II. 40 MILLIARDS D'EUROS POUR ACCÉLÉRER LA REPRISE

Sur la base de cette grille d'analyse, le rapporteur général a récemment présenté 86 ( * ) une série de mesures à mettre en place de façon prioritaire pour accélérer la reprise - et dont plusieurs font l'objet d'amendements dans le cadre du présent projet de loi de finances rectificative -, pour un montant global de l'ordre de 40 milliards d'euros .

Si ce montant peut paraître important, il correspond au niveau de soutien attendu au plan macroéconomique. En outre, le plan a été calibré de façon à limiter son coût pour les finances publiques : il inclut notamment 10 milliards d'euros de mesures assimilables à de simples avances de trésorerie et 6 milliards d'euros au titre de l'accélération d'investissements déjà programmés. Certaines dépenses s'étalent sur plusieurs années. Enfin, il est important de préciser qu'il s'agit d'un coût brut ne tenant pas compte du surcroît de recettes publiques et des moindres dépenses sociales liés à la relance de l'activité. En retenant un effet multiplicateur unitaire, le coût net correspondrait à seulement 37 % du coût brut 87 ( * ) .

A. LE SOUTIEN À L'INVESTISSEMENT (32 MILLIARDS D'EUROS)

1. Relancer l'investissement public (26 milliards d'euros)
a) Au niveau de l'État, un « plan d'accélération de l'investissement public »

S'agissant de l'État, le rapporteur général préconise de lancer sans tarder un « plan d'accélération de l'investissement public » (PAIP) d'un montant prévisionnel de près de 20 milliards d'euros.

Se fixant pour objectif de répondre à l'impératif de relance économique de la façon la plus opérationnelle possible, le plan s'efforce de couvrir des besoins clairement identifiés par le financement d'actions pouvant rapidement être mises en oeuvre. Le constat qui sous-tend le plan repose par ailleurs en bonne partie sur des enjeux identifiés par les rapporteurs spéciaux de la commission des finances du Sénat.

De nombreuses propositions contenues dans le plan visent ainsi à accélérer des chantiers en cours ou programmés à brève échéance (par exemple dans le cadre de la loi de programmation militaire, des programmes immobiliers des ministères ou de la future loi de programmation pluriannuelle pour la recherche) ou à renforcer des dispositifs existants et présentant un intérêt particulier pour la relance (rénovation énergétique des bâtiments, aides à l'innovation).

Les cinq axes proposés se rattachent à des chantiers prioritaires et consensuels de politique publique. Ils sont de nature à produire des effets positifs sur l'activité à court-terme (soutien à la demande, en particulier via la commande publique) et sur la croissance potentielle (développement durable, innovation, infrastructures). La plupart des actions proposées peuvent être lancées dès 2020 ou début 2021.

Cette démarche pragmatique ne viserait donc à se substituer ni au troisième programme d'investissements d'avenir (PIA 3), ni au grand plan d'investissement (GPI) - et encore moins à leur succéder (ce qui repousserait à 2022 l'entrée en vigueur du plan).

Synthèse des mesures proposées dans le cadre du plan d'investissement

(en millions d'euros)

Mesure

Programmes budgétaires

Période

Coût total sur la période

Axe 1 : Transition écologique et mobilités durables

3 655

Doubler dès la mi-2020 la contribution de l'État au budget de l'ANAH pour la rénovation thermique de logements privés sous condition de ressources dans le cadre du dispositif « Habiter mieux »

135

2020-2022

275

Renforcer les crédits de la prime pour la rénovation énergétique

181

2020-2022

330

Renforcer le fonds « chaleur » et le fonds « air et mobilité » de l'ADEME

181

2020-2022

450

Accompagner sur le long terme la SNCF dans sa stratégie de développement du fret ferroviaire

203

2021-2030

2 000

Maintenir à bon niveau l'investissement de rénovation du réseau ferré structurant, afin de prévenir un décrochage par rapport à la trajectoire prévue par la LOM

203

2020

400

Accélérer, l'effort d'investissement pour la remise à niveau du réseau fluvial prévue par la LOM

203

2020-2030

200

Axe 2: Recherche et innovation

3 550

Accélérer la remise à niveau de l'ANR pour accroître le taux de sélection des projets de recherche, le montant de financement moyen, et le financement du préciput

172

2020-2023

2 300

Renforcer les aides à l'innovation de Bpifrance

192

2020-2022

250

Mener un effort exceptionnel de rénovation du patrimoine immobilier de la recherche et de l'enseignement supérieur

