B. LE FINANCEMENT DE L'INSTRUMENT DE RELANCE MET L'UNION EUROPÉENNE ET LES ETATS MEMBRES FACE À DES CHOIX DIFFICILES

1. Limiter la progression des contributions nationales est nécessaire au regard de la dégradation des finances publiques des États membres

Lors de l'examen en février 2020 de la précédente proposition de résolution européenne sur le CFP, le rapporteur avait affirmé sa conviction selon laquelle un budget européen ambitieux était nécessaire pour consolider la « valeur ajoutée européenne » . En effet, ce que les États membres ne peuvent accomplir au niveau de l'Union européenne, ils devront le faire seuls, en puisant dans leur budget national, en particulier dans des domaines aussi stratégiques que la recherche ou la défense.

La crise actuelle n'a pas remis en cause les fondements de cette analyse, et a démontré, au contraire, l'intérêt d'une mobilisation accrue du budget européen .

Toutefois, l'équation budgétaire d'autant plus difficile à boucler . Le principal défi de celle-ci résidait, jusqu'à présent, dans la suppression de la contribution du Royaume-Uni au budget européen, entraînant une perte sèche de ressources estimée à 10 milliards d'euros par an environ . Cette difficulté budgétaire reste un obstacle de premier plan, qui ne saurait être éclipsé par la mise en oeuvre de l'instrument de relance et du CFP renforcé . C'est pour cette raison que la commission des finances a adopté un amendement, à l'initiative du rapporteur, pour rappeler que le contexte du « Brexit » demeure un élément central des négociations en cours (COM.1).

Avant même que le CFP 2021-2027 n'intègre l'instrument de relance, les propositions précédemment débattues se traduisaient toutes par une hausse significative de la contribution de la France 29 ( * ) au budget de l'Union européenne.

Le rapporteur avait ainsi indiqué que les propositions de la Commission européenne de mai 2018 se traduiraient par une contribution française 30 ( * ) annuelle moyenne de 28,4 milliards d'euros 31 ( * ) sur la période 2021-2027 , soit une augmentation de 6,9 milliards d'euros par rapport à 2014-2020 (+ 30 % environ).

Avec la proposition finlandaise, l'augmentation annuelle moyenne serait comprise entre 5,2 milliards d'euros et 7,2 milliards d'euros , soit un montant annuel moyen compris entre 26,6 milliards d'euros et 28,6 milliards d'euros 32 ( * ) .

Si cette augmentation paraissait déjà significative avant la crise de la Covid-19, elle est désormais massive compte tenu de la dégradation des finances publiques anticipée pour l'année 2020, marquée par une contraction de 11 % du produit intérieur brut 33 ( * ) .

À compter de 2028, la contribution de la France au budget européen devra vraisemblablement être encore majorée en raison du remboursement de l'emprunt réalisé , dans une proportion encore indéfinie, et qui dépendra du poids relatif de la ressource RNB de la France.

2. Le débat sur l'introduction de nouvelles ressources propres doit être abordé avec lucidité

Dans ce contexte, la question de l'introduction de nouvelles ressources propres se pose avec une acuité particulière. Pourtant, le rapporteur a déjà pointé l'insuffisance des propositions de la Commission européenne sur le sujet ( cf. supra ), probablement imputable au caractère particulièrement sensible politiquement de ce débat .

Dans ses propositions de 2018, la Commission européenne avait déjà évoqué un panier de nouvelles ressources propres, composé des éléments suivants :

- une ressource fondée sur le système d'échange de quotas d'émission de l'Union européenne , en affectant au budget européen une fraction de 20 % des recettes du total des quotas disponibles pour la mise aux enchères ;

- une ressource calculée sur la base de la future assiette commune consolidée de l'impôt sur les sociétés (ACCIS) ;

- une ressource fondée sur les déchets d'emballages plastique non recyclés .

