TITRE VIII
(SUPPRESSION MAINTENUE DE LA DIVISION ET DE L'INTITULÉ)

Article 32 (suppression maintenue)
Gage financier

L'article 32 de la proposition de loi tendait à compenser la charge éventuelle pour les collectivités et pour l'État qui pourrait résulter de la proposition de loi.

Le Gouvernement ayant, en commission à l'Assemblée nationale, levé le gage financier sur la proposition de loi, la commission a maintenu la suppression de l'article 32.

Afin de compenser la charge éventuelle pour l'État et les collectivités territoriales qui résulterait de l'application de la proposition de loi, l'article 32 prévoyait un gage financier.

Il indiquait ainsi que la charge pour l'État résultant de la proposition de loi était compensée à due concurrence par la création d'une taxe additionnelle aux droits sur les tabacs, prévue aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.

En ce qui concerne les collectivités territoriales, la charge résultant de la proposition de loi devait être compensée à due concurrence par une majoration de la dotation globale de fonctionnement (DGF). La majoration de la DGF aurait été compensée pour l'État par la création d'une taxe additionnelle à la contribution sur les boissons sucrées, prévue à l'article 1613 ter du code général des impôts.

Par l'adoption d'un amendement du Gouvernement en commission, l'Assemblée nationale a supprimé cet article, levant ainsi le gage sur cette proposition de loi.

La commission a maintenu la suppression de l'article 32.

COMPTES RENDUS DES AUDITIONS EN COMMISSION

Audition de M. Frédéric Veaux,
directeur général de la police nationale

(Mardi 1er décembre 2020)

M. François-Noël Buffet , président . - Notre commission accueille aujourd'hui Frédéric Veaux, directeur général de police nationale (DGPN), accompagné de sa directrice de cabinet, Céline Berthon. Votre audition, monsieur le directeur général, s'inscrit dans le contexte de la proposition de loi sur la sécurité globale, dont nous sommes saisis depuis le 24 novembre et dont Marc-Philippe Daubresse et Loïc Hervé sont nos rapporteurs. Henri Leroy, rapporteur pour avis de la commission des lois concernant la mission « Sécurités », vous interrogera également.

Au-delà de ce contexte particulier, nous sommes intéressés de vous entendre après la parution du Livre blanc de la sécurité intérieure, qui reprend certaines propositions formulées par le Sénat - ce dont nous nous réjouissons. L'objet de l'audition est de mieux appréhender les conditions dans lesquelles la police nationale exerce aujourd'hui ses missions. Les événements de l'actualité récente - les violences commises par certains membres individuels de la police nationale sur des manifestants, la polémique sur les dispositions de l'article 24 de la proposition de loi relative à la sécurité globale - ajoutent encore de l'importance à cette audition. Nous entendons, nous lisons aussi que nos policiers ne bénéficieraient pas d'un temps de formation suffisant. Seule la vérité nous intéresse, et nous souhaiterions vous entendre sur ce sujet.

M. Frédéric Veaux, directeur général de la police nationale . - Je vous remercie de me donner l'opportunité de vous exposer les attentes de la police nationale dans la mise en oeuvre des politiques de sécurité, qui non seulement mobilisent aujourd'hui les forces de sécurité intérieure, mais doivent également impliquer davantage les polices municipales et les acteurs de la sécurité privée. La police nationale est convaincue de l'importance de ce continuum de sécurité et de la nécessité de tisser localement un partenariat étroit avec les élus et les citoyens.

Les policiers municipaux sont des acteurs incontournables de la sécurité du quotidien. Ils assurent, sur la voie publique, une présence complémentaire de celle des policiers nationaux, et à ce titre, ils sont d'ailleurs souvent confrontés aux mêmes risques - je voudrais ainsi avoir une pensée particulière pour la policière municipale victime d'un attentat terroriste. Par exemple, au cours de cette année 2020, les polices municipales ont joué un rôle déterminant, aux côtés des policiers et des gendarmes, pour garantir le respect des mesures liées à l'état d'urgence sanitaire et dresser des contraventions.

Dans le cadre des orientations données par les maires et des conventions de coordination signées par l'État avec les polices municipales, des patrouilles mixtes ou des opérations conjointes sont régulièrement organisées. Il existe même, de plus en plus, des locaux contigus entre la police nationale et la police municipale, proposant des accueils communs. Quant aux centres de supervision urbains (CSU), ils s'avèrent des lieux d'échanges opérationnels très précieux entre nos forces.

Le partage d'informations est essentiel pour la mise en oeuvre des dispositifs de sécurité. Dans certaines grandes villes, par exemple, des protocoles ont été signés afin d'associer officiellement la police municipale au plan national de lutte contre les stupéfiants, avec l'envoi des informations des policiers municipaux à la cellule du renseignement opérationnel sur les stupéfiants. Les polices municipales participent également aux 949 groupes de partenariat opérationnel (GPO) créés dans le cadre de la police de sécurité du quotidien. Ces dispositifs de proximité, comme vous le savez, parviennent à régler de nombreux problèmes très concrets ayant trait à la sécurité.

Au titre des progrès réalisés au cours de ces dernières années, il convient de souligner l'interopérabilité permettant, depuis 2015, aux policiers municipaux d'être accueillis sur les réseaux de radiocommunication des forces de sécurité intérieure, grâce à des conférences dédiées. Enfin, depuis le 1 er juillet 2019, a été généralisé l'accès des policiers municipaux à deux fichiers de police : le système d'immatriculation des véhicules (SIV) et le système national des permis de conduire (SNPC).

Nous pouvons aller encore plus loin dans l'accès aux fichiers, à condition que les informations communiquées correspondent strictement aux nouvelles prérogatives des polices municipales. Par ailleurs, je suis favorable à l'extension des pouvoirs confiés aux policiers municipaux, avec cependant quelques limites qui me paraissent essentielles : ils ne doivent pas participer aux opérations de maintien de l'ordre ni réaliser des investigations. En matière judiciaire, cela signifie que, s'ils peuvent constater davantage d'infractions, cela doit se limiter aux faits dont la matérialisation ne nécessite aucun acte d'enquête. L'objectif n'est pas, en effet, de créer une police concurrente des forces de sécurité intérieure, avec des compétences croisées, mais plutôt de mieux répartir les tâches entre policiers et gendarmes, d'une part, et policiers municipaux, d'autre part, le but étant de mobiliser prioritairement les premiers sur les missions relevant du régalien.

Dans ce cadre, l'expérimentation de trois ans dans des communes volontaires disposant d'au moins 20 agents de police municipale, après une formation à laquelle la police nationale pourra continuer d'apporter son expertise, sera sans doute appréciée dans les commissariats.

Les activités de la sécurité privée sont en plein développement. La professionnalisation de ces acteurs économiques doit retenir toute notre attention, notamment dans la perspective de l'organisation de la Coupe du monde de rugby en 2023 et des jeux Olympiques et Paralympiques en 2024. Cette croissance doit s'accompagner de garanties prises en compte dans le texte soumis, telles que la limitation de la sous-traitance, le renforcement des conditions d'entrée dans la profession et le contrôle.

La proposition de loi contient également des dispositions très attendues par les forces de l'ordre dans le domaine de la captation d'images, imposant un cadre juridique solide et respectueux des libertés publiques. Ces dispositions permettraient aux policiers de travailler dans une totale sécurité juridique, avec les moyens techniques les plus modernes et selon des modalités qui correspondent à leurs besoins opérationnels - je pense, en premier lieu, aux caméras-piétons qui pourraient renvoyer les images en temps réel vers les centres de commandement, mais aussi vers d'autres policiers sur la voie publique.

Dans ce registre, il me paraît également indispensable que les policiers puissent eux-mêmes consulter les images - avec la garantie, bien sûr, de ne pas les altérer -, par exemple pour relever le numéro d'une plaque d'immatriculation leur ayant échappé pendant l'action.

De même, le cadre juridique proposé pour l'usage des drones est conforme à nos besoins opérationnels, par exemple pour apporter un appui aux personnels au sol dans le cadre d'une manifestation, constater des infractions ou réguler des flux de transports. Dans ce champ de la captation d'images, des garanties parfaitement justifiées sont prévues : pas de modification des images, pas de captation des lieux privés, durée limitée de conservation ; outre l'engagement à les respecter strictement, de nombreux dispositifs techniques peuvent nous y aider.

Depuis les attentats de 2015, les policiers sont autorisés, s'ils en font la demande, à porter leurs armes hors service. En effet, l'article R. 434-19 du code de la sécurité intérieure (CSI) prévoit que, lorsque les circonstances le demandent, le policier ou le gendarme, même sans être en service, puisse intervenir de sa propre initiative, avec les moyens dont il dispose, notamment pour porter assistance aux personnes en danger ; l'actualité nous rappelle régulièrement la pertinence de cette mesure. Or, il est malheureusement arrivé que des policiers se voient interdire l'accès à un stade ou une salle de spectacle en raison du port de leur arme de service ; il est donc nécessaire de pouvoir remédier à cette difficulté.

La protection des policiers est un sujet qui, je le crois, nous soucie tous. Nous avons encore en mémoire l'assassinat barbare de deux fonctionnaires de police - Jessica Schneider et Jean-Baptiste Salvaing -, chez eux à Magnanville, le 13 juin 2016. Cette affaire a profondément marqué les policiers ; un couple assassiné, à son domicile, uniquement parce qu'ils étaient policiers. Les exemples sont malheureusement de plus en plus nombreux d'agressions physiques et verbales à l'encontre des policiers, principalement dans l'accomplissement de leur mission, mais aussi dans le cadre privé, en raison de leur qualité, et pire parfois, à l'encontre de leur famille. La chose qui m'a le plus frappé depuis ma prise de fonctions le 3 février dernier, c'est le niveau de violence et le nombre d'agressions touchant les policiers, y compris dans des territoires que nous pourrions croire préservés - dernier exemple en date, le week-end dernier, à Cahors.

Les policiers aspirent légitimement à ce que leur sécurité soit assurée, leur anonymat garanti et leur famille protégée des conséquences de leur activité professionnelle. Leur attente est donc forte en ce domaine, sans pour autant réclamer ou imaginer que la liberté d'informer soit, de quelque façon, remise en cause.

Je souhaite également évoquer la contribution très intéressante du Livre blanc sur la sécurité intérieure, rendu public par le ministre de l'intérieur le 14 novembre dernier. Ces travaux se sont appuyés sur une large concertation en interne, au ministère de l'intérieur, mais aussi auprès des acteurs du continuum de sécurité, d'élus et de représentants de la société civile. Même si les quelque 200 propositions de ce Livre blanc n'ont peut-être pas toutes vocation à être appliquées, ce document est une source d'inspiration, avec des recommandations très complètes et concrètes, par exemple sur le continuum de sécurité ou l'organisation de la police nationale.

S'agissant des polices municipales et de la sécurité privée, les préconisations sont en phase avec le contenu de la proposition de loi pour une sécurité globale. Certaines propositions ont, d'ores et déjà, donné lieu à une mise en oeuvre, comme le développement de la politique de sécurité du quotidien, le schéma national du maintien de l'ordre, annoncé en septembre 2020, et le plan national de lutte contre les stupéfiants confiant le rôle de chef de file au nouvel office spécialisé - l'Office anti-stupéfiants (Ofast).

De nombreux travaux restent à mener concernant la police nationale, dont l'organisation, parfois qualifiée de « tuyaux d'orgue », nuit à son efficience et à l'émergence d'une stratégie globale. Le ministre de l'intérieur a souhaité l'expérimentation, au début de l'année 2021, de trois directions unifiées de la police nationale dans les départements du Pas-de-Calais, des Pyrénées-Orientales et de la Savoie. Depuis un an, trois directions territoriales de la police nationale (DTPN) sont expérimentées en outre-mer, et les premiers résultats sont très encourageants.

Dans le prolongement du Livre blanc sur la sécurité intérieure, le ministre de l'intérieur nous a demandé, avec le directeur général de la gendarmerie nationale (DGGN), de réfléchir à une meilleure articulation de nos services sur le territoire. Rien n'est encore défini précisément. Ce travail doit s'appuyer sur une évaluation des redéploiements antérieurs, dont les derniers ont été réalisés en 2014.

Avant de répondre à vos questions, je ne peux pas ne pas faire référence aux derniers événements qui ont atteint la police nationale, sans les évoquer cependant, puisque des enquêtes judiciaires sont en cours. Je vous le dis avec beaucoup de force et de conviction - celles d'un homme entré dans la police en 1982, qui a donc la faiblesse de penser qu'il connaît bien cette institution et les hommes et les femmes qui s'y dévouent : la police n'est pas violente, alors même qu'elle est confrontée à la violence comme aucune autre structure dans notre pays. La police n'est pas violente et n'est pas raciste. En vous disant cela, je ne suis pas dans le déni ni dans la langue de bois ; je vous livre ce que je vois et ce que j'entends. Je croise quotidiennement les regards de policiers qui sont le reflet et l'expression de notre société, comme peu d'institutions peuvent en faire état ; des hommes et des femmes courageux, professionnels et volontaires, qui répondent toujours présents dans les moments les plus difficiles.

Dans ce métier compliqué, conduisant beaucoup de policiers sur la voie publique, vous pouvez partir en patrouille et vous retrouvez à intervenir sur une action très violente. J'ai en mémoire l'exemple de l'assassinat monstrueux de Samuel Paty à Conflans, où des effectifs de la sécurité publique de cette circonscription étaient en patrouille et qui, en quelques minutes, malgré le caractère épouvantable de cette scène de crime, ont réagi et pu neutraliser l'auteur de cet assassinat, dans les conditions les plus professionnelles.

Vous avez beau avoir été sélectionné, formé, équipé, encadré, arrive le moment de la décision du geste que vous allez devoir prendre en un quart de seconde ; c'est ce qui rend ce métier passionnant, mais aussi exigeant et exposé. Dans ce contexte, certains - heureusement très peu nombreux, mais malheureusement encore trop nombreux - s'égarent en commettant des actes contraires à la loi et/ou au code de déontologie. La police nationale les sanctionne sévèrement à la suite d'enquêtes conduites par l'inspection générale de la police nationale (IGPN) - bouc émissaire un peu trop facile dans ces circonstances - et par les groupes spécialisés en charge des affaires disciplinaires relevant des directions actives.

Face à ces situations, j'ai une double exigence : tirer toutes les conséquences de ces actes, sanctionner les comportements contraires à nos lois, à nos valeurs et au pacte républicain ; et adapter nos méthodes et nos pratiques. Je vous le redis avec force : la violence et le racisme n'ont pas leur place dans la police.

Je vous le dis avec confiance, car j'ai beaucoup d'estime, de considération et de reconnaissance pour les policiers que j'ai le privilège de diriger : vous pouvez aussi leur faire confiance. La tâche de la police nationale est rude, vaste, dans un univers qui se complexifie, et tous ceux qui ne veulent pas respecter nos règles savent saisir les opportunités. Nous avons donc besoin de l'aide de tous, dans cette dynamique du continuum de sécurité où chacun trouvera sa place sans empiéter sur les compétences de l'autre.

M. Marc-Philippe Daubresse . - J'adhère tout à fait à la fin de votre propos. Étant moi-même fils d'un inspecteur principal devenu commissaire divisionnaire de police, je peux voir l'évolution du niveau de violence. Vous trouverez ici - je ne pense pas trahir la pensée de mes collègues - beaucoup de soutien afin de garantir la protection des policiers qui, dans leur immense majorité, font très bien leur travail.

Sur la question des polices municipales, vous avez évoqué les actions communes avec la police nationale, les locaux contigus, les conventions de coordination. Peut-on évaluer aujourd'hui les effets de cette coopération entre police nationale, gendarmerie nationale et police municipale ? Combien cela représente-t-il de conventions de coordination ? Sont-elles obligatoires seulement pour les polices municipales ayant plus de trois agents ? La difficulté de cette proposition de loi, c'est l'absence d'étude d'impact et nous n'avons pas d'avis du Conseil d'État ; un certain nombre de questions restent donc sans réponses.

Quelle est votre appréciation globale sur l'expérimentation proposée ? Vous paraît-elle de nature à alléger les tâches des policiers et des gendarmes ? Et comment voyez-vous la montée en puissance des polices municipales ? J'ai été maire pendant trente ans également, j'ai dirigé une police municipale ; le maire n'est pas sous l'autorité du procureur de la République ; comment voyez-vous les choses d'un point de vue opérationnel ?

Par ailleurs, je suis complètement en phase avec le nécessaire renforcement de la formation des agents de police municipale, après avoir constaté beaucoup de failles dans leur formation juridique. Si les formations technique et sportive sont à la hauteur, la formation initiale me semble présenter des lacunes. Naturellement, vous avez un rôle important à jouer dans le renforcement de cette formation.

Je souhaite également revenir sur l'article 24. Comment peut-on caractériser un délit d'intention qui n'existe pas en droit français ? Comment peut-on porter atteinte à une intégrité psychique ? Même si l'on voit bien l'objectif de cet article, qui cherche à répondre à l'horrible affaire de Magnanville et, plus largement, aux violences dont sont victimes certains policiers sur les réseaux sociaux, quelles difficultés rencontrez-vous actuellement pour empêcher ou réprimer la diffusion malveillante des données personnelles des agents d'intervention ? Pensez-vous que le texte envisagé dans l'article 24 y réponde ? Ou bien l'article 25 du futur projet de loi sur les séparatismes, couvrant le même domaine, y répond-il mieux ? Fallait-il opter pour une incrimination via le droit de la presse ou le code pénal, sachant qu'avec le code pénal les procédures sont beaucoup plus contraignantes ?