150, 172 et 348

2021-2025

1 000

Axe 3 : Défense et sécurité

9 050

Accélérer la trajectoire de croissance des investissements de l'agrégat « équipement » prévue par la LPM

146

2020-2022

6 000 88 ( * )

Financer un renouvellement complet du parc de véhicules légers de la police et de la gendarmerie nationale en véhicules électriques

176 et 152

2020-2024

1 700

Engager les nécessaires travaux de rénovation du patrimoine immobilier de la police et de la gendarmerie

177 et 152

2021-2023

1 350

Axe 4 : Patrimoine

1 460

Relever l'ambition du plan de rénovation des cités administratives et des sites multi-occupants

348

2021-2025

1 000

Accélérer la mise en oeuvre des projets immobiliers du ministère de la Culture

175, 134 et 224

2020-2023

460

Axe 5 : Territoires

1 610

Renforcer la participation de l'État au plan « France très haut débit »

112

2020-2021

560

Renforcer la participation de l'État au Nouveau programme national de renouvellement urbain

147

2020-2054

525

Aider la rénovation du bâti dans les centre-villes et centre bourgs

135

2020-2025

600

Total

19 325

Source : commission des finances du Sénat

b) En complément, un soutien indispensable à l'investissement local

En complément, l'investissement local doit être largement soutenu, dès lors qu'il représente 56 % de l'investissement public total et devrait être fortement pénalisé cette année par le cycle électoral , dans un contexte marqué par le report du second tour des élections municipales, qui risque de retarder la mise en oeuvre des programmes d'investissement des nouveaux exécutifs locaux.

À cet égard, il peut être noté que le Gouvernement anticipe une baisse de 4,5 % de l'investissement local dans son scénario macroéconomique , malgré l'abondement de la dotation de soutien à l'investissement local (DSIL) prévu par le présent projet de loi de finances rectificative.

Loin de compenser la baisse de l'investissement privé, l'investissement public risque donc également d'être orienté à la baisse .

Aussi, le rapporteur général estime nécessaire de :

- procéder à la « contemporanéisation » du FCTVA, afin que les dépenses engagées au cours de l'année donnent lieu à des versements au cours de cette même année, pour un coût de trésorerie estimé à 5,1 milliards d'euros en 2020 ;

- mieux répartir les crédits supplémentaires de soutien à l'investissement local en mobilisant, en plus de la DSIL, la dotation d'équipement des territoires ruraux (DETR).

Par ailleurs, le rapporteur général considère que garantir les ressources des collectivités territoriales constitue une dimension essentielle du soutien à l'investissement local . Aussi, il estime utile :

- de mieux compenser les baisses de recettes subies par Ile-de-France Mobilité, en accordant notamment à cet établissement public des avances remboursables à hauteur de 800 millions d'euros ;

- de s'assurer que toutes les collectivités bénéficieront bien d'une garantie de ressource suffisante en 2020 , y compris pour les régions.

2. Aider les entreprises à financer leurs projets d'investissement (6 milliards d'euros)

Ainsi que cela a été précédemment rappelé, les mesures de soutien mises en oeuvre depuis le début de la crise ont permis d'accompagner efficacement les entreprises pour faire face à la chute brutale d'activité induite par les mesures de confinement. En suspendant certaines de leurs dépenses par le recours à l'activité partielle et les reports d'échéances fiscales et sociales, ou en facilitant l'accès à des liquidités via le prêt garanti par l'État, ces mesures ont soulagé la trésorerie des entreprises .

Passée l'urgence, les entreprises vont désormais publier leurs comptes semestriels et évaluer l'impact des derniers mois sur leurs résultats, puis tenter d'envisager l'avenir.

Au-delà du soutien immédiat à la trésorerie, les pertes d'activité affecteront profondément les résultats des entreprises en 2020 , ce que reflète la nouvelle correction à la baisse des prévisions de recettes de l'impôt sur les sociétés, divisées par trois depuis le début de la crise sanitaire, de 48,2 milliards d'euros à 15,7 milliards d'euros.

Face à cette situation, le Gouvernement se contente pour l'instant d'aménager à la marge les outils existants.

Tout en proposant un remboursement anticipé des créances de report en arrière des déficits (« carry back ») 89 ( * ) , il n'opère aucun assouplissement du dispositif, dont les modalités ont été bridées en 2011 après son utilisation en réponse à la crise financière 90 ( * ) . Les entreprises n'auront d'autre choix que de reporter en avant leurs déficits, traînant dans leurs comptes les effets de la crise sanitaire et limitant la participation ultérieure des salariés. À défaut de dégager rapidement des bénéfices, dans un contexte où de nombreuses entreprises devront commencer dès l'année prochaine à rembourser les prêts de trésorerie contractés, elles ne pourront rapidement imputer leur déficit.

