C. LES CRÉDITS DU PROGRAMME 158 : UNE STABILITÉ DES CRÉDITS TRADUISANT UNE BUDGÉTISATION AU FIL DE L'EAU QUI NE PEUT RECUEILLIR L'ASSENTIMENT DU RAPPORTEUR SPÉCIAL

Le programme 158 porte les indemnisations versées sous forme de rente ou de capital aux victimes de spoliations et de persécutions antisémites ou d'actes de barbarie perpétrés pendant la Seconde Guerre mondiale.

Il finance également les moyens mis en oeuvre pour instruire les dossiers de spoliations antisémites.

Les indemnisations versées correspondent à trois dispositifs distincts, relativement récents, régis par les différents décrets suivants : n° 99-778 du 10 septembre 1999 sur la réparation des spoliations antisémites et n° 2000-657 du 13 juillet 2000 sur les orphelins dont les parents ont été victimes d'actes antisémites (action 01 « Indemnisation des orphelins de la déportation et des victimes de spoliations du fait des législations antisémites en vigueur pendant l'Occupation ») et le décret n° 2004-751 du 27 juillet 2004 (action 02 « Indemnisation des victimes d'actes de barbarie durant la Seconde Guerre mondiale ») qui instaure un dispositif d'indemnisation décalqué du précédent, mais ouvert aux ayants droit de tous les déportés et victimes d'actes de barbarie

Le rapporteur spécial a consacré un rapport d'évaluation et de contrôle aux résultats de l'action de réparation des spoliations antisémites, qui a connu au cours des années 2018 et 2019 une évolution dont le principe doit être salué.

Le projet de budget pour 2020 ne permettait pas d`en envisager la complète concrétisation ; il en va de même du projet de budget pour 2021, même si les crédits sont préservés.

Évolution des dotations du programme 158 entre 2020 et 2021

1. Une stabilisation des crédits

Les crédits prévus pour le programme 158 étaient en repli de 12,4 millions d'euros l'année dernière.

Cette évolution touchait les deux actions du programme mais elle provenait très majoritairement de la baisse des moyens programmés au titre de la première d'entre elles consacrée à l'indemnisation des victimes d'actes antisémites (les orphelins et les victimes de spoliations).

Les indemnisations dues à ce dernier titre étaient particulièrement concernées, ce qui constituait un motif d'inquiétude.

Pour 2021, les dotations demandées sont à peu près stabilisées (93,1  millions d'euros contre 93,5 millions d'euros en 2020), n'inspirant guère d'espoir que les problèmes récurrents touchant la réparation des spoliations antisémites puissent être surmontés.

Données sur la programmation budgétaire
(2019 à 2021)

(en euros)

Note : l'avant-dernière colonne compare en réalité le projet de loi de finances pour 2021 à la loi de finances pour 2019.

Source : réponse au questionnaire du rapporteur spécial

Les dotations correspondent pour l'essentiel (98 %) à des crédits d'intervention répartis en deux actions dont les moyens restent, pour chacune, à peu près inchangés :

- l'action 01 réunit 41,9 millions d'euros contre 42,5 millions d'euros de crédits en 2020 (45,1 % des dotations du programme). Elle est majoritairement dédiée (34,1 millions d'euros, soit plus de 81 % de ses moyens) aux versements des indemnités dues aux orphelins des victimes de persécutions antisémites. Au total, les crédirentiers bénéficiant de cette catégorie d'interventions seraient au nombre de 4 489 (en baisse de 125 contre 216 l'an dernier, soit -2,7%) pour une rente annuelle de 7 566 euros (630,46 euros par mois). Ces dotations sont complétées par les moyens réservés à la réparation des spoliations commises pendant la Seconde Guerre mondiale aux dépens des juifs. Ils s'élèvent à 7,8 millions d'euros (comme l'an dernier mais contre 16,9 millions d'euros en 2019) dont des crédits de l'ordre de 1,8 million d'euros pour assurer le fonctionnement de la commission d'indemnisation des victimes de spoliations (1,5 million d'euros de crédits de personnel) ;

- de son côté, l'action 02 sert également des arrérages, mais aux orphelins des victimes d'actes de barbarie commis pendant la Seconde Guerre mondiale, dont les droits ont été aménagés en 2004 quelques années après ceux des orphelins des victimes de persécutions antisémites (2000) 35 ( * ) . Elle est dotée de 51 millions d'euros (54,9 % du total) soit approximativement le montant prévu en 2020.