M. Loïc Hervé . - En complément des questions posées par Marc-Philippe Daubresse, je souhaiterais évoquer l'utilisation des drones. Pouvez-vous nous expliquer, avec des exemples chiffrés ou des exemples concrets, la manière dont ces drones sont actuellement utilisés par les services de la police nationale ? Le régime juridique est-il différent de celui concernant les caméras gyroscopiques utilisées sur les hélicoptères ?

Sur les caméras mobiles : quel retour d'expérience faites-vous de ces premières années d'utilisation ? La qualité de ces caméras a été mise en cause, avec notamment des problèmes de batteries. Pourrait-on envisager une solution technique plus solide, peut-être à l'échelle nationale ou européenne, ce qui nous sortirait de la dépendance vis-à-vis des pays de l'Asie du Sud-Est ?

Enfin, concernant l'article 22 bis , qui traite des caméras embarquées dans les véhicules, quel est le cadre juridique actuel ? Et quel est celui que vous préconisez ?

M. Henri Leroy , rapporteur pour avis de la mission « Sécurités » . - Votre intervention s'inscrit dans la philosophie du Livre blanc ; on l'a bien senti, notamment dans les développements sur la coopération entre gendarmerie, police nationale et police municipale.

Vous avez évoqué la formation, le recrutement. Il y a une crise du recrutement ; à une époque, on recensait six fois plus de candidats pour un poste. S'agissant des événements récents, quand on voit comment sont traités les policiers aujourd'hui, est-ce bien de leur faute ? Les forces de sécurité sont employées sur des missions pour lesquelles elles n'ont pas reçu de formation. La formation initiale a été raccourcie de douze à huit mois, et les policiers n'ont plus le temps de suivre une formation continue.

Cette formation n'est pas satisfaisante, même pour la voie publique, alors que la technique du maintien de l'ordre s'apprend dans les écoles. D'ailleurs, les deux personnels spécialisés dans le maintien de l'ordre - la gendarmerie mobile et les CRS - sont rarement impliqués dans ce que l'on a injustement appelé des « violences policières », car cette expression revient à incriminer ces deux corporations.

Vous avez évoqué également la police municipale et le continuum de sécurité. Une question intéresse les élus, notamment les maires qui recrutent les polices municipales. Quelles tâches seront dévolues à la police municipale ? Si ce sont les tâches aujourd'hui supportées par la police nationale et la gendarmerie, les maires, qui sont les porteurs financiers de ce recrutement, ne seront certainement pas en phase avec ce redéploiement des forces. Comment aujourd'hui envisagez-vous le recrutement et le paiement des policiers municipaux ?

M. Frédéric Veaux . - En réponse à monsieur Daubresse, sur la manière dont on aborde l'attribution de nouvelles compétences aux polices municipales, le pire serait d'imaginer ou de mettre en oeuvre un transfert de charges. Une nouvelle fois, on ferait à l'État le reproche légitime de se décharger de ses responsabilités sur les collectivités, sans donner les ressources pour y faire face ; pour avoir été préfet, c'est un reproche que j'ai souvent entendu.

Comme vous l'avez compris dans mon propos introductif, l'objectif est d'arriver à trouver un équilibre entre ce qui relève des fonctions régaliennes de la sécurité publique, d'une part, et d'une présence de proximité, d'autre part, comme celle que nous constatons de plus en plus de la part des polices municipales. Aujourd'hui, là où elles ont été mises en place avec la volonté d'un maire de leur confier des missions au-delà du seul stationnement, les policiers municipaux sont bien sélectionnés, formés et dotés d'un matériel tout à fait performant qui, en général, pour les villes concernées, s'accompagne d'un réseau de vidéoprotection à la hauteur des objectifs poursuivis.

Il est important de concevoir ces nouvelles responsabilités confiées aux polices municipales comme étant un des éléments du continuum de sécurité - et pas le résultat d'un transfert de charges entre la police, la gendarmerie et la police municipale.

Je partage la remarque de M. Daubresse : le maire ne doit pas être sous l'autorité du procureur de la République ; il doit pouvoir, de mon point de vue, garder toute l'autorité nécessaire vis-à-vis de sa police municipale, même si la transgression des règles par les policiers municipaux l'expose à des reproches ou des poursuites de la part du procureur de la République.

C'est la raison pour laquelle je ne suis pas favorable à ce que des pouvoirs d'investigation soient confiés aux polices municipales. Cette présence, toujours remarquée, de la police municipale sur le terrain doit se traduire par une multiplication de constatations, de procès-verbaux qui permettent ensuite au service en charge des investigations de faire son travail. Si l'on confiait des compétences d'investigation à la police municipale, on arriverait très vite à des conflits de compétence, et sans doute que quelques-uns seraient alors tentés de vouloir encore renforcer ces pouvoirs d'investigation. Telle est ma façon d'aborder l'organisation et la répartition des rôles.

Concernant la formation des agents de la police municipale, j'avoue ne pas avoir suffisamment de recul pour en apprécier le niveau. Je constate que la police nationale contribue à former les formateurs, notamment pour tout ce qui touche à l'armement, au tir et à la cynotechnie, c'est-à-dire les brigades canines. Je suis tout à fait disposé à ce que la police nationale renforce encore ses capacités de formation à destination des polices municipales, même si, comme l'a observé M. Leroy, nous avons, en interne, un sujet de formation continue sur lequel je reviendrai plus tard.

En tant que directeur général de la police nationale, il ne m'appartient pas de juger du support législatif adéquat. Aujourd'hui, nous sommes face au développement des prises à partie des fonctionnaires de police, qui sont filmés ou photographiés dans le cadre de leurs activités professionnelles. Les photos sont parfois diffusées à des fins d'identification ou de menaces sur les réseaux sociaux, pour tenter de s'en prendre à eux ou de développer des discours de haine à leur égard. À ce titre, j'ai mis à votre disposition une extraction de documents qui circulent sur des sites internet dont on peut penser qu'ils n'ont pas une affection particulière pour les forces de l'ordre : ils montrent des photos de policiers et de gendarmes en gros plans captées à l'occasion d'interventions sur la voie publique. Celles-ci s'accompagnent d'appels à identification. Il faut donc nous donner les moyens juridiques de faire condamner les auteurs de tels agissements. Il ne s'agit pas ici d'une simple intention de nuire, mais d'actes délibérés que l'on pourrait mobiliser devant un tribunal. Les policiers et les gendarmes ont besoin de sentir que tous les supports juridiques possibles sont disponibles pour que ces comportements soient sanctionnés.

Nous sommes très demandeurs d'un régime juridique stabilisé pour l'usage de la captation d'images au moyen d'aéronefs, qu'il s'agisse de drones ou d'hélicoptères. Le système juridique auquel nous avons recours actuellement ne l'est pas, comme en témoigne la décision du Conseil d'État de mai 2020 relative à la surveillance par drones, qui a abouti à mettre fin à l'utilisation de ces derniers durant la crise sanitaire. Il n'y a pas de données chiffrés sur leur utilisation. En revanche, dans la police nationale, toutes directions confondues, 188 équipements de type drone sont disponibles, selon l'emploi qui en est fait dans certaines unités d'intervention. C'est le cas pour l'unité « recherche, assistance, intervention, dissuasion » (RAID) dans le cadre de la reconnaissance de leurs théâtres d'intervention. La police aux frontières (PAF) utilise elle aussi des drones dans le Pas-de-Calais, pour assurer la surveillance des plages contre le risque d'embarcation des migrants vers le Royaume-Uni : les distances sont importantes et l'on ne pourrait pas mobiliser des effectifs suffisants. De la même manière, à la frontière franco-italienne, les étrangers en situation irrégulière qui cherchent à pénétrer sur le territoire empruntent parfois la ligne Vintimille-Menton, mais aussi beaucoup de chemins dans l'arrière-pays qu'il est très difficile de surveiller, notamment la nuit. La police judiciaire se sert aussi de drones dans la préparation de ses interventions, pour des opérations qui ne permettent pas une approche humaine de proximité. Je pense, par exemple, à certains camps occupés par la communauté des gens du voyage qui se spécialisent dans l'attaque de fret, ou dans tout autre type de délinquance. Enfin, nous avons une utilisation très maîtrisée et modérée de ces outils par la sécurité publique, quand des manifestations de voie publique dégénèrent, et qu'il nous est nécessaire de pouvoir identifier la manière dont les forces employées vont être dirigées vers tel ou tel endroit. Il faut à la fois pouvoir piloter l'action des forces de l'ordre, mais aussi identifier et localiser ceux qui se livrent à des actes de violence, afin de nourrir les procédures judiciaires qui sont menées. Je vous confirme l'existence d'un régime juridique visant à préserver la vie privée, comme par exemple l'interdiction de filmer les entrées et les terrasses d'immeubles, avec des dispositifs de floutage. Ces derniers sont d'ailleurs parfois difficiles à mettre en oeuvre, et compliquent l'exploitation opérationnelle des images.

Pour le moment, il n'y a pas de système de caméras embarquées pour les véhicules de police. Quand c'est le cas, il s'agit plutôt d'un « bricolage interne », qui n'est pas encadré. Mais nous avons affaire à de plus en plus de refus d'obtempérer. Dans ce cadre, il est difficile d'assurer à la fois la conduite en toute sécurité, mais aussi la prise en note des éléments utiles ensuite aux investigations, tout en permettant, en cas d'accident ou de mise en cause de la police, d'établir que la police a respecté les règles dans le cadre de son intervention. Comme pour les caméras-piétons, la police est donc très favorable à la généralisation des caméras embarquées. Nous n'avons pas peur de montrer ce que nous faisons. Plus on le montrera, plus on pourra justifier le bon accomplissement de nos missions, et mieux ce sera pour tout le monde.

La question de la formation des policiers a été posée hier soir par le ministre de l'intérieur qui se demandait si, au fond, c'était bien la faute des policiers. En effet, il s'agit d'abord de la responsabilité du directeur général, et sans doute, comme cela a été présenté hier soir, des ministres. À chaque fois qu'un policier est blessé ou tué, ou que des événements comme ceux de la semaine dernière se produisent, c'est pour moi un échec en tant que directeur général. Il est de ma responsabilité de faire en sorte que toutes les opérations de police se passent bien, et que les policiers rentrent chez eux en bonne santé physique et psychologique, mais aussi sécurisés juridiquement.

Pour cela, les policiers doivent être sélectionnés, mais aussi formés de manière suffisante et tout au long de leur vie professionnelle. On peut débattre sur la manière dont la formation initiale des gardiens de la paix est organisée. Au départ, celle-ci était de deux ans, dont douze mois de formation théorique et douze mois de stage. Depuis cette année, ces derniers ne suivent plus que huit mois de formation théorique et seize mois de stage. Le débat existe entre spécialistes pour savoir si la durée de la formation est un préalable indispensable à la qualité de celle-ci. Je n'ai pas d'idée arrêtée sur le sujet, néanmoins je constate que nous avons aujourd'hui énormément de moyens à notre disposition pour aller au-delà de la formation en présentiel. Certaines techniques d'intervention ne peuvent pas s'apprendre autrement que sur un tatami ou dans un espace sportif. L'apprentissage des tirs nécessite un centre de tir, quoiqu'aujourd'hui la réalité augmentée permette de simuler beaucoup de situations. Mais la crise sanitaire nous a démontré que nous pouvions délivrer un maximum d'enseignement à distance. Le ministère de l'intérieur et la police nationale ont d'ailleurs pu faire l'expérience de ces nouveaux modes de fonctionnement et du retard à rattraper en la matière.

Ainsi, il ne s'agit pas forcément d'un problème de durée de formation, mais plutôt de contenu et de qualité de celle-ci. Pour améliorer cette situation, il faut recruter et former des formateurs, qui puissent être disponibles tout au long de la vie professionnelle. C'est sans doute sur ce point que la police nationale a une marge de progression importante. D'abord, parce que les policiers ne sont pas toujours enclins à s'astreindre à la formation continue. Par exemple, dans le cadre de l'utilisation des armes, environ 65 % des policiers effectuent leurs trois tirs réglementaires dans l'année. Ces tirs réglementaires sont importants en cas d'accident de tir, car ils font l'objet d'une vérification par l'IGPN si elle est saisie. Les neuf heures de formation continue proposées, qui peuvent avoir trait aux gestes techniques d'intervention ou encore à la déontologie, sont en proportion très faibles, et mériteraient d'être réévaluées. Le ministre de l'intérieur y est d'ailleurs très attentif, et fera sans doute des annonces dans ce sens. Ensuite, depuis 2015, les services de police ont connu des années « extraordinaires » dans le mauvais sens du terme : d'abord, avec les attentats et leurs effets sur l'engagement des forces de l'ordre, puis avec la séquence des « gilets jaunes », les effectifs mobilisés n'étant parfois pas tous formés aux techniques du maintien de l'ordre. La formation continue en a sans doute fait les frais. Ainsi, nous ne pouvons pas être exigeants vis-à-vis des policiers sans nous-mêmes respecter nos engagements en termes de formation continue. Ce à quoi nous nous attellerons dans les jours et semaines à venir.

M. Jérôme Durain . - La confiance des Français vis-à-vis de la police a baissé de huit points, selon le baromètre annuel du centre de recherches politiques de Sciences Po (Cevipof). Elle reste une institution très appréciée des Français, un peu moins qu'à l'étranger cependant. Cette confiance était même montée à 80 % après les attentats. Le sujet central de la période n'est-il donc pas celui de la réconciliation entre la police et les citoyens ? Malgré votre insistance sur les valeurs de l'institution, vous savez bien que la vertu du plus grand nombre n'efface pas l'égarement de quelques-uns. Ce sujet n'est-il pas aussi important au niveau de l'institution que pour chaque policier sur le terrain ? N'est-ce pas plutôt un sujet de commandement, de coordination, de transparence, de contrôle ? Par ailleurs, qu'en est-il de l'effectivité de l'accès aux images pour les citoyens ? Ne faudrait-il pas un régime unique qui permettrait de protéger les policiers, tout en faisant baisser la pression des citoyens ?

M. Jean-Yves Leconte . - La démarche d'identification des policiers sur internet, malheureusement, relève de la problématique générale de l'évolution de la société et des réseaux sociaux. Dans ce contexte, est-ce légitime d'agir spécifiquement pour la fonction de policier, alors que cela pourrait être fait de manière plus globale et équilibrée ?

Les images terribles que nous avons vues ces dernières semaines entraînent, pour beaucoup de Français, un problème de confiance. On s'interroge sur la formation, mais aussi sur le management technique et politique de la police. Y a-t-il des choses à changer de ce point de vue, à votre niveau et au niveau politique ?

Ensuite, les syndicats de police nous indiquent souvent que la pression qui leur est mise, au travers de la politique du chiffre, les empêche d'aborder sereinement leur relation avec la population. Ne faudrait-il pas revoir ce sujet ?

Enfin, concernant la préfecture de police de Paris en particulier, y a-t-il des évolutions à apporter pour harmoniser le fonctionnement de la police sur l'ensemble du territoire ?

Mme Marie-Pierre de La Gontrie . - Vous êtes ici 24 heures après l'audition par l'Assemblée nationale du ministre de l'intérieur, ce qui nous permet de revenir sur les propositions évoquées à cette occasion. Ce dernier a listé les sept péchés capitaux qui seraient à l'origine de « problèmes structurels ». Le premier point était le peu de formation, et le raccourcissement de la formation initiale. Que répondez-vous sur ce point, et pourriez-vous nous donner des précisions par rapport à ce que nous avons déjà évoqué ?

Deuxièmement, le ministre a indiqué qu'il n'y avait pas assez de chefs dans la rue, et qu'il faudrait recréer un corps d'intermédiaires d'encadrement plus nombreux sur le terrain. Comment entendez-vous mettre en oeuvre cette demande ?

Troisièmement, le ministre a annoncé la généralisation des caméras-piétons au premier juillet 2021. Or, nous savons que ces caméras sont déficientes et ont une autonomie très faible, qui ne permet pas que le policier la mette en marche lors de sa prise de service et l'arrête lorsqu'il le termine. Ce point est d'ailleurs une demande du syndicat des commissaires. Pensez-vous cette généralisation possible au premier juillet 2021 dans des conditions correctes ?

Tout comme le ministre de l'intérieur, vous affirmez qu'il n'y aurait pas de divorce entre la police et la population. Mais si la police bénéficiait de 80 % d'opinions favorables après les attentats de 2015, celles-ci chutent à 66 % actuellement. Alors que les policiers représentent 7 % des effectifs de la fonction publique, 55 % des sanctions prononcées dans la fonction publique les concernent. Par ailleurs, on constate un accroissement de 23 % des enquêtes judiciaires confiées à l'IGPN en 2019, dont 50 % pour violences. On ne peut donc pas considérer ce sujet comme secondaire.

Concernant l'affaire de Magnanville, j'encourage chacun à la plus grande prudence. Le ministre a lui-même reconnu, le 2 novembre dernier devant la commission des lois de l'Assemblée nationale, je cite : « On ne sait pas si ce sont les images sur les réseaux sociaux qui ont fait naître cet attentat ». Je pense qu'il est important d'être précis sur ce point.

