E. LES INVESTISSEMENTS INFORMATIQUES : UN ENJEU TOUJOURS AUSSI ESSENTIEL POUR LA DGFIP ET LA DGDDI, CONFRONTÉES À UNE IMPORTANTE DETTE TECHNOLOGIQUE

1. Les dépenses informatiques : un impératif de rénovation et d'innovation
a) Des applications essentielles au bon fonctionnement de l'État

Les enjeux informatiques de la DGFiP et de la DGDDI sont particulièrement élevés. Les deux directions assurent des missions essentielles au bon fonctionnement de l'État, en assurant le recouvrement de ses ressources et la gestion d'une partie de ses dépenses . À cela s'ajoute pour la DGDDI la gestion d'un service de cloud au profit de plusieurs administrations , pour un coût d'hébergement d'environ 9 000 euros par baie. Dans le PLF 2021, 10,5 millions d'euros sont ainsi dédiés aux services d'infrastructures (hébergement) , dont 24 % de dépenses d'investissement.

Les rapporteurs spéciaux estiment que, jusqu'en 2019, les crédits informatiques de ces deux directions ont quelque peu servi de variables d'ajustement . Les circonstances ont cependant rendue plus que nécessaire la résilience des moyens informatiques. Comme le rappelle la Cour des comptes dans son rapport sur les systèmes d'information de la DGFiP et de la DGDDI 44 ( * ) , les crédits informatiques de la DGDDI ont été relevés pour lui permettre de faire face à la dématérialisation du dédouanement 45 ( * ) , au plan de lutte contre le terrorisme et à la préparation du Brexit. La baisse du budget informatique de la DGFiP a quant à elle été enrayée pour permettre la mise en oeuvre du prélèvement à la source, la modernisation de ses missions (par exemple le contrôle fiscal) et pour poursuivre la dématérialisation des procédures (par exemple pour les biens immobiliers).

Résorber la dette technologique , c'est avant tout s'assurer de la sécurité des systèmes d'information à long terme et gérer les risques liés à leur fonctionnement. Dans son rapport, la Cour des comptes juge que les systèmes sont gérés avec fiabilité, mais que c'est bien leur ancienneté, voire leur obsolescence, qui est source de faiblesses . La DGFiP estime ainsi que 9 % de ses applications sont obsolètes... dont celle chargée d'éditer les bulletins de salaire et de pension des agents de la fonction publique. Dans leur rapport de contrôle sur le recouvrement des amendes de circulation et les forfaits de post-stationnement, les rapporteurs spéciaux Thierry Carcenac et Claude Nougein avaient longuement insisté sur les insuffisances du logiciel utilisé, vieux de 25 ans et aux possibilités limitées 46 ( * ) .

Les rapporteurs spéciaux relèvent toutefois plusieurs évolutions positives . Par exemple, le contrat d'objectifs et de moyens signé le 16 mars 2020 par le secrétariat général du MEFR, la direction du budget et la DGFiP inclut une trajectoire de résorption de la dette technique 47 ( * ) , et le schéma directeur informatique de la DGFiP devrait bientôt être achevé . Les rapporteurs spéciaux ne peuvent s'empêcher de rappeler que le ministère de l'économie, des finances et de la relance est le seul à ne pas disposer d'un schéma directeur informatique récent, alors même qu'il porte la majorité des applications informatiques et des grands projets 48 ( * ) .

La révision de la gouvernance des systèmes d'information de la DGDDI devrait quant à elle être achevée d'ici à la fin de l'année 2020. Sur le plan des ressources humaines, la DGFiP a lancé une démarche de GPEC pour l'ensemble des métiers informatiques , afin de mieux pouvoir identifier ses besoins à moyen-terme (10 ans). Comme les rapporteurs spéciaux l'ont rappelé en première partie, le recrutement de compétences dans les domaines informatique et numérique est en effet un enjeu pour la transformation des administrations et, plus généralement, pour le ministère. DGFiP et DGDDI étudient toutes deux la question de la diversification de leurs modes de recrutement.

b) Dépenses de fonctionnement ou dépenses d'intervention ?

Forcées de se confronter à leur dette technologique, la DGFiP et la DGDDI doivent allouer la majorité de leurs crédits informatiques à la maintenance d'applications anciennes, ce qui préempte, en retour, tout investissement sur des projets innovants et davantage porteurs de gains de productivité.

