ARTICLE 1ER NONIES
MAINTIEN DES MARCHÉS PUBLICS DONT LES TITULAIRES SONT PLACÉS EN REDRESSEMENT JUDICIAIRE

L'article 1 er nonies a été introduit à l'Assemblée nationale suite à l'adoption d'un amendement de séance à l'initiative du député Stéphane Mazars et de plusieurs de ses collègues du groupe La République en Marche. Cet amendement a été repris par Guillaume Kasbarian, rapporteur de la commission spéciale de l'Assemblée nationale, qui a émis un avis favorable à titre personnel, l'amendement n'ayant pu être examiné par la commission. L'amendement a également reçu un avis favorable du Gouvernement.

Ces dispositions tendent à faire obstacle à ce qu'un acheteur public puisse résilier unilatéralement un marché public si le titulaire du contrat se trouve en redressement judiciaire pendant la période de l'état d'urgence sanitaire ou durant l'année qui lui succède. En effet, le droit commun de la commande publique 98 ( * ) prévoit que l'acheteur peut résilier de plein droit un contrat en cours d'exécution si le titulaire se trouve exclu des procédures de passation après la conclusion dudit contrat.

Certains cas d'exclusion peuvent constituer des sanctions autonomes directement prévues par le droit . C'est, par exemple, le cas pour les personnes morales ayant contribué au financement irrégulier d'une campagne électorale ou d'un parti politique 99 ( * ) . Les autres cas d'exclusion sont prévus par le code de la commande publique comme la conséquence de faits juridiques extérieurs tels que certaines condamnations pénales 100 ( * ) ou le placement en redressement judiciaire du titulaire 101 ( * ) . Dans ce dernier cas, l'article L. 2195-4 du code de la commande publique prévoit que « l'acheteur ne peut prononcer la résiliation du marché lorsque l'opérateur économique fait l'objet d'une procédure de redressement [...] à condition que celui-ci l'ait informé sans délai de son changement de situation » .

Les motivations ayant conduit à l'adoption du présent article 1 er nonies ont été unanimement partagées, en séance, à l'Assemblée nationale. Elles consistent à penser que « l'application de cet article L. 2195-4, en sortie de covid, dans les semaines et les mois qui viennent, pourrait être une véritable catastrophe pour nombre d'entreprises de BTP. La crise ne les a pas épargnées et elles risquent d'être nombreuses à ne pouvoir faire face à leur passif et donc voir ouvrir une procédure collective » 102 ( * ) et que l'application du droit commun « revien[drait] à supprimer toute possibilité de redressement et dans la pire des situations et en l'occurrence des suites d'une crise comme celle que nos entreprises traversent depuis le mois de mars, pourraient les conduire en liquidation » 103 ( * ) .

La commission des lois partage ce constat et se montre favorable à l'adoption du dispositif. Elle considère que ces dispositions ont une portée limitée puisque le titulaire en redressement peut déjà échapper à la résiliation unilatérale du contrat (cf. supra) , mais qu'elles ne fragilisent pas les acheteurs publics dans la mesure où ils disposent d'autres recours pour résilier un marché de plein droit en cas « de faute d'une gravité suffisante du cocontractant » 104 ( * ) .

Néanmoins, la commission des lois a adopté l'amendement de réécriture COM-63 à l'initiative de son rapporteur afin d'apporter une modification de forme et une modification de fond au dispositif.

Sur le fond, l'article 1 er nonies, dans sa rédaction issue des travaux de l'Assemblée nationale, soulève un problème majeur d'égalité devant la loi puisqu'il tend à exclure toute résiliation unilatérale, quel qu'en soit le motif, dès lors que le titulaire se trouve en redressement judiciaire. L'acheteur public ne pourrait donc pas résoudre unilatéralement un contrat dont le titulaire serait en redressement quand bien même cette résiliation aurait un motif parfaitement étranger à la situation économique du titulaire et découlerait, par exemple, d'une condamnation pénale.