M. Thani Mohamed Soilihi . - Vous avez évoqué les trois territoires ultramarins qui font l'objet d'une expérimentation de la direction territoriale de la police nationale (DTPN), qui réunit la PAF et la police nationale. Vous parlez de premiers résultats encourageants, et c'est d'ailleurs ce que vos collègues et l'administration préfectorale ont affirmé à la commission des lois du Sénat lors de son déplacement en Guyane, l'an dernier. Mais il faudrait davantage de temps pour porter un jugement, car la réforme a moins d'un an d'existence dans certains territoires.

On observe une recrudescence sans précédent de la violence dans mon département, Mayotte. L'immense majorité est commise par des bandes de jeunes. Avez-vous eu un retour sur cette violence de la part de la direction territoriale de la police nationale ? Selon vous, à quoi est due cette violence et quelles seraient les solutions pour y remédier ? Localement, vos collègues revendiquent par exemple l'instauration d'un deuxième commissariat. En effet, Koungou, la deuxième ville de Mayotte, rassemble plus de 30 000 habitants et en est pourtant privée. Quel est votre avis sur cette question ?

M. Alain Marc . - Je souhaite rappeler qu'une proposition de loi relative à l'harmonisation de l'utilisation des caméras mobiles par les autorités de sécurité publique avait été adoptée à l'unanimité à l'Assemblée nationale, puis avait été adoptée au Sénat. La loi a ensuite été promulguée août 2018 ! L'exécutif aurait eu tout le temps de tenir compte de cet état de fait, surtout lorsque l'on regarde d'autres pays où cela existe. Êtes-vous satisfait du matériel à votre disposition ? La réponse de l'exécutif en la matière permet-elle de satisfaire à la fois la représentation nationale et les Français ?

Ma lecture des manifestations est très différente de celle de mes collègues. Quand ils voient des gens armés de barres de fer s'approcher des policiers, la plupart des Français prennent fait et cause pour ces derniers. Les forces de l'ordre ont-elles les moyens d'apporter une réponse appropriée à ces violences ? Les réponses médiatiques qu'on nous propose aujourd'hui ne semblent pas être celles qui sont souhaitées par nos concitoyens.

Mme Valérie Boyer . - Récemment, l'actrice Alexandra Lamy a posté un message de soutien aux policiers sur les réseaux sociaux, et elle a été prise à partie et critiquée très violemment. Des pompiers agressés par les victimes qu'il venait secourir, des policiers frappés à coups de pied en pleine mâchoire par un patient hospitalisé, des gendarmes caillassés, des guets-apens... Voilà malheureusement la réalité quotidienne. En 2019, les forces de l'ordre étaient la cible quotidienne de 110 agressions en moyenne. Je suis scandalisée par la répétition de ces actes. Il n'y a pas de liberté sans ordre, et pas d'ordre sans respect de nos valeurs et de nos règles. Mais malheureusement, les chiffres de la violence montent, c'est pourquoi je vous exprime toute ma gratitude. Si notre démocratie fonctionne, c'est grâce aux forces de l'ordre, grâce à ces hommes et ces femmes qui risquent leur vie pour celles des autres. On ne mesure pas assez le prix payé, particulièrement par les familles. Par ailleurs, on trouve dans les médias une expression particulièrement libre de personnes qui vont à l'encontre de la police. Dans les manifestations, on scande : « tout le monde déteste la police ». Tout cela participe à un climat particulièrement délétère pour notre cohésion sociale.

En manifestation, on entend souvent crier ces mots atroces : « suicidez-vous ». Selon la police nationale, 59 policiers se sont suicidés en 2019, soit 60 % de plus qu'en 2018. En juin 2018, le rapport de la commission d'enquête sénatoriale sur l'état des forces de sécurité intérieure alertait déjà sur le taux de suicide anormalement élevé au sein des forces de l'ordre. Alors que les menaces, les intimidations et les agressions contre les policiers sont en constante augmentation, il est indispensable de renforcer le dispositif de prévention contre les suicides au sein de la police. La cellule d'écoute mise en place en 1996 semble inadaptée face à la réalité du terrain. Celle-ci n'aurait reçu que 300 appels entre le 28 septembre et le 31 décembre 2019, contre 6 000 sollicitations pour la plateforme alternative gérée par l'association SOS Policiers en détresse. Quel est votre avis sur cette question ?

M. Philippe Bas . - Rien n'est plus facile que de montrer les forces de l'ordre en action : recourir à la contrainte est leur métier. Elles en ont même le monopole légal ! Dans cette action délicate, et avec toute l'émotion que peuvent susciter les agressions dont ils peuvent être victimes, les policiers et les gendarmes doivent respecter les méthodes et techniques enseignées, avec un encadrement suffisant pour éviter les débordements. En juin dernier, vous avez proposé qu'il ne soit plus recouru à la technique d'interpellation dite de la « clef d'étranglement ». Un groupe de travail a été mis en place. Mais je posais déjà la question à l'époque, à savoir : comment faire pour maîtriser des individus réfractaires sans la clef d'étranglement ? Le groupe de travail devait remettre ses conclusions le premier septembre, or je n'ai connaissance d'aucune décision qui aurait été prise. Où en êtes-vous sur ce dossier très délicat ? J'ai eu le sentiment que la réponse donnée à l'époque était dictée par la pression de l'actualité. Nous nous trouvons aujourd'hui bien embarrassés pour trouver des solutions qui permettent à la police d'être efficace.

Mme Françoise Gatel . - La sécurité est la protection des plus fragiles et des plus pauvres. Depuis le mouvement des « gilets jaunes », mais aussi le développement de manifestations assez violentes que j'ai pu voir dans mon département avec les opérations de Notre-Dame-des-Landes, on constate régulièrement des attitudes violentes, qui sont le fait d'individus ayant pour objectif de faire dégénérer les manifestations. Il y a un noyau dur dans ces manifestations, qui est souvent le même. Comment se fait-il que la police n'arrive pas à prévenir ces débordements ? Quels sont les moyens dont vous disposez pour identifier ces personnes, et comment peut-on ainsi sécuriser ces manifestations ?

M. Frédéric Veaux. - La question de la confiance des Français à l'égard de la police est revenue de manière sous-jacente dans plusieurs de vos questions. Elle est aussi très présente dans les médias. Je ne partage pas votre expression selon laquelle on aurait besoin de « réconcilier » les Français avec la police. En dépit des difficultés auxquelles nous sommes confrontés, le sentiment qui s'exprime à l'égard de la police reste positif, de manière très largement majoritaire, même s'il n'est pas au niveau que l'on a pu connaître en 2015, à l'époque des attentats. Les personnels que je rencontre, notamment dans les territoires les plus exposés à la délinquance et aux violences, et où ils s'interrogent parfois sur le sens de leur mission et sur l'utilité de ce qu'ils font, éprouvent, à juste titre, le sentiment d'une rupture assez forte entre une partie de la population et, finalement, non seulement la police, mais aussi toutes celles et ceux qui veulent vivre en paix dans notre belle démocratie.

Une partie de la population a fait le choix de vivre en marge, dans la délinquance, en essayant d'exploiter toutes les failles possibles pour faire du trafic de stupéfiants, et est ainsi irréconciliable avec la police. Je n'ai pas l'ambition de tenter de les reconquérir. Pour le reste, les Françaises et les Français, dans leur écrasante majorité, sont d'abord soucieux de leur sécurité. Ils sont parfois conduits à s'interroger par ce qu'ils voient à la télévision ou dans les journaux, mais ils soutiennent toujours, je pense, la police dans son action.

Nous demandons régulièrement à l'institut Ipsos, un organisme indépendant dont tout le monde connaît le sérieux, de réaliser des enquêtes de satisfaction sur les rapports qu'entretiennent les Français avec leur police. Il s'en dégage que le sentiment de confiance à l'égard de la police est d'autant plus fort que l'on a été usager du service public de la police : 90 % des Françaises et des Français qui ont déjà eu besoin de faire appel à la police sont satisfaits ; ceux qui la critiquent ou qui s'en plaignent sont ceux qui se tiennent toujours à l'écart de la police. Si l'on reprend le même sondage, en 2017, 86 % des Français considéraient que la police travaillait bien ; ils sont 80 % en 2019. Cela me laisse confiant sur l'état de la relation entre la police et la population. Ce lien n'est pas forcément celui que l'on retrouve dans les grandes manifestations ou qui est parfois exprimé dans les médias. Doit-on pour autant s'en satisfaire ? Non, évidemment, mais il faut être lucide sur l'état des rapports entre la société et les institutions. Si la police est le réceptacle de nombreuses critiques aujourd'hui, bien d'autres institutions le sont également ; l'autorité des élus est contestée, tout comme celle des enseignants et même les personnes des services des urgences dans les hôpitaux sont contestées par des gens qui ne supportent plus rien.

À la différence de la gendarmerie qui dispose d'un potentiel de 30 000 gendarmes dans la réserve civile, nous avons simplement 6 000 réservistes dans la police, qui sont souvent d'anciens policiers ou d'anciens adjoints de sécurité, mais peu de personnes issues de la société civile. Or je pense qu'outre leur soutien, ces réservistes pourraient nous apporter davantage d'ouverture à la société civile et renforcer le lien entre la police et la population. De même, alors que les réservistes de la gendarmerie sont armés, ceux de la police ne le sont pas, ce qui est un handicap pour conduire des missions sur le terrain. Il faudrait trouver une solution législative à cet égard.

Les policiers n'ont pas peur du contrôle ni du recours à l'image ; ils souhaitent simplement ne pas avoir à subir les images de ceux qui viennent se coller contre eux avec un smartphone en espérant les voir disjoncter face à l'accumulation des provocations ou des projectiles qu'ils reçoivent. Mais il est nécessaire que les policiers disposent d'un matériel qui fonctionne. La police est équipée de plus de 10 700 caméras-piétons, mais le matériel n'est pas opérationnel : manque d'autonomie de la batterie, difficultés d'accrochage, difficulté à rentrer le numéro d'identification RIO (référentiel des identités et de l'organisation), etc. Le Président de la République a indiqué qu'il souhaitait voir la police et la gendarmerie dotées de 30 000 caméras-piétons au 1 er juillet 2021 ; le ministre de l'intérieur a réaffirmé cet engagement. En tout cas, quand le matériel est complètement défectueux, il est compréhensible que l'on ne s'en serve pas et que l'on n'ait pas forcément la disponibilité des images lorsqu'on le souhaiterait. C'est la raison pour laquelle un nouveau marché public a été lancé pour obtenir du matériel performant, robuste, et capable, si la loi évolue, de nous donner accès à d'autres fonctionnalités, comme le renvoi à distance afin que des policiers, en difficulté sur le terrain, puissent transmettre les images à la salle de commandement pour que celle-ci envoie des renforts ou leur donne des instructions. Les budgets sont donc prévus pour cela, les marchés lancés et les engagements du Président de la République et du ministre de l'intérieur seront tenus. Cela sera aussi un instrument important du contrôle de l'activité des policiers. Ceux-ci n'ont pas peur de ce qu'ils font. On connaît la place de l'image dans les confrontations avec des manifestants violents. C'est une dimension nouvelle qui s'ajoute à la violence physique.

Vous avez évoqué des changements de management, de techniques, la pression créée par la politique du chiffre sur l'attitude des policiers sur le terrain. Le ministre a été clair : il n'y a pas de politique du chiffre au ministère de l'intérieur pour la police nationale. Mais on a aussi besoin de données pour s'assurer de la mise en oeuvre des politiques publiques déterminées par le ministre : le niveau de saisie des produits stupéfiants, les endroits où sont les trafiquants, etc. On essaie de ne pas solliciter les services pour éviter de faire du reporting au-delà de ce qui est nécessaire. Le service statistique ministériel de la sécurité intérieure nous fournit des données qui nous aident à faire des choix de politiques publiques, d'investissements ou d'affectations des ressources humaines, en fonction des besoins.

Notre objectif est bien de contribuer à avoir une relation saine avec la population. Je souhaite préciser toutefois que je n'ai pas évoqué l'affaire de Magnanville comme un moyen de justifier l'article 24 de la proposition de loi relative à la sécurité globale ou de pénaliser la diffusion de photos de policiers sur internet. Je l'ai simplement évoqué en référence à ce que les policiers ont perçu comme un basculement décisif dans la manière dont on pouvait s'en prendre à eux : ils ont découvert avec stupeur et sidération cet acte criminel à l'encontre de ce couple, en présence de leurs enfants. Chacun sait lorsqu'il s'engage dans la police qu'il y a des risques et est prêt à les assumer, mais de là à être pris pour cible simplement parce que l'on est policier, jusqu'à son domicile, voilà un élément qui marque l'état d'esprit général des policiers. Mais, encore une fois, qu'il n'y ait pas de malentendu, cela n'est certainement pas un argument pour justifier l'article 24.

La question de la formation continue est une vraie question à laquelle nous devons nous atteler. Pour cela, nous devons disposer de moniteurs formés. Nous devons faire en sorte que les heures de formation auxquelles les policiers ont droit soient vraiment organisées et suivies, au même titre que la formation au tir.

Vous avez aussi évoqué la présence de chefs dans la rue. En l'occurrence, si l'on pense aux événements qui se sont produits ces derniers jours, on constate qu'il y avait un encadrement sur le terrain ; celui-ci peut donc aussi parfois défaillir. Il n'en demeure pas moins que l'on doit faire en sorte d'assurer, en toutes circonstances et en tous lieux, la présence de chefs sur le terrain qui assument la responsabilité des actions qui sont conduites.

En ce qui concerne le divorce entre la police et la population, je ne cherche pas à tenir des propos convenus, mais je pense que la situation n'est pas aussi dégradée que l'on peut l'entendre dire dans certains espaces médias.

L'IGPN a fait la preuve de son efficacité. Il s'agit d'un service qui bénéficie de la confiance de l'autorité judiciaire, comme l'a rappelé le ministre de l'intérieur hier soir. La police est une maison où l'on souhaite être irréprochables. Les infractions qui peuvent être commises et qui peuvent parfois nous déshonorer nous gênent énormément dans notre action au quotidien. C'est pourquoi nous devons être sévères mais justes lorsque nous avons à sanctionner, parce que l'exigence à notre égard est forte, et nous serons d'autant plus justes que nous serons sévères. L'IGPN fait un travail remarquable, dans des conditions extrêmement difficiles. Dans tous les cas, le directeur général de la police nationale a besoin d'avoir à ses côtés un service d'inspection à qui il puisse confier des enquêtes disciplinaires ou des missions d'audit. Si la possibilité de recourir à l'IGPN devait lui être retirée, comme on l'entend parfois dans certaines réflexions, je serais certainement obligé de recréer un service équivalent pour faire la police au sein de ma propre maison et ne pas dépendre d'une structure extérieure. J'apporte donc mon soutien à l'IGPN. On ne peut résumer ce qui s'est passé place de la République ou dans le 17 e arrondissement à la question de l'IGPN : quand il y a le feu, on ne dit pas que c'est le problème des pompiers !

J'ai créé auprès de moi un poste de chef de la mission outre-mer pour mieux prendre en compte ces territoires. J'ai souvent été en relation en visioconférence avec M. Cavier, le directeur territorial de la police à Mayotte. La question des mineurs isolés est très prégnante dans ce département : ils arrivent en nombre, sont souvent livrés à eux-mêmes et commettent de nombreuses infractions ou troubles à l'ordre public. Il y a beaucoup de violences urbaines, des affrontements entre bandes, parfois très violents et meurtriers. Le chef de la mission outre-mer a été nommé le 2 novembre et sa première mission aura lieu à Mayotte, où il est arrivé ce matin. Nous sommes donc attentifs à ce que la direction territoriale de la police dispose de tous les moyens disponibles, notamment pour le contrôle aux frontières : avec des moyens nautiques, un centre de rétention administrative et des procéduriers, la police doit être en mesure de traiter la question des étrangers en situation irrégulière et de les raccompagner aux Comores. Vous pouvez donc être assurés de notre engagement sur ce territoire, ainsi d'ailleurs que sur tous les territoires ultramarins. Nous ferons un bilan de l'évolution de la situation à Mayotte, en Guyane et en Nouvelle-Calédonie, afin d'étendre, éventuellement, les directions territoriales de la police nationale aux autres territoires ultramarins, mais cette décision appartient au ministre de l'intérieur.

Monsieur Marc, j'ai répondu sur les caméras-piétons. Comme je l'ai dit, nous ne sommes pas satisfaits du matériel, une disposition législative semblerait utile.

M. Alain Marc . - La proposition de loi sur les caméras-piétons a été votée en 2018 ! L'exécutif gagnerait pourtant à écouter les préconisations du Parlement, surtout en ce moment...

M. Frédéric Veaux. - Cela n'est pas une question qui relève de ma compétence...

M. Alain Marc . - Les policiers sont confrontés à des attaques de plus en plus violentes. De quels moyens disposent-ils pour se défendre ? Lorsque des policiers sont contraints de reculer face à des personnes armées de barres de fer, l'opinion, qui vous soutient, ne peut s'empêcher de penser qu'on ne donne pas aux policiers les moyens de se défendre.

M. Frédéric Veaux. - Méfions-nous des images. Il faut parfois savoir reculer pour mieux pour remporter la bataille ! C'est une question de stratégie.