À l'époque, le rapporteur avait déjà formulé plusieurs réserves majeures sur ces propositions, notamment le fait que ces ressources ne constitueraient pas réellement de « l'argent frais », au sens de ressource supplémentaire . Les recettes issues des « quotas carbone » sont aujourd'hui affectées aux budgets nationaux : il s'agirait donc uniquement d'une réaffectation au profit de l'Union européenne. De la même façon, la ressource « plastique » ne porte pas bien son nom : il s'agit en réalité de moduler les contributions nationales en fonction du taux de recyclage de chaque État membre.

En outre, le rapporteur s'interrogerait déjà sur leur capacité à constituer des ressources pour le cadre financier pluriannuel 2021-2027 , en particulier pour le projet d'ACCIS, débattu depuis bientôt dix ans par les États membres.

Dans sa communication du 27 mai 2020 34 ( * ) , la Commission européenne n'évoque plus la ressource basée sur une ACCIS, mais elle mentionne de nouvelles pistes :

- une ressource issue d'un mécanisme d'ajustement carbone aux frontières , c'est-à-dire une taxe sur les importations en provenance de pays tiers ne respectant pas les normes environnementales. La Commission européenne estime que les recettes afférentes pourraient s'élever entre 5 et 14 milliards d'euros par an ;

- une ressource fondée sur « les activités des grandes entreprises » dont le chiffre d'affaires dépasse 750 millions d'euros, et qui pourrait contribuer au budget européen à hauteur de 10 milliards d'euros, sans en préciser les contours ;

- une ressource fondée sur « un impôt sur le numérique » , en s'appuyant sur les travaux actuellement menés par l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et dont les recettes pourraient s'élever à 1,3 milliard d'euros. En effet, la Commission européenne « se tient prête à agir si aucun accord n'émerge au plan mondial » 35 ( * ) .

Au regard des recettes potentielles de ces nouvelles ressources, la Commission européenne estime que si elles étaient mises en oeuvre avant 2024, « les contributions nationales des États membres au cadre financier pluriannuel pour 2021-2027 pourraient baisser , en proportion de leur économie, par rapport à leurs contributions de 2020 ».

Le rapporteur s'étonne de l'optimisme affiché par la Commission européenne et par plusieurs observateurs.

Premièrement, il semble raisonnable d'émettre quelques doutes sur la perspective d'une entrée en application de ces nouvelles ressources propres d'ici à 2024 , eu égard aux réticences historiques des États membres à progresser sur le sujet, et notamment sur la question de la taxe sur les services numériques.

Deuxièmement, s'il partage l'objectif d'introduire de nouvelles ressources se conformant aux ambitions du « pacte vert européen », il rappelle que la pérennité des recettes issues du système d'échange de droits d'émission repose sur une tendance haussière du prix du carbone . Or, l'abandon de la trajectoire de la taxe carbone en France en 2019 a montré toute la difficulté à mettre en oeuvre un dispositif similaire. S'agissant de la taxe sur les déchets plastique, ses recettes ont, par nature, vocation à diminuer à mesure que de nouvelles pratiques de production et de consommation s'instaureront.

Enfin, le rapporteur s'inquiète de l'absence de précision sur une éventuelle taxe sur les grandes entreprises , d'autant que les discussions relatives à l'ACCIS se sont enlisées depuis plusieurs années.

Sur ce dernier point, la commission des finances s'était exprimée en décembre 2016 sur le projet d'ACCIS présenté par la Commission européenne, à l'occasion de l'adoption d'une proposition de résolution européenne 36 ( * ) . Si la commission des finances avait salué l'initiative de la Commission européenne, elle avait également souligné les points de vigilance suivants :

- l'approche en deux temps de la Commission , d'abord en établissant une assiette commune puis ensuite établir la consolidation de l'impôt, retardant le plein effet des dispositions en matière de lutte contre l'évasion fiscale ;

- le fait que le projet d'une assiette commune ne doit pas priver les États membres des instruments fiscaux soutenant des politiques publiques , tels que le crédit impôt-recherche (CIR) ;

- le projet d'ACCIS tel que présenté semblait mal adapté aux entreprises numériques , notamment parce que la clé de répartition des recettes fiscales ne tient pas compte des actifs incorporels.