La commission des lois souhaite bien exclure le redressement des motifs de résiliation unilatérale mais ne souhaite pas l'ériger en immunité totale lorsque la résiliation unilatérale procède d'une autre motivation . Comment expliquer qu'une entreprise ayant participé à un trafic de stupéfiants 105 ( * ) ou à la traite des êtres humains 106 ( * ) soit protégée contre une résiliation unilatérale au seul motif qu'elle est en redressement judiciaire ?

En outre, la commission des lois tend à supprimer le caractère rétroactif de la disposition puisqu'il semble juridiquement périlleux de faire revivre des contrats ayant, le cas échéant, été résiliés avant l'entrée en vigueur de la présente loi.

Sur la forme, l'article 1 er nonies, dans sa rédaction initiale, prévoyait d'introduire ses nouvelles dispositions au sein du code de la commande publique alors que leur application est limitée dans le temps. Afin de renforcer l'intelligibilité de cette disposition temporaire, la commission des lois a décidé d'en faire un article autonome du présent projet de loi .

La commission des lois a adopté l'article 1 er nonies ainsi modifié .

ARTICLE 1 ER DECIES
ADAPTATION PAR ACCORD D'ENTREPRISE
DES RÈGLES RELATIVES AUX CONTRATS COURTS

L'examen de l'article 1 er decies a été délégué au fond à la commission des affaires sociales. Cette dernière a adopté l'amendement COM-93 de son rapporteur.

La commission a adopté l'article 1 er decies ainsi modifié .

ARTICLE 1 ER UNDECIES (NOUVEAU)
TRANSACTION ADMINISTRATIVE
ET INDEMNISATION DES CONSOMMATEURS

Introduit à l'initiative de Laurent Duplomb, l'article 1 er undecies du projet de loi tend à inscrire directement dans la loi les dispositions de droit de la consommation pour lesquelles le Gouvernement demandait une habilitation à légiférer par ordonnance à l'article 1 er . Cette habilitation n'avait pas lieu d'être puisque les dispositions envisagées sont identiques à celles de l'article 5 du projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne en matière économique et financière (DDADUE). La commission a jugé plus utile de se prononcer sur le fond dans le présent projet de loi et a donc décidé de reprendre une partie du dispositif.

En premier lieu, l'article a pour objet d'introduire dans le code de la consommation une procédure de transaction administrative ad hoc et un mécanisme d'indemnisation des consommateurs sous l'égide de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF), par ailleurs prévus par le règlement (UE) 2017/2394 du 12 décembre 2017 sur la coopération entre les autorités nationales chargées de veiller à l'application de la législation en matière de protection des consommateurs.

En second lieu, la commission a approuvé le choix de notre collègue Laurent Duplomb d'en rester au droit en vigueur, qui satisfait aux exigences du règlement européen et fait intervenir le juge judiciaire s'agissant de la régulation des contenus illicites en ligne à destination des consommateurs, contrairement au projet de loi DDADUE qui étendait les pouvoirs de la DGCCRF à cette fin.

La commission a adopté cet article additionnel ainsi rédigé .

1. L'inscription « en clair » dans la loi de certaines dispositions déjà déposées sur le bureau du Sénat dans le projet de loi DDADUE

Le e) du 3° du I de l'article 1 er habilite le Gouvernement à prendre des dispositions relevant du domaine de la loi afin d'étendre le champ d'application de certaines dispositions du règlement (UE) 2017/2394 du Parlement européen et du Conseil du 12 décembre 2017 sur la coopération entre les autorités nationales chargées de veiller à l'application de la législation en matière de protection des consommateurs et abrogeant le règlement (CE) n° 2006/2004.

Or, comme l'indique le Conseil d'État dans son avis sur le présent projet de loi, la nature des dispositions que le Gouvernement prendrait par ordonnance est strictement identique à l'article 5 du projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne en matière économique et financière , déposé sur le bureau du Sénat le 12 février 2020 et dont l'examen parlementaire est pour le moment interrompu.

Le règlement (UE) 2017/2394 du 12 décembre 2017 porte sur les modalités de coopération entre les autorités nationales en charge du respect de la législation européenne de protection des consommateurs ; en France, il s'agit de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF).

D'application directe en droit national , ce règlement est entré en vigueur le 17 janvier 2020 . Contrairement aux directives, un règlement n'exige pas de transposition en droit interne mais les États peuvent adapter leur droit national s'ils le souhaitent.