Quant aux moyens, les unités de maintien de l'ordre disposent de grenades lacrymogènes et de désencerclement. On peut mobiliser des canons à eau. Le maintien de l'ordre varie selon qu'on le fait à Paris ou à Laval, et les unités s'adaptent. Comme l'a dit le ministre, on travaille en permanence à faire évoluer nos dispositifs pour les adapter à des formes qui s'apparentent parfois à de la guérilla urbaine. Nous sommes face à des individus rompus à l'affrontement, parfaitement identifiés, qui connaissent les moyens de la police, ses limites d'action, ses stratégies, et qui s'adaptent très vite. Ces individus sont à l'ultragauche, ont des camps d'entraînement, sont aguerris et n'ont pas peur d'aller au contact. Nous devons donc répondre à une nouvelle forme de guérilla urbaine. À Paris, des unités ont su évoluer pour s'adapter au caractère agile de ces agitateurs. Ceux-ci changent d'habit entre le moment où ils arrivent à la manifestation et le moment où ils s'en prennent aux forces de l'ordre. Ils cachent à l'avance leurs projectiles et leur matériel dans des halls d'immeubles ou des caves pour échapper aux fouilles et pénétrer tranquillement dans le périmètre de la manifestation. Ils vont ensuite le récupérer, se changer, s'équiper ; une fois que l'affrontement a commencé, ils baissent leur capuche et se donnent des signaux de reconnaissance grâce aux réseaux sociaux ; lorsque le déchaînement de violence est terminé, ils quittent la manifestation en se débarrassant de leurs vêtements et rejoignent tranquillement la station de métro pour échapper à la police. Il est difficile de prévenir ce type de situations, mais nous y travaillons, nos services de renseignement sont mobilisés pour suivre ces mouvances qui n'ont d'autre objectif que de déstabiliser nos institutions, la République, et nous faire basculer dans des régimes autoritaires.

J'en viens à la question des suicides dans la police, question éminemment douloureuse qu'il est difficile de résumer par des chiffres : un suicide, c'est toujours un suicide de trop ! Les chiffres de 2019 étaient catastrophiques et nous ont tous touchés. Nous sommes parfois dans une forme d'impuissance face à ces phénomènes ; on essaie de comprendre, sans pouvoir expliquer. Les chiffres semblent en amélioration cette année : 31 suicides à ce stade, contre 59 l'an dernier. Un programme de mobilisation contre les suicides dans la police a été lancé : des plateformes téléphoniques peuvent être contactées nuit et jour, sept jours sur sept, par chaque fonctionnaire qui le souhaite, qui se trouve en difficulté ou qui constate qu'un autre fonctionnaire est en difficulté. Un dispositif de soutien prendra en charge la personne, avec la possibilité, c'est déjà arrivé, d'assurer une prise en charge médicale urgente. Le service de soutien psychologique opérationnel comporte des psychologues répartis sur tout le territoire, capables d'intervenir pour traiter des situations particulièrement difficiles, notamment quand des policiers sont blessés ou, pire, tués, pour accompagner l'entourage professionnel et familial. On a aussi confié à une société extérieure le soin d'auditer notre système de prévention contre le suicide pour voir ce que l'on pourrait améliorer.

Enfin, j'en viens à la question de la clef d'étranglement sur laquelle vous m'aviez déjà interrogé lors d'une précédente audition. M. Lauze a rendu son rapport. Je l'ai transmis au ministre, qui m'a demandé de lui faire des propositions d'ici à la fin de l'année, sur la base de ce rapport. Vous comprendrez donc que je ne puisse à ce stade m'exprimer que sur la méthode, tant que le ministre ne sera pas exprimé sur le fond.

M. François-Noël Buffet , président . - Je vous remercie.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat .

Audition de M. le général d'armée Christian Rodriguez,
directeur général de la gendarmerie nationale

(Mardi 1er décembre 2020)

M. François-Noël Buffet , président . - Nous auditionnons à présent le général d'armée Christian Rodriguez, directeur général de la gendarmerie nationale. Nous avons souhaité l'auditionner, comme nous en avons d'ailleurs l'habitude, pour évoquer les nombreuses actualités en matière de sécurité intérieure. Nous aurons à examiner prochainement la proposition de loi relative à la sécurité globale, dont nos rapporteurs sont Marc-Philippe Daubresse et Loïc Hervé. Le Livre blanc de la sécurité intérieure vient par ailleurs d'être rendu public, et nous nous réjouissons qu'il reprenne quelques préconisations formulées par le Sénat au cours des dernières années. En cette période de profondes mutations, nous souhaiterions avoir votre vision opérationnelle sur les évolutions, notamment législatives, qui sont aujourd'hui sur la table.

Cette audition prend toutefois un tour un peu particulier du fait de l'actualité. Partout, dans la presse, à la télévision, des discussions s'ouvrent sur l'action des forces de l'ordre : certains mettent en cause leurs manières de faire, d'autres leur apportent leur soutien. Dans ce contexte, je souhaiterais recueillir votre avis sur un sujet, celui de la formation des forces de l'ordre et son adéquation aux enjeux auxquelles elles sont aujourd'hui confrontées. Il me semble qu'il s'agit d'une des clés du débat.

Je salue aussi la présence de Mme Gatel, présidente de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales, et de M. Rémy Pointereau et Mme Corinne Féret, qui étudient, pour le compte de la délégation, l'ancrage territorial de la sécurité intérieure.

Général Christian Rodriguez, directeur général de la gendarmerie nationale . - Dans un contexte qui, depuis déjà un certain nombre d'années, voit se succéder des crises, une hausse de la violence et l'émergence de nouvelles menaces, la gendarmerie nationale a pour rôle de répondre présente, notamment par la mise en oeuvre au quotidien des priorités gouvernementales. Elle doit continuer à se transformer et à s'adapter à son environnement, et ce en lien et en confiance avec les élus, la population et les gendarmes eux-mêmes.

En outre, nous devons entretenir et développer, comme nous le faisons depuis la création de notre maison - qui a un peu plus de sept siècles d'histoire -, toutes les synergies possibles avec l'ensemble des acteurs de la sécurité : la police nationale, la police municipale, la sécurité privée et tous les acteurs qui concourent à la sécurité de la population ; c'est ce que nous appelons le continuum de sécurité. Pour ce faire, nous devons utiliser le levier des nouvelles technologies, dans un cadre juridique adapté, et ainsi gagner en efficacité.

Notre dynamique s'inscrit pleinement dans les dispositions de la proposition de loi relative à la sécurité globale.

Il s'agit d'abord de notre transformation, de notre adaptation à un nouvel environnement et du lien de confiance que nous devons tisser avec les élus, la population et les gendarmes. À ma nomination, voilà un peu plus d'un an, nous avons formalisé tout cela dans une stratégie intitulée Gend 20.24, que nous pouvons résumer par l'axiome suivant : pour la population et par le gendarme.

Notre ambition est d'offrir à la population une protection sur-mesure, qui doit se matérialiser par une priorité donnée au contact, à la proximité et à l'intelligence locale. Il convient par ailleurs de tenir compte des nouvelles frontières qui ont vu le jour, à savoir le numérique, le cyber, l'environnement, la biosécurité et une nouvelle mobilité, et des attentes fortes de l'ensemble de nos concitoyens, dans une société qui bouge en permanence. Nous devons également, bien entendu, assurer nos missions fondées sur le pacte républicain, et continuer notre lutte contre les violences familiales et la haine, pour ne citer qu'elles.

Cette protection sur-mesure, donc, ne sera efficace que si notre action est parfaitement ancrée dans la réalité des territoires, comprise et acceptée par la population. Cela impose que cette offre de sécurité soit locale et systématiquement construite en lien avec les élus et l'ensemble des acteurs locaux.

Nous devons également nous ouvrir vers l'extérieur, éviter d'être complètement ethno centrés, en proposant à nos officiers des référentiels différents et en acceptant dans nos rangs des personnes qui viennent d'autres horizons, pour nous obliger à nous remettre en question, à progresser.

Le gendarme, c'est la vraie richesse de la gendarmerie. C'est lui que la population croise chaque jour sur notre territoire, et non le directeur général de la gendarmerie nationale. Je salue son engagement en tout temps et en tout lieu. Nous l'avons encore vu récemment dans les Alpes-Maritimes.

Cette volonté de placer le gendarme au centre de notre stratégie d'entreprise se matérialise par les éléments suivants : le sens donné à l'action, le recrutement, la formation initiale, la formation continue et la culture. Nous inculquons également aux jeunes qui nous rejoignent la notion d'éthique, une déontologie, ainsi que la valorisation de l'engagement, des compétences et du dialogue interne. Mais aussi la bienveillance et l'accompagnement dans la gestion des ressources humaines.

Je ne suis pas cynique de nature, mais je dirai qu'un gendarme ne peut se sentir bien au travail que s'il se sent bien chez lui. Nous devons donc tout faire pour que les conditions de vie et de travail du gendarme soient les meilleures possible. Cela passe notamment par un accompagnement dans leur parcours, afin qu'ils disposent d'une liberté totale dans leur choix de carrière ; nous devons leur ouvrir le champ des possibles, pour qu'ils puissent, avec leurs proches, comprendre et accepter les bons et les mauvais côtés de ce métier.

Par ailleurs, la valorisation de l'innovation nous oblige, d'une part, à nous transformer, à nous demander en permanence comment faire bouger les lignes. Le premier confinement nous a amenés à changer, de façon considérable, nos pratiques et notre façon de voir les choses. D'autre part, elle nous pousse à reconnaître notre droit à l'erreur dans les territoires. Pour répondre à ce besoin de sécurité, nous devons accepter que des décisions soient prises à l'échelon local, sans attendre une réponse de la direction générale. Cependant, j'attends des chefs sur le terrain que, quand ils se trompent, ils le reconnaissent et proposent d'autres solutions, toujours dans l'intérêt de nos concitoyens.

Je parlais également de la nécessité de placer le gendarme au coeur de la stratégie d'entreprise, afin d'assurer un équilibre entre les compensations et les suggestions. Cet équilibre n'existe que si nous protégeons ceux qui nous protègent. Un certain nombre de mesures ont déjà été prises, ces dernières années. Nous avons consacré, par exemple, 15 millions d'euros pour sécuriser les casernes de gendarmerie. Nous travaillons également sur l'amélioration des protections individuelles et de la protection fonctionnelle - attribuée dans 98 % des cas -, face à la hausse des violences perpétrées à l'encontre de nos gendarmes. La proposition de loi vise, elle aussi, à assurer une meilleure protection de nos personnels.

Pour répondre présente, la gendarmerie doit également entretenir et développer des synergies avec tous les acteurs de la sécurité, dans cette logique de continuum de sécurité. Cette logique de coopération et de partenariat - ou de coproduction de sécurité - n'est pas nouvelle, ces termes sont employés depuis quelque temps déjà.

Face à l'évolution des menaces, à l'augmentation de la violence, aux situations de crise, notre seul objectif doit être de garantir la sécurité de nos concitoyens. Nous devons sans cesse nous poser la question suivante : comment pouvons-nous améliorer durablement la sécurité de la population sur tel territoire ou dans tel domaine ?

Cette réflexion doit être conduite en toute transparence et en lien très étroit avec les élus. Les éléments doivent être objectivés afin de définir, de façon très fine, une offre de sécurité adaptée aux besoins et aux attentes locales.

La crise sanitaire nous a retardés dans ce projet, mais je souhaite que, dans un territoire donné, nous puissions rendre compte au maire de la situation en termes de criminalité, de délinquance et d'incivilités, et lui proposer des solutions adaptées. Les outils numériques nous permettent assez facilement de procéder ainsi. Nous souhaitons que le maire, après discussion, valide le projet établi, que nous le mettions en oeuvre pour, par exemple, deux mois, afin de l'expérimenter, de faire un bilan et de le modifier en fonction des besoins. Associer les élus est indispensable, la gendarmerie ayant vocation à leur rendre des comptes, ainsi qu'à la population. La gendarmerie est au service de la population, sinon elle n'a aucune raison d'exister. Nous expérimenterons ce procédé dans neuf départements que nous avons identifiés.

Dans ce contexte, l'action des polices municipales et de la sécurité privée doit également être valorisée, mais aussi coordonnée et encadrée. C'est indispensable et la proposition de loi présente des solutions.

S'agissant des polices municipales, l'offre de sécurité de proximité qu'elles proposent est désormais incontournable. Elles sont légitimées par les prérogatives et la connaissance du terrain des maires. Cette offre doit être renforcée et catalysée par des actions de partenariat que nous pouvons initier entre nos services réciproques. Déjà, 2 000 conventions de coordination ont été élaborées.

Concrètement, nous travaillons ensemble au développement de bonnes pratiques et sur des sujets d'interopérabilité radio, avec la mise en place notamment d'un centre opérationnel qui dirige les patrouilles vers les endroits où les besoins sont réels. Des patrouilles mixtes, policiers municipaux et gendarmes, ont également été constituées, et dans certaines communes, nous nous sommes engagés à dispenser des formations techniques aux policiers municipaux.

Les polices municipales reflètent toutefois des réalités très différentes. Je rappelle que moins d'une commune sur dix bénéficie, en zone gendarmerie, d'une police municipale. En outre, certaines polices ne disposent que d'un agent, quand d'autres en comptent un grand nombre. Par ailleurs, seulement le tiers des policiers municipaux sont en zone gendarmerie, alors que celle-ci représente 52 % de la population et 95 % du territoire.

Les dispositions contenues dans la proposition de loi vont dans le bon sens, car elles incitent les communes et les établissements publics de coopération communale (EPCI) à se doter d'une police municipale et leur offrent de nouveaux modes d'action, dans une logique de respect des prérogatives régaliennes.

Lorsque j'étais en fonction en Haute-Savoie, nous avons beaucoup travaillé avec la police municipale d'une ville qui fait maintenant partie du Grand Annecy. Cette police ne doit pas être considérée comme la force qui effectue les tâches que les forces de l'ordre régaliennes n'ont pas envie ou n'ont pas le temps de faire. Non, nous devons collaborer, utiliser les compétences des uns et des autres.

De même, la sécurité privée apporte un appui précieux aux gendarmes. D'ailleurs, un certain nombre de nos missions, telles que les gardes statiques, pourraient être effectuées par celle-ci. La sécurité privée, ce sont 200 000 agents. C'est un secteur hétérogène, certes, mais qui doit poursuivre sa structuration afin de contribuer pleinement au continuum de sécurité.

Nous avons mené en région parisienne une expérimentation baptisée Griffon - calquée sur ce qui se fait en Angleterre -, pour laquelle la sécurité privée avait été placée en relais, comme une source d'information au profit des forces régaliennes. D'autres exemples étrangers sont très intéressants et nous permettraient d'être plus performants.

Enfin, je terminerai mon propos liminaire par le levier que représentent les nouvelles technologies, qui, bien entendu, doivent être encadrées juridiquement.

Les missions quotidiennes de nos gendarmes sont de plus en plus complexes et prennent du temps. D'ailleurs, nous ne voyons pas autant de gendarmes sur le terrain qu'il y a trente ans. Un peu par la force de l'habitude, les gendarmes peuvent passer un nombre d'heures important sur des procédures dont nous savons qu'elles ont peu de chance d'aboutir.

En outre, il est important que les gendarmes qui sont sur le terrain patrouillent au bon endroit, au bon moment. Pour cela, nous disposons de nouveaux outils qui nous permettent d'être plus performants.

Je prendrai l'exemple de deux algorithmes que nous expérimentons. Le premier nous permet d'établir des statistiques sur les lieux des cambriolages, afin que nous puissions anticiper et patrouiller sur les lieux potentiels, soit pour éviter un cambriolage, soit pour intervenir plus vite.

Nous avons expérimenté cet algorithme dans onze départements. Les forces de gendarmerie ont amélioré leurs statistiques de trois points, alors même qu'il n'est pas parfait. Nous continuons donc à le développer.

Le second algorithme vise à optimiser la présence des gendarmes la nuit. En effet, nous envoyons de trop nombreuses patrouilles, à de trop nombreux endroits, alors que l'activité ne le justifie pas. Et ce pour une raison simple : une réglementation interne indique que chaque gendarme doit effectuer une patrouille de nuit hebdomadaire.

J'ai commandé la gendarmerie de Corse pendant deux ans et demi, et je puis vous affirmer qu'en hiver, il ne se passe pas grand-chose la nuit. Contrairement à l'été. Et un gendarme qui patrouille la nuit dort le jour. Cet algorithme permet donc de déterminer combien de patrouilles sont nécessaires, à quel endroit et à quel moment.

Prenons l'exemple du département de l'Isère, qui est un grand département, où sont présents 1 400 gendarmes. Grâce à cet algorithme, non seulement moins de gendarmes patrouillent la nuit, mais ils ont amélioré leur performance en réactivité - ils ont pu effectuer des flagrants délits la nuit. Par ailleurs, quarante gendarmes ont pu être dégagés des patrouilles de nuit -, ce qui fait plus de monde le jour. Les élus nous ont signalé que, depuis, ils voyaient plus de « bleus », ce qui a certainement évité la commission d'infractions ou de délits. Tout s'est bien aligné : le ressenti des élus, une baisse des cambriolages, des conducteurs qui roulaient moins vite...

