose qu'une ordonnance de protection peut être délivrée en urgence par le juge aux affaires familiales lorsque des violences sont exercées « au sein du couple ou par un ancien conjoint, un ancien partenaire lié par un pacte civil de solidarité ou un ancien concubin » et mettent en danger la personne qui en est victime ou un ou plusieurs enfants.

Les députés à l'initiative de l'amendement, soutenu par le rapporteur, craignent que l'absence de cohabitation, présente ou passée, puisse constituer un critère de refus de l'ordonnance de protection .

D'après les travaux parlementaires de 2010, l'intention du législateur était bien de prendre en compte toutes les formes de conjugalité reconnues par le code civil. Ainsi notre ancien collègue François Pillet, rapporteur, précise que la notion de couple doit être entendue au sens large « marié, partenaire de pacte civil de solidarité ou vivant en union libre » 45 ( * ) .

Aux violences exercées au sein du couple s'ajoutent donc les violences du fait d'un ancien conjoint, d'un ancien partenaire de pacte civil de solidarité ou d'un ancien concubin.

La qualité de conjoint - qui définit la personne unie à une autre par le mariage - ne soulève pas de difficulté. Aux termes de l'article 215 du code civil, « les époux s'obligent mutuellement à une communauté de vie ». Elle implique, traditionnellement, la cohabitation et les relations charnelles entre époux. Les époux peuvent toutefois avoir un domicile distinct, par exemple, pour des raisons professionnelles 46 ( * ) , sans qu'il soit pour autant porté atteinte à la communauté de vie. De même, la séparation de corps met fin au devoir de cohabitation entre époux (article 299 du code civil).

La qualité de partenaire lié par un pacte civil de solidarité ne pose pas, non plus, de grande difficulté . Aux termes de l'article 515-1 du code civil, un « pacte civil de solidarité est un contrat conclu par deux personnes physiques majeures, de sexe différent ou de même sexe, pour organiser leur vie commune ». S'il est donc dit que les partenaires s'engagent à une « vie commune » (article 515-4 du même code), par écho à la « communauté de vie », à laquelle s'obligent les époux, il n'y a aucun moyen d'en exiger l'exécution. Les partenaires doivent toutefois, aux termes de l'article 515-3 du code civil, faire la déclaration conjointe devant l'officier de l'état civil « de la commune dans laquelle elles fixent leur résidence commune », sauf en cas d'empêchement grave à la fixation de celle-ci.

Dans sa décision sur la loi du 15 novembre 1999 relative au pacte civil de solidarité, le Conseil constitutionnel a jugé « que la notion de vie commune ne couvre pas seulement une communauté d'intérêts et ne se limite pas à l'exigence d'une simple cohabitation entre deux personnes ; que la vie commune mentionnée par la loi déférée suppose, outre une résidence commune, une vie de couple, (...) » et que ces dispositions revêtant un caractère obligatoire, les parties ne peuvent y déroger 47 ( * ) .

Le concubinage est défini par l'article 515-8 du code civil comme une « union de fait, caractérisée par une vie commune présentant un caractère de stabilité et de continuité, entre deux personnes, de sexe différent ou de même sexe, qui vivent en couple ». La vie de couple se déduit naturellement de l'existence de relations charnelles qui constituent l'élément fondateur du concubinage. L'exigence de cohabitation pour attester d'une situation de concubinage est appréciée par la jurisprudence au cas par cas, en prenant en compte l'ensemble des éléments qui permettent de caractériser une vie commune et une vie de couple. Ainsi, la Cour de cassation a pu juger, en matière criminelle, que le concubinage supposait une cohabitation entre concubins 48 ( * ) . Toutefois, la cohabitation ne suffit pas forcément à constituer un concubinage 49 ( * ) . En sens inverse, il peut y avoir concubinage même en l'absence de cohabitation, s'il existe des relations stables et durables entre deux personnes 50 ( * ) .

Les membres d'un couple ne sont donc pas toujours tenus de cohabiter mais cela demeure l'un des critères importants d'appréciation de la conjugalité .

Il n'y a, a fortiori , plus de cohabitation chez les anciens conjoints, partenaires de PACS ou concubins . Cette situation n'est toutefois pas totalement à exclure. Il n'est désormais plus rare de voir d'anciens époux continuer de cohabiter, par exemple pour des raisons matérielles.

En l' état du droit positif, les juges aux affaires familiales apprécient très largement la notion de « couple » afin de pouvoir l'appliquer à tout type de relation sentimentale . Ainsi, 13 % des décisions d'ordonnance de protection font état d'une séparation au sens large (et non d'un divorce, d'une dissolution de PACS ou d'une décohabitation) 51 ( * ) .

Les juges aux affaires familiales délivrent ainsi des ordonnances de protection aux couples qui ne cohabitent pas et aucune ordonnance de protection n'a été refusée , d'après les informations portées à la connaissance de votre rapporteur par les services de la Chancellerie, car les parties n'avaient jamais cohabité . Cette solution a toutefois pu être contestée en doctrine, certains auteurs estimant que l'article 515-8 du code civil impose de rapporter la preuve d'une cohabitation. De ce fait, ces auteurs estiment que la jurisprudence 52 ( * ) qui reconnaît une situation de concubinage sans preuve d'une quelconque cohabitation est contestable.

En outre, plusieurs juges du fond ont pu considérer que le danger avait cessé depuis la fin de la cohabitation. Il s'agit d'une appréciation au cas par cas, au regard de la situation particulière des parties.

Votre commission estime légitime de protéger tous les types de couples : ceux qui vivent ensemble, ceux qui viennent de se séparer, ceux qui sont séparés depuis longtemps, ceux qui n'ont pas vécu ensemble.

La référence à l'absence de cohabitation peut être une précision utile afin d'éviter toute incertitude , c'est le choix qui a été fait en matière pénale depuis longtemps . L'article 132-80 du code pénal prévoit ainsi une circonstance aggravante générale en cas d'infraction commise par « le conjoint, le concubin ou le partenaire lié à la victime par un pacte civil de solidarité, y compris lorsqu'ils ne cohabitent pas ».

La rédaction de l'article 1 er bis de la proposition de loi tel qu'adopté par l'Assemblée nationale répond au même objectif. Pour autant, sa rédaction est perfectible. En effet, préciser que d'anciens concubins ne sont pas tenus de cohabiter semble, à première vue, tautologique. Votre rapporteur estime que c'est la cohabitation passée, lorsqu'ils étaient en couple, qu'il y avait lieu de viser. En outre, cette condition ne concerne pas que les concubins mais peut aussi concerner les époux voire les partenaires de PACS sous certaines réserves.

