N° 265

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2019-2020

Enregistré à la Présidence du Sénat le 22 janvier 2020

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) portant avis sur la recevabilité de la proposition de résolution tendant à la création d'une commission d' enquête sur le contrôle , la régulation et l' évolution des concessions autoroutières ,

Par M. Philippe BAS,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. Philippe Bas , président ; MM. François-Noël Buffet, Jean-Pierre Sueur, Mme Catherine Di Folco, MM. Jacques Bigot, André Reichardt, Mme Sophie Joissains, M. Arnaud de Belenet, Mme Nathalie Delattre, MM. Pierre-Yves Collombat, Alain Marc , vice-présidents ; M. Christophe-André Frassa, Mme Laurence Harribey, M. Loïc Hervé, Mme Marie Mercier , secrétaires ; Mme Esther Benbassa, MM. François Bonhomme, Philippe Bonnecarrère, Mmes Agnès Canayer, Maryse Carrère, Josiane Costes, MM. Mathieu Darnaud, Marc-Philippe Daubresse, Mme Jacky Deromedi, MM. Yves Détraigne, Jérôme Durain, Mme Jacqueline Eustache-Brinio, MM. Jean-Luc Fichet, Pierre Frogier, Mmes Françoise Gatel, Marie-Pierre de la Gontrie, M. François Grosdidier, Mme Muriel Jourda, MM. Patrick Kanner, Éric Kerrouche, Jean-Yves Leconte, Henri Leroy, Mme Brigitte Lherbier, MM. Didier Marie, Hervé Marseille, Jean Louis Masson, Thani Mohamed Soilihi, Alain Richard, Vincent Segouin, Simon Sutour, Mmes Lana Tetuanui, Claudine Thomas, Catherine Troendlé, M. Dany Wattebled .

Voir le numéro :

Sénat :

182 (2018-2019)

L'ESSENTIEL

Réunie le mercredi 22 janvier 2020, la commission des lois a examiné, sur le rapport de son président, Philippe Bas , la recevabilité de la proposition de résolution n° 182 (2018-2019), présentée par Vincent Delahaye et plusieurs membres du groupe Union Centriste, tendant à la création d'une commission d'enquête sur le contrôle, la régulation et l'évolution des concessions autoroutières .

Le groupe Union Centriste a fait savoir qu'il demanderait la création de cette commission d'enquête au titre de son « droit de tirage ». Prévue à l'article 6 bis du Règlement du Sénat, cette procédure permet à chaque groupe politique d'obtenir, de droit, une fois par année parlementaire, la création d'une commission d'enquête ou d'une mission d'information.

Conformément à l'article 8 ter du Règlement, la commission des lois s'est prononcée sur la recevabilité de la proposition de résolution .

Le rapporteur a constaté que l'objet de la commission d'enquête envisagée portait, au sens large, sur la gestion de services publics - le mode de gestion du domaine public autoroutier - et non sur des faits déterminés.

Il a indiqué que la proposition de résolution entrait donc bien dans le champ défini par l'article 6 de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, sans qu'il soit nécessaire d'interroger la garde des sceaux sur l'existence d'éventuelles poursuites judiciaires en cours, et qu'elle respectait les conditions de recevabilité posées par ce même article et par le Règlement du Sénat.

En conséquence, la commission des lois a constaté que la proposition de résolution était recevable . Il n'existe donc aucun obstacle à la création de cette commission d'enquête par la procédure du « droit de tirage » .

I. LA CRÉATION D'UNE COMMISSION D'ENQUÊTE PAR LE « DROIT DE TIRAGE » D'UN GROUPE POLITIQUE

Chaque groupe politique du Sénat a droit à la création d'une commission d'enquête ou d'une mission d'information par année parlementaire 1 ( * ) .

Le groupe politique à l'origine de la demande de création a, en outre, le droit d'obtenir que la fonction de président ou de rapporteur soit confiée à l'un de ses membres 2 ( * ) .

Article 6 bis du Règlement du Sénat

« 1. - Chaque groupe a droit à la création d'une commission d'enquête ou d'une mission d'information par année parlementaire. La demande de création d'une commission d'enquête ou d'une mission d'information est formulée au plus tard une semaine avant la réunion de la Conférence des Présidents qui doit en prendre acte.