Nous expérimentons cet algorithme dans cinquante-cinq départements. L'année prochaine, nous l'utiliserons sur tout le territoire.

Toutes ces mesures visent à renforcer notre présence sur le terrain, afin d'être plus efficaces. En effet, la mission de la gendarmerie n'est pas de courir après les voleurs, mais de faire en sorte qu'il n'y en ait pas. Il n'y a des voleurs que si nous avons échoué dans la prévention de la délinquance. Or la prévention n'est possible qu'avec des gendarmes qui patrouillent.

La gendarmerie fait vivre un maillage de 3 100 brigades et, dès l'avènement de l'informatique, nous avons utilisé des technologies pour que les gens puissent communiquer entre eux. Avant même internet, nous étions capables, à partir d'une Renault 4L équipé d'un terminal, d'envoyer un message depuis la Haute-Savoie vers la Nouvelle-Calédonie de manière instantanée.

Nous continuons à développer notre culture informatique. En 2020, 40 % des officiers recrutés étaient ingénieurs. Et nous souhaitons augmenter cette jauge pour disposer de davantage de scientifiques.

Mais bien évidemment, ces nouvelles technologies doivent être encadrées juridiquement, notamment pour préserver les libertés individuelles.

S'agissant des caméras-piétons, nous les testons depuis quelques années déjà. De l'avis de tous, elles permettent d'apaiser des situations compliquées. Cependant, nous avons eu jusqu'à présent un problème de qualité. Celles dont nous allons doter nos gendarmes l'année prochaine sont plus performantes que les premières que nous avons expérimentées.

La proposition de loi prévoit des dispositions qui non seulement vont sécuriser l'utilisation des caméras-piétons, mais qui vont également permettre aux gendarmes d'exploiter les images captées en temps réel. Exploiter et non modifier.

Le sujet des drones est aussi important. Ils sont un peu les yeux déportés des gendarmes. Ils permettent de renseigner efficacement et rapidement en limitant les risques, et donc d'optimiser la présence des gendarmes au bon endroit, au bon moment.

La richesse de la gendarmerie, c'est le gendarme. Mais la valeur étalon, c'est le temps du gendarme. Notre objectif est de faire en sorte que le temps des gendarmes soit le mieux employé possible pour sécuriser la population.

Nous disposons également d'hélicoptères dotés de caméras, mais le drone est moins cher. Pour les nouveaux modèles d'hélicoptères, l'idée est de changer de capacité ; demain, l'hélicoptère H160 doit nous permettre de projeter des capacités, pour le Groupe d'intervention de la Gendarmerie nationale (GIGN), le Groupe de recherche, assistance, intervention, dissuasion (RAID) de la police nationale et pour les compagnies républicaines de sécurité (CRS). Nous ne souhaitons plus disposer d'hélicoptères capables de filmer.

Concernant les drones, nous avons instauré une doctrine et dispensons une formation de pilote, qui est très encadrée. Le commandement des forces aériennes de la gendarmerie dispose d'une expertise aéronautique. Nous disposons, depuis 2018, de quelque 600 personnels formés et de près 300 drones.

La décision du Conseil d'État du 18 mai 2020 nous a questionnés et a démontré que le cadre d'emploi des drones devait être précisé et sécurisé.

M. Marc-Philippe Daubresse . - Merci de votre présence. Vous avez précisé que l'extension des compétences des agents de police municipale ne doit pas remettre en cause les fonctions régaliennes de la police nationale et de la gendarmerie. Au contraire, elle doit permettre d'augmenter le nombre de constatations, sans modifier les pouvoirs d'investigation de la police nationale et de la gendarmerie.

Nous partageons ce point de vue. Cependant, la proposition de loi est rédigée de telle façon qu'un certain nombre d'éléments opérationnels posent question. Le maire, par exemple, n'est pas sous l'autorité du procureur de la République. De sorte qu'une saisie de stupéfiants ne peut être réalisée sans l'intervention du pouvoir de police judiciaire.

Comment voyez-vous cette articulation ?

Par ailleurs, j'ai été très intéressé par vos propos relatifs aux algorithmes. Je ne suis pas le seul, ici, à penser que de nombreuses choses peuvent se résoudre sans toucher à la République une et indivisible ou au pouvoir régalien. Cependant, les forces de l'ordre ne font pas le même travail en Corse que dans une sympathique campagne résidentielle.

Comment envisagez-vous l'opérationnalité de la coordination entre la police nationale, la gendarmerie nationale et la police municipale ? Tout doit-il être résolu dans des conventions, ou existe-t-il d'autres outils opérationnels ?

S'agissant de la formation, je connais celle de la police nationale et de la gendarmerie, mais je connais aussi celle de la police municipale. Comment former les policiers municipaux avant la prise de leurs fonctions ? Pouvez-vous jouer un rôle plus actif dans cette formation ?

Enfin, je vous poserai une question sur l'article 24 de la proposition de loi. Bien évidemment, je ne vous demande pas de commenter les décisions politiques mais, pour renforcer la protection des membres des forces de l'ordre, pour qu'ils ne puissent être les victimes d'une vengeance, quelle serait, selon vous, la solution, qui ne toucherait pas aux droits à l'information et à la liberté d'expression ?

M. Loïc Hervé . - Mon général, mes questions sont relatives aux drones et aux caméras.

Concernant les drones, pouvez-vous détailler le cadre juridique de leur utilisation ? Pouvez-vous également revenir sur les missions pour lesquelles vous les employez - ainsi que les hélicoptères -, notamment dans le cadre du maintien de l'ordre ?

Par ailleurs, quel modèle de caméra-piéton allez-vous utiliser ? Pouvons-nous imaginer disposer dans l'avenir d'un système européen, ou français, y compris dans sa production ? Nous savons que les premières caméras-piétons utilisées avaient été fabriquées en Asie du Sud-est.

Quelle est la pratique de la gendarmerie en matière de caméras embarquées dans les véhicules ? Souhaitez-vous les voir se développer ?

M. Henri Leroy . - Parmi les 200 propositions du Livre blanc, l'une préoccupe les élus locaux et, de fait, les citoyens. Il s'agit du redéploiement des forces de sécurité sur les territoires.

Le 9 octobre 2020, le Premier ministre, accompagné des ministres de l'intérieur et de la justice, a présenté aux élus de Toulouse Métropole le Livre blanc. La seule réponse des trois élus situés en zone gendarmerie a été : « touche pas à mon gendarme ».

L'expérience d'un redéploiement a été tentée en 2012. Ce qui avait soulevé un tollé et une dissension entre la police nationale et la gendarmerie.

Pensez-vous que ce chapitre « redéploiement » pourrait soulever les mêmes réactions qu'en 2012, ou la méthode est-elle aujourd'hui fondée sur une plus large consultation des maires concernés ?

Pensez-vous par ailleurs, comme certains, que la fusion envisagée de la gendarmerie, de la police nationale et de la police municipale est une solution d'avenir ?

M. Rémy Pointereau . - Monsieur le président, je vous remercie d'avoir convié les membres de la délégation aux collectivités territoriales à l'audition du général Rodriguez, que nous avons déjà rencontré, avec ma collègue Corinne Féret, pour le rapport que nous sommes en train d'élaborer sur l'ancrage territorial de la sécurité intérieure. Notre délégation a déjà approuvé un rapport d'étape, en juillet dernier. Le rapport définitif sera publié au mois de janvier 2021, alors même qu'un débat houleux vient de se tenir à l'Assemblée nationale, s'agissant de la proposition de loi relative à la sécurité globale et du Livre blanc sur la sécurité intérieure.

Mon général, vous avez répondu à un certain nombre de nos préoccupations sur le thème de l'ancrage territorial, et notamment de la relation avec les élus et les citoyens - je pense notamment aux opérations « Voisins vigilants et solidaires ».

Comment pouvons-nous encore améliorer cet ancrage territorial de nos forces de sécurité, notamment avec la gendarmerie ?

La question du partage des zones entre la police nationale et la gendarmerie, sur la base démographique, est-elle encore aujourd'hui opérationnellement pertinente, notamment dans les départements ruraux ?

Enfin, êtes-vous favorable à une montée en puissance de l'échelon intercommunal dans le domaine de la sécurité ? Si oui, selon quelles modalités ?

En complément de ces questions, nous vous ferons parvenir un questionnaire, qui nous sera fort utile pour notre rapport.

Mme Corinne Féret , vice-présidente de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation . - À mon tour, je voudrais saluer l'excellente collaboration entre nos instances, et nous parvenons aujourd'hui à réaliser une audition conjointe dans un contexte extrêmement chargé pour nos forces de l'ordre. Comme l'a rappelé Rémy Pointereau, nous avons entendu le directeur général en février dernier, lors d'une visite très intéressante au siège de la gendarmerie nationale, à Issy-les-Moulineaux. Les préoccupations de la délégation aux collectivités territoriales rejoignent celles des élus locaux, et le calendrier d'examen de la proposition de loi sur la sécurité globale devrait nous laisser le temps d'achever nos travaux et de formuler quelques recommandations utiles, notamment sur le volet territorial de la sécurité. Dans cette perspective, nous échangerons avec vous, chers collègues et rapporteurs de la commission des lois.

Monsieur le directeur général, je souhaiterais insister sur quatre points essentiels pour notre délégation. Tout d'abord, faut-il faire évoluer le maillage de la répartition entre police et gendarmerie ? De plus, comment rendre plus efficace le renseignement territorial ? Par ailleurs, au sujet des relations avec la population, comment sortir de la défiance et faire de nos concitoyens des acteurs à part entière du continuum de sécurité ? Enfin, et c'est un point essentiel, comment renforcer les relations entre gendarmerie et élus locaux ? Les expérimentations conduites dans neuf départements pourraient-elles être généralisées ?

M. Alain Marc . - Tout d'abord, le fils de gendarme que je suis ne peut s'empêcher de vous dire tout l'attachement que nous avons pour notre gendarmerie, notamment en milieu rural. Mon général, vous avez évoqué la notion de partenariat et, en tant que président de la commission des routes d'un conseil départemental, je tiens à signaler qu'avant d'être supprimé, le dispositif « Réagir » permettait aux élus départementaux d'avoir un retour de la part de la gendarmerie sur les accidents de la route. Ainsi, dans le cas d'accidents liés à la dangerosité des routes, les élus pouvaient décider de l'installation de barrières de sécurité ou de la mise en oeuvre de nouveaux tracés pour certains virages. La culture de l'évaluation manque en France, et ce dispositif mériterait d'être remis en place pour assurer une bonne remontée de l'information et nous permettre d'agir au bénéfice de nos concitoyens.

M. Jérôme Durain . - Mon général, dans les deux premières phrases que vous avez prononcées, se trouvaient les mots « citoyen » et « population ». Les gendarmes appartiennent au paysage local, et la semaine dernière j'entendais un gendarme dire que lui et ses collègues ne souhaitaient ni être floutés ni être cagoulés, qu'ils voulaient être connus et respectés de la population, et avoir sa confiance. Est-ce toujours le cas ou sentez-vous une détérioration des relations comme avec les membres d'autres forces de sécurité ? Auriez-vous des solutions pour généraliser ce qui fonctionne dans la gendarmerie et peut poser problème ailleurs ?

Mme Valérie Boyer . - Monsieur le général d'armée, comme les policiers, les gendarmes ont droit à toute notre reconnaissance, à toute notre considération. Il est nécessaire de le rappeler et de vous féliciter pour votre courage, pour la force, l'abnégation et l'investissement des hommes et des femmes qui combattent jour après jour pour notre sécurité, et contre le terrorisme islamiste. C'est grâce à vous que nous pouvons - hors contexte covid - vivre en paix et en sécurité, nous balader et exercer cet art de vivre français auquel nous sommes tous attachés.

J'aimerais revenir sur le fichier des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT) sur lequel, à ce jour, 8 132 personnes seraient inscrites. D'ici 2023, 2 540 détenus radicalisés doivent retrouver la liberté au terme de leur peine de prison et, parmi eux, 328 sont classés comme terroristes et se trouvent en prison pour des faits directement liés au terrorisme islamiste, la plupart ayant rejoint Daech en zone irako-syrienne, ou ayant tenté de le faire. Les 2 212 autres sont des détenus de droit commun considérés comme radicalisés, et ils purgent des peines plus courtes. Monsieur le général d'armée, il ne s'agit pas d'une attaque contre le Gouvernement mais je profite de votre présence pour rappeler que l'échelon local ne doit plus, et ne peut plus, être le parent pauvre de l'information en matière de prévention et de lutte contre la radicalisation ; les maires doivent être informés de façon automatique et obligatoire, et non en fonction du bon vouloir des autorités comme c'est souvent le cas aujourd'hui. Pensez-vous que ce dialogue soit aujourd'hui suffisant ?

M. Christian Rodriguez . - Sur la question des pouvoirs des polices municipales, il ne faut pas oublier que le maire est officier de police judiciaire (OPJ) - en tout cas sur le papier -, et qu'un lien de fait existe déjà avec le procureur de la République. Ce qui me semble intéressant dans cette proposition de loi, c'est qu'elle va permettre de faire traiter, par les polices municipales, des petits contentieux du quotidien qui, très souvent, ne pouvaient l'être car la brigade de gendarmerie ne se trouvait pas sur place. Certes, le policier municipal est avant tout sous l'autorité du maire. Mais les ouvertures prévues par la proposition de loi, tout en permettant une meilleure efficacité, préserveront l'équilibre, ce qui me semble important.

Quant à la coordination entre la police, la gendarmerie et la police municipale, elle relève du corps préfectoral, et globalement les choses se passent bien. J'ai des échanges constants avec Frédéric Veaux et nous sommes capables de discuter de tout, d'avancer, et de trouver ensemble des solutions qui nous permettent d'être plus performants. Ainsi, au quotidien, quand une force est en tension ou qu'il se passe quelque chose d'important, les renforcements se font assez facilement sans que nous ayons besoin de remonter à la direction générale, et le préfet fait engager les forces qui sont présentes. Dans Paris, des gardes républicains patrouillent. À Versailles, des réservistes de la gendarmerie sont engagés autour du château, qui est pourtant une zone sous responsabilité de la police. Nos modalités d'action nous permettent donc d'être aussi présents que possible, là où il le faut, sans remettre en question les zones de compétence. Ces sujets sont traités au fil de l'eau et sans difficulté et, quand un problème se pose, le préfet et les deux directeurs généraux se hâtent de le régler.

Les polices municipales se trouvant sur des territoires qui dépendent de la police ou de la gendarmerie, je crois à une coordination au plus près du terrain, et je n'ai pas beaucoup d'inquiétudes à ce sujet. J'en ai d'autant moins que l'on retrouve souvent d'anciens policiers ou d'anciens gendarmes dans les polices municipales, et que bien souvent des policiers municipaux appartiennent à la réserve de la gendarmerie.

Sur la question de la gendarmerie dans les territoires, il est vrai que l'écosystème est un peu particulier. En effet, le gendarme vit dans une brigade, avec sa famille, au coeur du territoire dans lequel il travaille. Il appartient aux mêmes associations de parents d'élèves et aux mêmes clubs de foot que la population. Fils de gendarme, je connais bien cette forme de contrôle social que la population exerce sur le gendarme. Mon fils me dit d'ailleurs souvent que je dois être prudent parce que si les choses venaient à mal se passer, c'est lui qui aurait des difficultés. La police ne fonctionne pas du tout de cette manière-là. Le gendarme est bien identifié et, même si ce n'est pas simple tous les jours, c'est une vraie force.

Pour les formations des policiers municipaux, nous travaillons avec le Centre national de la fonction publique territoriale (CNFPT) et, de manière directe ou indirecte, on assure déjà des formations et on aide localement dès lors qu'il y a des besoins. La proposition de loi évoque les brigades cynophiles et il y aura vraisemblablement transfert de compétences de la force régalienne vers les polices municipales. Cela se fera facilement et c'est déjà le cas pour les motocyclistes ou les cavaliers, par exemple. De plus, lors de leur formation initiale, il n'est pas rare que les policiers municipaux passent du temps en observation dans des brigades territoriales. Cela existe donc déjà et se renforcera à mesure que les polices municipales seront plus présentes.

Vous l'avez dit, je suis un technicien, et la question posée sur l'article 24 n'est pas tout à fait celle d'un technicien... Aujourd'hui, on peut poursuivre une personne ayant posté la photo d'un gendarme accompagnée des mots « tuez-le ». Mais si ces mots ne sont pas écrits, on ne peut pas poursuivre, même si le gendarme est livré à la vindicte populaire. La loi permettra d'éviter ce genre de faits. Je laisse le débat aux spécialistes, mais il faut vraiment s'intéresser à la protection de nos gendarmes, c'est une nécessité.

En ce qui concerne les drones, le cadre juridique actuel est incertain et en le rappelant, la décision du Conseil d'État nous conduit à nous interroger. Il est temps de clarifier les choses. Les drones ne sont utilisés que depuis peu pour assurer le maintien de l'ordre, et il s'agit de repérer, en direct, si une foule se forme afin de monter en cas de besoin un dispositif de maintien de l'ordre et de bloquer certains accès, ou de repérer des situations de violence nécessitant une intervention. Il ne s'agit donc pas d'identifier quelqu'un au milieu d'une foule ni d'enregistrer les images. Les choses seront plus faciles quand le cadre juridique sera clairement posé.