Favorable à l'objectif poursuivi par l'article 1 er bis , votre commission a adopté, sur la proposition de son rapporteur, un amendement COM-36 visant à préciser à l'article 515-9 du code civil que l'ordonnance de protection peut être délivrée lorsque des violences sont exercées au sein du couple « y compris lorsqu'il n'y a pas de cohabitation » . Cette rédaction consacre ainsi dans la loi le sens majoritaire de la jurisprudence et harmonise les dispositions du code civil avec celles du droit pénal.

Afin de répondre aux craintes des députés, votre rapporteur a également précisé que l'ordonnance pouvait aussi être délivrée s'agissant des anciens couples, « y compris lorsqu'ils n'ont jamais cohabité » .

Dès lors, une ordonnance de protection ne pourra pas, du fait de la loi, être refusée sur le seul fondement de l'absence passée ou présente de cohabitation.

Par ailleurs, lors des débats à l'Assemblée nationale, nos collègues députés se sont inquiétés d'un risque d'exclusion du champ de l'ordonnance de protection des relations sentimentales brèves qui ne relèveraient d'aucune des formes de conjugalité prévues par le code civil.

D'après les éléments indiqués en séance publique par la garde des Sceaux, Nicole Belloubet, l' ordonnance de protection est déjà applicable à tout type de relation sentimentale, quelle que soit sa nature . Cette situation résulte d'une appréciation souple par les juges de la notion de concubinage , qu'ils appliquent à des réalités très diverses. Le guide de la Chancellerie précité sur l'ordonnance de protection indique d'ailleurs explicitement que celle-ci concerne tous les couples, « peu importe que la relation ait été épisodique ou de longue durée » 53 ( * ) , et mentionne les différentes catégories d'auteurs des faits concernés. Ceux-ci sont les actuels ou anciens conjoints, partenaires de PACS, concubins, compagnons et petits-amis.

Dès lors, il n'a pas semblé opportun à votre commission de créer une quatrième forme juridique de conjugalité, qui serait une source de difficultés et d'insécurité juridiques.

Votre commission a adopté l'article 1 er bis ainsi modifié .

Article 2
(art. 515-11 du code civil)
Délai de délivrance et contenu de l'ordonnance de protection

L'article 2 de la proposition de loi poursuit deux objectifs : accélérer le délai de délivrance de l'ordonnance de protection et renforcer la portée et le contenu des mesures que peut prononcer le juge aux affaires familiales.

1. Accélérer le délai de délivrance de l'ordonnance de protection

Dans sa rédaction initiale , l'article 2 de la proposition de loi prévoyait la délivrance de l'ordonnance de protection par le juge aux affaires familiales dans un délai de six jours maximal à compter de sa saisine . Le texte transmis au Sénat prévoit un délai de six jours à compter de la fixation de la date de l'audience . Il résulte d'un amendement de notre collègue Aurélien Pradié, rapporteur, adopté en commission.

L'article 515-11 du code civil ne prévoit à l'heure actuelle qu'une délivrance « dans les meilleurs délais » . Par cette précision apportée dans la loi du 4 août 2014 pour l'égalité réelle entre les femmes et les hommes, le législateur n'entendait pas, à l'évidence, que le délai qu'il jugeait déjà trop long à l'époque - 26 jours en moyenne - s'aggrave encore. D'après le rapport de notre collègue Virginie Klès sur ce projet loi, 46,4 % des ordonnances étaient à l'époque prononcées dans un délai inférieur à 20 jours 54 ( * ) .

Or, le délai moyen de délivrance s'est établi, en 2016, à 42,4 jours en moyenne 55 ( * ) dont dix jours pour le délibéré , ce qui est très long pour une procédure d'urgence dont l'objet est de protéger une victime de violences d'un danger, tel que le vise expressément l'article 515-9 du code civil.

Ce délai s'explique en partie par le choix des modalités de convocation de la partie défenderesse , « par tous moyens adaptés », selon l'article 515-10 du code civil, déclinés dans le code de procédure civile.

Les modalités de convocation des parties

L'article 1136-3 du code de procédure civile dispose que « chaque partie est convoquée par le greffier à l'audience ». Trois procédures différentes sont prévues.

Lorsqu'il est saisi par requête , le greffe convoque les parties par lettre recommandée avec accusé de réception dont le délai de retrait est de quinze jours. C'est alors le greffe qui fixe la date d'audience, en concertation avec le juge, au moment même de sa saisine. 62 % des demandes ont été introduites selon cette voie.

En cas de saisine par assignation en la forme des référés , la date est donnée au demandeur par le greffe. Le demandeur l'insère dans son assignation et l'huissier de justice remet l'assignation au défendeur. Cette procédure est en principe plus rapide mais nécessite de recourir à un huissier de justice. Cette procédure représente 38 % des cas.

Enfin, la convocation par la voie administrative peut être pratiquée en cas de danger grave et imminent pour la sécurité d'une personne concernée par une ordonnance de protection ou lorsqu'il n'existe pas d'autre moyen de notification. Elle peut alors être délivrée dans la journée par officier de police judiciaire, le greffe communiquant la date d'audience fixée en concertation avec le juge aux services de police ou de gendarmerie -parfois par l'intermédiaire du parquet. Très peu de convocations sont délivrées par cette voie.

Un délai de délivrance trop long ne permet pas d'assurer la protection dans l'urgence des femmes qui en auraient besoin . De plus, il peut faire échouer la procédure car la condition de danger peut ne plus être caractérisée au moment où le juge statue . Certains auteurs en doctrine estiment ce risque très important dès lors que la convocation à l'audience dépasse huit jours après la saisine.

Pour pallier ces difficultés, certains tribunaux de grande instance (TGI) ont mis en place des partenariats avec les huissiers de leur ressort. C'est le cas à Bobigny, par exemple, où les huissiers acceptent de délivrer les assignations dans la journée, alors même que la décision d'accorder l'aide juridictionnelle au demandeur n'a pas encore été tranchée, et qu'ils ne sont donc pas payés. Cette procédure permet au TGI d'avoir un délai de délivrance des ordonnances relativement bref. Le rapport de notre ancienne collègue Virginie Klès évoquait un délai de douze jours en moyenne, à compter de la demande 56 ( * ) . Ces exemples ont été suivis par d'autres juridictions, comme le TGI de Pontoise, dont votre rapporteur a entendu la Présidente. Dans cette juridiction, le délai de délivrance d'une ordonnance de protection était, dans le meilleur des cas, de dix jours .

D'après les éléments portés à la connaissance de votre rapporteur par la Chancellerie, les statistiques sur l'ordonnance de protection ont révélé que dans 12,5 % des cas les décisions étaient rendues dans un délai inférieur à quinze jours à compter de la saisine , ce qui démontre que le juge aux affaires familiales est matériellement en mesure de rendre une décision rapide.

