B. LES STIPULATIONS DE L'ACCORD

L'accord est composé d'un préambule, de dix-huit articles répartis dans quatre sections, et de quatre annexes.

1. Le préambule

Le préambule rappelle le contexte et les raisons ayant présidé à la conclusion du présent accord.

Les premiers considérants précisent les conséquences juridiques de l'arrêt Achmea au regard du droit international (convention de Vienne sur le droit des traités) et du droit de l'Union européenne. Les parties contractantes s'entendent sur le caractère inapplicable des clauses d'arbitrage présentes dans les TBI conclus entre États membres ; ainsi, à compter de la date d'adhésion à l'Union européenne de la dernière partie au traité, aucune procédure d'arbitrage ne pourra être engagée sur le fondement de ces clauses.

Un deuxième groupe de considérants précise la portée de l'accord à l'égard des règlements de procédure applicables aux arbitrages, qui ne concerne que les traités bilatéraux, à l'exclusion du Traité sur la charte de l'énergie (TCE) dont l'application entre États membres sera traitée ultérieurement, selon des modalités juridiques et institutionnelles restant à définir.

La dernière série de considérants rappelle le régime applicable à la protection des investissements au sein du marché intérieur, notamment au titre des libertés fondamentales garanties par les traités, et à la protection juridictionnelle effective des droits des investisseurs dans le cadre du droit de l'Union européenne. À cet égard, il est précisé que l'accord est sans préjudice des mesures et actions supplémentaires qui pourraient s'avérer nécessaires pour améliorer l'environnement juridique des investissements au sein du marché intérieur, conformément aux conclusions du Conseil Ecofin du 11 juillet 2017, en vertu desquelles la Commission européenne et les États membres s'engagent à intensifier les discussions en vue d'assurer une protection complète, solide et efficace des investissements au sein de l'UE.

2. L'extinction des traités bilatéraux d'investissement et l'annulation des effets éventuels des clauses de survie

L' article 2 met fin aux traités bilatéraux d'investissement qui n'ont pas été dénoncés avant la signature du présent accord ( cf. annexe A).

L' article 3 , lui, met fin à l'application des clauses de survie qui avaient été déclenchées par la dénonciation de certains traités bilatéraux d'investissement, avant la conclusion de l'accord ( cf. annexe B).

Les clauses de survie contenues dans les TBI sont des dispositions permettant aux investisseurs de s'en prévaloir pendant une certaine durée après sa dénonciation. L'arrêt Achmea ayant constaté la contradiction entre les clauses d'arbitrage et le droit de l'Union, il convenait de mettre à l'écart les clauses de survie afin de ne pas prolonger cette entorse au droit européen.

L' article 4 comprend des dispositions communes aux deux cas de figure présentés aux articles 2 et 3 :

- d'une part, cet article décrit les conséquences juridiques de l'arrêt Achmea et confirme le caractère inapplicable des clauses d'arbitrage contenues dans les TBI et contraires au droit de l'Union ;

- d'autre part, il est précisé qu'en application des articles 2 et 3, l'extinction des traités bilatéraux d'investissement (annexe A) et des clauses de survie (annexe B) prennent effet dès l'entrée en vigueur de l'accord pour les deux parties contractantes parties au TBI concerné.

3. Les recours exercés en vertu des traités bilatéraux
a) Les procédures d'arbitrage nouvelles et achevées

L' article 5 concerne en premier lieu les procédures d'arbitrage nouvelles, définies à l'article 1 er comme les procédures ouvertes à compter du 6 mars 2018, date de l'arrêt Achmea .

Il est rappelé qu'aucune procédure d'arbitrage nouvelle ne saurait être introduite par des investisseurs en application des clauses d'arbitrage des traités bilatéraux d'investissement listés en annexes A et B.

L' article 6 concerne quant à lui les procédures d'arbitrage achevées, définies à l'article 1 er comme les procédures ayant donné lieu à un règlement transactionnel ou à une sentence finale qui serait définitivement exécutée avant le 6 mars 2018, et ne ferait plus l'objet d'aucun recours ou contestation à cette date, ou qui serait annulée avant l'entrée en vigueur de l'accord.

En outre, malgré les conséquences juridiques de l'arrêt Achmea décrites à l'article 4, les procédures d'arbitrage achevées ne sauraient être rouvertes par l'investisseur ou par l'État partie à l'instance.

Enfin, l'article 6 prévoit que les accords conclus en vue du règlement à l'amiable de procédures d'arbitrage ouvertes avant le 6 mars 2018 ne sauraient être remis en cause par l'une ou l'autre des parties au litige.