Les caméras embarquées posent le même genre de difficulté. Officiellement, nous n'en avons pas mais parfois des gendarmes installent une caméra dans leur véhicule pour se protéger. Ainsi, quand ils sont poursuivis pour des violences et que le magistrat demande des explications, ils présentent les images. Comme a dû le dire Frédéric Veaux, c'est un peu du bricolage, même si les tribunaux acceptent ces vidéos et s'en servent pour asseoir leurs décisions. Là aussi, la réglementation doit être clarifiée.

Sur les caméras-piétons, le modèle précédent posait question quant à son système d'accrochage, la durée de ses batteries qu'il fallait changer régulièrement, et l'insertion du code. Tout était un peu compliqué. Le modèle dont nous allons nous doter a été testé par le service des technologies et systèmes d'information de la sécurité intérieure, ne présente plus ni problème de batterie ni problème d'accroche, et il est plus ergonomique que les anciens. Par ailleurs, la proposition de loi prévoit des usages particuliers, ce qui permettra d'avoir des caméras plus performantes. En ce qui concerne les fabricants, je connais une marque venant d'un pays asiatique et une autre venant d'un pays situé à l'ouest de l'Atlantique. Il en existe sans doute d'autres, et l'appel d'offres permettra à tous de proposer un projet.

Au sujet du Livre blanc, j'évoquerai d'abord la question de la répartition entre zones de police et zones de gendarmerie, qui repose sur un article du code général des collectivités territoriales (CGCT), qui pourtant ne recouvre pas exactement ce sujet. En effet, le CGCT précise ce qui est en zone de police d'État. Or, la gendarmerie est une police d'État et, par excès de langage, nous avons considéré que « zone de police d'État » signifiait « zone de police nationale ». L'article s'intéresse aux pouvoirs du maire et à ceux du préfet, selon la zone, notamment en termes de police administrative. L'approche en fonction de la population et du type de délinquance - les deux critères étant cumulatifs - s'appuie donc sur un article qui ne prévoit pas la répartition des zones de compétence entre gendarmerie et police, et repose donc sur une ambiguïté. Ces dernières années, nous avons souhaité trouvé quelque chose de plus adapté et de moins ambigu. Cependant, changer le CGCT reviendrait à faire dire au texte une chose qu'il ne dit pas et, en l'absence d'autre texte sur lequel s'appuyer, nous sommes dans une logique un peu compliquée.

Le facteur de décision doit être la performance générale du dispositif. Des réflexions vont dans ce sens dans le cadre du Livre blanc, et c'est ce que le ministre a dit lorsqu'il l'a présenté à des parlementaires. Nous devons donc nous demander si, sur un territoire donné, nous serions plus performants en agrégeant des communes et en ayant des zones de compétence plus larges, qu'elles soient celles de la gendarmerie ou celles de la police. La performance et le gain pour la population doivent seuls nous guider dans nos réflexions. Il ne s'agit pas de mettre d'accord police et gendarmerie sur un effectif de population ; la sécurité de la population est bien trop importante pour cela. Notre devoir à nous, policiers et gendarmes, est de nous entendre et d'être parfaitement efficaces ensemble. On s'y emploie et globalement de nombreux progrès sont faits, notamment en termes de mutualisation et de coordination. Pour ces raisons, le pragmatisme doit l'emporter sur le dogmatisme, et l'on doit mener des études d'impact pour savoir ce que l'on apporte à la population. Il s'agit aussi de savoir comment les choses se passent dans les communes qui ont connu le transfert de zones de compétence en 2012. J'ai ainsi rencontré quelques maires des communes passées chez nous mais ce n'est pas encore suffisant. La gendarmerie est présente dans 20 des 22 métropoles du pays et dans 16 de ces 20 métropoles, la gendarmerie est majoritaire en termes de territoire couvert, dont la densité urbaine varie. Je ne dis pas qu'il ne faut rien faire, mais nous devons nous poser ces questions et le sujet est compliqué. Les élus doivent aussi être au coeur de la réflexion.

La question de la fusion entre police et gendarmerie pourrait se poser un jour ; j'ai mon idée sur cette question mais je la garderai pour moi... J'ai répondu plus tôt sur la façon de mieux coordonner l'ensemble des forces, notamment les polices municipales et la force régalienne présente localement.

Améliorer l'ancrage territorial est vraiment la priorité. On a beaucoup d'idées, et on est en train de travailler sur la possibilité de faire tout le travail de la brigade territoriale en mobilité. On va l'expérimenter l'année prochaine et ce que je souhaite, c'est que les gendarmes n'attendent plus les usagers dans la brigade. Cela sera peut-être plus difficile à mettre en oeuvre dans les Alpes-Maritimes ou le Var, dans ces départements où l'activité est très importante mais, dans une bonne partie de nos territoires, on peut tout faire en mobilité. Le gendarme a son NEO, tablette ou ordinateur, et qu'on soit à la mairie ou sur le marché, on peut prendre rendez-vous avec lui pour un dépôt de plainte ou toute autre démarche. Le système lui envoie ensuite une notification pour lui rappeler son rendez-vous, qui peut avoir lieu chez l'usager, à la mairie, à la Poste ou n'importe où. La brigade restera en place et les gendarmes continueront d'y vivre, mais c'est le gendarme qui ira vers l'usager. Au début, il aura une imprimante portable et, dans un deuxième temps, on enverra la procédure signée par courrier électronique. Si la personne n'a pas internet, le gendarme pourra imprimer le papier ou le déposer à la faveur d'une prochaine patrouille. Il s'agit de rénover la proximité, et de la rendre plus riche.

Dans le Limousin et en Corse, on mène une autre expérimentation. Des gendarmes partent pendant trois jours dans un camping-car à la rencontre des populations, dans des territoires sans brigade, dans lesquels on ne voit jamais de gendarmes, parce qu'il ne s'y passe pas grand-chose. Cependant, la population a envie de les voir et sont rassurés par leur présence. Le maire prend rendez-vous et les gendarmes viennent dans leur camping-car sur lequel on lit : « Notre engagement, votre sécurité », ils se garent à la mairie, dorment la nuit à l'hôtel s'il le faut, et passent la journée avec la population. Cela se fera sans toucher aux 3 100 brigades, hormis celles qui vont tomber en ruine, que l'on pourra supprimer mais pour les reconstruire. Nous devons explorer d'autres modèles de proximité tout en maintenant le maillage, qui est vital pour les territoires.

Sur l'échelon intercommunal, il est vrai qu'il réduit le nombre d'interlocuteurs mais ce n'est pas à moi d'en juger. À un moment, nous avons pensé faire correspondre les brigades avec l'intercommunalité mais tout devient alors compliqué et on peut perdre en cohérence. Ce que je souhaite, c'est que chaque maire soit bien connecté à la brigade et puis, si à un moment les intercommunalités fluctuent, on peut recréer des connexions. Évidemment, il faudra que l'on travaille avec vous sur ces sujets-là.

En ce qui concerne la question du renseignement territorial, 15 % de ses effectifs sont des gendarmes. La capacité de synthèse est plus développée dans la police nationale que chez nous, qui sommes les champions des capteurs puisque nous couvrons 95 % du territoire. Nous avons besoin d'une sous-direction qui traite le renseignement parce qu'un chef doit avoir des informations pour bien manoeuvrer, ne pas être aveugle et pouvoir commander au quotidien. Le renseignement territorial, qui reste assez spécifique, doit bénéficier de toutes nos informations. Il y a environ 300 gendarmes au renseignement territorial, les tuyaux sont en place, et les choses se passent très bien. Quand on a un besoin d'un élément, on demande au service central du renseignement territorial et cela fonctionne bien, même si certains grincheux considèrent que c'était mieux avant.

Sur le sujet des relations avec la population, il faut effectivement sortir de la défiance. Sebastian Roché, un chercheur que j'apprécie particulièrement, disait il y a peu que la légitimité de l'action des forces de sécurité était directement liée au lien de confiance existant avec la population. C'est indispensable. On a essayé d'y travailler pendant le confinement avec notre opération « #répondreprésents », en nous rendant auprès des personnes vulnérables, en apportant des médicaments à des personnes âgées qui n'avaient pas de pharmacie à proximité, en téléphonant aux personnes âgées dans les villages, en aidant les maires à distribuer des masques, en apportant leurs cours à des enfants qui n'avaient pas internet ; on a fait autre chose que notre travail quotidien parce que tout le monde était en grande difficulté et cela nous a permis de regagner ce lien de confiance, qui s'était distendu avec le temps. Je suis d'accord avec vous, ce sujet doit être notre première priorité et si vous avez des idées, je suis preneur !

En ce qui concerne l'expérimentation de nos dispositifs pour présenter, expliquer et associer les maires sur la question de la sécurité dans les territoires, je pense qu'elle sera concluante. Nous avons choisi l'expérimentation pour ne pas avoir à imposer le changement en interne. Chacun finira par se rendre compte que c'est une bonne chose, même les gendarmes dans les brigades. Les commandants se diront que leurs relations avec les maires s'améliorent, y compris sur des sujets qui peuvent être délicats. Dès qu'ils seront du même côté de la table et qu'ils travailleront ensemble à apporter la meilleure réponse, ils seront convaincus par le dispositif et alors tout le monde le réclamera. Quand ce sera le cas, on généralisera sûrement, et le plus tôt sera le mieux.

J'ignorais que le dispositif « Réagir » avait disparu et on va le remettre en place. C'est un bon sujet d'échange avec les élus. Merci, monsieur le sénateur d'avoir soulevé ce point.

Enfin, au sujet du FSPRT, c'est l'éternel sujet de la question de l'association des élus. La proposition de loi prévoit d'ailleurs une obligation de renseigner les élus sur certains points. Les maires sont informés de certains sujets mais sur d'autres, le principe de confidentialité reste important. Il y a par exemple des éléments que j'ignore, notamment sur une population qui peut être chez nous. Il faut trouver les bons équilibres et ce n'est pas facile. Je pense avoir répondu à toutes vos questions.

M. François-Noël Buffet , président. - C'est exact, mais Mme Gatel souhaite poser une dernière question.

Mme Françoise Gatel , président de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation . - Merci, monsieur le président. Général, comme beaucoup de mes collègues, je salue l'excellente coopération qui existe entre la gendarmerie et les élus locaux. Nous vous citons très souvent en exemple sur le mode de coopération que les services de l'État devraient entretenir avec les élus. Je souhaiterais partager une réflexion générale sur un sujet que vous avez vous-même qualifié de complexe. Dans le Livre blanc, on invite à réfléchir à une nouvelle répartition des zonages entre police et gendarmerie, et notamment dans les métropoles que l'on imagine
- vous l'avez dit - comme des territoires très urbains et monolithiques, alors que ce n'est pas forcément le cas et que dans la périphérie de certaines se trouvent des communes extrêmement rurales qui ressemblent beaucoup aux communes voisines et sont en fait des bassins de vie transfrontaliers entre métropoles et intercommunalités. Je suis certaine, général, que cette réflexion sera menée en étroite coopération avec les élus, et il faudra effectuer un travail de dentelle. Il faut avoir de l'intelligence territoriale plus que de l'intelligence administrative, qui pourrait sembler plus simple mais n'apporte pas toujours que des solutions.

M. Christian Rodriguez . - Je ne peux qu'être d'accord et on a vu, à la faveur du premier confinement, que la façon dont les populations réagissent est en train de changer. Selon le dernier recensement de l'Institut national de la statistique et des études économiques (Insee), la zone gendarmerie comptait plus de gains de population que la zone police, qui est pourtant la zone la plus urbanisée. On voit bien que la population aujourd'hui cherche plutôt à s'éloigner des centres-villes. Je partage donc votre analyse et, même si cela peut paraître plus compliqué, cela me paraît indispensable.

M. François-Noël Buffet , président. - Merci, mon général. Une dernière observation, sur l'information des maires concernant les personnes fichées S. C'est un débat qui se poursuit et existe depuis longtemps déjà. Notre commission s'est déjà prononcée sur le sujet, dans le cadre d'une mission d'information. Elle avait indiqué que le fichier est d'abord un outil de travail des services de police, qu'il existe plusieurs classifications au sein du fichier, et qu'une personne peut être fichée S sans pour autant être un grand terroriste. La solution privilégiée par notre commission était plutôt de favoriser le lien de confiance entre le maire et son préfet, et l'instauration d'un échange informel reposant sur cette confiance.

Mon général, il me reste à vous remercier de votre présence et des propos que vous avez tenus, à vous souhaiter bon courage, à vous-même ainsi qu'à tous vos gendarmes, et à vous assurer de notre soutien.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat .

Audition de M. Gérald Darmanin,
ministre de l'intérieur

(Mardi 12 janvier 2021)

M. François-Noël Buffet , président . - Nous auditionnons aujourd'hui M. Gérald Darmanin, ministre de l'intérieur.

Monsieur le Ministre, avant de vous laisser la parole pour évoquer la proposition de loi sur la sécurité globale, je formulerai deux interrogations.

Trois décrets du 2 décembre 2020 ont modifié les dispositions du code de la sécurité intérieure relatives au traitement de données à caractère personnel en permettant de recueillir des données relatives à l'appartenance syndicale, aux activités politiques, aux convictions philosophiques et religieuses, mais également les identifiants sur les réseaux sociaux et certaines données de santé, ceci au nom de la sécurité publique ou de la sûreté de l'État. Si le Conseil d'État, saisi en référé, a estimé qu'aucun des arguments avancés par les requérants n'était de nature à faire naître un doute sérieux sur la légalité de ces dispositions, le fait d'attester que des opinions puissent représenter un danger en elles-mêmes démontre une rupture dans la manière de penser la sûreté de l'État. N'y a-t-il pas là un risque ?

Deuxième question : comment le Beauvau de la sécurité et le débat sur la répartition entre police et gendarmerie annoncés par le Gouvernement s'articuleront-ils avec l'examen de la proposition de loi relative à la sécurité globale ? Y a-t-il des complémentarités entre ces démarches ?

M. Gérald Darmanin, ministre de l'intérieur . - Les fichiers que vous évoquez ont été créés entre 2009 et 2011, puis codifiés dans le code de la sécurité intérieure. Les trois décrets ont été publiés le 2 décembre 2020, notamment suite à un contrôle de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) en 2017 et en 2018. Trois fichiers sont concernés par ces modifications, qui poursuivent des finalités différentes.

Le fichier Enquêtes administratives liées à la sécurité publique (EASP) relève de la direction générale de la police nationale (DGPN) et de la préfecture de police de Paris. Il s'agit d'informations nécessaires recueillies dans le cadre d'enquêtes menées par les renseignements territoriaux sur les personnes ayant vocation à accéder à des bâtiments ou à des sites sensibles pour l'État, comme des préfets et des ambassadeurs. L'objectif est de savoir si elles sont ou non dignes d'accéder à des fonctions de souveraineté et de sûreté de l'État.

Les fichiers Prévention des atteintes à la sécurité publique (PASP), qui relève de la DGPN, et Gestion de l'information et prévention des atteintes à la sécurité publique (GIPASP), qui est son équivalent pour la direction générale de la gendarmerie nationale (DGGN) - les deux fichiers ne sont pas fusionnés -, sont légèrement différents du fichier EASP. Il s'agit de la conservation des identités d'individus dont l'activité peut porter atteinte à la sûreté de l'État, intéresser l'ordre public ou être en lien avec des faits de violence collective. Contrairement à beaucoup de fichiers de souveraineté, ces fichiers ont été publiés, ce qui garantit l'information des citoyens et des parlementaires. Ils ont été modifiés à la demande de la CNIL. Nous avons repris les dispositions de la loi du 20 juin 2018 relative à la protection des données personnelles, dite loi RGPD, que la Haute Assemblée avait approuvée. Le texte qui nous avait été transmis par les instances européennes mentionnait les « opinions », et non les « activités » politiques. C'est la CNIL qui nous a demandé de modifier cette référence. Nous avons également ajouté des catégories sur les activités sur les réseaux sociaux, qui étaient évidemment moins liées qu'aujourd'hui à des activités subversives ou à des atteintes à la sûreté de l'État en 2009 et en 2011.

Ainsi que M. le président vient de le rappeler, le Conseil d'État a, dans une décision toute récente, donné raison au ministère de l'intérieur.

M. Jérôme Durain . - L'élargissement de la liste des informations collectées soulève des interrogations. Il y avait des personnes physiques ; il y a désormais des personnes morales. Plusieurs personnalités publiques et juristes estiment que l'on va tout de même un peu loin. S'agit-il, comme je l'ai lu, de régulariser des pratiques qui avaient déjà cours sans base juridique ? Comment les fonctionnaires chargés de renseigner ces fichiers seront-ils formés ? Il faut tout de même un peu de discernement et de subtilité pour apprécier des options philosophiques et politiques.

Surtout, dans un contexte de grande tension dans notre pays et de désordres psychologiques individuels et collectifs, n'est-ce pas jeter de l'huile sur le feu ? Les questions de sécurité publique sont extrêmement sensibles. Ces fichiers semblent de nature à entretenir un climat qui n'est pas sain, en donnant le sentiment de contrevenir aux libertés publiques.

Mme Esther Benbassa . - Pourquoi étendre ces fichiers aux opinions politiques, aux convictions philosophiques et religieuses, mais également à l'appartenance syndicale ? En quoi ce fichage permettrait-il de lutter plus efficacement contre la menace terroriste ? Je m'interroge notamment sur la notion d'atteinte « aux institutions de la République ».