Cette proposition n'a pas fait l'objet de progrès significatif, et le dossier semble bloqué au Conseil.

S'agissant de « l'impôt sur le numérique » , la Commission européenne a présenté le 21 mars 2018 deux propositions de directives 37 ( * ) , envisageant deux solutions :

- à court terme , une taxe sur le chiffre d'affaires des entreprises, instaurée de façon temporaire ;

- à long terme , l'introduction d'un critère de « présence numérique significative » dans les règles de taxation fiscale internationales.

La commission des finances s'était d'ailleurs exprimée sur ces propositions en adoptant une proposition de résolution devenue résolution du Sénat le 22 mai 2018 38 ( * ) . Toutefois, aucun accord n'a été trouvé entre les États membres sur ce sujet, en dépit de l'adoption de taxes sur les services numériques par plusieurs d'entre eux, tels que la France et l'Italie.

En tout état de cause, le rapporteur partage pleinement les dispositions de la proposition de résolution européenne affirmant que l'instauration d'un panier de nouvelles ressources propres ne doit pas peser sur les ménages ni les entreprises , afin de ne pas dégrader la situation des citoyens européens ni affaiblir le tissu économique européen.

Conformément à la proposition initiale de 2018 de la Commission européenne, le rapporteur rappelle que, s'agissant des ressources propres, la priorité pour le prochain CFP doit être la suppression totale du système de rabais et de compensation . Or, la suppression des rabais et des compensations étant de nature à augmenter significativement les contributions nationales de plusieurs États membres déjà contributeurs nets, tels que l'Allemagne, l'Autriche, et les Pays-Bas, le rapporteur craint que cette proposition fasse l'objet d'une « monnaie d'échange » pour permettre de trouver un accord sur le CFP et l'instrument de relance .

Par conséquent, la commission des finances a adopté un amendement, à l'initiative du rapporteur, afin de réaffirmer que la suppression des rabais doit constituer une priorité de premier ordre dans les négociations (COM.7) .


* 29 Cf. rapport n° 303 (2019-2020) de Jean-François Rapin, fait au nom de la commission des finances sur la proposition de résolution européenne présentée au nom de la commission des affaires européennes, en application de l'article 73 quater du Règlement, sur le cadre financier pluriannuel de l'Union européenne (2021-2027).

* 30 Incluant les droits de douane et le versement de la ressource fondée sur le système d'échange de quotas d'émission de l'UE.

* 31 L'ensemble de ces chiffrages sont réalisés en euros courants.

* 32 Selon les scénarios retenus pour le calcul des ressources de l'Union car la proposition finlandaise ne tranche pas la totalité du volet ressources.

* 33 D'après les prévisions retenues dans le projet de loi de finances rectificative n° 3 déposé le mercredi 10 juin 2020.

* 34 COM(2020) 442 final, p.16.

* 35 Idem, p. 17.

* 36 Résolution européenne n° 55 (2016-2017) sur les propositions de directives du Conseil COM(2016) 683 final concernant une assiette commune consolidée pour l'impôt sur les sociétés (ACCIS) et COM(2016) 685 final concernant une assiette commune pour l'impôt sur les sociétés.

* 37 Proposition de directive COM(2018) 147 final du Conseil de l'Union européenne établissant les règles d'imposition des sociétés ayant une présence numérique significative du 21 mars 2018 ; proposition de directive COM(2018) 148 final du Conseil de l'Union européenne concernant le système commun de taxe sur les services numériques applicable aux produits tirés de la fourniture de certains services numériques du 21 mars 2018.

* 38 Résolution européenne n° 105 (2017-2018) sur les propositions de directives du Conseil de l'Union européenne COM(2018) 147 final établissant les règles d'imposition des sociétés ayant une présence numérique significative et COM(2018) 148 final concernant le système commun de taxe sur les services numériques applicable aux produits tirés de la fourniture de certains services numériques.

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