Votre rapporteur estime donc légitime de fixer dans la loi un bref délai pour rendre l'ordonnance afin que celle-ci puisse véritablement devenir un instrument efficace. S'agissant d'un délai qui est imposé au juge et non aux parties, aucune nullité de la procédure ne pourrait être envisagée. La seule sanction serait donc un engagement de la responsabilité de l'État .

Au terme des auditions, votre rapporteur a donc examiné les différentes solutions possibles au prisme de deux exigences à concilier : l'urgence de la situation et l'exercice du contradictoire .

Le délai de six jours à compter de la saisine, initialement prévu par la proposition de loi, semblait objectivement peu réaliste, eu égard à la pratique judiciaire telle qu'elle a été présentée à votre rapporteur par les personnes qu'elle a entendues, qu'il s'agisse de magistrats ou de représentants d'associations de victimes.

La rédaction adoptée par l'Assemblée nationale a fait évoluer le texte en prévoyant la computation du délai de six jours à compter de la fixation de la date de l'audience . Le dispositif suscite encore néanmoins quelques interrogations .

Sans autre précision, le juge n'aurait pas de délai butoir pour fixer l'audience : il pourrait donc fixer l'audience au bout de plusieurs dizaines de jours, d'autant plus que l'obligation de statuer « dans les meilleurs délais » serait supprimée. De plus, ce délai diffèrerait selon le mode de saisine choisi par le demandeur : requête auprès du juge aux affaires familiales, assignation ou convocation par voie administrative. Le juge aurait seulement l'obligation, à compter du moment où il fixerait l'audience, de délivrer l'ordonnance dans les six jours.

En outre, retenir la notion de « fixation de la date de l'audience » comme moment du point de départ d'un délai fixé pour que le juge statue constitue une rédaction inédite. En effet, ce moment n'est pas formalisé, il ne correspond pas à un acte procédural, il s'agit d'un événement informel dont la date est difficile à déterminer et dans la majorité des cas impossible à prouver. Seuls sont formalisés les moments de l'assignation, de la remise de l'assignation, de la saisine par requête ou de l'audience, qui ont une date certaine et identifiable.

Votre commission est consciente des changements qu'impliquerait la computation de ce nouveau délai. Les conséquences devront assurément en être tirées dans la procédure civile relative à l'ordonnance de protection. Elle a choisi d' accepter ce dispositif en raison de son caractère indicatif, parce qu'il laisse au magistrat la maîtrise du point de départ du délai , tout en lui imposant de statuer dans les six jours ensuite.

Votre commission estime que, dans ces conditions, il serait souhaitable de privilégier la voie administrative ou l'assignation . Cette seconde solution impliquerait toutefois de faire évoluer les conditions d'accès à l'aide juridictionnelle dans la mesure où l'admission provisoire à l'aide juridictionnelle n'est possible actuellement qu'à la condition d'obtenir la délivrance de l'ordonnance de protection.

L'octroi systématique de l'aide juridictionnelle au demandeur d'une ordonnance de protection pourrait certainement résoudre un certain nombre des difficultés actuelles, sous réserve du contrôle du juge ou du bureau d'aide juridictionnelle, même si les risques de demandes abusives semblent faibles dans cette hypothèse. Cette mesure se heurte à l'irrecevabilité posée par l'article 40 de la Constitution, qui prohibe les dispositions créant une charge publique.

En outre, votre commission rappelle qu'en cas d'urgence vitale, le dispositif de l'ordonnance de protection n'est pas adapté à court terme car six jours constituent une durée encore trop longue lorsqu'il y a une menace grave. La voie pénale doit dans cette hypothèse être privilégiée pour traiter la situation.

En tout état de cause, votre rapporteur estime qu'un délai raisonnable pour la délivrance d'une ordonnance de protection devrait se situer à une quinzaine de jours maximum à compter de la saisine du juge aux affaires familiales, ce délai permettant de répondre à l'urgence tout en respectant le principe du contradictoire , comme l'indique du reste le guide de la Chancellerie 57 ( * ) .

2. Renforcer la portée des mesures de l'ordonnance de protection et compléter son contenu

a) Inciter les parties à solliciter toutes les mesures adéquates

À la suite d'un amendement de notre collègue député Aurélien Pradié, rapporteur, adopté en séance publique avec l'avis favorable du Gouvernement, l'article 515-11 du code civil préciserait que le juge aux affaires familiales se prononce sur le contenu de l'ordonnance de protection « après avoir recueilli les observations des parties » sur chacune des mesures qu'il est susceptible de prononcer.

En pratique, lors de l'audience, le juge, qui dirige les débats, demanderait aux parties si elles ont des observations sur tel ou tel point afin de pouvoir en être saisi, et le cas échéant ordonner une des mesures si elle est utile. Le juge ne peut en effet aujourd'hui se prononcer que sur la requête initiale. Cette modification permettrait aux parties de pouvoir, éventuellement, faire de nouvelles demandes lors de l'audience.

Cette précision paraît utile à votre rapporteur puisque le juge civil ne peut statuer que sur des demandes qui ont été formulées (principe de l'« omnia petita » et interdiction de l'« ultra petita ») et ayant fait l'objet d'un débat contradictoire. Elle est en outre davantage conforme aux exigences du procès civil que le texte qui résultait des travaux de la commission, par lequel le juge aurait été tenu de statuer sur chacune des mesures prévues aux 1° à 7° de l'article 515-11 du code civil et ce même en l'absence de demande des parties.

b) Renforcer la portée des mesures existantes

Le juge aux affaires familiales ne peut délivrer une ordonnance de protection que « s'il estime, au vu des éléments produits devant lui et contradictoirement débattus, qu'il existe des raisons sérieuses de considérer comme vraisemblables la commission des faits de violence allégués et le danger auquel la victime ou un ou plusieurs enfants sont exposés ».

Dans ce cadre, l'article 515-11 du code civil donne compétence au juge pour imposer des interdictions ou des obligations à la partie défenderesse 58 ( * ) , parmi lesquelles les trois mesures dont l'article 2 de la proposition de loi renforcerait la portée.

• L'interdiction de la détention ou du port d'armes comme principe, sauf décision spécialement motivée du juge

Le juge aux affaires familiales qui délivre une ordonnance de protection peut d'ores et déjà « interdire à la partie défenderesse de détenir ou de porter une arme et, le cas échéant, lui ordonner de remettre au service de police ou de gendarmerie qu'il désigne les armes dont elle est détentrice en vue de leur dépôt au greffe » (2° de l'article 515-11 du code civil). Cette mesure est inspirée de la compétence confiée au juge d'instruction ou au juge des libertés et de la détention dans le cadre d'un contrôle judiciaire lorsqu'une personne encourt une peine d'emprisonnement correctionnel ou une peine plus grave. Dans cette hypothèse, le juge pénal peut lui interdire de « détenir ou porter une arme et, le cas échéant, remettre au greffe contre récépissé les armes dont elle est détentrice » (17° de l'article 138 du code de procédure pénale).