Les associations pourront désormais être concernées. Quelles garanties le Gouvernement prévoit-il pour protéger leur liberté et la liberté d'opinion en leur sein ?

M. Gérald Darmanin, ministre . - Je ne peux pas laisser dire que les décrets contreviennent aux libertés publiques. Ils ont été validés par le Conseil d'État et la CNIL en amont, et de nouveau par le Conseil d'État en aval. Ils sont d'autant plus respectueux des libertés publiques qu'ils ont été conçus à la demande de la CNIL.

Encore une fois, c'est le législateur qui a fait référence aux « opinions » politiques dans le cadre de la loi RGPD, texte voté par la Haute Assemblée. On ne peut pas reprocher au Gouvernement de reprendre par parallélisme la formulation du législateur.

Les décrets dont nous discutons n'ont pas créé ces fichiers. Ils existaient déjà. Simplement, en 2017, la CNIL leur reprochait d'être très sommaires dans leur rédaction. C'est donc à sa demande que nous avons introduit des catégories plus précises. Elle a d'ailleurs qualifié ce travail de régularisation des pratiques des services. Les agents sont évidemment formés, et ils sont d'un grand professionnalisme. Les éléments qu'ils rentrent sont ensuite validés par le service central.

Monsieur Durain, vous évoquez le contexte. Pour ma part, depuis que je suis ministre de l'intérieur, je suis confronté à un contexte terroriste extrêmement important, ainsi qu'à des actions subversives, comme celles des Black Blocs lors des manifestations. Les décrets viennent lutter contre ceux qui portent atteinte à la sûreté de l'État et aux institutions.

Madame Benbassa, la référence aux « institutions de la République » figure dans le premier fichier, consacré aux personnes susceptibles de se rendre sur des sites ou dans des bâtiments relevant de la sûreté de l'État ou d'accéder aux fonctions de préfet, d'ambassadeur, de directeur d'administration centrale ou de chef d'un service de renseignements. Il est normal que la République puisse vérifier la compatibilité de ces personnalités avec les fonctions éminentes qu'elles seront amenées à exercer.

Il ne s'agit non pas de ficher des personnes selon leur opinion religieuse, syndicale ou politique, mais d'identifier les liens d'individus ayant commis des actions violentes. Cela permet d'avoir plus d'informations, en complément du fichier des signalements pour la prévention de la radicalisation à caractère terroriste (FSPRT). Les individus ne sont pas fichés par opinion politique, par opinion syndicale ou par opinion religieuse, mais parce qu'ils ont commis des actions violentes. L'objectif est évidemment de voir quel serait leur cercle d'action. Il convient de relativiser : les fichiers concernent 60 000 personnes, contre 19 millions pour le fichier de traitement des antécédents judiciaires (TAJ).

M. François-Noël Buffet , président . - Monsieur le ministre, je propose d'aborder à présent la proposition de loi relative à la sécurité globale.

M. Gérald Darmanin, ministre . - Le Beauvau de la sécurité et la répartition entre police nationale et gendarmerie intéressent beaucoup, je le sais, les parlementaires, en particulier les membres de la Haute Assemblée, en charge de représenter les collectivités territoriales.

Le travail que j'ai engagé à la demande du Président de la République permettra de construire une grande loi de programmation de la sécurité intérieure. Cela n'avait pas été fait depuis le rattachement de la gendarmerie nationale au ministère de l'intérieur. Les organisations syndicales de la police et les représentants des gendarmes ont approuvé les propositions que je leur ai adressées concernant les méthodes qui présideront à nos discussions. J'ai suggéré que des membres du Parlement et des élus locaux, notamment des maires, puissent participer à nos travaux sur la formation, sur les inspections, sur le maintien de l'ordre, etc . Des mesures seront envisagées sur ces différents thèmes. Je souhaite également que puissent être organisés dans tous les territoires de la République des débats publics avec les policiers, les gendarmes, mais aussi les acteurs de la société civile. Le Président de la République pourrait conclure le Beauvau de la sécurité au mois de mai.

Le Livre blanc de la sécurité intérieure avait été commandé par mon prédécesseur. Il porte sur la sécurité en général : organisation des forces de l'ordre, mais également sécurité civile et réponses face aux grandes crises. Parmi les propositions figure effectivement une nouvelle répartition entre la police et la gendarmerie, les territoires de la délinquance ayant évolué. Ce n'est pas nous qui avons proposé les nouvelles cartes, mais nous allons les examiner. Tout en maintenant la distinction entre la police et la gendarmerie, on peut envisager de mutualiser certaines actions face à la cybercriminalité, au trafic de drogue ou aux cambriolages. J'engagerai une discussion avec les élus et les forces de l'ordre territoire par territoire, en regardant les chiffres de la délinquance.

Je salue le travail très important que les députés Alice Thourot et Jean-Michel Fauvergue ont réalisé à l'Assemblée nationale sur la proposition de loi relative à la sécurité globale. Ce texte très ambitieux, qui a été l'un des mieux votés de la législature, permet des avancées considérables dans trois domaines : les compétences de la police municipale, la sécurité privée et l'utilisation des images.

Il prévoit un continuum : si l'État est et doit rester le responsable de la sécurité publique, tout le monde participe. Je pense aux agents de sécurité privés, dont l'un a empêché un attentat voilà cinq ans en ne laissant pas un terroriste pénétrer dans le Stade de France, ou aux agents de police municipale, qui, nous l'avons vu récemment à Nice, sont parfois primo-intervenants face au terrorisme. Si le rôle de l'État en matière de sécurité doit demeurer, nous devons mieux travailler avec nos partenaires sans les considérer comme des acteurs de seconde zone. Ayant été maire, j'ai moi-même souvent regretté que la police municipale soit considérée par l'État comme une force d'appoint.

Nous traitons dignement les compétences de police municipale avec une expérimentation tout à fait originale à l'article 1 er , mais nous renforçons en parallèle la place de l'État. Le texte ne prévoit aucun désengagement de l'État. La police municipale pourra constater des délits, aura des compétences judiciaires, mais elle ne pourra pas procéder à des actes d'enquête. Le renforcement des compétences des polices municipales sera gage de meilleure action pour la sécurité de nos concitoyens. D'ailleurs, Christian Estrosi, le président de la commission consultative nationale des polices municipales, a salué ce texte. Bien entendu, certains éléments peuvent toujours être améliorés.

Nous instituons de nouveaux délits pour mieux lutter contre certaines armes par destination, comme les mortiers. Nous sommes également favorables à l'interdiction du protoxyde d'azote, voire à certaines dispositions relatives aux rodéos.

Nous apportons des réponses extrêmement concrètes sur la question des images, avec la mise en place des centres de supervision urbains (CSU). Leur mutualisation permettra aux petites communes, notamment dans les zones gendarmerie, de mettre en place la vidéoprotection sans se ruiner.

Il s'agit aussi de régulariser l'utilisation des drones. Nous voulons encadrer l'utilisation des images, en protégeant la vie privée de nos concitoyens. De même, la généralisation des caméras-piétons permettra une meilleure protection des fonctionnaires de police ou de gendarmerie et facilitera les enquêtes.

En ce qui concerne la sécurité privée, nous voulons non pas faire des agents de sécurité des « policiers bis », mais prendre au sérieux cet acteur économique très important. Nous allons renforcer les contrôles et les sanctions du Conseil national des activités privées de sécurité (CNAPS), qui dépend du ministère de l'intérieur, et apporter une aide sur la formation et la déontologie des agents.

Le Gouvernement sera évidemment attentif à la rédaction que le Sénat proposera sur l'article 24. Nous souhaitons ardemment pouvoir continuer à protéger nos forces de l'ordre. Il est normal de protéger ceux qui nous protègent.

M. Marc-Philippe Daubresse , rapporteur . - Lors des nombreuses auditions que nous avons déjà menées avec Loïc Hervé, nos interlocuteurs nous ont alertés sur l'élargissement à titre expérimental des prérogatives judiciaires des agents de police municipale. En l'occurrence, l'autorité fonctionnelle est le procureur, puisqu'il s'agit d'une action de police judiciaire, et l'autorité hiérarchique est le maire, qui recrute les agents de police municipale. Comment prévenir les risques de confusion ? Quid de l'évaluation ?

La montée en puissance des polices municipales qui est prévue vous paraît-elle de nature à renforcer le continuum de sécurité ? Comment renforcer la police municipale et la police nationale sans enlever des prérogatives à l'une ou à l'autre ?

Nous avons été alertés sur la formation des polices municipales. Certains agents ont des difficultés à rédiger des procès-verbaux. Si nous élargissons les compétences des polices municipales, comment éviter la multiplication des vices de forme ?

Concernant la police municipale à Paris, la préfecture de police de Paris et les élus parisiens nous ont fait part de leur satisfaction s'agissant des conditions dans lesquelles le texte avait été préparé. Mais une question reste posée. Le Gouvernement souhaite que la création de la police municipale soit décidée par un décret en Conseil d'État. Or, selon nous, la création doit résulter d'une délibération de la collectivité locale. Pensez-vous évoluer sur ce point ?

L'article 23, qui prévoit de supprimer du crédit de réduction automatique de peine les infractions commises contre des agents des forces de l'ordre. Ce ne serait par ailleurs plus la gravité de l'infraction qui justifierait une plus grande sévérité dans les conditions d'exécution de la peine, mais la personne au préjudice de laquelle l'infraction a été commise. Ce dispositif vous paraît-il en adéquation avec l'objectif de diminution de la population carcérale et respectueux de l'échelle des peines ?

Enfin, dernière question sur le fameux article 24, qui nous a fait beaucoup travailler avant la trêve des confiseurs. J'ai bien compris que votre intention est de mieux protéger les policiers - c'est aussi le souhait d'une large majorité de nos collègues -, et de le faire par le biais de la loi sur la liberté de la presse, car le code pénal exposerait les journalistes à des risques trop lourds, notamment en ce qui concerne les comparutions immédiates. Cependant, on voit bien que toutes les réactions et toutes les analyses juridiques convergent pour dire que, au regard des principes constitutionnels de nécessité et de proportionnalité, d'une part, et de l'article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, d'autre part, on a un vrai problème d'équilibre. Le Sénat étant très attaché et aux libertés fondamentales et au renforcement de l'autorité, nous sommes arrivés à la conclusion qu'il fallait quand même utiliser le code pénal, mais, si l'on entre par le code pénal pour mieux protéger les policiers, il faut évidemment que l'on puisse résoudre le problème de maintien de la liberté d'informer et, surtout, que l'on n'envisage pas cette incrimination sous l'angle des opérations de police.

Votre collègue garde des sceaux, Éric Dupond-Moretti, proposera à l'Assemblée nationale, à la fin de ce mois, un article 25, devenu article 18, sur la loi relative aux valeurs de la République qui va dans ce sens, avec une incrimination générale et une peine aggravée quand il s'agit de fonctionnaires dépositaires de l'autorité publique. L'Assemblée nationale va débattre à la fin du mois de la loi sur les valeurs de la République, et nous allons être saisis mi-mars de la loi sur la sécurité globale. Dans ces conditions, comment voyez-vous l'articulation entre ces deux textes ? En clair, est-ce que le Gouvernement fait un lien entre l'article 24, qui pourrait être inséré dans le code pénal, et cet article 18 ? Ce dernier article est-il votre réponse au débat qui s'est ouvert sur la question ?

M. Loïc Hervé , rapporteur . - En complément de ce qui a été dit par Marc-Philippe Daubresse, et avant d'aborder les trois sujets qui m'échoient, je voudrais d'abord dire que, comme nous examinerons ce texte en mars au lieu de janvier, nous aurons davantage de temps pour mener des auditions. C'est d'autant plus important qu'il s'agit d'une proposition de loi, qui, par définition, n'a pas connu d'étude d'impact ni de passage en Conseil d'État, et encore moins d'avis de la CNIL. D'ailleurs, je remercie le président de la commission des lois d'avoir saisi cette dernière. Nous auditionnerons prochainement sa présidente.

Petite remarque : je trouve le titre de ce texte de loi absolument horrible et je me demande qui l'a inventé. J'imagine que ce n'est pas vous, monsieur le ministre. Celui qui a trouvé l'adjectif épithète à mettre à côté de sécurité mériterait, à défaut d'une médaille, une sévère correction, parce que ce n'est pas ainsi que l'on vend un texte.

J'en viens à mes trois sujets. D'abord, la sécurité privée. Vous demandez au Parlement d'habiliter le Gouvernement à réformer le Conseil national des activités privées de sécurité par ordonnance. Vous savez que nous n'aimons pas cette procédure dans cette maison. Est-ce que, d'ici au mois de mars, un certain nombre d'éléments de cette réforme ne pourraient pas être inscrits en dur dans la loi, les points plus accessoires étant réservés à l'ordonnance ? J'ai déjà quelques pistes.

Sur la sécurité privée, toujours, l'Assemblée nationale est allée plus loin que ce qui était prévu dans le projet de loi initial sur la question de la sous-traitance. Que pensez-vous de la solution retenue ? Vous paraît-elle réaliste pour un secteur économique dans lequel le recours à la sous-traitance en cascade est devenu monnaie courante ? C'est bien de réguler l'activité privée, mais il y a un certain nombre de principes que nous devons quand même respecter.

Plus généralement, quelle est la place que vous envisagez pour les agents de sécurité privée dans le cadre du continuum de sécurité ? Est-ce que vous souhaitez d'autres élargissements ? Où mettez-vous la limite avec le service public proprement dit, qui doit être assumé par des policiers, des gendarmes ou des policiers municipaux ?

J'en viens maintenant à la question des drones. La proposition de loi instaure un cadre spécifique. La jurisprudence administrative la plus récente démontre, s'il le fallait, la nécessité d'avoir un ancrage juridique pour l'utilisation des drones. Les matériels sont déjà dans les services de police et de gendarmerie, où ils sont utilisés. Je suis un élu de la montagne, vous le savez, et, comme sur les littoraux du pays, il est utile de recourir à des drones, notamment pour des opérations de sauvetage, la surveillance des frontières. Le Raid ou le GIGN en ont aussi besoin. Évidemment, il n'est pas question de remettre en cause ce type d'utilisation et le droit doit être adapté à cet effet.

En revanche, dès que l'on touche l'ordre public, les questions de vie privée, la prévention des infractions, il faut a minima s'armer de dispositifs de garantie, de contrôle ou d'encadrement pour préserver les libertés publiques. Nous essayons d'y réfléchir avec Marc-Philippe Daubresse pour aboutir à une solution équilibrée. Quelles finalités précises doivent-être autorisées par la loi pour l'usage des drones ? Quelles limites prévoir ? Comment préserver le droit à la vie privée de nos concitoyens ?

Enfin, sur les caméras mobiles, nous avons entendu ici les directeurs généraux de la police et de la gendarmerie. C'est quelque chose qui est utile, notamment dans la pacification des relations avec les citoyens. Quel bilan faites-vous de leur usage ? Nous avons eu un certain nombre de remontées sur la qualité des matériels. Est-ce que l'on arrivera à avoir des matériels français ou européens suffisamment bien conçus, avec des capacités de mémoire suffisantes ?

Pensez-vous que les agents ou leurs supérieurs hiérarchiques devraient avoir accès plus rapidement aux images contenues dans les terminaux ? Est-ce qu'il faut être vraiment dans une logique de séparation du porteur de la caméra et de celui qui utilise ces images ou est-ce que vous pensez au contraire que l'on pourrait permettre, dans un certain nombre de cas de figure, le rapatriement ou l'exploitation des images beaucoup plus rapidement afin de résoudre des problèmes ? Je pense notamment à une lecture de plaque d'identité.

M. Gérald Darmanin, ministre . - M. Daubresse évoque la question des polices municipales, d'abord en me demandant comment garantir la solidité juridique de l'expérimentation. L'article 1 er prévoit une expérimentation quand même large de trois ans, avec très peu de conditions pour y participer : 20 policiers municipaux et un chef de service, ce qui répond à votre question des procès-verbaux, mais nous y reviendrons.

La participation à l'expérimentation repose bien évidemment sur la volonté des élus de recourir à cette expérimentation. Le temps que la loi soit votée et que les décrets soient pris, deux années de mandat seront passées, donc cette expérimentation de trois ans correspondra à la fin du mandat des maires actuels. Cela permettra aux électeurs de trancher démocratiquement.

Nous souhaitons faire confiance aux élus locaux, sans aucune obligation, contrairement à ce que souhaitaient certains députés, tant en ce qui concerne la création que l'armement. C'est à la carte. Il s'agit de choix locaux, l'État gardant le monopole de la sécurité intérieure.

Les délits concernés par cette expérimentation ne nécessitent pas d'enquêtes judiciaires ; il s'agira pour les policiers municipaux de résoudre des problèmes de bon sens. Par exemple, nous avons mis en place l'amende forfaitaire délictuelle pour les consommateurs de stupéfiants dans les cas où les personnes ne détiennent pas une grosse quantité de stupéfiants. Actuellement, un policier municipal ne peut pas verbaliser quelqu'un qui fume un joint dans la rue. Soit il détourne les yeux, soit il essaie de retenir cette personne le temps que la police nationale arrive, mais ce n'est pas si simple. Cette situation est un peu absurde. Il y a un certain nombre de faits bêtes comme chou qui doivent pouvoir relever de la police municipale car ils ne nécessitent pas d'actes d'enquête.