Le calibrage des dotations est, en partie, hypothétique, mais il témoigne également du degré de volontarisme choisi pour accomplir l'oeuvre de réparation.

Si la valeur unitaire de plusieurs indemnisations est aisément prévisible, quand elles sont versées sous forme de rentes, dont les conditions d'indexation sont prédéterminées, il n'en va pas de même pour les indemnisations correspondant aux spoliations antisémites.

Deux variables peuvent en influencer le montant effectif.

Les enjeux de chaque demande sont fortement variables et sont mal anticipés du fait d'un insuffisant travail d'élucidation des dettes à honorer. La présentation de nouvelles demandes à très forts enjeux intervenue ces dernières années vient amplement le confirmer.

En outre, l'existence d'un stock important de dossiers à traiter combinée avec un problème particulier au mécanisme d'indemnisation, longtemps demeuré sans réponse satisfaisante (voir infra ) peut perturber les prévisions budgétaires.

Pour l'ensemble des indemnisations cette fois, joue encore l'incertitude, relative parfois, sur les évolutions de la population des crédirentiers.

2. Des horizons d'indemnisation différenciés selon le dispositif envisagé

Il y a lieu de distinguer les réparations accordées aux orphelins des victimes des persécutions antisémites et d'actes de barbarie commis durant la Seconde Guerre mondiale de celles prévues dans le cadre du dispositif portant sur les spoliations.

a) Les réparations accordées aux orphelins des victimes de persécutions antisémites et d'actes de barbarie méritent une mise à jour légale d'un avantage fiscal au demeurant peu contestable...

À ces deux régimes correspondent des indemnisations suivant un régime identique. Les allocataires disposent d'une option entre le versement d'un capital dont le montant est invariablement de 27 440,82 euros et l'attribution d'une rente mensuelle, qui, quant à elle, est revalorisée.

Son niveau atteint 615,1 euros à partir du 1 er janvier 2020 contre 600,8 euros l'an dernier.

Les modalités de revalorisation des rentes ont été fixées par deux décrets de 2009 au taux de 2,5 % chaque 1 er janvier, soit une modalité de revalorisation déliée de toute considération de nature économique, mais supérieure à la cible d'inflation visée par les autorités monétaires (2 %) et plus encore à l'inflation constatée.

Ces modalités d'indexation impliquent un fort dynamisme - les rentes ont connu une revalorisation de près de 35 % depuis 2009 - qui peut apparaître contestable au vu des évolutions économiques et des contraintes, certes très critiquables, exercées sur d'autres prestations financées par la mission.

Par ailleurs, les crédirentiers bénéficient d'une exonération de l'imposition sur le revenu des indemnités qui leur sont versées.

Même s'il faut affirmer qu'elle correspond en tous points à l'esprit des exonérations que le législateur a entendu réserver à des indemnités analogues, cette exonération manque de base légale, situation que le rapporteur spécial recommande de corriger chaque année, en vain.

b) ..et appellent une actualisation du dispositif prévu pour les orphelins de victimes d'actes de barbarie...

La direction des missions de l'ONAC-VG, chargée d'instruire les demandes reçues au titre du décret du 27 juillet 2004, continue d'enregistrer à ce titre un nombre significatif de nouvelles demandes : en 2018, 139 nouvelles demandes ont été enregistrées ; au 31 juillet 2019, la direction des missions a comptabilisé 40 nouvelles demandes. Quant aux orphelins de victimes d'actes de persécution antisémite, les demandes nouvelles sont en faible nombre : 11 nouvelles demandes en 2018 et 3 nouvelles demandes en 2019 (juillet de l'année).

Le rapporteur spécial estime que le dispositif d'indemnisation des orphelins de victimes d'actes de barbarie pourrait être étendu, les dispositions du décret ouvrant les droits correspondants en excluant des populations qui pourraient être assimilées. Il relève au demeurant que la réponse à son questionnaire semble le concéder, en creux.