Un tel choix n'est pas de nature à orienter positivement les décisions d'investissement des entreprises , pour lesquelles le Gouvernement n'envisage de surcroît aucune mesure d'incitation.

C'est pourquoi le rapporteur général estime indispensable de mobiliser plus largement le « carry back » comme outil d'absorption rapide des pertes , à l'image de ce qu'a déjà annoncé l'Allemagne, et d'orienter les investissements des entreprises, en prenant en compte l'impératif de transition écologique . Ces décisions doivent être prises rapidement , afin que les entreprises puissent en tenir compte dans leurs projections et que leurs effets positifs se ressentent.

À cette fin, le rapporteur général propose dans le cadre du présent projet de loi de finances rectificative :

- d'assouplir, de façon puissante mais temporaire, le « carry back » , en autorisant, sans limitation de montant, le report sur les deux exercices précédents des déficits constatés au titre d'un exercice clos entre le 15 juillet 2020 et le 31 décembre 2021 ;

- d'instaurer un mécanisme de « fusion verte » des entreprises , en élargissant les possibilités de transfert de déficits en cas de fusion ou d'opération assimilée, permettant ainsi à l'administration fiscale de donner son agrément à une opération entraînant un changement significatif d'activité dès lors qu'il s'accompagne de la mise en oeuvre, par la société absorbante, d'une stratégie de réduction de ses émissions de gaz à effet de serre, étayée par un plan d'investissement ;

- de renforcer les coefficients d'amortissement dégressif pour les biens acquis ou fabriqués jusqu'au 31 décembre 2021.

S'il est élevé 91 ( * ) , le coût des mesures proposées par le rapporteur général relève essentiellement d'un impact de trésorerie pour l'État . En effet, sauf à considérer que l'ensemble des entreprises feront faillite à l'avenir, l'arbitrage entre report en arrière et report en avant est neutre pour les finances publiques. Il en est de même pour l'accélération de l'amortissement dégressif. Seul le mécanisme de « fusion verte » pourrait se traduire par une perte de recettes. Elle ne peut être estimée faute de données sur les fusions susceptibles d'intervenir mais resterait malgré tout limitée.

En parallèle, il est nécessaire d'apporter un soutien aux fonds propres des entreprises, en ciblant particulièrement les PME , qui accèdent plus difficilement au crédit bancaire pour financer leurs investissements.

À cette fin, le rapporteur général propose dans le cadre du présent projet de loi de finances rectificative :

- de renforcer temporairement la réduction d'impôt sur le revenu « Madelin » accordée en cas de souscriptions au capital de jeunes PME , avec une majoration du taux à 50 % et un relèvement des limites annuelles de versement, pour un coût d'environ 250 millions d'euros ;

- de renforcer temporairement le « PEA-PME » , en exonérant les investissements réalisés de prélèvements sociaux, et non plus seulement d'impôt sur le revenu, pour un coût de l'ordre de 10 millions d'euros ;

- de moduler l'imposition au prélèvement forfaitaire unique des produits issus de l'assurance vie selon le degré d'investissement dans les produits de fonds propres , ainsi que cela a été proposé dans le cadre du rapport d'évaluation de la réforme de la fiscalité du capital de la commission des finances 92 ( * ) et adopté par le Sénat dans le cadre du projet de loi de finances pour 2020.

En complément de ces mesures transversales, un soutien sectoriel à l'investissement pourrait également être envisagé , en particulier dans le domaine des transports, particulièrement fragilisé par la crise.

Dans cette perspective, des mécanismes de suramortissement permettraient d'inciter les entreprises de transport à acheter des véhicules plus propres , avec :

- la création d'un suramortissement à hauteur de 30 % de la valeur d'origine pour l'achat d'avions émettant 15 % de CO2 de moins que ceux qu'ils remplacent. Cette mesure constituerait un soutien tant pour les compagnies aériennes françaises que pour les constructeurs aéronautiques et leurs sous-traitant ;

- le renforcement du suramortissement pour l'achat de poids lourds utilisant des énergies moins émettrices de CO2 (gaz naturel, énergie électrique, hydrogène, carburant B 100, etc .). Cette mesure permettrait d'aider tant les transporteurs routiers de marchandise que les constructeurs spécialisés dans la construction de poids lourds ;

- de soutenir les chantiers navals de Saint-Nazaire , qui devraient être affectés par les difficultés des compagnies de croisière, en prévoyant un renforcement du suramortissement pour l'achat d'équipements permettant l'utilisation d'énergie moins émettrice de CO2 (énergie électrique, hydrogène, gaz naturel liquéfié, etc .) pour la propulsion des navires et bateaux de transport de marchandises ou de passagers.