« 2. - La fonction de président ou de rapporteur est attribuée au membre d'un groupe minoritaire ou d'opposition, le groupe à l'origine de la demande de création obtenant de droit, s'il le demande, que la fonction de président ou de rapporteur revienne à l'un de ses membres. »

Article 6 ter du Règlement du Sénat

« 1. - La demande de création d'une commission d'enquête en application de l'article 6 bis prend la forme d'une proposition de résolution qui détermine avec précision, soit les faits qui donnent lieu à enquête, soit les services publics ou les entreprises nationales dont la commission d'enquête se propose d'examiner la gestion.

« 2. - Les alinéas 3 à 5 de l'article 8 ter relatifs au contrôle de la recevabilité de la proposition de résolution, à la détermination de la composition et à la désignation des membres de la commission d'enquête sont applicables. »

Communément appelé « droit de tirage », ce droit attribué à chaque groupe du Sénat, qu'il se soit ou non déclaré d'opposition ou minoritaire , a donné une réelle consistance au nouvel article 51-1 de la Constitution, issu de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008. Celui-ci prévoit en effet que « le règlement de chaque assemblée détermine les droits des groupes parlementaires constitués en son sein » et « reconnaît des droits spécifiques aux groupes d'opposition de l'assemblée intéressée ainsi qu'aux groupes minoritaires ». S'il n'était pas nécessaire, en tout état de cause, qu'une telle disposition figurât dans la Constitution pour que les règlements fussent en mesure de déterminer les droits des groupes - ce qu'ils font depuis le début du XX ème siècle -, cette disposition assure la reconnaissance au niveau constitutionnel des groupes politiques et de leur rôle au sein des assemblées.

Lorsqu'un groupe demande la création d'une commission d'enquête ou d'une mission d'information et fait connaître son intention d'utiliser à cette fin son « droit de tirage » annuel, la Conférence des présidents prend acte de la demande. Cette prise d'acte vaut création de la commission d'enquête ou de la mission d'information.

Depuis juin 2009, vingt commissions d'enquête ont été créées sur le fondement du « droit de tirage » :

- sur le rôle des firmes pharmaceutiques dans la gestion par le Gouvernement de la grippe A (H1N1v), créée en 2010 ;

- sur l'évasion des capitaux et des actifs hors de France et ses incidences fiscales, créée en 2012 ;

- sur le coût réel de l'électricité afin d'en déterminer l'imputation aux différents agents économiques, créée en 2012 ;

- sur l'influence des mouvements à caractère sectaire dans le domaine de la santé, créée en 2012 ;

- sur l'efficacité de la lutte contre le dopage, créée en 2013 ;

- sur le rôle des banques et acteurs financiers dans l'évasion des ressources financières en ses conséquences fiscales et sur les équilibres économiques ainsi que sur l'efficacité du dispositif législatif, juridique et administratif destiné à la combattre, créée en 2013 ;

- sur les modalités du montage juridique et financier et l'environnement du contrat retenu in fine pour la mise en oeuvre de l'écotaxe poids lourds, créée en 2013 ;

- sur l'organisation et les moyens de la lutte contre les réseaux djihadistes en France et en Europe, créée en 2014 ;

- sur la réalité du détournement du crédit d'impôt recherche de son objet et de ses incidences sur la situation de l'emploi et de la recherche dans notre pays, créée en 2014 ;

- sur le fonctionnement du service public de l'éducation, sur la perte de repères républicains que révèle la vie dans les établissements scolaires et sur les difficultés rencontrées par les enseignants dans l'exercice de leur profession, créée en 2015 ;

- sur le coût économique et financier de la pollution de l'air, créée en 2015 ;

- sur le bilan et le contrôle de la création, de l'organisation, de l'activité et de la gestion des autorités administratives indépendantes, créée en 2015 ;

- sur les chiffres du chômage en France et dans les pays de l'Union européenne, ainsi que sur l'impact des réformes mises en place par ces pays pour faire baisser le chômage, créée en 2016 ;

- sur la réalité des mesures de compensation des atteintes à la biodiversité engagées sur des grands projets d'infrastructures, intégrant les mesures d'anticipation, les études préalables, les conditions de réalisation et leur suivi dans la durée, créée en 2016 ;

- sur les frontières européennes, le contrôle des flux des personnes et des marchandises en Europe et l'avenir de l'espace Schengen, créée en 2016 ;

- sur l'état des forces de sécurité intérieure, créée en 2018 ;

- sur l'organisation et les moyens des services de l'État pour faire face à l'évolution de la menace terroriste après la chute de l'État Islamique, créée en 2018 ;

- sur les mutations de la haute fonction publique et leurs conséquences sur le fonctionnement des institutions de la République, créée en 2018 ;

- sur la souveraineté numérique, créée en 2019 ;

- et sur les réponses apportées par les autorités publiques au développement de la radicalisation islamiste et les moyens de la combattre, créée en 2019.