Ainsi y est-il indiqué que, « conformément à l'esprit du décret du 27 juillet 2004, et malgré le sentiment d'iniquité que pouvait susciter une telle position , sont exclus tous ceux qui avaient choisi le combat dans les rangs de l'armée régulière comme dans les rangs de la Résistance. De la même manière, n'a pu être envisagée l'indemnisation des orphelins de victimes civiles qui ont trouvé la mort lors des affrontements armés entre Allemands et Alliés ou lors de bombardements » .

c) ... tout en présentant des difficultés sensibles d'administration

L'instruction des dossiers d'indemnisation est réalisée par le département Reconnaissance et réparations de la direction des missions de l'Office national des anciens combattants et des victimes de guerre (ONAC-VG) pour les dossiers d'indemnisation des orphelins.

Conformément aux dispositions réglementaires, les décisions accordant les mesures de réparation financière sont prises par le Premier ministre, le paiement des indemnisations étant effectué par l'ONAC-VG. Dans ce cadre, le versement des crédits à l'ONAC-VG est assuré par les services du Premier ministre en vertu des trois décrets instituant les indemnisations et d'une convention-cadre entre les différents organismes.

Selon les informations disponibles, le nombre des demandes reçues dans le cadre de ces deux dispositifs a été inégal, le dispositif le plus récent (orphelins de victimes d'acte de barbarie) ayant suscité 34 384 demandes depuis 2004 quand celui réservé aux victimes d'actes antisémites a engendré 17 660 demandes au 1 er juillet 2020.

Le taux de réponse aux demandes transmises apparaît au premier regard comme peu satisfaisant, les services instructeurs ayant été quelque peu débordés, tout particulièrement les premières années, par le flux des dossiers reçus.

Pour les demandes formulées dans le cadre du dispositif de 2004, le taux de décision apparaît encore insuffisant même s'il a augmenté pour se situer à 78,8 %. Il est vrai que dans le contingent des non-réponses figurent les dossiers classés sans suite. En ce qui concerne les orphelins de persécutions antisémites, le taux de réponse est un peu supérieur (81,2 %).

Les taux de satisfaction sont également différents.

Dans le dernier cas mentionné (actes de barbarie), le taux de décision favorable atteindrait 66,2 % tandis qu'il ne serait que de 77,3 % pour les orphelins de victimes d'actes antisémites.

Le taux de conflictualité des décisions administratives n'est pas négligeable.

En ce qui concerne l'indemnisation des orphelins des victimes d'actes de barbarie, 1 037 recours ont été formés :

- 492 recours déposés par des personnes qui perçoivent l'aide financière prévue par le décret de 2004 mais qui ont demandé à bénéficier de la revalorisation du capital obtenu ou de la rétroactivité de la rente obtenue, à compter du 1 er août 2000, date à partir de laquelle les orphelins de victimes de l'antisémitisme ont été admis à l'indemnisation. Aucun des 492 recours déposés n'a prospéré, pour des raisons juridiquement fondées, mais difficiles à approuver en équité ;

- 545 recours déposés contre des décisions explicites ou implicites de rejet, contre 528 un an plus tôt, ce qui démontre une certaine aspérité contentieuse au vu d'un nombre de nouvelles demandes relativement faible (82 de janvier 2019 à fin juin 2020). Sur les 545 recours déposés, 476 ont été rejetés, 41 sont en cours et 28 décisions d'annulation ont été prononcées dans ces dossiers où le risque contentieux est plus élevé dès lors qu'il s'agit d'interpréter les conditions dans lesquelles un décès est survenu, plus de soixante-dix ans après les faits.

Au total, le nombre des bénéficiaires varie selon le dispositif envisagé 36 ( * ) . Les victimes de persécutions antisémites qui ont été indemnisées ont été au nombre de 13 651 (chiffre qui demanderait une évaluation du dispositif au regard de l'histoire). Moyennant quelques marges, le coût du dispositif pourrait avoir été jusqu'à présent de l'ordre de 887 millions d'euros.

Pour les victimes d'actes de barbarie, le nombre des crédirentiers a été nettement supérieur (22 773) pour un coût qui avoisine 1 131 millions d'euros.

Le coût moyen cumulé par bénéficiaire ressort ainsi supérieur pour le dispositif de réparation accordé aux orphelins de victimes d'actes antisémites du fait d'une ancienneté plus grande que vient tempérer la forte baisse du nombre des crédirentiers.