L'article 9 du règlement européen fixe un socle de compétences minimales dont les autorités nationales doivent être dotées pour sanctionner les infractions au règlement : infraction interne à l'Union européenne, infraction de grande ampleur et infraction de grande ampleur à l'échelle de l'Union européenne. L'article 10 du même règlement précise les modalités d'exercice de ces pouvoirs minimums .

L'article 3 du règlement (UE) 2017/2394 définit une infraction interne à l'Union européenne ou une infraction de grande ampleur comme « tout acte ou omission contraire aux dispositions du droit de l'Union en matière de protection des intérêts des consommateurs, qui a porté, porte ou est susceptible de porter atteinte aux intérêts collectifs des consommateurs » résidant respectivement dans un ou deux État(s) membre(s) autre(s) que celui :

« a) où l'acte ou l'omission en question a son origine ou a eu lieu ;

« b) sur le territoire duquel le professionnel responsable de l'acte ou de l'omission est établi ; ou

« c) dans lequel se trouvent des éléments de preuve ou des actifs du professionnel en rapport avec l'acte ou l'omission ; »

Une infraction de grande ampleur peut aussi concerner « tous les actes ou omissions contraires aux dispositions du droit de l'Union en matière de protection des intérêts des consommateurs, qui ont porté, portent ou sont susceptibles de porter atteinte aux intérêts collectifs des consommateurs et qui présentent des caractéristiques communes, dont la pratique illégale identique, la violation du même intérêt et la simultanéité de l'infraction, commise par le même professionnel, dans trois États membres au minimum ».

Enfin, une infraction de grande ampleur à l'échelle de l'Union européenne est définie comme ayant porté, portant ou étant susceptible de porter « atteinte aux intérêts collectifs des consommateurs dans au moins deux tiers des États membres représentant une population cumulée d'au moins deux tiers de la population de l'Union ».

Le dispositif retenu par le Gouvernement tendait , en se fondant sur le règlement européen :

- à accroître les pouvoirs conférés à la DGCCRF de restriction d'accès à du contenu internet , pour lutter contre les pratiques frauduleuses en ligne au préjudice des consommateurs, lorsqu'aucun autre moyen n'était envisageable ;

- à introduire une procédure de transaction administrative pour les auteurs de manquements susceptibles de se voir infliger une sanction administrative prévue par le code de la consommation ;

- et à consacrer la faculté pour la DGCCRF, dans le cadre d'un protocole transactionnel pénal ou administratif, d'indemniser les consommateurs lésés par l'auteur de l'infraction ou du manquement .

Ces dispositions visaient à s'appliquer globalement en cas de manquements ou d'infractions aux dispositions du code de la consommation et non pas seulement en cas d'infraction au règlement (UE) 2017/2394, ce que celui-ci requiert.

Dans ce contexte, la commission a adopté un amendement COM-17 de notre collègue Laurent Duplomb, supprimant l'habilitation prévue par le présent projet de loi que rien ne justifie 107 ( * ) . Plutôt que de déléguer au Gouvernement le pouvoir de légiférer par ordonnance sur ces sujets, elle a préféré se prononcer sur le fond et reprendre une partie du dispositif à son compte en adoptant un second amendement COM-18 portant article additionnel de Laurent Duplomb.

2. L'introduction d'une procédure de transaction administrative et d'un mécanisme d'indemnisation des consommateurs sous l'égide de la DGCCRF

Le présent article introduirait dans le code de la consommation un nouvel article L. 522-9-1 permettant à la DGCCRF de transiger avec des personnes ayant commis un manquement puni d'une sanction administrative. Il permettrait aussi de donner un fondement juridique à l'indemnisation, le cas échéant, des consommateurs par la personne en cause sous l'égide de la DGCCRF.

Ce dispositif reprend, en le modifiant, une partie de l'article 5 du projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne en matière économique et financière.

Il permettrait à l'autorité administrative, lorsqu'elle informe l'auteur d'un manquement de la sanction administrative envisagée à son encontre 108 ( * ) , de lui proposer de transiger . Cette proposition suspendrait le délai d'un mois qui permet à la personne mise en cause de présenter contradictoirement ses observations avant le prononcé de la sanction 109 ( * ) .