En outre, la commission des lois a constaté l'irrecevabilité de deux propositions de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête au titre du « droit de tirage » :

- en 2017, sur la prise en charge des djihadistes français et de leurs familles de retour d'Irak et de Syrie 3 ( * ) , en raison de l'existence de plusieurs enquêtes et informations judiciaires en cours sur les faits ayant motivé le dépôt de la proposition de résolution (diligentées au principal sous la qualification d'association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste, au parquet de Paris ainsi qu'au pôle antiterroriste du tribunal de grande instance de Paris, concernant des individus de retour de la zone irako-syrienne) ;

- et en 2018, sur le traitement des abus sexuels sur mineurs et des faits de pédocriminalité commis dans une relation d'autorité, au sein de l'Église catholique, en France 4 ( * ) , en raison de l'existence de plusieurs informations judiciaires en cours sur les faits ayant motivé le dépôt de la proposition de résolution (notamment sous les qualifications de corruption de mineurs, d'agressions sexuelles sur mineur de quinze ans par personne ayant autorité, de viols sur mineur de quinze ans par personne ayant autorité ou sur personne vulnérable, ou encore de non-dénonciation et de non-assistance à personne en péril).

Depuis juin 2009, une seule commission d'enquête a été créée selon la procédure normale , hors droit de tirage : la récente commission d'enquête sur les conséquences environnementales, sanitaires et économiques de l'incendie de l'usine Lubrizol à Rouen.

À titre de comparaison, l'Assemblée nationale a repris en 2014 le dispositif sénatorial du « droit de tirage » 5 ( * ) , en instaurant un nouveau mécanisme similaire de création d'une commission d'enquête : chaque président de groupe d'opposition ou minoritaire obtient, de droit, une fois par session ordinaire, à l'exception de celle qui précède le renouvellement de l'Assemblée, la création d'une commission d'enquête ou d'une mission d'information, la Conférence des présidents prenant acte de cette création, sous réserve des règles de recevabilité applicables à la création d'une commission d'enquête 6 ( * ) .

Auparavant, le mécanisme instauré à l'Assemblée nationale par la résolution du 27 mai 2009 permettait seulement à chaque président de groupe d'opposition ou minoritaire de demander , une fois par an, la mise d'office à l'ordre du jour d'une proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête, à condition qu'elle fût recevable, mais celle-ci pouvait être modifiée par la commission saisie au fond de la proposition et rejetée en séance (à la majorité des trois cinquièmes des députés).

L'Assemblée nationale a également repris en 2019 un autre mécanisme déjà en vigueur au Sénat et vecteur de pluralisme : la possibilité offerte aux groupes d'opposition ou minoritaires de choisir la fonction
- président ou rapporteur - qu'ils exerceront dans le cadre d'une commission d'enquête dont ils sont à l'origine 7 ( * ) (auparavant, à l'Assemblée, il était seulement prévu que la fonction de président ou de rapporteur revienne de droit à un membre du groupe à l'origine de cette demande... mais c'était la majorité qui choisissait la fonction qu'elle préférait exercer, généralement celle de rapporteur 8 ( * ) ).


* 1 Introduites initialement en juin 2009 à la suite de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 de modernisation des institutions de la V e République, ces dispositions figurent désormais à l'article 6 bis du Règlement du Sénat.

* 2 Dispositions introduites en mai 2015.

* 3 Proposition de résolution n° 101 (2017-2018) tendant à la création d'une commission d'enquête sur la prise en charge des djihadistes français et de leurs familles de retour d'Irak et de Syrie.

* 4 Proposition de résolution n° 24 (2018-2019) tendant à la création d'une commission d'enquête sur le traitement des abus sexuels sur mineurs et des faits de pédocriminalité commis dans une relation d'autorité, au sein de l'Église catholique, en France.

* 5 Résolution du 28 novembre 2014.

* 6 Articles 141, alinéa 2, et 145, alinéa 5, du Règlement de l'Assemblée nationale.

* 7 Articles 143, alinéa 3, et 145, alinéa 5, du Règlement de l'Assemblée nationale, dans leur rédaction résultant de la résolution n° 281 du 4 juin 2019.

* 8 Rapport n° 1955 de Sylvain Waserman sur la proposition de résolution de Richard Ferrand tendant à modifier le Règlement de l'Assemblée nationale (p.142).

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