Ils ne sont plus que 4 489 contre un nombre de 6 652 au titre de l'indemnisation accordée aux orphelins de parents victimes d'acte barbarie.

d) Les indemnisations pour spoliations, un horizon beaucoup plus incertain anticipé a minima

Les réparations accordées aux victimes de spoliations antisémites présentent un enjeu financier difficile à établir.

Les crédits ouverts en 2019 (15 millions d'euros au titre des indemnités) avaient été nettement supérieurs à ceux de l'exercice précédent dernier. Pour 2020, un reflux considérable avait été programmé (6 millions d'euros seulement) ; il est confirmé en 2021.

La crédibilité de cette prévision n'est pas en cause, mais la dimension indemnitaire, qui n'est pas sans susciter des interrogations sur les estimations des préjudices pratiquées par la CIVS, est loin d'épuiser le problème du bilan actuel et prévisible de la réparation des spoliations antisémites, auquel le rapporteur spécial a consacré un rapport d'information publié en juin 2018 37 ( * ) .

Le décret n° 99-778 du 10 septembre 1999 modifié a institué auprès du Premier ministre la Commission pour l'indemnisation des victimes de spoliations (CIVS), chargée « de rechercher et de proposer les mesures de réparation, de restitution ou d'indemnisation appropriées ».

Les indemnités accordées peuvent être mises à la charge de l'État français ou, en application des accords de Washington passés entre le gouvernement des États-Unis et celui de la France, le 21 mars 2001, imputées sur les fonds du Fonds social juif unifié lorsqu'il s'agit d'indemniser des avoirs bancaires spoliés.

Depuis octobre 2000, début de la campagne d'indemnisation, et jusqu'au 30 juin 2020, 24 336 dossiers ont été transmis aux services du Premier ministre, 22 384 dossiers présentent une indemnisation mise à la charge de l'État français 38 ( * ) (22 326 l'an dernier) et 1 953 dossiers portent rejet ou désistement.

Au 30 juin 2020, 22 364 demandes (22 262 au dernier pointage) ont été traitées par le Premier ministre et concernent, compte tenu des partages successoraux, 49 178 bénéficiaires (48 947 l'an dernier), qui perçoivent des indemnités, uniquement sous la forme d'un capital, pour un coût total de 500 millions d'euros.

Bilan de la procédure « indemnisations des spoliations antisémites »
au 30 juin 2020

Année

Nombre de recommandations traitées

Nombre de
bénéficiaires indemnisés

Coût complet

en M€

2000/2001

726

1 576

13,65

2002

1 883

4 353

35,73

2003

2 117

4 719

53,38

2004

1 970

4 465

46,21

2005

2 381

5 290

44,04

2006

2 560

5 345

66,23

2007

2 712

5 565

59,34

2008

1 872

4 119

51,26

2009

1 318

3 090

27,59

2010

939

2 104

14,65

2011

927

1 998

17,22

2012

974

2 119

11,70

2013

470

972

7,79

2014

333

728

7,61

2015

352

847

7,55

2016

231

512

4,79

2017

205

417

4,80

2018

184

443

8,21

2019

164

413

17,03

Du 01/01 au 30/06/2020

46

103

1,51

Total au 30/06/2020

22 364

49 178

500,29

Source : réponse au questionnaire du rapporteur spécial

De nouvelles requêtes sont enregistrées chaque année : 129 dossiers en 2018 dont 95 dossiers matériels et 34 dossiers bancaires ; 126 demandes en 2019, dont 64 dossiers matériels, 31 bancaires et 31 demandes de biens culturels spoliés. Pour l'année 2020 une centaine de nouvelles demandes est attendue correspondant principalement à des spoliations matérielles et d'objets culturels.

La prévision des besoins pour 2021, de 6 millions d'euros, s'appuie sur un coût moyen par nouveau dossier accepté de 20 000 euros. Ce coût moyen prévisionnel est calculé sur l'ensemble des indemnités allouées en dix-sept années de campagne, ainsi que sur les coûts prévisionnels des dossiers à fort enjeu financier dont l'instruction est susceptible d'arriver à terme en 2021.

Il existe évidemment des incertitudes qui tiennent à l'ampleur de la dette de réparation non assumée et à l'éventualité que des demandes à très forts enjeux soient accueillies. Il convient de ne pas négliger, par ailleurs, certains risques juridiques précisément envisagés dans le rapport plus haut mentionné.