L' article 7 dispose que les parties contractantes doivent informer les tribunaux arbitraux des conséquences juridiques de l'arrêt Achmea dans le cadre des procédures d'arbitrage en cours, intentées sur le fondement de traités bilatéraux d'investissement auxquelles elles sont parties. La France a déjà entrepris cette démarche pour quelques-uns des contentieux concernés. Cependant, jusqu'à présent, les tribunaux arbitraux ont systématiquement rejeté les exceptions d'incompétence soulevées par les États membres sur le fondement de l'arrêt Achmea .

Par ailleurs, dans le cadre des procédures judiciaires en cours devant les juridictions nationales compétentes - y compris dans des pays tiers à l'Union européenne -, les parties contractantes sont tenues de solliciter l'annulation des sentences arbitrales, ou de s'opposer à leur exécution. Les dispositions de l'article 7 sont également applicables mutatis mutandis aux procédures d'arbitrage nouvelles au sens de l'article 1 er de l'accord.

b) Les mesures transitoires liées aux procédures d'arbitrage en cours

À l' article 8 sont détaillées les conditions permettant de bénéficier de mesures transitoires prévues aux articles 9 et 10 aux fins du règlement des différends entre investisseurs et États, qui font l'objet de procédures d'arbitrage pendantes.

Ces voies de recours alternatives, qui renvoient à une procédure ad hoc de médiation (article 9) ou aux juridictions nationales de la partie contractante concernée (article 10), ne peuvent pas être invoquées par un investisseur lorsqu'il a déjà contesté les mesures mises en cause dans une procédure d'arbitrage en cours devant les juridictions nationales de l'État membre défendeur. Dans le cadre d'une procédure d'arbitrage pendante, un investisseur ne peut pas non plus se prévaloir des mesures transitoires établies par l'accord lorsqu'il a été débouté par une sentence finale rendue avant l'entrée en vigueur de l'accord.

Enfin, l'article 8 précise que les voies de recours alternatives offertes par les articles 9 et 10 concernent également les demandes reconventionnelles formées par les États membres défendeurs dans le cadre de procédures d'arbitrage pendantes. Elles sont sans préjudice de tout autre mode alternatif de règlement du différend, y compris à l'amiable, dans le respect du droit de l'Union européenne.

(1) Le dialogue structuré

Comme indiqué précédemment, l' article 9 instaure une procédure ad hoc de médiation, dite de « dialogue structuré ».

La mise en oeuvre de ce mécanisme de médiation est subordonnée à la suspension de la procédure d'arbitrage en cours ou, le cas échéant, des procédures relatives à la reconnaissance et à l'exécution de la sentence arbitrale. Ce mécanisme doit être actionné dans un délai de six mois après l'extinction du TBI invoqué dans le différend.

L'État membre concerné a l'obligation de participer au dialogue structuré lorsqu'il porte sur une mesure ayant été jugée contraire au droit de l'Union par la CJUE ou une juridiction nationale. En revanche, si la mesure a été jugée conforme au droit de l'Union européenne, la procédure ne peut pas être mise en oeuvre ; elle reste d'ailleurs facultative en cas de violation alléguée du droit de l'Union. Enfin, l'ouverture du dialogue structuré est suspendue lorsqu'une procédure d'examen de la mesure étatique en cause est pendante devant la CJUE ou devant une juridiction nationale.

Ce mécanisme de médiation est supervisé par un facilitateur impartial et indépendant, qui doit être désigné d'un commun accord entre les parties. Sa mission consiste en l'organisation d'une procédure contradictoire, dans laquelle les observations de la Commission européenne peuvent être sollicitées, et en l'assistance des parties dans la recherche d'un règlement transactionnel amiable de leur différend et conforme au droit de l'Union.

Les parties disposent d'un délai de six mois pour trouver une solution à leur litige ; ce délai peut néanmoins être prolongé d'un commun accord. À défaut, le facilitateur organise des échanges de vues complémentaires pour parvenir à une solution transactionnelle ; à l'issue de ses échanges avec les parties, il présente une proposition écrite finale de règlement à l'amiable sur laquelle les parties se prononcent dans un délai d'un mois à compter de sa communication :

- si elles n'acceptent pas la proposition finale, les parties doivent motiver leur refus ;

- en cas d'accord, elles en acceptent les conditions d'une manière juridiquement contraignante avec, notamment, l'obligation de clôturer la procédure d'arbitrage pendante et l'interdiction d'en engager une nouvelle à l'avenir.