Cette proposition de transaction préciserait le montant de la somme à verser au Trésor par la personne mise en cause. Celui-ci serait déterminé en considération des engagements de l'auteur du manquement et serait inférieur au maximum de la sanction pécuniaire encourue . L'accord transactionnel comporterait des obligations tendant à faire cesser les manquements, à éviter leur renouvellement et, le cas échéant, à réparer les préjudices subis par les consommateurs . Il n'est en effet pas toujours possible d'évaluer ce préjudice.

L'accord pourrait faire l'objet d'une mesure de publicité et, en l'absence d'accord, la DGCCRF pourrait reprendre le cours de la procédure de sanction administrative.

Le présent article complèterait également l'article L. 523-1 du code de la consommation qui permet à la DGCCRF de transiger en matière pénale , avec l'autorisation du procureur de la République, à l'exception des infractions les plus graves 110 ( * ) . La conclusion d'une telle transaction permet, le cas échéant, d'échapper à des poursuites pénales. Il y insère le même alinéa qui précise le contenu de la proposition transactionnelle et de l'accord .

La faculté de transiger est reconnue de longue date aux personnes publiques par la jurisprudence 111 ( * ) . Depuis 2016, l'article L. 423-1 du code des relations entre le public et l'administration 112 ( * ) autorise formellement l'administration à transiger , sous réserve que la transaction porte sur un « objet licite et contienne des concessions réciproques et équilibrées », pour « terminer une contestation née ou prévenir une contestation à naître avec l'administration ». La transaction est formalisée par un contrat écrit. Comme le prévoit expressément cet article, les transactions conclues par l'administration sont régies par les dispositions des articles 2044 et suivants du code civil . Les litiges sur l'exécution du contrat de transaction relèvent de la compétence du juge qui aurait été compétent pour statuer sur le litige au fond, s'il avait été porté devant un tribunal 113 ( * ) .

Si la DGCCRF pouvait déjà transiger sur le fondement de ces dispositions, il est loisible au législateur de prévoir un dispositif ad hoc de transaction en matière de manquements à la législation protectrice des consommateurs.

L'article 9 du règlement (UE) 2017/2394 prévoit aux b) et c) de son paragraphe 4 que les autorités compétentes doivent disposer :

- du « pouvoir de chercher à obtenir ou d'accepter de la part du professionnel responsable de l'infraction couverte par le présent règlement des engagements tendant à mettre fin à l'infraction » ;

- et du « pouvoir de recevoir de la part du professionnel, sur l'initiative de ce dernier, des engagements supplémentaires en matière de mesures correctives en faveur des consommateurs affectés par l'infraction supposée couverte par le présent règlement ou, le cas échéant, de tenter d'obtenir des engagements de la part du professionnel en vue d'offrir des mesures correctrices adéquates pour les consommateurs affectés par ladite infraction ».

Au surplus, aux termes du paragraphe 7 du même article 9 , ces autorités « peuvent publier toute décision définitive, tout engagement du professionnel ou toute ordonnance pris en vertu du présent règlement, y compris en rendant publique l'identité du professionnel responsable de l'infraction couverte par le présent règlement ».

L'article 10 du même règlement précise que les « pouvoirs énoncés à l'article 9 sont exercés de l'une des manières suivantes :

« a) directement par les autorités compétentes sous leur propre autorité ;

« b) le cas échéant, en ayant recours à d'autres autorités compétentes ou d'autres autorités publiques ;

« c) en recourant à des organismes désignés, le cas échéant, ou

« d) en demandant aux juridictions compétentes de rendre la décision nécessaire, y compris, le cas échéant, en formant un recours sur cette demande n'aboutit pas. »

Au surplus, le règlement (UE) 2017/2394 impose aux autorités compétentes de disposer d'un mécanisme d'indemnisation des consommateurs qui auraient subi un préjudice causé par une infraction couverte par le règlement 114 ( * ) et la faculté de publier l'accord, ce que le droit national ne prévoit pas formellement.

