II. UN DROIT À L'ERREUR NÉCESSAIRE AUX COLLECTIVITÉS TERRITORIALES DANS LEUR NOUVEAU STATUT D'« USAGER »

A. DES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES DEVENUES À LA FOIS ADMINISTRATION ET USAGERS

1. Des collectivités territoriales soumises à un droit à la fois moins exorbitant et plus complexe

La Constitution de 1958 consacre les collectivités territoriales en tant que composante à part entière de la puissance publique , au côté de l'État. Son article 1 er affirme le caractère décentralisé de l'organisation de la République et l'article 72 prévoit que les collectivités territoriales s'administrent librement 15 ( * ) , sans tutelle de l'une sur l'autre 16 ( * ) , afin de « prendre les décisions pour l'ensemble des compétences qui peuvent le mieux être mises en oeuvre à leur échelon » 17 ( * ) . À cette fin, elles « disposent d'un pouvoir réglementaire pour l'exercice de leurs compétences » 18 ( * ) .

Les usagers perçoivent donc les collectivités territoriales comme un élément de l'administration, prise dans son sens général, puisqu'elles ont pour mission de prescrire et de faire appliquer des normes dans leurs champs de compétences géographique et matériel afin de garantir le caractère décentralisé de l'organisation de la République. Elles sont à ce titre formellement reconnues comme telle par l'article L. 100-3 du code des relations entre le public et l'administration.

La soumission des collectivités territoriales au droit n'est pas une spécificité en soi puisque la soumission des organes de puissance publique au droit est le fondement de la notion d'état de droit. L'application de ce principe aux collectivités est rarement mise en avant puisque les théories de l'état de droit ont émergé au XIX e siècle, époque à laquelle la puissance publique se confondait majoritairement avec le seul État 19 ( * ) . Toutefois, l'incarnation effective de la puissance publique par les collectivités semble conduire à leur appliquer mutatis mutandis les principes dégagés à l'époque.

Les changements récents à l'origine de la présente proposition de loi ne sont donc pas la soumission des collectivités au droit, mais bien la mutation du droit qui leur est applicable. Un retour de balancier est nettement perceptible. L'émergence du droit administratif s'est faite, à partir de la fin du XIX e siècle, par la construction jurisprudentielle d'un droit exorbitant applicable aux seules personnes morales de droit public et à certaines personnes morales de droit privé. Aujourd'hui, ce droit exorbitant existe toujours, mais il côtoie des règles applicables aux collectivités territoriales qui sont de plus en plus semblables aux règles de droit commun applicables aux personnes dépourvues de prérogatives de puissance publique.

Là où elles ne devaient respecter que des principes généraux du droit, les collectivités territoriales sont désormais soumises à des procédures de plus en plus formalisées et complexes , au même titre que certains acteurs économiques. C'est notamment le cas en matière de droit de la commande publique ou de la fonction publique.

Là où elles ne devaient respecter que des normes spéciales, les collectivités territoriales sont de plus en plus soumises aux mêmes règles que les acteurs économiques de droit commun . Comme les entreprises, elles perçoivent la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), paient des cotisations sociales et l'impôt sur les sociétés ou participent au prélèvement à la source de l'impôt sur le revenu. Cette soumission aux mêmes règles les confrontent aux mêmes acteurs, telles que les URSSAF ou la direction générale des finances publiques (DGFIP), dont elles sont devenues, de fait, des usagers à part entière.

2. Des collectivités aux moyens parfois limités

Le rapporteur partage pleinement le constat opéré par les auteurs de la présente proposition de loi selon lequel « le risque pour une collectivité locale de commettre des erreurs et même de voir sa responsabilité engagée s'est accru avec la multiplication des normes et la complexification des procédures administratives à respecter. Cette situation est aggravée avec la baisse de leurs ressources sous l'effet de la diminution des dotations de l'État qui les a contraintes à réduire leurs moyens humains et juridiques, d'autant que, dans le même temps, les services déconcentrés de l'État se désengagent de plus en plus de leurs missions de conseil et d'appui juridique des collectivités locales » 20 ( * ) .

L'augmentation de la complexité du droit que les collectivités doivent respecter, rapportée à l'insuffisance de leurs moyens, devrait légitimement conduire à leur ouvrir le bénéfice d'un droit à l'erreur, au même titre que les autres administrés.


* 15 Article 72 de la Constitution du 4 octobre 1958, alinéa 3.

* 16 Article 72 de la Constitution du 4 octobre 1958, alinéa 5.

* 17 Article 72 de la Constitution du 4 octobre 1958, alinéa 2.

* 18 Article 72 de la Constitution du 4 octobre 1958, alinéa 3.

* 19 Le concept d'État de droit semble apparaître chez le doyen Léon Duguit, dans les années 1910, puis dans son Traité de droit constitutionnel , en 1923. Voir également, Contribution à la théorie générale de l'État, 1920.

* 20 Extrait de l'exposé des motifs de la proposition de loi.

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