(2) L'accès aux juridictions nationales

Les dispositions de l' article 10 permettent aux investisseurs de saisir les juridictions nationales de l'État membre défendeur dans le cadre d'une procédure d'arbitrage en cours, même lorsque les délais pour agir contre la mesure litigieuse sont prescrits en vertu du droit interne.

La saisine des juridictions nationales, qui peut intervenir après l'utilisation infructueuse du mécanisme de dialogue structuré prévu à l'article 9, suppose notamment que la procédure d'arbitrage pendante soit préalablement clôturée, ou que l'investisseur renonce à l'exécution de la sentence arbitrale.

L'accès aux juridictions nationales de l'État membre défendeur n'est pas imprescriptible et reste soumis aux délais pour agir prescrits en droit interne.

L'article 10 n'a pas pour effet de créer des nouvelles voies de recours internes au bénéfice des investisseurs qui ne sauraient invoquer un TBI devant les juridictions nationales. Ces dernières statuent en application du droit interne ou du droit de l'UE, et tiennent compte des éventuels dommages et intérêts déjà versés aux investisseurs afin d'éviter une double indemnisation de leur préjudice économique.

(3) Certains investisseurs français pourraient y recourir

Plusieurs procédures d'arbitrage, intentées par des investisseurs français sur le fondement de TBI conclus par la France avec des États membres de l'Union européenne, sont actuellement pendantes, comme par exemple :

- Up & Chèque Déjeuner Holding c/ Hongrie (recours en annulation contre la sentence favorable à l'investisseur rendue en octobre 2018) ;

- Sodexo Pass International SAS c/ Hongrie (recours en annulation contre la sentence favorable à l'investisseur rendue en janvier 2019) ;

- Société Générale c/ Croatie.

Les deux premières affaires sont des « procédures d'arbitrage en cours » au sens de l'article 1 er de l'accord. Ainsi, lorsque la France aura ratifié le présent accord, le traité bilatéral d'investissement conclu avec la Hongrie sera formellement dénoncé et les investisseurs impliqués dans les litiges pourront se prévaloir des mesures transitoires susmentionnées aux fins de leur règlement définitif.

En revanche, la dernière affaire mentionnée est une « procédure d'arbitrage nouvelle » au sens du même article, dans la mesure où elle a été engagée après le 6 mars 2018, date de l'arrêt Achmea . Par conséquent, l'investisseur impliqué ne pourra pas invoquer le bénéfice des mesures transitoires.

D'après la direction générale du Trésor, certains investisseurs français impliqués dans des procédures d'arbitrage actuellement pendantes souhaiteraient, compte tenu du risque d'annulation des sentences et des difficultés liées à leur exécution, régler leur différend à l'amiable, éventuellement par le biais du mécanisme de dialogue structuré établi par l'accord.

4. Les dispositions finales et les annexes

Les articles 11 à 18 traitent, de manière classique, de règlement des différends, de ratification, ainsi que d'entrée en vigueur et d'application provisoire de l'accord.

La France n'a pas appliqué le présent accord à titre provisoire. En effet, conformément à la circulaire du 30 mai 1997 relative à l'élaboration et à la conclusion des accords internationaux, l'application provisoire d'un accord international « est à proscrire en toute hypothèse, d'une part, lorsque l'accord peut affecter les droits ou obligations des particuliers, d'autre part, lorsque son entrée en vigueur nécessite une autorisation du parlement » ; c'est précisément le cas avec l'accord Achmea .

L' annexe A liste les traités bilatéraux d'investissement auxquels il est mis fin par le présent accord (article 2), dont onze des douze traités conclus par la France avec des États membres de l'Union européenne 10 ( * ) .

À l' annexe B figure la liste des traités bilatéraux d'investissement ayant déjà pris fin et dont une clause de survie est susceptible d'être en vigueur. Un seul traité conclu par la France y apparaît : celui conclu avec la Pologne, dont la dénonciation, sollicitée par les autorités polonaises, est effective depuis le 19 juillet 2019.

Afin d'informer les tribunaux arbitraux des conséquences juridiques de l'arrêt Achmea , en application des dispositions de l'article 7, un modèle de déclaration figure à l' annexe C .

Enfin, l' annexe D fixe un barème indicatif pour les honoraires du facilitateur prévu à l'article 9.


* 10 Bulgarie, Croatie, Estonie, Hongrie, Lettonie, Lituanie, Malte, République tchèque, Roumanie, Slovaquie et Slovénie.

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