Mais cette mesure est seulement sollicitée par 15 % des demandeurs d'une ordonnance de protection .

C'est pourquoi le texte transmis par l'Assemblée nationale prévoit, à la suite d'un amendement du rapporteur adopté en commission, que la décision de ne pas interdire la détention ou le port d'arme soit désormais spécialement motivée par le juge aux affaires familiales , dès lors que le juge aurait par ailleurs prononcé une mesure d'interdiction d'entrer en contact avec la victime . Le principe serait donc celui de l'interdiction, sauf motivation spéciale.

Le code de procédure civile précise à son article 455 que le jugement doit exposer succinctement les prétentions respectives des parties et leurs moyens et doit être motivé. Le principe de la motivation spéciale, fréquente en droit pénal, existe aussi en droit civil 59 ( * ) .

La loi imposerait ici au juge de motiver spécialement sa décision de ne pas interdire la détention ou le port d'armes. La loi n'imposerait nullement au juge de prononcer cette mesure et ne méconnaitrait donc pas le principe constitutionnel de l'indépendance de la justice.

• L'éviction du conjoint violent

Le juge a également compétence pour statuer sur la jouissance du logement partagé par le couple. Les 3° et 4° de l'article 515-11 du code civil visent à ce que le logement du couple soit attribué, sauf circonstances particulières, à la partie qui n'est pas l'auteur des violences vraisemblables. Toutes les formes de conjugalité sont concernées.

Le principe est donc déjà l'attribution du logement à la victime, dès lors qu'elle le demande , même si elle a bénéficié d'un logement d'urgence, sauf « circonstances particulières ». Le juge qui attribue le logement au défendeur a déjà l'obligation de motiver dans sa décision ces circonstances particulières. Dès lors, la précision adoptée en séance publique à l'initiative de notre collègue députée Alexandra Louis, selon laquelle il doit motiver spécialement sa décision n'apporte rien au droit en vigueur, mais ne crée pas de difficulté particulière.

• Les modalités d'exercice de l'autorité parentale

L'ordonnance de protection permet au juge aux affaires familiales de se prononcer sur « les modalités d'exercice de l'autorité parentale » et sur les relations financières entre les époux ou les partenaires de PACS (5° de l'article 515-11 du code civil).

L'article 2 tend à préciser que le juge se prononcerait au sens de l'article 373-2-9 du code civil, sur les modalités du droit de visite et d'hébergement. Or, les droits de visite et d'hébergement sont effectivement des modalités de l'exercice de l'autorité parentale. Il s'agit d'une mention qui ne modifie rien au droit positif. Le juge se prononce toujours sur les modalités de l'exercice de l'autorité parentale conformément aux dispositions en vigueur prévues au titre IX du code civil, qui comprend l'article 373-2-9.

Une autre disposition apportée en commission à l'initiative du rapporteur de l'Assemblée nationale tend à faire du droit de visite dans un espace de rencontre ou en présence d'un tiers le principe, sauf décision spécialement motivée, lorsque le juge ordonne l'interdiction de contact prévue au 1° du même article. Si l'interdiction de contact peut être prononcée avec la victime et pas forcément avec l'enfant, il est évident que les conditions de visite et d'hébergement doivent faire l'objet de la plus grande attention du juge, ce que permettrait cette mention.

D'ailleurs, l'article 373-2-11 du code civil dispose que lorsqu'il se prononce sur les modalités d'exercice de l'autorité parentale, le juge prend notamment en compte « les pressions ou violences, à caractère physique ou psychologique, exercées par l'un des parents sur la personne de l'autre », ce qui paraît évident lorsqu'il statue dans le cadre d'une ordonnance de protection.

À cet égard, certains représentants des avocats entendus lors des auditions ont relaté que cet article était très peu visé par les juges, dans les procédures classiques de fixation des modalités d'exercice de l'autorité parentale, ce que regrette votre rapporteur.

c) Compléter l'ordonnance de protection avec trois nouvelles mesures à l'égard de l'auteur des faits de violence

• L'interdiction de paraître en certains lieux désignés par le juge

À la suite de trois amendements identiques du Gouvernement, du rapporteur et de notre collègue député Guillaume Vuilletet adoptés en commission, le juge aux affaires familiales pourrait « interdire à la partie défenderesse de se rendre dans certains lieux spécialement désignés par le juge aux affaires familiales dans lesquels se trouve de façon habituelle la partie demanderesse ». Cette mesure est destinée à assurer le respect pratique de l'interdiction d'entrer en contact.

Elle est, là encore, inspirée du droit pénal.

Les obligations que peut imposer la juridiction de condamnation ou le juge de l'application des peines dans le cadre du sursis avec mise à l'épreuve, ainsi que celles que peuvent ordonner le juge d'instruction ou le juge des libertés et de la détention 60 ( * ) dans le cadre du contrôle judiciaire, présentent en effet de grandes similitudes avec certaines mesures de l'ordonnance de protection. En l'espèce, il s'agit en particulier :

- de l'obligation de s'abstenir de paraître en tout lieu spécialement désigné (article 132-45, 9° du code pénal), ou de ne pas se rendre en certains lieux ou de ne se rendre que dans les lieux déterminés par le juge d'instruction ou le juge des libertés et de la détention (article 138, 3° du code de procédure pénale) ;

- de l'obligation de s'abstenir d'entrer en relation avec certaines personnes et en particulier la victime de l'infraction (article 132-45, 13° du code de procédure pénale), ou de s'abstenir de rencontrer certaines personnes spécialement désignées par le juge d'instruction ou le juge des libertés et de la détention, ainsi que d'entrer en relation avec elles, de quelque façon que ce soit (article 138, 9° du code de procédure pénale).

L'article 41-1 du code de procédure pénale permet aussi au procureur de la République, dans le cadre des mesures alternatives aux poursuites qu'il peut édicter pour assurer la réparation du dommage causé à la victime, mettre fin au trouble résultant de l'infraction, ou contribuer au reclassement de l'auteur, « de demander à l'auteur des faits de ne pas paraître, pour une durée qui ne saurait excéder six mois, dans un ou plusieurs lieux déterminés dans lesquels l'infraction a été commise ou dans lesquels réside la victime » (7° de l'article).