Au demeurant, la réponse adressée au questionnaire du rapporteur spécial mentionne que « les missions élargies de la CIVS, telles que définies par le décret n° 2018-829 du 1 er octobre 2018 (voir infra ), et relatives à l'instruction des demandes de restitution des biens culturels spoliés du fait du national-socialisme 39 ( * ) , ainsi que sa compétence nouvelle d'auto-saisine en la matière, pourraient amener à un accroissement du nombre de demandes » .

Cette anticipation, logique compte tenu de la masse considérable des objets culturels spoliés pendant la Seconde guerre mondiale et des conditions particulièrement désastreuses dans lesquelles les restitutions ont été effectuées après la Libération (voir le rapport du rapporteur spécial mentionné plus haut), ne reçoit pas de prolongements dans la programmation budgétaire pour 2021.

Il faut s'en inquiéter et d'ores et déjà se pose la question de l'efficacité de la réponse mise en place à compter de 2018 pour répondre au devoir de pleine réparation.

Le rapporteur spécial renvoie, pour l'essentiel, aux quarante observations et trente recommandations du rapport précité pour apprécier les enjeux et les confronter aux décisions budgétaires qui fondent la programmation 2021.

Quelques rappels s'imposent.

Un temps menacée dans son existence même, la CIVS a été prolongée. Le décret n° 2018-829 du 1 er octobre 2018 l'a dotée d'une mission plus étendue, qui tient compte de la nécessaire proactivité dans la recherche de réparation de la dette rémanente.

Les conditions pratiques de cette extension de responsabilité ont été précisées en 2019.

Le décret n° 2018-829 du 1 er octobre 2018 (modifiant le décret n° 99-778 du 10 septembre 1999) se veut traduire la volonté de la France de renforcer son organisation pour la restitution des biens culturels spoliés du fait du national-socialisme.

Dans cette nouvelle configuration, une procédure spécifique de recherche des propriétaires ou de leurs héritiers est mise en place en vue de restituer, ou à défaut d'indemniser, les biens culturels ayant été spoliés pendant l'Occupation, notamment ceux conservés par les institutions publiques.

Les articles 1-1 et 1-2 du décret n° 99-778 modifié par le décret n° 2018-829 confient à la CIVS le soin de formuler des recommandations au Premier ministre après instruction des demandes par la Mission de recherche et de restitution des biens culturels spoliés entre 1933 et 1945, créée au sein du ministère de la culture (décret n° 2019-328 et arrêté du 16 avril 2019).

L'article 3-1 du décret n° 99-778 modifié par le décret n° 2018-829 prévoit que, lorsque la Commission statue en application des articles 1-1 à 1-3, elle comprend, outre les dix membres du Collège délibérant, quatre personnalités qualifiées respectivement dans les domaines de l'histoire de l'art, du marché de l'art, de l'histoire de la Seconde Guerre mondiale, et du droit du patrimoine.

L'arrêté du 16 avril 2019 détaille les attributions de la nouvelle Mission de recherche et de restitution des biens culturels spoliés entre 1933 et 1945 qui est rattachée au secrétariat général du ministère de la culture.

Il lui délègue l'instruction des cas de spoliations de biens culturels mentionnés à l'article 1-1 du décret instituant la CIVS, dans les conditions fixées à l'article 1-2 de ce décret : « Dans ce cadre, elle assure, en lien avec la commission pour l'indemnisation des victimes de spoliations intervenues du fait des législations antisémites en vigueur pendant l'Occupation, la recherche des propriétaires de ces biens et de leurs héritiers ».

Le dispositif issu de ces textes instaure par principe les étapes suivantes :

a) ouverture d'un dossier par la CIVS sur auto-saisine, ou sur saisine d'un requérant ou à la demande de toute personne concernée, soit auprès de la CIVS, soit par l'intermédiaire de la Mission ;

b) instruction du cas de spoliation par la Mission ;

c) proposition de restitution ou d'indemnisation par les membres du Collège délibérant de la CIVS, siégeant en commission élargie aux quatre nouvelles personnalités qualifiées ;

d) décision de restitution ou d'indemnisation par le Premier ministre.

Le 1 er juillet 2019, le Président de la CIVS et le chef de la Mission ont signé une convention de service qui précise le fonctionnement né de cette nouvelle organisation et, en particulier, les relations entre les deux services.

