N° 82

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2020-2021

Enregistré à la Présidence du Sénat le 28 octobre 2020

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur le projet de loi organique (procédure accélérée) relatif à la simplification des expérimentations mises en oeuvre sur le fondement du quatrième alinéa de l' article 72 de la Constitution ,

Par M. Mathieu DARNAUD et Mme Françoise GATEL,

Sénateurs

(1) Cette commission est composée de : M. François-Noël Buffet , président ; Mmes Catherine Di Folco, Marie-Pierre de La Gontrie, MM. Christophe-André Frassa, Jérôme Durain, Marc-Philippe Daubresse, Philippe Bonnecarrère, Mme Nathalie Goulet, M. Alain Richard, Mmes Cécile Cukierman, Maryse Carrère, MM. Alain Marc, Guy Benarroche , vice-présidents ; M. André Reichardt, Mmes Laurence Harribey, Jacky Deromedi, Agnès Canayer , secrétaires ; Mme Éliane Assassi, MM. Philippe Bas, Arnaud de Belenet, Mmes Catherine Belrhiti, Esther Benbassa, MM. François Bonhomme, Hussein Bourgi, Mme Valérie Boyer, M. Mathieu Darnaud, Mmes Françoise Dumont, Jacqueline Eustache-Brinio, M. Pierre Frogier, Mme Françoise Gatel, M. Loïc Hervé, Mme Muriel Jourda, MM. Patrick Kanner, Éric Kerrouche, Mikaele Kulimoetoke, Jean-Yves Leconte, Henri Leroy, Stéphane Le Rudulier, Mme Brigitte Lherbier, MM. Didier Marie, Hervé Marseille, Mme Marie Mercier, MM. Thani Mohamed Soilihi, Jean-Yves Roux, Jean-Pierre Sueur, Mmes Lana Tetuanui, Claudine Thomas, Dominique Vérien, M. Dany Wattebled .

Voir les numéros :

Sénat :

680 (2019-2020) et 83 (2020-2021)

L'ESSENTIEL

Réunie le mercredi 28 octobre 2020 sous la présidence de François-Noël Buffet (Les Républicains - Rhône), la commission des lois a adopté, sur le rapport de Mathieu Darnaud (Les Républicains - Ardèche) et de Françoise Gatel (Union centriste - Ille-et-Vilaine), le projet de loi organique n° 680 (2019-2020) relatif à la simplification des expérimentations mises en oeuvre sur le fondement du quatrième alinéa de l'article 72 de la Constitution .

Ce texte permet une simplification du recours aux expérimentations locales et prévoit de nouvelles issues au terme de celles-ci. Il ne s'agit toutefois que d'ajustements essentiellement techniques, qui ne sont pas de nature à consacrer un véritable droit à la différenciation. Une révision constitutionnelle serait pour ce faire nécessaire, à l'image de celle portée par l'article 3 de la proposition de loi constitutionnelle pour le plein exercice des libertés locales , adoptée par le Sénat le 20 octobre 2020.

Suivant l'avis de ses rapporteurs, la commission des lois a adopté le projet de loi organique, en clarifiant les issues possibles à l'issue de l'expérimentation et en renforçant son évaluation, consubstantielle à la méthode expérimentale.

I. LES EXPÉRIMENTATIONS SUR LE FONDEMENT DU QUATRIÈME ALINÉA DE L'ARTICLE 72 DE LA CONSTITUTION : UN DISPOSITIF PEU UTILISÉ

A. L'INSCRIPTION DANS LA CONSTITUTION DES EXPÉRIMENTATIONS LOCALES EN 2003

La méthode expérimentale, selon laquelle les théories doivent être observées et évaluées afin d'éliminer celles qui ne fonctionnent pas et de les remplacer par d'autres, a d'abord fondé le développement des sciences biologiques, physiques et médicales avant de s'étendre aux sciences sociales.

La recherche en sciences sociales s'est par la suite progressivement imposée comme un outil indispensable pour la conception des politiques publiques. C'est ainsi que l'expérimentation, qui consiste à mettre en oeuvre temporairement un dispositif afin d'en mesurer, à son terme, les effets au regard d'une évaluation, a été reconnue comme une méthodologie permettant d'éclairer la décision publique.