En l'état du droit positif, rien n'empêche une personne à l'encontre de laquelle une ordonnance de protection a été prononcée de surveiller son ancienne compagne en se plaçant face à son domicile, près de son lieu de travail ou de l'école des enfants. En effet, un tel comportement ne rentre pas nécessairement dans l'interdiction d'entrer en contact.

Cette mesure nouvelle d'interdiction de paraître constitue, à l'évidence, une restriction de la liberté d'aller et venir, résultant des articles 2 et 4 de la Déclaration de 1789 61 ( * ) , qui est une composante de la liberté personnelle reconnue par le Conseil constitutionnel. Elle est inédite en matière civile, puisqu'elle n'existe à ce jour qu'en matière pénale ou administrative.

Le prononcé de la mesure, valable six mois maximum sauf exceptions, pourrait être contesté, comme toute ordonnance de protection, dans un délai de quinze jours. Le juge pourrait également, en application de l'article 515-12 du code civil, la modifier ou la supprimer à tout moment à la demande de l'une ou l'autre des parties et s'il l'estime nécessaire.

Le non-respect de cette mesure serait puni de deux ans d'emprisonnement et d'une amende, comme toutes les obligations ou interdictions visées dans une ordonnance de protection (articles 227-4-2 et 227-4-3 du code pénal).

Le texte tel qu'il a été voté par l'Assemblée nationale dispose que les lieux où la personne aurait interdiction de paraître seraient « spécialement désignés par le juge » mais correspondraient à des lieux « dans lesquels se trouve de façon habituelle la partie demanderesse ».

Il reviendrait donc au juge de proportionner l'interdiction de paraître au danger encouru par la victime et, en particulier, de déterminer les lieux concernés par une telle interdiction, sans soumettre les intéressés à une rigueur qui ne serait pas nécessaire, dans un cadre civil où ils ne sont ni condamnés ni même poursuivis.

• La proposition au défendeur d'un accompagnement social, sanitaire, psychologique ou d'un stage de responsabilisation

En séance publique, à l'initiative, de notre collègue député rapporteur, le juge aux affaires familiales pourrait proposer à la partie défenderesse :

- une prise en charge sanitaire, sociale ou psychologique ;

- ou un stage de responsabilisation pour la prévention et la lutte contre les violences au sein du couple et sexistes.

En cas de refus, le procureur de la République serait immédiatement avisé.

Ces dispositions, de nouveau inspirées de dispositifs existant en matière pénale, ont été adoptées avec l'avis favorable du Gouvernement.

Dans le cadre du régime de la mise à l'épreuve, la juridiction de condamnation ou le juge de l'application des peines peuvent imposer au condamné de se soumettre à des mesures d'examen médical, de traitement ou de soins même sous le régime de l'hospitalisation (article 132-45, 3° du code pénal). Le juge d'instruction ou le juge des libertés et de la détention peuvent également ordonner une mesure similaire dans le cadre du contrôle judiciaire (article 138, 10° du code de procédure pénale).

En revanche, l'article 41-1 du code de procédure pénale permet au procureur de la République de « demander » à l'auteur des violences de faire l'objet d'une prise en charge sanitaire, sociale ou psychologique, dans le cadre d'une mesure alternative aux poursuites. Si l'auteur des violences ne le fait pas, le procureur met en oeuvre une composition pénale ou engage des poursuites.

Les dispositions insérées à l'article 515-11 du code civil par l'article 2 de la proposition de loi diffèrent toutefois du droit pénal s'agissant du niveau de contrainte. Au civil il s'agit d'une proposition, au pénal d'une injonction. Il n'appartient pas au juge civil de soumettre une personne à une injonction, même thérapeutique. Comme l'a relevé la garde des Sceaux, Nicole Belloubet, lors des débats, toute injonction touchant à la liberté de disposer de son corps sans le consentement de la personne doit relever d'un juge pénal.

• Le bracelet anti-rapprochement : donner sa chance à une mesure innovante en droit civil

L'article 2 de la proposition de loi tend également à créer un nouvel article 515-11-1 du code civil, qui permettrait au juge aux affaires familiales , lorsqu'il prononce la mesure d'interdiction d'entrer en contact , d'ordonner le port par les deux parties et avec leur consentement , d'un « dispositif électronique mobile anti-rapprochement ». Celui-ci aurait pour objet de signaler à tout moment à la victime que l'auteur des violences se rapprocherait d'une certaine distance qui serait fixée par le juge dans l'ordonnance de protection . Le juge aux affaires familiales aviserait immédiatement le procureur de la République en cas de refus du défendeur de porter le bracelet anti-rapprochement.

Le consentement du défendeur , qui n'était pas prévu dans la proposition de loi initiale, a été ajouté à l'initiative du Gouvernement et du rapporteur en commission, afin d' assurer la constitutionalité du dispositif, compte tenu du niveau de contrainte d'un tel dispositif sur une personne qui ne fait pas l'objet de poursuites pénales et qui n'est, a fortiori , pas condamnée .

Le port d'un bracelet électronique hors de toute procédure pénale est inédit . Le dispositif diffère toutefois de celui qui est proposé en matière pénale .

D'une part, alors qu'au plan pénal, deux interdictions de rapprochement seraient créés aux articles 138-3 du code de procédure pénale et 132-45-1 du code pénal, en matière civile, le dispositif « permet de signaler que la partie défenderesse se trouve à moins d'une certaine distance de la partie demanderesse », sans pour autant interdire à la seconde de s'approcher de la première.

Il s'agirait donc, en matière civile, d'un dispositif technique permettant de s'assurer que l'interdiction de contact prévue par le 1° de l'article 515-11 est respectée et non pas d'une interdiction de rapprochement, pénalement sanctionnée (leur violation peut entraîner une incarcération). Ce ne serait alors qu'en cas de contact avec la victime que le délit de non-respect de l'ordonnance de protection serait constitué.

Le bracelet serait donc, en matière civile, un outil de prévention de la commission d'éventuelles infractions qui ne pourrait pas être interprété comme une peine ou une sanction.

Dans cette hypothèse, s'appliquerait tout de même le principe qui, en matière de restrictions apportées à la liberté individuelle, à la liberté personnelle ou au respect de la vie privée, prohibe la rigueur non nécessaire qui trouve sa source dans les articles 4 et 9 de la Déclaration de 1789 62 ( * ) . Le port d'un bracelet anti-rapprochement constituerait, à l'évidence, un niveau de contrainte supplémentaire par rapport aux mesures que peut aujourd'hui prononcer le juge aux affaires familiales , juge civil qui ne dispose pas des pouvoirs d'enquête dévolus au juge pénal et se prononce sur des faits « vraisemblables » .