Le rapporteur spécial relève que la nouvelle mission n'a semble-t-il pas établi de rapport d'activité tandis que le dernier rapport d'activité disponible quant à la CIVS porte sur l'année 2018. Il est donc difficile d'apprécier le fonctionnement du nouveau dispositif.

D'ores et déjà, l'articulation entre la CIVS et la mission lui paraît poser problème dans le contexte d'une réduction des moyens de la CIVS, qui subissent une ponction continue en plein décalage avec l'extension de ses missions.

Le plafond d'emplois autorisé pour la CIVS en 2018 s'élevait à 23 ETPT 40 ( * ) . Il se décomposait en 10 emplois de catégorie A, 4 emplois de catégorie B, 5 emplois de catégorie C et 4 emplois d'agents contractuels.

Au 31 décembre 2018, ce plafond a été consommé à hauteur de 24 ETPT compte tenu du décalage dans le temps de certains départs. Il se décompose comme suit : 9 ETPT en catégorie A ; 4 ETPT en catégorie B ; 4 ETPT en catégorie C ; 7 ETPT pour des agents contractuels.

Un schéma d'emplois de -7 ETP a été arbitré pour 2019 faisant passer le plafond autorisé à 19 ETPT en 2019 et à 16 ETPT en 2020. Ce dernier plafond d'emplois est maintenu en 2021.

L'impact de cet héritage ainsi que de l'absence de nouveaux moyens tend à être relativisé par la mention de l'affectation de sept emplois à la mission placée auprès du ministère de la culture. En réalité, il y aurait six emplois rattachés à cette entité qui disposerait encore d'un budget de 200 000 euros destinés à rémunérer des recherches de provenance conduites par des experts extérieurs.

Dans ces conditions, il faut se féliciter que des établissements publics aient décidé de consacrer des moyens spécifiques à la recherche de provenance. Tel est le cas, en particulier, du musée du Louvre, qui doit être encouragé dans cette initiative. Il serait utile que d'autres grands musées de région s'engagent plus systématiquement dans cette voie.

À l'occasion de son évaluation, le rapporteur spécial avait pu s'entretenir avec des agents de ce ministère se disant en charge, même partiellement, de la réparation des spoliations. Il faudra donc vérifier que l'effort cité se traduira par un renforcement réel des moyens. Il faut, à cet égard, rappeler que la période en cause est très large puisque c'est à juste titre qu'on envisage les spoliations commises dès 1933. Compte tenu de l'ampleur du problème, les 200 000 euros prévus pour faire appel à des chercheurs extérieurs et prolonger la mission de la nouvelle structure en région apparaissent totalement hors de proportion.

La réunion de moyens suffisants paraît seule de nature à améliorer le bilan des restitutions, qui en dépit de succès appréciables, demeure très insuffisant.

On relève toutefois un certain élan vers davantage de restitutions du moins pour des oeuvres classées dans la catégorie MNR (oeuvres récupérées après la Libération et confiées à la garde des musées nationaux).

Bilan des restitutions sur recommandation de la CIVS depuis 2013

En mars 2013 :

Abraham et les trois anges de Sebastiano Ricci (MNR 315) ;

Le portrait de Bartoloméo Ferracina , ou portrait d'un architecte , d'Alessandro Longhi (MNR 89) ;

Le Saint François de Paule représenté dans une niche (MNR 945) ;

L'Allégorie de Venise de Gaspare Diziani, également attribué à Tiepolo, école vénitienne du 18 ème Siècle (MNR 368) ;

L'apothéose de Saint Jean Népomucène de François-Charles Palko, également attribué à Johan Christian Winck (MNR 677) ;

Le miracle de Saint Eloi de Gaetano Gandolfi (MNR 796).

En janvier 2015 :

Portrait de Jacopo Foscarini de G. Moroni (MNR 801).

En février 2017 :

Tapisserie : Une soumission, Tenture de l'histoire d'Alexandre, Entrée sous le titre : Tenture de l'histoire des Consuls romains, BB et F.V.H. ; Atelier de Franz Van den Hecke (OAR 45) ;

Tapisserie : Diogène dans son tonneau, Entrée sous le titre : Diogène assis dans un tonneau reçoit la visite d'Alexandre, BB et F.V.H. ; Atelier de Franz Van den Hecke ( OAR 474).