Il paraît donc judicieux de le formaliser dans le code de la consommation et de l'étendre aux manquements prévus par celui-ci , sans restreindre ces possibilités aux seules infractions au règlement (UE) 2017/2394.

Le présent article opère quatre modifications bienvenues par rapport au texte du projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne en matière économique et financière.

En premier lieu, il prévoit que la proposition de transaction précise le montant de la somme à verser au Trésor par la personne mise en cause et non pas que « toute personne à qui il a été proposé une transaction administrative s'engage à verser au Trésor une somme ». Seul l'accord transactionnel signé peut fonder un engagement de l'une ou l'autre des parties . En revanche, il est logique que la proposition de transaction de la DGCCRF mentionne le montant de la somme à verser au Trésor, ce qui est sans doute l'intention du Gouvernement.

En deuxième lieu, il renforce les garanties pour la personne mise en cause et, ce faisant, l'intérêt de conclure une transaction , en précisant que le montant de la somme est déterminé en considération des engagements pris par l'auteur du manquement et qu'il est inférieur au maximum de la sanction pécuniaire encourue . Quel intérêt de conclure une transaction si l'auteur du manquement encourt la même sanction que s'il ne l'accepte pas ? Par cohérence, l'article reprend ces garanties dans la détermination de la somme à payer pour la transaction pénale .

En troisième lieu, il permet toujours à l'accord transactionnel de contenir une clause permettant d'indemniser le préjudice subi par les consommateurs, alors que la rédaction initiale était ambigüe . Elle laissait entendre que les clauses fixées par la loi étaient alternatives (obligations à faire cesser les manquements, à éviter leur renouvellement ou à réparer les préjudices) alors que l'intention est de les rendre cumulatives.

Enfin, en quatrième et dernier lieu, il supprime la possibilité pour la DGCCRF après conclusion d'une transaction administrative, de reprendre le cours de la procédure de sanction administrative si elle constate unilatéralement « le non-respect » de l'accord .

En effet, les accords transactionnels acquièrent une forme d'autorité de la chose jugée . L'article 2052 du code civil dispose que « la transaction fait obstacle à l'introduction ou à la poursuite entre les parties d'une action en justice ayant le même objet ». Dès lors, puisque l'accord de transaction administrative conclu sur le fondement du nouvel article L. 522-9-1 du code de la consommation est un contrat administratif , toute difficulté dans son exécution relève des voies de droit commun. Si l'une des parties n'exécute pas le contrat, il reviendra, le cas échéant, au juge administratif de trancher le litige , et non pas à l'autorité administrative d'engager une procédure de sanction à l'encontre des faits qui ont fait l'objet de l'accord transactionnel.

La commission a relevé que si l'urgence à légiférer en cette matière n'était pas avérée, elle permet toutefois de s'assurer de la cohérence du droit national avec le droit de l'Union européenne.

3. Le maintien du contrôle du juge en cas de pratiques ou contenus illicites en ligne susceptibles de causer un préjudice grave aux consommateurs

Le présent article ne reprend pas les dispositions du projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit de l'Union européenne en matière économique et financière qui tendaient à introduire un nouvel article L. 521-3-1 dans le code de la consommation pour permettre à la DGCCRF , afin de prévenir tout risque de préjudice grave pour les intérêts des consommateurs et lorsqu'aucun autre moyen n'est disponible pour faire cesser un manquement ou une infraction au code de la consommation, d'ordonner :

- des mesures de restriction d'accès à une interface en ligne ;

- qu'un message d'avertissement s'affiche clairement sur une interface en ligne ;

- aux opérateurs de registre ou aux bureaux d'enregistrement de domaines de supprimer un nom de domaine complet et de permettre à la DGCCRF de l'enregistrer .

Le texte renvoyait à un décret en Conseil d'État les modalités d'application de ce dispositif .