Matériellement, il s'agirait en effet pour le défendeur du même dispositif que l'actuel bracelet qui permet le placement sous surveillance électronique . La géolocalisation permanente et les conséquences du bracelet pourraient constituer une restriction à sa liberté personnelle (liberté d'aller et venir, droit à la vie privée). En effet, dès lors qu'il se rapprocherait à une certaine distance de la victime, il serait contacté pour changer d'itinéraire.

D'ailleurs, le cadre choisi en matière pénale montre que le port de ce bracelet ne peut, dans l'échelle des peines, correspondre qu'à des infractions d'une certaine gravité, puisque seules les infractions punies d'au moins trois ans d'emprisonnement pourraient donner lieu au prononcé dudit bracelet. Le droit en vigueur place d'ailleurs, dans l'échelle des peines, le bracelet électronique en deuxième position après la détention.

Il est vrai, néanmoins, qu' à la différence du dispositif pénal, l'exigence de consentement préalable vient tempérer l'atteinte à la liberté d'aller et venir, tandis que les objectifs que cette mesure poursuit, à savoir la prévention des atteintes à l'ordre public et à la sécurité des personnes 63 ( * ) , pourrait la faire regarder comme proportionnée .

Aucune garantie existant en matière pénale 64 ( * ) n'est toutefois prévue en matière civile. Le dispositif électronique doit ainsi, en matière pénale, « garantir le respect de la dignité, de l'intégrité et de la vie privée de la personne et ne pas entraver son insertion sociale », alors que rien n'est précisé en matière civile. S'agissant du même matériel, il est évident que, par capillarité, les bracelets utilisés en matière civile devront aussi être conformes à ces principes. De même, l'avis de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) n'est pas prévu s'agissant du fichier qui régirait le bracelet, mais cette précision relève de la procédure civile, matière relevant du règlement.

D'autre part, alors qu'en matière pénale, l'alternative à la pose du bracelet anti-rapprochement est l'incarcération, en matière civile, en cas de refus du défendeur, le juge aux affaires familiales ne pourrait qu'aviser immédiatement le procureur de la République, qui seul décide ensuite de l'opportunité des poursuites, ce qui semble moins dissuasif mais mieux correspondre à un cadre civil.

L'intérêt pratique d'une telle mesure n'est donc pas assuré .

Certaines personnes entendues par votre rapporteur doutent d'ailleurs que les juges aux affaires familiales se saisissent d'une telle mesure qui n'est pas dans leur office traditionnel. Ces juges rencontreront, de plus, des difficultés de suivi de l'exécution de la mesure. Quels agents en seront chargés ? Probablement des agents de l'administration pénitentiaire, ce qui montre bien, une fois de plus, les difficultés à insérer des mesures d'origine pénale dans un cadre civil.

À cet égard, la comparaison avec le modèle espagnol n'est pas complètement pertinente puisque l'Espagne a créé des juridictions spécialisées en matière de violences conjugales , composées de juges disposant de prérogatives en matière pénale et civile. Toute tentative de transposition se heurte donc à des difficultés un peu lourdes auxquelles la proposition de loi a tenté de remédier , en imposant notamment le consentement du défendeur.

Votre commission a choisi de donner sa chance au bracelet anti-rapprochement, très innovant en droit civil, malgré les interrogations légitimes qu'il peut soulever .

Elle a estimé que les bénéfices de ce nouvel outil, dont l'objectif est d'assurer une protection accrue des victimes de violences conjugales, ainsi que les conditions de son prononcé par le juge aux affaires familiales, qui ne peut se passer du consentement du défendeur, permettaient de surmonter les obstacles juridiques de principe. Il appartiendra ensuite aux juridictions de se saisir de ce nouvel outil pour lui donner toute sa portée. Votre commission rappelle toutefois que la délivrance d'une ordonnance de protection ne peut in fine se substituer à la voie pénale, seule voie efficace pour assurer la répression des infractions.

Votre commission a adopté l'article 2 sans modification.

Article 2 bis
(art. 373-2-10 du code civil)
Interdiction pour le juge de proposer une médiation familiale
en cas de violences intrafamiliales

Introduit en séance publique à l'initiative de notre collègue député Stéphane Peu avec un avis de sagesse du Gouvernement et l'avis favorable du rapporteur à titre personnel, l'article 2 de la proposition de loi a pour objet d' écarter la possibilité pour le juge aux affaires familiales de proposer aux parents en désaccord, s'agissant des modalités de l'exercice de l'autorité parentale, une mesure de médiation lorsque des violences sont alléguées par l'un des parents sur l'autre parent ou sur l'enfant .

Le droit en vigueur exclut déjà , au dernier alinéa de l'article 373-2-10 du code civil, la possibilité pour le juge d'enjoindre aux parties de rencontrer un médiateur familial pour recevoir une simple information sur l'objet et le déroulement d'une médiation, lorsque des violences intrafamiliales du même ordre ont été commises.

Le Sénat, à l'occasion de l'examen de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle, s'était opposé à cette disposition, considérant qu'elle marquait une certaine défiance à l'égard du juge et que celui-ci n'userait pas de cette faculté si elle allait à l'encontre des intérêts de l'une des parties ou de l'enfant du couple 65 ( * ) .

Il semble effectivement que le juge est le mieux placé pour apprécier la situation et, le cas échéant, l'asymétrie de la relation conjugale et mener les débats en conséquence. Les juges savent qu'imposer une médiation dans une situation de violences est impossible et même plus largement dans les situations dysfonctionnelles ou d'emprise - même sans violences - car il n'est pas possible de placer les deux parties dans une relation d'égalité.

Votre rapporteur a toutefois constaté que la prohibition de la médiation familiale en cas de violences conjugales était une demande forte des associations qu'elle a pu entendre et dont elle a pu consulter les contributions.

Ces associations mettent en évidence que les situations de violences au sein du couple ou intrafamiliales impliquent un rapport d'emprise incompatible avec le dialogue équilibré et respectueux qu'exige une médiation . De plus, du fait de l'emprise exercée par leur agresseur, les victimes peuvent se sentir forcées de consentir à la médiation . En effet, face à un juge, certaines victimes de violences n'osent pas refuser de participer à une médiation familiale par peur d'être sanctionnées dans la suite de la procédure judiciaire, par manque d'information sur le déroulement de cette procédure ou en raison de l'emprise exercée par leur agresseur.

Compte tenu du droit en vigueur qui impose déjà au juge de ne pas enjoindre de rencontrer un médiateur à titre d'information et d'une attente forte qui lui a semblé légitime en la matière, il est apparu cohérent à votre rapporteur d'étendre cette précaution à la proposition que peut faire le juge de recourir à une médiation .