Le Louvre vu du Pont Neuf de Pissaro, tableau restitué par la Taskforce Gurlitt.

En 2018 :

La vallée de la Stour de John Constable, tableau conservé auparavant par le Musée de la Chaux-de-Fonds (Suisse) ;

Chaise (OAR 545) ;

D'autres restitutions concernant des oeuvres qui ne sont pas répertoriées dans les MNR et pour lesquelles les ayants droit ont ouvert un dossier à la CIVS sont intervenues.

Actuellement :

Carrefour à Sannois, de Maurice Utrillo, conservé par le Musée Utrillo-Valadon de Sannois .

La CIVS a recommandé la restitution du tableau le 16 février 2018.

Source : réponse au questionnaire du rapporteur spécial

Depuis 2019, 2 restitutions concernant 11 oeuvres ont été effectuées en 2019 et 1 restitution portant sur 19 oeuvres MNR lato sensu pour 2020.

Selon la réponse au questionnaire du rapporteur spécial, 9 nouvelles oeuvres devraient être restituées prochainement en 200, dont 8 MNR tandis que pour 2021 une douzaine d'autres oeuvres pourraient être restituées aux ayants droit de cinq propriétaire spoliés.

On remarque que les restitutions portent essentiellement sur des oeuvres MNR, dont tant les conditions d'identification que celles concernant la restitution sont les plus propices à des restitutions.

Manifestement, dans un domaine d'une très grande complexité, il est nettement plus ardu d'avancer sur des oeuvres autres que relevant de la simple garde des musées nationaux. Il en va ainsi pour les oeuvres entrées dans les collections nationales françaises et encore plus étrangères ou pour les oeuvres sous propriété privée.

Il reste qu'il s'agit là du vivier le plus significatif des oeuvres spoliées, vivier que les faibles moyens réunis ne permettent pas de sonder avec une totale efficacité.

Quant aux indemnités, le tableau ci-dessous qui recense les indemnisations recommandées en 2018 et 2019 au titre des objets d'art spoliés traduit leur grande variabilité.

Si, en moyenne, le chef de préjudice « OEuvres d'art » dans un dossier est indemnisé à hauteur de 162 419 euros, il existe des dossiers pour lesquels les indemnisations recommandées par le collège délibérant de la CIVS sont bien en dessous ou à l'inverse bien plus importantes.

Bilan des dix premières recommandations d'indemnisation de la CIVS au titre des objets d'art et de culture en 2018 et 2019

Date de la présentation du dossier lors d'une séance restreinte ou plénière

Indemnisation recommandée par le Collège délibérant

Types de biens culturels concernés

22/06/2018

1 000 euros

Divers biens culturels mobiliers

29/03/2018

2 260 euros

Divers biens culturels mobiliers

15/03/2018

2 400 euros

Instrument de musique

18/01/2019

164 000 euros

Divers biens culturels mobiliers

05/07/2019

180 900 euros

Tableaux

23/03/2018

377 000 euros

Divers biens culturels mobiliers

01/06/2018

400 000 euros

Divers biens culturels mobiliers

09/03/2018

656 112 euros

Divers biens culturels mobiliers

12/04/2019

925 550 euros

Divers biens culturels mobiliers

16/11/2018

12 276 000 euros

Divers biens culturels mobiliers

Source : réponse au questionnaire du rapporteur spécial

Il faut encore envisager le stock de demandes à traiter et la question des parts réservées .

Le stock de demandes à traiter, longtemps resté stable, a entamé une réduction, dont il faut se féliciter, en 2019.

Au 31/12/2017

Au 31/12/2018

Au 31/12/2019

Stock

537

540

435

Nombre de dossiers enregistrés (cumul)

29 457

29 586

29 711

Source : réponse au questionnaire du rapporteur spécial

Quant aux parts réservées , nées des difficultés rencontrées dans l'instruction des demandes d'indemnisation des spoliations antisémites, leur estimation est fluctuante.

Le problème se présente lorsque la commission, constatant l'existence d'une pluralité d'ayants-droit, mais sans pour autant avoir pu les identifier avec précision, est conduite à diviser la réparation qu'elle accorde en réservant les parts de ceux des ayants-droit concernés par son ignorance. Cette dernière peut conduire à minorer excessivement les indemnités accordées aux spoliés identifiés ou à retarder l'identification de personnes spoliées. Dans les deux cas, une dette non acquittée doit être constatée.