3. Soutenir les ménages dans leurs travaux de rénovation énergétique

L'investissement des entreprises ne doit pas conduire à négliger celui des ménages (construction de logements neufs et entretien-rénovation), qui représente près de 5 % du PIB et avait fortement pénalisé la reprise lors de la précédente crise - au point d'expliquer les deux tiers du différentiel de croissance entre la France et l'Allemagne sur la période 2008-2015 93 ( * ) .

Le soutien à la rénovation énergétique des logements doit naturellement être au coeur de la relance de l'investissement des ménages .

De ce point de vue, le plan d'investissement public déjà présenté contient des mesures fortes, avec notamment le renforcement pour les années à venir du budget de l'Anah (275 millions d'euros pour le programme « Habiter mieux ») et de la prime pour la rénovation énergétique (330 millions d'euros).

En complément de ces mesures ciblées sur les plus modestes, il apparaît nécessaire de soutenir les dépenses de rénovation énergétique réalisées en 2020 par les ménages aux revenus « intermédiaires » . Pour mémoire, ces derniers sont toujours éligibles au crédit d'impôt pour la transition énergétique (CITE) mais pour un champ de dépenses éligibles substantiellement réduit. 20 % des ménages, appartenant aux deux derniers déciles de revenus, sont quant à eux exclus du bénéfice du crédit d'impôt.

Aussi, le rapporteur général propose :

- d'une part, d' étendre le bénéfice du CITE aux bailleurs privés, sous conditions de ressources . Dès lors qu'il n'appartient pas aux locataires de supporter la charge financière des travaux de rénovation énergétique, il apparaît nécessaire d'étendre le bénéfice du CITE aux propriétaires bailleurs, d'autant plus que le coût de cette mesure devrait être particulièrement limité, puisqu'il peut être estimé à environ 15 millions d'euros par an ;

- d'autre part, de maintenir le CITE pour les ménages des 9 ème et 10 ème déciles de revenus , pour les dépenses les plus importantes, dites de « rénovation globale » (bouquet de travaux), et de prolonger ce bénéfice pour 2021. Le coût de cette mesure est estimé à 10 millions d'euros par an.


* 86 « Stratégie à mettre en oeuvre pour relancer l'économie », communication d'Albéric de Montgolfier, rapporteur général, devant la commission des finances, mardi 16 juin 2020.

* 87 En effet, si un plan de soutien présente un coût de 1 point de PIB ex-ante, il conduit à élever le PIB d'1 point avec un multiplicateur unitaire, ce qui améliore le solde public de 0,63 point de PIB ex-post, compte tenu de la semi-élasticité budgétaire à l'écart de production qu'utilise la Commission européenne pour la France. Le coût budgétaire net correspond donc à 37 % du coût brut.

* 88 Le montant indiqué correspond à l'effort supplémentaire qui serait engagé sur la période 2020-2022 au titre des investissements en équipements militaires par rapport à la trajectoire prévue en loi de programmation militaire (LPM). La mesure proposé consiste en un lissage de la trajectoire ne modifiant pas in fine le montant global pluriannuel prévu par la LPM.

* 89 Proposé à l'article 2 du présent projet de loi de finances rectificative.

* 90 Le report en arrière des déficits est autorisé sur le seul exercice précédent, dans la limite d'un plafond d'un million d'euros, contre un report sans limitation de montant sur les trois exercices précédents durant la crise de 2008-2009.

* 91 Le coût de l'assouplissement temporaire du « carry back » peut être estimé à 4 milliards d'euros environ, le renforcement des coefficients d'amortissement dégressif à un milliard d'euros environ.

* 92 « Rapport d'évaluation de la transformation de l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF) en impôt sur la fortune immobilière (IFI) et de la création du prélèvement forfaitaire unique (PFU) », rapport d'information n° 42 (2019-2020) de Vincent Éblé et Albéric de Montgolfier, fait au nom de la commission des finances et déposé le 9 octobre 2019.

* 93 « Le redressement de l'investissement immobilier résidentiel est-il durable ? », Trésor-Éco n° 201, 11 juillet 2017, p. 3.

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