Outre une extension du principe d'interdiction de la médiation en cas de violences aux deux hypothèses de l'article 373-2-10 du code civil, l'article 2 substitue aux termes de « violences commises » celui de « violences alléguées ».

Suffirait-il d'alléguer de violences, possiblement de manière dilatoire, pour que cela interdise toute tentative de médiation ? En réalité, il ne semble pas que cette modification rédactionnelle emporte de lourdes conséquences.

Dans sa décision sur la loi du 18 novembre 2016 précitée, le Conseil constitutionnel a jugé que « le législateur n'avait pas entendu subordonner l'interdiction faite au juge aux affaires familiales d'enjoindre aux parties de recevoir une information sur l'objet et le déroulement d'une médiation familiale en cas de violences intrafamiliales à la condition que ces violences aient donné lieu à condamnation pénale ou au dépôt d'une plainte » 66 ( * ) . Le Conseil ajoute d'ailleurs que le législateur n'a pas davantage entendu dispenser les parents séparés de faire une tentative de médiation dans ces seules hypothèses et qu' « il appartiendra donc au juge d'apprécier la réalité des violences pour l'application du troisième alinéa de l'article 373-2-10 du code civil ».

En conséquence, une circulaire de la Chancellerie du 26 juillet 2017 67 ( * ) indique que le « juge devra apprécier s'il existe des raisons sérieuses de considérer comme vraisemblable la commission des faits de violences allégués au vu des éléments produits devant lui conformément aux règles applicables au procès civil et contradictoirement débattus ». Les termes de « violences alléguées » qu'introduit l'article 2 bis sont donc déjà employés par la Chancellerie elle-même, reprenant les conditions de l'ordonnance de protection - sans l'exigence du danger - délivrée sur la base de la « vraisemblance de faits de violences allégués ».

Votre commission a adopté l'article 2 bis sans modification .

Article 2 ter (supprimé)
(art. L. 312-3-2 nouveau du code de la sécurité intérieure)
Interdiction d'acquérir et de détenir une arme pour les personnes visées par une ordonnance de protection

1. Le dispositif proposé : une interdiction automatique et sans limitation de durée

Cet article additionnel est issu de l'adoption d'un amendement du député Guillaume Vuilletet et des membres du groupe La République en Marche (LaREM), adopté avec un avis favorable du rapporteur et du Gouvernement.

Il tend à créer dans le chapitre du code de la sécurité intérieure relatif à l'acquisition et à la détention d'armes et de munitions un nouvel article L. 312-3-2.

Ce nouvel article interdit aux personnes « à l'encontre desquelles a été rendue une ordonnance de protection en application de l'article 515-11 du code civil » d'acquérir ou de détenir des armes de toute catégorie. Si l'ordonnance de protection, prise dans le cadre civil, n'est pas prononcée à l'encontre d'une partie, il s'agit par cette formulation de désigner, comme l'a indiqué lors des débats la garde des Sceaux, les « défendeurs visés par une ordonnance de protection ».

L'article pose une interdiction automatique d'acquisition et de détention d'arme, quelle qu'en soit la catégorie. Cette interdiction s'appliquerait, en l'état de sa rédaction, sans limitation de durée puisqu'aucun terme n'est prévu à l'interdiction une fois que l'ordonnance a été rendue.

L'article L. 312-3-1 du code de la sécurité intérieure permet déjà à l'autorité administrative d'interdire l'acquisition et la détention des armes de catégories A, B et C aux personnes dont le comportement laisse craindre une utilisation de ces armes dangereuse pour elle-même ou pour autrui.

2. La position de votre commission

Destiné à envoyer un « signal clair » sur l'importance de la nécessité d'interdire aux auteurs de violences de détenir ou d'acquérir des armes, cet article souffre de nombreuses malfaçons dans sa rédaction et son articulation avec les dispositifs existants ou prévus par la proposition de loi.

Cette interdiction générale paraît difficile à concilier avec l'article 2 de la proposition de loi qui donne la possibilité au juge aux affaires familiales (JAF) de ne pas interdire la détention ou le port d'arme par une décision spécialement motivée.

Lors de la discussion de l'amendement à l'Assemblée nationale, le rapporteur a en outre émis des interrogations sur la constitutionnalité du dispositif, arguments auxquels la garde des Sceaux a répondu dans les termes suivants : « J'entends les interrogations, que vous avez vous-même soulevées et que M. le rapporteur s'est également appropriées, quant à une interdiction de détention d'armes qui reposerait non sur une condamnation pénale, mais sur un jugement civil. Sans doute y a-t-il ici matière à réflexion : on pourrait préciser et améliorer le dispositif pour le borner dans le temps, ou mieux définir les catégories d'armes visées. Nous pouvons mener ce travail lors de la navette, en lien étroit avec le ministère de l'intérieur, compétent sur ces questions. Il faudrait également travailler sur le caractère opérationnel de la mesure en prévoyant d'informer l'autorité administrative des ordonnances de protection qui auront été prononcées, car elle ne les connaît pas de manière automatique. En tout cas, cet amendement représente un très bon point de départ et j'y suis favorable . »

Lors de ses auditions, votre rapporteur n'a pu que constater l'inachèvement de la réflexion du Gouvernement sur ce point. En tout état de cause, il n'est pas certain qu'il soit utile de prévoir une interdiction générale dans le code de la sécurité intérieure au regard des possibilités offertes au JAF ou à l'autorité administrative d'interdire la détention d'arme.

Pour ces raisons, votre commission a adopté l' amendement COM-27 de suppression de l'article, présenté par le rapporteur.

Votre commission a supprimé l'article 2 ter .

Article 2 quater (nouveau)
Caractère temporaire
du bracelet anti-rapprochement en matière civile

Issu de l'adoption d'un amendement COM-40 de votre rapporteur, l'article 2 quater de la proposition de loi tend à conférer un caractère temporaire au bracelet anti-rapprochement en matière civile qui s'appliquerait seulement jusqu'au 31 décembre 2022 .

Ce dispositif qui serait créé à l'article 515-11-1 du code civil par l'article 2 de la proposition de loi, constituerait un nouvel outil d'urgence auquel pourrait recourir le juge aux affaires familiales dans le cadre de l'ordonnance de protection.

Il est particulièrement innovant en matière civile et soulève des interrogations légitimes 68 ( * ) .

Dès lors, votre commission souhaite, avant de le pérenniser à compter du 31 décembre 2022, en évaluer la mise en oeuvre par les juridictions et en ajuster, si nécessaire, le dispositif.

Votre commission a adopté l'article 2 quater ainsi rédigé .