La Cour des comptes dans un rapport de septembre 2011 avait relevé que sur les 30 000 dossiers examinés alors par la CIVS, une recommandation sur deux comportait des parts ainsi réservées, sans qu'un suivi attentif de ces parts ne soit mis en oeuvre. Cette négligence a accru l'acuité d'un problème, qui, plus tôt considéré, aurait été plus facile à résoudre, ne serait-ce que par la complexification inévitable des chaînes successorales au fil du temps. Elle a conduit à ne pas donner tous leurs prolongements pratiques aux recommandations de la CIVS et, ainsi, à priver de leur portée des attributions de réparation prononcées par la commission au bénéfice de victimes.

Une première estimation les avait chiffrées à 100 millions d'euros, mais, après un audit plus systématique, impliquant la réouverture de 18 000 dossiers d'indemnisation de préjudices matériels, leur montant a été ramené à quelque 27 millions d'euros.

L'écart entre les deux estimations aurait mérité davantage d'informations, et le degré de vraisemblance de la nouvelle estimation fondée sur les seuls dossiers de spoliations matérielles aurait mérité plus de justifications. Au demeurant, à la suite de nouvelles recherches portant sur les dossiers les plus importants, de nouvelles parts réservées ont été constituées.

En toute hypothèse, le montant des parts réservées demeure considérable et il doit être déduit des évaluations rendant compte de l'activité d'indemnisation de la commission. Surtout, il apparaît nécessaire de trouver une issue à la difficulté ainsi constatée puisque si une légère décrue est intervenue depuis, le montant des parts réservées étant passé de 27,5 millions d'euros à la fin de l'année 2016 à 26,3 millions d'euros au 31 décembre 2017, la dette correspondante reste élevée. Elle correspond à des réductions sourdes qui affectent les indemnisations dues aux spoliés.

Outre le travail toujours en cours de mise à jour des parts réservées, qui pourrait aboutir à une augmentation des engagements financiers de l'État et à devoir résoudre des problèmes de partage négligés dans le cadre de certaines indemnisations, la CIVS a conclu avec le Cercle des généalogistes juifs une convention visant à identifier les bénéficiaires potentiels de ses recommandations. Par ailleurs, un mécénat de compétence a été mis en oeuvre par le ministère de la culture avec des experts de la généalogie, formule qui permet au ministère d'épargner ses dotations et aux parties compétentes de réduire leur imposition.

Ces solutions, d'attente, appelaient des compléments de moyens que le projet de budget pour 2019 ne programmait pas. Il n'en est plus question dans les informations transmises au rapporteur spécial.

Peut-être faut-il y voir l'une des raisons pour lesquelles la levée des parts réservées n'est pas telle que la dette de réparation constatée soit acquittée comme il faudrait.

« Au 31 décembre 2019, 4 687 recommandations de levée de parts ont été émises, dont 859 se rapportent à des dossiers bancaires. Le montant total des parts en attente de versement s'élevait à cette date à 25 435 990 euros (1 694 486 euros sur fonds bancaires) » .


* 35 Cette « postériorité » a donné lieu à des contentieux qui n'ont pas prospéré.

* 36 Le nombre des bénéficiaires effectifs dépasse les bénéficiaires immédiats du fait des règles de partage successoral.

* 37 « La commission d'indemnisation des victimes de spoliations antisémites : vingt ans après, redonner un élan à la politique de réparation »Rapport d'information de M. Marc Laménie, fait au nom de la commission des finances n° 550 (2017-2018) - 6 juin 2018

* 38 Les indemnisations peuvent être à la charge de l'État ou à celle des fonds constitués par les banques dans le cadre de l'accord de Washington.

* 39 Des spoliations antisémites auraient été mieux rapporter ce dont il s'agit puisqu'aussi bien « l'État français » ne saurait être considéré comme national-socialiste tout en ayant été fort actif dans la politique de spoliations.

* 40 Il existe également des personnels hors plafond d'emploi : au nombre de 27, il s'agit des 14 membres du Collège délibérant de la CIVS (y compris le Président et le Vice-Président de la Commission) ; du rapporteur général et de 11 magistrats rapporteurs.

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