Dès la loi de finances initiale pour 2019, les crédits informatiques de la mission avaient connu une hausse importante , pour atteindre 411,9 millions d'euros, un montant record . Le programme 156 devait bénéficier de la moitié de ce budget (199 millions d'euros), ses dépenses informatiques retrouvant un niveau légèrement inférieur à celui constaté en 2014 (208 millions d'euros), année qui avait représenté le niveau le plus haut de dépenses. Toutefois, l'exécution de ces crédits avaient été quelque peu décevante : une partie des crédits qui devaient soutenir des dépenses d'investissements informatiques avait été reclassée en dépenses de fonctionnement 49 ( * ) . Pour les rapporteurs spéciaux, s'il est certes parfois difficile de distinguer investissement et fonctionnement, cette sous-consommation illustre surtout le poids de la dette technologique des administrations de la mission.

En termes de volume de crédits néanmoins, la dynamique positive observée en 2019 s'était poursuivie en 2020 , avec notamment une augmentation inédite des crédits informatiques de 40 % en AE et de 22 % en CP pour la DGFiP (les crédits informatiques de la DGFiP étaient estimés à environ 261 millions d'euros). Les rapporteurs spéciaux espèrent qu'une partie de ces crédits a pu être allouée à des dépenses d'investissement , essentielles pour renouveler le parc applicatif et les systèmes d'information. Ils relèvent également que la moyenne du budget informatique alloué aux administrations fiscale et douanière en France (7 %) est inférieure à celle observée dans d'autres pays occidentaux (entre 10 % et 20 %) 50 ( * ) .

c) Un nécessaire recours à des vecteurs budgétaires extérieurs

Pour contourner ces difficultés, et ce malgré la hausse des budgets informatiques, la DGFiP et la DGDDI recourent, pour le financement de leurs projets innovants, au Fonds pour la transformation de la fonction publique (FTAP), en particulier pour le développement d'applications destinées à tirer profit des données massives à leur disposition. La DGDDI a ainsi obtenu 18,8 millions d'euros au profit du « Projet 3D » ( cf. supra ).

La DGFiP, parmi d'autres projets 51 ( * ) , a par exemple obtenu 13,4 millions d'euros pour le projet PILAT (Pilotage et analyse du contrôle), sur un coût total estimé à 26 millions d'euros . Ce projet est destiné à aider les agents à mieux cibler la fraude et à automatiser les travaux de suivi en améliorant les interfaces entre les nombreuses applications numériques dédiées au contrôle fiscal. Les rapporteurs spéciaux relèvent qu' il avait fait l'objet d'un premier avis réservé de la part de la direction interministérielle du numérique (Dinum) , qui en avait souligné les multiples risques (pas de pilotage fin des coûts, pas la bonne méthode de construction, pas de marges de sécurité, une déclinaison des risques du projet insuffisante). Les rapporteurs spéciaux tiennent à rappeler que l e recours à d'autres vecteurs budgétaires ne doit pas conduire les administrations à faire fi des recommandations de la Dinum, au risque que les difficultés de pilotage de ces projets s'aggravent .

2. Le pilotage des projets informatiques, un enjeu persistant pour la DGFiP

Les grands projets informatiques des programmes 156 et 218

Sur le programme 156 :

- GMBI [Gérer mes biens immobiliers] (nouveau) : offrir un nouveau service en ligne accessible aux usagers, particuliers comme professionnels pour apporter une vision d'ensemble des propriétés bâties sur lesquelles le propriétaire détient un droit, permettre de procéder en ligne aux obligations déclaratives relatives aux locaux, dématérialiser les déclarations foncières ou encore collecter auprès des propriétaires les loyers des locaux d'habitation dans le cadre de la révision des valeurs locatives ;

- MISTRAL : management interactif de la situation au trésor. Ce projet vise à moderniser l'activité bancaire de la DGFiP, qui découle du principe d'obligation de dépôt des fonds au Trésor pour 130 000 organismes publics (État ou locaux) ;

- PAYSAGE : consolidation de l'application de paye des agents de l'État. Après la suspension du volet système d'information paye du programme d'Opérateur national de paye, ce projet entend consolider l'application actuelle de paye afin de sécuriser le paiement des traitements des fonctionnaires ;

- PILAT : transformer le système `information relatif à la chaîne du contrôle fiscal pour moderniser le travail du vérificateur, tirer profit des travaux d'analyse de données de masse et améliorer la productivité du contrôle fiscal, ainsi que son pilotage.

Sur le programme 218 :

- DSN : adoption et mise en conformité des trois versants de la fonction publique au dispositif de déclaration unique et dématérialisé (au plus tard en janvier 2022) ;

- Regroupement des centres informatiques : rénovation et regroupement des centres informatiques du ministère au fur et à mesure de leur obsolescence ;

- RENOIRH : allocation de moyens complémentaires pour développer des services supplémentaires pour les ministères et établissements publics en matière de pilotage des effectifs et de la masse salariale ;

- SIRANO : rénovation du système d'information décisionnel de Tracfin, afin de mieux gérer l'afflux considérable d'informations, la multiplication de leurs catégories et de leurs sources ;

- TNCP : simplifier les démarches des acheteurs et des entreprises en proposant une offre de services numériques permettant une dématérialisation de toute la chaine de commande publique et en exploitant les données des marchés.