* 30 La Cour de cassation a confirmé que cette vraisemblance est soumise à l'appréciation souveraine des juges, dans une décision de la première chambre civile en date du 5 octobre 2016 (n° 15-24.180).

* 31 Article 515-11 du code civil.

* 32 Néanmoins, le dépôt de plainte (ou d'une main courante) au commissariat n'exclut pas le recours à une ordonnance de protection. De la même manière, la victime de violences vraisemblables qui obtient le bénéfice d'une ordonnance de protection peut, à tout moment, décider de déposer plainte auprès du commissariat ou auprès du procureur de la République.

* 33 Circulaire de la garde des Sceaux, ministre de la justice, du 9 mai 2019 relative à l'amélioration du traitement des violences conjugales et à la protection des victimes.

Ce document est consultable à l'adresse suivante :

http://circulaire.legifrance.gouv.fr/index.php?action=afficherCirculaire&hit=1&r=44706

* 34 Guide pratique de l'ordonnance de protection , ministère de la justice, direction des affaires civiles et du Sceau, juillet 2019. Ce document est consultable à l'adresse suivante :

http://www.justice.gouv.fr/include_htm/20190718_dacs_ordonnance_protection_guide.pdf

* 35 Infostat justice, septembre 2019, n° 171, bulletin d'information statistique du ministère de la justice, Les décisions d'ordonnance de protection prononcées en 2016 , Maud Guillonneau.

Ce document est consultable à l'adresse suivante :

http://www.justice.gouv.fr/statistiques-10054/infostats-justice-10057/les-decisions-dordonnance-de-protection-prononcees-en-2016-32605.html

* 36 Infostat 2019 du ministère de la justice sur les ordonnances de protection précité.

* 37 Il n'est partie à titre principal que lorsqu'il est à l'initiative de la procédure, avec l'accord de la victime, comme le prévoit l'article 515-10 du code civil. Cela concerne très peu de cas (12 seulement sur 3 100 demandes d'ordonnances de protection en 2016).

* 38 L'article 424 du code de procédure civile dispose que : « le ministère public est partie jointe lorsqu'il intervient pour faire connaître son avis sur l'application de la loi dans une affaire dont il a communication ».

* 39 Infostat justice, septembre 2019, n° 171, précité.

* 40 Conseil constitutionnel, décision n° 84-184 DC du 29 décembre 1984 sur la loi de finances pour 1985.

* 41 Rapport n° 564 (2009-2010) de M. François Pillet, fait au nom de la commission des lois sur la proposition de loi renforçant la protection des victimes et la prévention et la répression des violences faites aux femmes, déposé le 17 juin 2010. Ce rapport est consultable à l'adresse suivante : https://www.senat.fr/rap/l09-564/l09-564.html

* 42 Infostat justice , septembre 2019, n° 171, précité.

* 43 Conseil constitutionnel, décision n° 2019-778 du 21 mars 2019 sur la loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice.

* 44 Ibid supra .

* 45 Rapport n° 564 (2009-2010) de M. François Pillet, fait au nom de la commission des lois sur la proposition de loi renforçant la protection des victimes et la prévention et la répression des violences faites aux femmes, déposé le 17 juin 2010. Ce rapport est consultable à l'adresse suivante : https://www.senat.fr/rap/l09-564/l09-564.html

* 46 Cour de cassation, première chambre civile, 12 février 2014, n° 13-13.873.

* 47 Conseil constitutionnel, décision n°99-419 DC du 15 novembre 1999 sur la loi relative au pacte civil de solidarité, considérants 26 et 28.

* 48 Cour de cassation, chambre criminelle, 5 octobre 2010, n° 10-81.743.

* 49 Conseil d'État, première et deuxième sous-sections réunies, 12 juin 2002, n° 216066.

* 50 Cour d'appel de Lyon, deuxième chambre A, 2 juillet 2013, n° 13/03189.

* 51 Infostat justice, septembre 2019, n° 171, précité.

* 52 Cour d'appel de Lyon, deuxième chambre A, 2 juillet 2013, n° 13/03189.

* 53 Guide pratique de l'ordonnance de protection , ministère de la justice, direction des affaires civiles et du Sceau, juillet 2019, p. 17. Ce document est consultable à l'adresse suivante :

http://www.justice.gouv.fr/include_htm/20190718_dacs_ordonnance_protection_guide.pdf

* 54 Rapport n° 807 (2012-2013) de Mme Virginie Klès sur le projet de loi pour l'égalité entre les femmes et les hommes, fait au nom de la commission des lois, déposé le 24 juillet 2013.

Ce rapport est consultable à l'adresse suivante : https://www.senat.fr/rap/l12-807/l12-807.html

* 55 Infostat justice, septembre 2019, n° 171, précité.

* 56 Rapport n° 807 (2012-2013) de Mme Virginie Klès sur le projet de loi pour l'égalité entre les femmes et les hommes, fait au nom de la commission des lois, déposé le 24 juillet 2013.

* 57 Guide pratique de l'ordonnance de protection, ministère de la justice, direction des affaires civiles et du Sceau, p. 29, juillet 2019. Ce document est accessible à l'adresse suivante :

http://www.justice.gouv.fr/include_htm/20190718_dacs_ordonnance_protection_guide.pdf

* 58 Voir exposé général.

* 59 Voir par exemple article 373-2-9 du code civil.

* 60 Si la personne mise en examen encourt une peine d'emprisonnement correctionnel ou une peine plus grave.

* 61 Conseil constitutionnel, décision n° 2003-467 DC du 13 mars 2003 sur la loi pour la sécurité intérieure.

* 62 Conseil constitutionnel, décision n° 2005-527 DC du 8 décembre 2005 sur la loi sur le traitement de la récidive des infractions pénales.

* 63 Conseil constitutionnel, décision 94-352 DC, 18 janvier 1995 sur la loi d'orientation et de programmation relative à la sécurité.

* 64 Voir article 3 de la proposition de loi.

* 65 Rapport n° 839 (2015-2016) de M. Yves Détraigne sur le projet de loi portant application des mesures relatives à la justice du XXI ème siècle, fait au nom de la commission des lois, déposé le 21 septembre 2016. Ce document est consultable à l'adresse suivante :

https://www.senat.fr/rap/l15-839/l15-839.html

* 66 Conseil constitutionnel, décision n° 2016-739 DC du 17 novembre 2016 sur la loi de modernisation de la justice du XXI e siècle.

* 67 Circulaire du 26 juillet 2017 de présentation de diverses dispositions en matière de droit des personnes et de la famille de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXI e siècle.

Ce document est consultable à l'adresse suivante :

http://www.textes.justice.gouv.fr/art_pix/JUSC1720438C.pdf

* 68 Voir commentaire de l'article 2 de la proposition de loi.

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