Notre collègue de l'Assemblée nationale Guillaume Kasbarian, rapporteur, indique dans son rapport sur le présent projet de loi, que le décret déterminera les mesures de restriction d'accès que la DGCCRF pourrait prononcer et qui « devraient consister, soit en un déréférencement de contenus illicites, soit en un filtrage des contenus », ce qui revient au blocage de contenus sur internet. La DGCCRF s'adresserait pour ce faire aux « moteurs de recherche » ou aux « fournisseurs d'accès à Internet ». Le décret préciserait également : « l'ordre de préférence et la qualité des opérateurs à qui l'autorité chargée de la concurrence et de la consommation formule une demande de suppression ou de blocage d'un nom de domaine , à savoir : l'hébergeur, le fournisseur d'accès à internet, ou encore l'office d'enregistrement ainsi que les modalités et le contenu de cette demande (date d'effet, durée pendant laquelle la mesure de blocage est effective) » 115 ( * ) .

Ce dispositif reprend effectivement en substance les termes de l'article 9 du règlement (UE) 2017/2394 (i et iii du g. du paragraphe 4) qui prévoit que les autorités compétentes disposent du pouvoir de « retirer un contenu d'une interface en ligne ou de restreindre l'accès à celle-ci ou d'ordonner qu'un message d'avertissement s'affiche clairement lorsque les consommateurs accèdent à une interface en ligne » ; du pouvoir « d'ordonner à un fournisseur de services d'hébergement qu'il supprime, désactive ou restreigne l'accès à une interface en ligne » et, le cas échéant, du pouvoir « d'ordonner aux opérateurs de registre ou aux bureaux d'enregistrement de domaines de supprimer un nom de domaine complet et de permettre à l'autorité compétente concernée de l'enregistrer ».

L'« interface en ligne » est définie par l'article 3 du règlement (UE) 2017/2394 comme : « tout logiciel, y compris, un site internet, une partie de site internet ou une application, exploité par un professionnel ou pour son compte et permettant aux consommateurs d'accéder aux biens ou aux services qu'il propose ».

Or le blocage administratif de certains contenus internet est strictement encadré par la jurisprudence constitutionnelle au titre de la liberté d'expression et de communication protégée par l'article 11 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. Des exceptions au contrôle préalable du juge pour les atteintes à cette liberté ne sont permises que pour des contenus illicites d'une particulière gravité . Notre droit ne l'autorise à l'article 6-1 de la loi n° 2004-575 du 21 juin 2004 pour la confiance dans l'économie numérique que pour des contenus à caractère terroriste 116 ( * ) ou pédopornographique 117 ( * ) . Le Conseil constitutionnel a déjà censuré une disposition qui confiait à une autorité administrative « qui n'est pas une juridiction » le pouvoir de suspendre l'accès à internet en vue de lutter contre la contrefaçon pour protéger des titulaires du droit d'auteur et de droits voisins 118 ( * ) . Il rappelle à cette occasion que : « la liberté d'expression et de communication est d'autant plus précieuse que son exercice est une condition de la démocratie et l'une des garanties du respect des autres droits et libertés ; que les atteintes portées à l'exercice de cette liberté doivent être nécessaires, adaptées et proportionnées à l'objectif poursuivi ».

Il est donc douteux qu'il puisse être fait exception à l'autorisation du juge pour bloquer ou filtrer du contenu en ligne susceptible de porter préjudice aux consommateurs . Ces observations valent quelle que soit la nature de la restriction d'accès opérée : du blocage à l'affichage d'un message ou au déréférencement, si l'atteinte n'est pas du même degré, il s'agit toujours d'une atteinte au principe constitutionnel de liberté d'expression. Le risque d'inconstitutionnalité d'un tel dispositif est donc avéré .

Des interrogations de même nature se posent quant à la suppression et au transfert de noms de domaines sur ordre de l'autorité administrative . Le Conseil constitutionnel a jugé « qu'en l'état actuel des moyens de communication et eu égard au développement généralisé des services de communication au public en ligne ainsi qu'à l'importance prise par ces services dans la vie économique et sociale, notamment pour ceux qui exercent leur activité en ligne, l'encadrement, tant pour les particuliers que pour les entreprises, du choix et de l'usage des noms de domaine sur internet affecte les droits de la propriété intellectuelle, la liberté de communication et la liberté d'entreprendre » 119 ( * ) . Par cette décision, il a censuré des dispositions prévoyant la suppression de noms de domaines selon des critères renvoyés au pouvoir réglementaire, considérant que le législateur avait méconnu l'étendue de sa compétence. L'article L. 45-2 du code des postes et des communications électroniques tire les conséquences de cette censure, énumérant limitativement les hypothèses de refus ou de suppression des noms de domaines, qui ne peuvent intervenir qu'après une procédure contradictoire. Il convient donc d'intervenir avec la plus grande prudence pour assurer la conciliation des droits et libertés garantis par la Constitution .

