III. LA POSITION DE LA COMMISSION : OPPOSER LA QUESTION PRÉALABLE À UN TEXTE QUI NE PREND PAS EN COMPTE LES PRINCIPALES PRÉOCCUPATIONS DU SÉNAT

Au regard des éléments précédemment exposés, la commission a décidé de déposer une motion tendant à opposer la question préalable au projet de loi en vue de son examen en séance publique.

Les concessions faites par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture ne lui apparaissent en effet pas tenir compte de deux préoccupations importantes formulées par le Sénat sur le projet de loi en examen.

La première d'entre elles porte sur la gradation encore insuffisante faite entre le régime d'état d'urgence sanitaire créé par la loi d'urgence du 23 mars 2020 et le dispositif transitoire souhaité par le Gouvernement pour gérer la sortie de crise entre le 11 juillet et le 30 octobre prochain.

La commission admet que puissent être mises en oeuvre, pendant cette période, des restrictions à la liberté d'aller et de venir ainsi qu'à l'ouverture au public de certains établissements, en particulier afin de gérer l'apparition de « clusters » dans certaines zones du territoire.

Cela ne saurait toutefois être rendu possible, hors état d'urgence sanitaire, que de manière très localisée, faute de quoi la sortie de l'état d'urgence sanitaire ne serait en réalité qu'un faux-semblant . Or, force est de constater que le texte adopté par l'Assemblée nationale n'exclut pas la possibilité pour les autorités administratives de procéder à des restrictions importantes aux libertés sur une large part du territoire français, ce que le Sénat s'est refusé à admettre.

Il ne s'agit pas, loin s'en faut, de priver le Gouvernement des moyens d'agir en cas de recrudescence de l'épidémie . Ainsi que le rapporteur a déjà eu l'occasion de le rappeler à plusieurs reprises au cours de l'examen du projet de loi, celui-ci conservera en effet la possibilité, jusqu'au 1 er avril 2021, de rétablir l'état d'urgence sanitaire à tout moment, de manière généralisée ou territorialisée, par simple décret 3 ( * ) . Cette possibilité avait d'ailleurs été anticipée par le législateur qui, dès le mois de mars, avait rendu possible l'application de ce régime d'exception pendant une période d'une année.

La volonté clairement exposée par le Gouvernement d'éviter ce retour à l'état d'urgence sanitaire s'explique sans aucun doute par le souhait de rétablir la confiance, dans une période de reprise de l'activité sociale et économique. Ce positionnement politique n'est pas partagé par la commission, qui estime quant à elle nécessaire de faire preuve, en cette période de sortie de crise, de transparence à l'égard de la population .

Au surplus, la commission rappelle que la gestion de l'épidémie de covid-19 ne saurait reposer durablement sur des mesures de police administrative . Au mois de mars, l'instauration de restrictions fortes aux libertés des Français est apparue inévitable faute, pour l'État, de disposer de moyens matériels et humains suffisants pour éviter un confinement de la population.

Le renforcement engagé des capacités sanitaires, l'approvisionnement en moyens de protection, la mise en oeuvre de systèmes d'information de suivi de l'épidémie et les progrès réalisés dans la connaissance scientifique du virus justifient, désormais, que soit privilégiée une stratégie nouvelle de lutte contre l'épidémie , reposant principalement sur le respect des « mesures barrières », la mise en oeuvre d'une politique de tests systématiques et la responsabilisation de la population en cas de contamination.

Un second point important de désaccord entre les deux assemblées concerne les prérogatives dont le ministre de la santé continuerait d'être doté dans le cadre du régime applicable aux situations de menaces sanitaires .

Par la suppression complète de l'article 1 er bis A introduit à l'initiative du Sénat, l'Assemblée nationale donne à nouveau la possibilité au ministre de la santé, pendant la période transitoire de quatre mois qui s'ouvrira le 11 juillet, mais également à son issue, de mettre en oeuvre « toute mesure proportionnée » pour lutter contre l'épidémie.

La fragilité juridique de ce régime a justifié, il y a quatre mois, l'instauration d'un régime d'exception ad hoc , afin de sécuriser l'action des pouvoirs publics et d'encadrer les atteintes portées aux libertés. Il serait pour le moins contradictoire qu'il constitue, pour les mois à venir, la principale base juridique mobilisée par le Gouvernement pour gérer l'épidémie .

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À l'initiative de son rapporteur, la commission a décidé de déposer une motion tendant à opposer au projet de loi la question préalable. En application de l'article 44, alinéa 3, du Règlement du Sénat, elle souhaite que cette motion soit examinée, à l'issue de la discussion générale, avant la discussion des articles.

En conséquence, la commission n'a pas adopté de texte.

En application du premier alinéa de l'article 42 de la Constitution, la discussion portera donc en séance sur le texte du projet de loi adopté par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture.


* 3 Article L. 3131-13 du code de la santé publique.

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