B. LA NÉGOCIATION DU PRIX DU MÉDICAMENT INNOVANT : UNE PHASE QUI TIENT INSUFFISAMMENT COMPTE DE LA VALEUR ÉCONOMIQUE DU PRODUIT

1. Une marge de manoeuvre très étroite du CEPS dans la fixation du prix

Aux termes même du CEPS, les critères de fixation de l'indemnité de l'exploitant (au moment de la phase d'ATU) ou du prix net de référence du médicament (à partir de l'inscription au remboursement) ne tiennent pas compte des coûts de production globaux du médicament concerné .

Le CEPS, qui reconnaît n'avoir aucun moyen d'analyse des coûts de production du produit, n'a recours, durant la négociation fixant le niveau de l'indemnité ou du prix net de référence, qu'à des éléments qu'il qualifie lui-même d' externes à l'entreprise et qui s'appuient sur le service médical rendu (SMR) par le produit. Ses principales sources sont les avis scientifiques rendus par les commissions spécialisées de la Haute Autorité de santé (HAS) - commission de la transparence (CT) pour les médicaments et commission nationale d'évaluation des dispositifs médicaux et des technologies de santé (CNEDMTS) pour les dispositifs médicaux - qui se prononcent sur l'intérêt thérapeutique de la spécialité.

Dans le cas où le produit proposé par l'industriel vise une indication thérapeutique pour laquelle il existe déjà des traitements, le CEPS peut s'appuyer sur les prix de ces derniers, à la condition qu'ils constituent des « comparateurs cliniques pertinents », pour fixer l'indemnité ou le prix de la spécialité en question. Pour les produits innovants, ce cas est par définition moins fréquent et limite en conséquence les éléments d'analyse de la concurrence auxquels le CEPS peut recourir pour maîtriser le niveau des prix.

Ainsi, bien que le CEPS puisse légitimement voir un signe d'indépendance dans son indifférence à des considérations de coûts pour la fixation du prix d'un produit innovant, la rapporteure a tout de même rappelé que sa marge de manoeuvre étroite face à des industriels pharmaceutiques de grande taille, dont les marchés dépassent très largement le territoire national, rendait le rapport de force structurellement défavorable , dont la dynamique d'augmentation du prix des médicaments innovants depuis 2014 offre la preuve irréfutable.

2. L'introduction progressive d'autres critères de fixation du prix

Face à ce constat, une démarche s'impose, qui semble s'être - très timidement - engagée : un élargissement des critères de fixation du prix du médicament innovant par le CEPS , qui doivent tenir compte de ses coûts réels de production afin d'en renforcer l'appréciation médico-économique.

La rapporteure prend acte de la difficulté, voire de l'impossibilité, soulevée par l'ensemble des acteurs auditionnés de disposer d'une information exhaustive sur le coût de production individuel d'un médicament innovant. En effet, si le LEEM reconnaît que « les coûts de production ou de promotion peuvent être déterminés par médicament, les investissements réalisés par les industriels en matière de R&D s'inscrivent le plus souvent dans des logiques de portefeuille de produits. [...] De même, lorsqu'un grand laboratoire rachète le fruit de la recherche d'une start-up de biotechnologie, son investissement porte sur un pipeline de plusieurs molécules duquel il n'est pas aisé d'isoler, à ce stade, celles qui déboucheront sur un médicament commercialisé ».

Pour autant, il est manifestement réalisable - et souhaitable - que la fixation du prix du médicament innovant, aux côtés du critère principal de l'amélioration du service médical rendu, intègre d'autres critères permettant d' objectiver sa valeur économique réelle et d'ainsi permettre que son coût pour les finances publiques - et in fine pour le bénéficiaire - soit rationalisé et mieux accepté. En effet, plusieurs études publiées par l'organisation mondiale de la santé (OMS) font état de « nombreux cas de médicaments dont les prix dépassent de 100 à 1 000 fois ce qu'ils ont coûté en production » 24 ( * ) .

Le CEPS semble avoir engagé cette démarche, dans la négociation du nouvel accord-cadre qui le lie aux représentants des industriels pharmaceutiques et qui fixe les règles de négociation des prix. Il a notamment indiqué à la rapporteure que de nouveaux critères relatifs à la localisation de la production en France ou en Union européenne pourraient à l'avenir être considérés, non sans avoir évoqué les risques de non-conformité au droit européen, en raison d'éventuelles inégalités de traitement au regard de critères autres que thérapeutiques.

De la même façon, le CEPS, tout comme le LEEM, saluent l'introduction au PLFSS pour 2021 d'une disposition prévoyant la publication par tout industriel de l'ensemble des investissements publics dont il a bénéficié pour les spécialités qu'il souhaite inscrire au remboursement par l'assurance maladie. Compte tenu des difficultés évoquées ci-dessus relatives aux cessions de brevets détenus initialement par des organismes publics, la traduction réglementaire de cette mesure devra se montrer particulièrement attentive à la phase de recherche fondamentale, et ne pas que tenir compte des exonérations fiscales dont bénéficie l'entreprise au cours de la phase de recherche appliquée et de développement expérimental. Le CEPS n'a par ailleurs pas caché à la rapporteure le défi que représenterait la prise en compte de cette donnée, dont le montant ne sera disponible que sous une forme agrégée, pour la détermination d'un prix net de référence par spécialité.


* 24 A. Hill, « Prices versus costs of medicines in the WHO Essential Medicines List », Geneva, WHO , 26 février 2018.

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