Pour autant, la DGCCRF n'est pas aujourd'hui démunie en pareil cas, puisque l'article L. 524-3 du code de la consommation lui permet de saisir l'autorité judiciaire en référé ou sur requête en cas d'infraction ou de manquement aux dispositions du code de la consommation pour lui demander de prescrire aux fournisseurs d'accès à Internet ou aux hébergeurs en ligne de prendre « toutes mesures proportionnées propres à prévenir un dommage ou à faire cesser un dommage occasionné par le contenu d'un service de communication au public en ligne ».

Cette disposition est parfaitement conforme au règlement (UE) 2017/2394 qui laisse le choix aux États des modalités d'exercice des pouvoirs minimums et, parmi ces modalités, fait figurer la faculté de : « deman [der] aux juridictions compétentes de rendre la décision nécessaire, y compris, le cas échant, en formant un recours si cette demande n'aboutit pas ».

Dans ces conditions, la commission a approuvé le choix de notre collègue Laurent Duplomb d'en rester au droit en vigueur qui satisfait le règlement européen et fait intervenir le juge judiciaire pour assurer la régulation des contenus illicites en ligne à destination des consommateurs .

La commission a adopté l'article 1 er undecies ainsi rédigé .


* 98 Article L. 2195-4 du code de la commande publique.

* 99 Article 21 de la loi n° 90-55 du 15 janvier 1990 relative à la limitation des dépenses électorales et à la clarification du financement des activités politiques.

* 100 Article L. 2141-1 du code de la commande publique.

* 101 Article L. 2141-3 du code de la commande publique.

* 102 Extrait de l'exposé sommaire de l'amendement n° 329.

* 103 Ibidem .

* 104 1° de l'article 2195-3 du code de la commande publique.

* 105 Cas d'exclusion de la procédure de passation des marchés publics prévu à l'article L. 2141-1 du code de la commande publique par renvoi aux articles 222-34 à 222-40 du code pénal.

* 106 Cas d'exclusion de la procédure de passation des marchés publics prévu à l'article L. 2141-1 du code de la commande publique par renvoi aux articles 225-4-1 à 225-4-7 du code pénal.

* 107 Voir commentaire de l'article 1 er .

* 108 Article L. 522-5 du code de la consommation.

* 109 Article R. 522-2 du code de la consommation.

* 110 Sont notamment exclus les délits punis d'une peine d'emprisonnement ainsi que les pratiques commerciales trompeuses.

* 111 Conseil d'État, 23 décembre 1887 de Dreux-Brézé, évêque de Moulins.

* 112 Introduit par la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXI e siècle.

* 113 Tribunal des conflits, 18 juin 2007, société Briançon Bus.

* 114 Voir supra .

* 115 Rapport n° 2915 de Guillaume Kasbarian, fait au nom de la commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi portant diverses dispositions urgentes pour faire face aux conséquences de l'épidémie de covid-19, p. 79. Ce rapport est consultable à l'adresse suivante :

http://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/rapports/csdducovid/l15b2915_rapport-fond.pdf

* 116 Voir décision du Conseil constitutionnel n° 2017-682 QPC du 15 décembre 2017, M. David P. [Délit de consultation habituelle des sites Internet terroriste II] , considérant 11.

* 117 Voir décision du Conseil constitutionnel n° 2011-625 DC du 10 mars 2011 sur la loi d'orientation et de programmation de la sécurité intérieure (LOPPSI), considérants 5 à 8.

* 118 Conseil constitutionnel, décision n° 2009-580 DC du 10 juin 2009 sur la loi favorisant la diffusion et la protection sur Internet.

* 119 Voir décision du Conseil constitutionnel n° 2010-45 QPC du 6 octobre 2010, M. Mathieu P. [Noms de domaine Internet] .

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