Source : documents budgétaires

Alors que la Cour des comptes a remis, à la demande de la commission des finances du Sénat, un rapport sur le pilotage par l'État des grands projets informatiques 52 ( * ) , les rapporteurs spéciaux souhaitent à nouveau attirer l'attention sur la conduite des projets informatiques de la mission « Gestion des finances publiques », qui connaissent de manière récurrente des dépassements de délais et de coûts relativement élevés , comme l'illustre le graphique ci-après.

Évolution des coûts et des délais des principaux projets informatiques
portés par les programmes 156 et 218

(en euros et en mois)

Source : commission des finances, d'après les documents budgétaires

Ces dépassements montrent que la DGFiP et le secrétariat du ministère de l'économie, des finances et de la relance connaissent quelques difficultés à mener à bien ces projets en tenant les budgets et les délais impartis. Les rapporteurs spéciaux réitèrent donc leur appel à la vigilance , alors que la mission représente à elle seule 15 % des projets informatiques de l'État et 20 % des dépenses. Il faut des indicateurs de pilotage bien plus clairs, tant sur les coûts que sur les délais, avec un système d'alerte .

L'une des recommandations de la Cour des comptes dans la communication précitée préconise de redonner au secrétariat général du MEFR un rôle plus déterminant dans la conduite et le pilotage des projets informatiques. Lors de son audition, la secrétaire générale du MEFR a estimé qu' une centralisation excessive des projets informatiques menés par les directions du ministère ne serait toutefois pas judicieuse , à la fois pour la responsabilisation des gestionnaires, mais également pour la bonne gestion des projets, qui doivent être suivis par les directions métiers. Selon elle, le secrétariat général a plutôt vocation à piloter les projets à dimension interministérielle, y compris les achats de matériel.

Les rapporteurs spéciaux sont plus partagés et estiment que les défauts de pilotage des projets sont partagés, que ce soit au niveau des directions métiers ou au niveau du secrétariat général . Ils ne peuvent qu'encourager les administrations à porter des projets plus « légers », à respecter les recommandations émises par la Direction interministérielle du numérique sur les plus importants d'entre eux, à améliorer l'évaluation préalable de ces projets et à disposer de système d'alerte en cas de dépassements.


* 44 Cour des comptes, Les systèmes d'information de la DGFiP et de la DGDDI, mai 2019.

* 45 La Douane suit notamment le projet « GUN - Guichet unique de dédouanement » qui dématérialise, automatique et sécurise le contrôle documentaire des déclarations en douane accompagnées d'un document d'ordre public (DOP). Son objectif à terme est d'établir une douzaine d'interconnexions avec les systèmes d'information des administrations partenaires afin de permettre le traitement automatisé de 400 000 déclarations en douane par an assorties d'un DOP.

* 46 Rapport d'information n°651 (2018-2019) de MM. Thierry CARCENAC et Claude NOUGEIN, fait au nom de la commission des finances.

* 47 Conformément à la première recommandation de la Cour des Comptes dans son rapport sur les systèmes d'information de la DGFiP et de la DGDDI (avril 2019).

* 48 Selon les données figurant dans la communication de la Cour des comptes à la commission des finances du Sénat sur le pilotage des grands projets numériques de l'État (juillet 2020).

* 49 Tome II du rapport n° 528 (2019-2020) de M. Albéric de MONTGOLFIER, rapporteur général, fait au nom de la commission des finances, déposé le 17 juin 2020. Mission « Gestion des finances publiques et des ressources humaines » (rapporteurs spéciaux : MM. Thierry CARCENAC et Claude NOUGEIN).

* 50 D'après les données figurant dans la communication de la Cour des comptes sur le pilotage des grands projets numériques de l'État, où elle opère une comparaison entre la France, les États-Unis, la Suède, le Royaume-Uni ou le Canada.

* 51 La DGFiP aurait bénéficié de crédits en provenance du Fonds pour la transformation de l'action publique à hauteur de 70 millions d'euros entre 2018 et 2019. Lors du troisième appel à projet, elle a par exemple bénéficié de 12,1 millions d'euros pour le projet « Foncier innovant » (coût total de 24,3 millions d'euros), destiné à fiabiliser les bases de la fiscalité directe locale grâce aux technologies innovantes d'intelligence artificielle et de big data.

* 52 Cour des Comptes, Commission à la commission des finances du Sénat : « La conduite des grands projets informatiques de l'État » (juillet 2020).

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