Les premières expérimentations ont été mises en oeuvre dès 1959, avec la loi n° 59-1557 du 31 décembre 1959 dite « loi Debré » 1 ( * ) sur l'enseignement privé qui prévoyait, dans son article 9, que les contrats dits « simples » ne pouvaient être conclus que pour neuf ans. La loi prévoyait ensuite que le Gouvernement, au regard d'une évaluation réalisée par le comité national de conciliation, devait saisir le Parlement « de dispositions nouvelles destinées à prolonger ce régime, à le modifier ou le remplacer ».

Le droit français a ainsi progressivement reconnu l'expérimentation , qui est désormais un instrument bien intégré dans la culture administrative. Tant la jurisprudence constitutionnelle 2 ( * ) qu'administrative 3 ( * ) ont admis qu'une autorité administrative peut procéder à une expérimentation en édictant, pour une période temporaire, une règle dérogatoire ne s'appliquant qu'à une partie de la population ou du territoire.

Toutefois, le juge constitutionnel avait jugé contraire à la Constitution l'habilitation par le législateur des collectivités territoriales à déroger, à titre expérimental, à des dispositions législatives et réglementaires en vigueur . Il avait considéré que le législateur ne pouvait déléguer sa compétence dans un cas non prévu par la Constitution, fût-ce à titre expérimental, dérogatoire et limité dans le temps 4 ( * ) .

C'est la raison pour laquelle le Parlement a souhaité inscrire cette possibilité dans la Constitution par la loi constitutionnelle n° 2003-276 du 28 mars 2003 relative à l'organisation décentralisée de la République . Un dispositif de portée générale, inscrit à l'article 37-1, a ainsi été complété par un dispositif plus spécifique inscrit au quatrième alinéa de l'article 72. Celui-ci permet aux collectivités territoriales de déroger, à titre expérimental et pour un objet et une durée limités, aux dispositions législatives ou règlementaires qui régissent l'exercice de leurs compétences 5 ( * ) .

Les conditions d'une telle expérimentation ont été précisées par la loi organique n° 2003-704 du 1 er août 2003 relative à l'expérimentation par les collectivités territoriales , dont les dispositions ont été codifiées aux articles L.O. 1113-1 à L.O. 1113-7 du code général des collectivités territoriales 6 ( * ) .

Il revient à la loi ou, le cas échéant, au décret, d'autoriser les collectivités territoriales à déroger à titre expérimental aux dispositions législatives ou réglementaires qui régissent l'exercice de leurs compétences . La loi ou le décret définissent également la durée de l'expérimentation, qui ne peut excéder cinq ans renouvelables une fois pour une durée de trois ans, et mentionnent les dispositions auxquelles il peut être dérogé. Ils précisent également la nature juridique et les caractéristiques des collectivités territoriales autorisées à participer à l'expérimentation ainsi que, le cas échéant, les cas dans lesquels l'expérimentation peut être entreprise.


* 1 Loi n° 59-1557 du 31 décembre 1959 sur les rapports entre l'État et les établissements d'enseignement privés .

* 2 Conseil constitutionnel, 28 juillet 1993, n° 93-322 DC : « il est [...] loisible au législateur de prévoir la possibilité d'expériences comportant des dérogations aux règles ci-dessus définies de nature à lui permettre d'adopter par la suite, au vu des résultats de celles-ci, des règles nouvelles appropriées à l'évolution des missions de la catégorie d'établissements en cause ».

* 3 Conseil d'État, 24 juin 1993, n° 353605.

* 4 Conseil constitutionnel, 17 janvier 2002, n°2001-454 DC.

* 5 Le quatrième alinéa de la Constitution dispose désormais que « Dans les conditions prévues par la loi organique, et sauf lorsque sont en cause les conditions essentielles d'exercice d'une liberté publique ou d'un droit constitutionnellement garanti, les collectivités territoriales ou leurs groupements peuvent, lorsque, selon le cas, la loi ou le règlement l'a prévu, déroger, à titre expérimental et pour un objet et une durée limités, aux dispositions législatives ou réglementaires qui régissent l'exercice de leurs compétences ».

* 6 Ils constituent le chapitre III du titre unique du livre I er de la première partie du code général des collectivités territoriales, intitulé « Expérimentation ».

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