Sur la capacité des policiers municipaux à rédiger de bons procès-verbaux à transmettre au procureur de la République, c'est aussi un problème qui concerne les policiers nationaux et les gendarmes, et qui tient plus à notre mauvaise organisation. Dans le Beauvau de la sécurité, nous aborderons ainsi le sujet de l'encadrement, qui est essentiel. Un chef est là pour relire et corriger les procès-verbaux de ses collaborateurs. Il n'est pas simplement là pour transmettre au procureur de la République ou à son substitut. Dans les mauvaises réponses pénales, vues du côté de la police, il n'y a pas que les difficultés de la justice ; il y a aussi des policiers ou des gendarmes qui rédigent mal les procès-verbaux, ce qui entraîne des vices de forme. C'est d'abord une question d'effectifs en officiers de police judiciaire (OPJ). En ce qui concerne le texte qui nous est soumis, il n'est pas prévu que le policier municipal transmette directement au procureur de la République. C'est pour cela qu'il faut un directeur ou un chef de service. Vous le savez, à plus de 20 policiers municipaux, les directeurs ou chefs de service sont souvent des anciens officiers de gendarmerie, des anciens gradés de la police nationale ou des personnes qui passent des concours spécifiques extrêmement difficiles qui ont les compétences juridiques pour relire et corriger les procès-verbaux avant de les transmettre au procureur. Il y a enfin les formations que nous devons à chaque agent public.

Sur la Ville de Paris, permettez-moi, monsieur le rapporteur, d'avoir une légère différence d'appréciation. Il me semble que la création de la police municipale devra effectivement relever d'une délibération du Conseil de Paris, comme pour toute police municipale.

En revanche, les statuts de la police municipale relèveront du décret en Conseil d'État, comme, là encore, pour toute police municipale. Il n'y a donc pas d'iniquité avec les autres territoires. J'ajouterai que Paris est, par nature, un endroit où la sécurité publique est particulière. C'est d'ailleurs pour cela qu'il y a une préfecture de police. L'État doit y garder un oeil particulier, et la maire de Paris en convient. Ce n'est pas une question de confiance avec ses élus. J'ai cru comprendre, par ailleurs, que la maire de Paris ne souhaitait pas que la police municipale de Paris soit armée, ce que je respecte. Si, demain, une autre majorité veut qu'il en soit autrement, elle prendra une délibération en ce sens.

Sur l'article 23 de la proposition de loi, nous n'avons pas fait le choix des aggravations, qui existent déjà, pour les personnes dépositaires de l'autorité publique. Nous avons préféré supprimer la possibilité de remises de peine pour les personnes ayant porté atteinte à des fonctionnaires dépositaires de l'autorité publique. Ce n'est pas très différent de ce qui existe : c'est déjà une circonstance aggravante que d'agresser un policier, un gendarme ou toute autre autorité publique. Je tiens à préciser que nous avons rédigé ce dispositif avec le garde des sceaux, alors que certains députés souhaitaient une aggravation des peines ou des peines planchers.

Sur l'article 24, je n'ai pas de fétichisme particulier. Je voudrais cependant exposer quelques idées simples en préambule d'un débat compliqué.

Comme vous l'avez fait, je tiens à souligner la grande importance de protéger nos forces de l'ordre. Je rappelle le drame de Magnanville, qui ne concernait pas simplement les forces de l'ordre, puisque Mme Schneider, qui a été égorgée devant son enfant, était agent technique, administratif et scientifique.

Je vous renvoie sur le site Copwatch, notamment dans notre région, où sont listés les policiers, avec leur photo, leur nom, leur prénom, et dans des conditions qui ne laissent planer aucun doute : ce n'est pas pour leur envoyer des chocolats à Noël !

Je ne peux pas dire que l'article 24 a été bien rédigé. Nous n'en serions pas là si tel avait été le cas. Cependant, si je comprends l'idée du Sénat et d'autres parlementaires de passer par le code pénal, je m'en étonne, ce qui ne veut pas dire que je ne souscrirai pas éventuellement à la rédaction proposée par l'Assemblée nationale et le Sénat. En effet, le code pénal présente l'avantage, c'est vrai, de sortir de la loi sur la presse, et donc de sortir de l'idée, fausse à mon sens, mais répandue chez les journalistes, que ces derniers seraient concernés. Toutefois, je rappelle que le code pénal permet la garde à vue et la comparution immédiate, ce que ne permet pas la loi sur la presse. Le code pénal est donc plus dur. Je soumets cela à la sagacité des législateurs.

Par ailleurs, le choix de la loi sur la presse s'est fait en cohérence avec ce qui existe déjà en matière de protection des identités de certains policiers et gendarmes. Vous avez tous vu des policiers de l'antiterrorisme ou de la grande criminalité portant des cagoules lors d'opérations.

Pour l'instant, vous constaterez que j'ai fait plus de droit que de politique, mais il était important de souligner ces points pour expliquer la position que nous avons retenue.

Monsieur Daubresse, vous évoquez la fusion de l'article 24 et de l'article 25 devenu article 18 de la loi sur les valeurs de la République. J'y suis pour ma part très défavorable, car ils ne poursuivent pas les mêmes buts.

L'article 24 prévoit la protection des fonctionnaires de police et des militaires de la gendarmerie lors des opérations de police. L'Assemblée nationale a d'ailleurs ajouté les policiers municipaux, et on pourrait même imaginer les douaniers ou les agents de l'administration pénitentiaire. Il s'agit de les protéger non pas en tant que tels, mais dans le cadre des opérations de police.

L'article 25, devenu 18, s'adresse, lui, à toute personne dépositaire de l'autorité publique. Malgré mon estime pour les magistrats ou les élus, la protection qu'ils méritent n'est pas de même nature que celle que nous devons aux forces de l'ordre qui risquent leur vie dans des opérations sur le terrain. Ensuite, il prévoit de protéger l'individu et sa famille, ce que ne retient pas l'article 24. Enfin, l'adverbe « immédiatement » est important. Il répond à l'affaire « Samuel Paty ». La fatwa numérique lancée évoquait l'identité de l'enseignant - qui n'est pas une personne dépositaire de l'autorité publique en l'occurrence -, créant les conditions du drame.

Il me semble donc que ces deux articles sont différents. J'entends les préférences du Sénat et nous regarderons évidemment cela. Je ne connais pas la position finale du Gouvernement, puisque je ne connais pas votre rédaction, mais nous souhaitons en tout cas différencier les deux textes.

Monsieur Hervé, s'agissant du CNAPS, j'entends bien que les ordonnances ne réjouissent pas les parlementaires. Cependant, nous devons saisir ce moment pour légiférer dans ce domaine, et l'habilitation que nous vous demandons est, à mes yeux, très importante pour structurer ce domaine d'activités. Il faut beaucoup discuter avec cette filière professionnelle un peu éparpillée sur les questions de sanctions, de formation, avant d'aboutir à une rédaction. Ce que je peux vous proposer, monsieur le rapporteur, c'est non seulement d'éclairer très largement les débats, mais aussi de vous associer le plus étroitement possible à la rédaction de l'ordonnance afin de structurer une filière qui en a besoin.

Vous souhaitez connaître les limites de la sécurité privée. C'est assez clair. Nous excluons tout pouvoir de contrainte, la possibilité de constater des délits, de faire des enquêtes. Il s'agit de s'en tenir strictement aux compétences de surveillance, qui sont essentielles. Imaginez qu'il faille mettre des policiers municipaux et nationaux, des gendarmes dans chaque grand magasin dans chaque festival. Les agents de sécurité privée concourent à la sécurité de nos concitoyens, mais leurs compétences s'arrêtent à celles de l'État régalien et des collectivités locales.

Sur les drones, je souhaite que l'on mette en place un cadre juridique qui nous permette de fonctionner comme avec les caméras de vidéoprotection, qui reposent sur le même principe, et dont plus personne ne conteste l'utilité. Vous avez parlé de liste à la Prévert. Nous sommes prêts à mettre davantage de garanties. Peut-être que le texte de l'Assemblée nationale n'est pas assez propre, en ce qui concerne notamment la protection des domiciles privés. Les travaux du Sénat pourront contribuer à l'éclairer.

Nous avons listé les cas d'usage, et si je devais comparer avec ce que font nos voisins, qui ne sont pourtant pas d'affreuses dictatures numériques, nous n'avons pas à rougir. Ainsi, les Danois et les Suédois les utilisent pour des finalités judiciaires et pour le maintien de l'ordre, tandis que les Espagnols retiennent exactement les mêmes usages que ceux prévus dans le texte.

Nous sommes l'un des derniers pays à légiférer sur les drones, ce que nous a d'ailleurs reproché la CNIL. Et j'insiste, il n'est nullement question de reconnaissance faciale dans ce texte.

J'en termine sur le bilan des caméras-piétons. La généralisation de l'équipement interviendra au 1 er juillet 2021. Il suffit d'aller voir les policiers et les gendarmes pour comprendre que cet équipement apaise tant le fonctionnaire que la personne qui est en face, car les enregistrements sont des éléments probants pour l'autorité judiciaire. Chacun sait que la réponse judiciaire est différente selon qu'un même fait a été filmé ou pas. La parole du policier ou du gendarme n'est jamais aussi forte que la caméra qui montre.

Vous avez raison, le matériel n'est aujourd'hui techniquement pas à la hauteur. Ainsi, il faut entrer son numéro d'identification, ce qui n'est pas évident dans le feu de l'action. Par ailleurs, la batterie se décharge très rapidement. J'ai donc lancé un nouvel appel d'offres pour renouveler l'intégralité de ces caméras. Évidemment, je ne peux pas savoir à ce stade si elles seront françaises ou européennes. Nous souhaitons la solution la plus efficace possible pour que le temps d'utilisation soit plus important et pour que les images puissent être utilisées différemment. D'abord, le fonctionnaire, s'il doit pouvoir les visualiser, ne doit en aucun cas pouvoir les modifier. Cette visualisation est utile pour vérifier quelque chose qui aurait pu leur échapper dans le feu de l'action et ainsi éviter des crimes ou des délits. Il m'apparaît également normal que le fonctionnaire puisse rédiger son rapport en regardant les images, ce qui n'empêche pas l'autorité judiciaire de se faire ensuite son propre avis. Enfin, les images doivent pouvoir être transmises à l'autorité judiciaire ou à l'autorité administrative lorsqu'il y a une difficulté.

Mme Brigitte Lherbier . - Les drones sont très efficaces pour surveiller la montagne, les mers, les frontières. Ils sont aussi pertinents pour la surveillance des manifestations et des regroupements violents, à condition que cela soit encadré.

En principe, les citoyens doivent être informés lorsqu'ils font l'objet de captations vidéo dans des espaces publics. Pour garantir que ces captations à grand angle de vue n'empiètent pas sur les libertés et sur la vie privée, ne peut-on pas envisager un renforcement du rôle du procureur pour s'assurer du bon usage des images ?

Mme Éliane Assassi . - Monsieur le ministre, je remarque que vous défendez cette proposition de loi comme s'il s'agissait d'un projet de loi...

Dans une lettre adressée aux parlementaires, la commissaire aux droits de l'homme du Conseil de l'Europe critique vertement l'article 24, estimant qu'il porte atteinte à la liberté d'informer. Comment recevez-vous ces critiques ?

Tout le débat s'est cristallisé sur l'article 24, mais nous nous inquiétons aussi de la montée en puissance de la sécurité privée que la proposition de loi consacre. Vous le justifiez par la possibilité de confier à des agents de sécurité privée des tâches indues accomplies actuellement par des policiers ou des gendarmes. Bien évidemment, certains syndicats de police vous soutiennent, mais, comme le sociologue Christian Mouhanna, nous n'y voyons qu'une logique de suppression des emplois publics. Monsieur le ministre, que pensez-vous de ce processus de privatisation accélérée de notre sécurité publique ?

Mme Françoise Gatel . - Je veux revenir sur l'ancrage territorial de la sécurité. La délégation aux collectivités territoriales du Sénat est en train d'achever un rapport sur ce sujet.

Je suis heureuse que vous ayez entendu la position de l'Association des maires de France et des présidents d'intercommunalité (AMF), pour qui la création d'une police municipale relève d'un libre choix et de la libre administration des collectivités. L'État ne saurait l'imposer pour se décharger d'une fonction régalienne. Je ne dis pas que telle est votre volonté, mais c'est un danger qui nous guette.

Il y a une vraie question sur la formation des policiers municipaux, notamment la formation continue, et la coopération avec la police nationale et la gendarmerie.

Par ailleurs, je voudrais connaître votre position sur le continuum de sécurité dans les territoires non urbains. Un article paru hier dans Le Figaro mettait en exergue l'augmentation de la délinquance dans les zones rurales. Pouvez-vous nous assurer que la gendarmerie ou la police continueront à y être présentes, sachant qu'elles sont de plus en plus occupées par des tâches judiciaires ? Pouvez-vous préciser votre projet de nouvelle répartition des compétences entre police et gendarmerie, cette dernière ayant l'avantage énorme de vivre au milieu de la population dans nos territoires ?

Mme Valérie Boyer . - Monsieur le ministre, je souhaite vous parler d'immigration, en particulier du nombre de titres de séjour qui sont délivrés chaque année à des ressortissants de pays qui n'appartiennent pas à l'Union européenne. Ces chiffres sont rarement analysés dans une perspective de long terme.

Mme Éliane Assassi . - Cela n'a rien à voir avec le texte que nous examinons !

Mme Valérie Boyer . - Je pensais que nous pouvions parler de plusieurs sujets, monsieur le président.

M. François-Noël Buffet , président . - Continuez votre intervention et si vous trouvez un lien avec le texte, c'est mieux...

Mme Valérie Boyer . - Je ne voudrais pas enfreindre les règles de la commission.

Je souhaite évoquer la question de la répartition de ce que vous appelez les « migrants surnuméraires » ou surdotés : on est passé d'un peu moins de 150 000 en 2000 à 274 000 en 2019, soit une progression de 83 %. De même, le nombre annuel de demandeurs d'asile est passé d'un peu moins de 40 000 en 2000 à 132 800 en 2019, soit une multiplication par 3,33 en vingt ans. Ces chiffres montrent que les vingt dernières années ont vu la formation d'une vague migratoire de très grande ampleur : le nombre d'immigrés en 2018 était d'environ 6,8 millions ; selon l'Insee, la population immigrée, qui représentait 5 % du total de la population de la France en 1946, en représente 7,5 % en 2000, presque 10 % en 2018, soit un quasi doublement depuis la Libération.

Pendant un mandat qui vous est cher, puisque vous y faites très régulièrement référence, monsieur le ministre, après le retour de Nicolas Sarkozy au ministère de l'intérieur, la France ne délivrait plus que 171 000 titres de séjour, contre 192 000 en 2004 ; cette année-là, le nombre de demandeurs d'asile n'était plus que de 35 000 contre 40 000 en 2000. C'est bien la preuve que l'on peut avoir une politique migratoire efficace. Et que dire de la progression sans précédent du nombre de reconduites à la frontière, qui sont à mettre à l'actif de cette période, et des près de 33 000 sorties du territoire en 2011, soit 2 000 de plus qu'en 2019 ?

Nous apprenons par la presse que, après les évacuations de camps dans la région parisienne, vous avez décidé, sans en passer par la représentation nationale, de répartir un certain nombre d'immigrés dans des régions considérées comme sous-dotées. Pour reprendre le contrôle de cette politique, il faut une volonté politique très forte et ferme et non une politique de répartition. Monsieur le ministre, pourquoi avoir fait ce choix ?

Mme Dominique Vérien . - La formation des policiers se révèle toujours plus courte, alors que leur rôle se complexifie. De même, contrairement aux formations de la gendarmerie, leur formation n'est pas diplômante. C'est préjudiciable pour le travail que ces policiers peuvent ensuite accomplir, à l'instar des gendarmes.

Même si cela n'a pas de lien direct avec le texte que nous examinons, je souhaite évoquer le code de la justice pénale des mineurs. Certes, cela concerne essentiellement la justice, mais le premier contact des mineurs délinquants se fera avec la police ou la gendarmerie. Le garde des sceaux souhaite que cette réforme soit applicable dès le 31 mars prochain. Policiers et gendarmes seront-ils formés ? Par ailleurs, le logiciel permettant de produire la bonne convocation avec les bonnes références de textes sera-t-il mis à jour dans les temps ?

M. Jérôme Durain . - Nous partageons évidemment certains objectifs du texte, comme le continuum de sécurité et la protection de ceux qui nous protègent.

Lors de l'audition de procureurs, ceux-ci nous ont indiqué nourrir des inquiétudes sur la chaîne de compétence pour établir les saisies et les procès-verbaux, notamment à l'échelon municipal. Les procès-verbaux sont la base des procédures et des enquêtes et les risques de nullité attachés à des procès-verbaux qui seraient mal rédigés sont importants. Le doute sur la capacité d'un chef de service à pouvoir superviser le travail de fonctionnaires peu ou trop mal formés est réel.

Sur l'article 24, force est de constater que le climat ne s'est pas apaisé. Je veux relayer les inquiétudes que nous avons entendues à l'occasion de la table ronde de journalistes, organisée par les rapporteurs cet après-midi, sur la capacité qu'ils auront à accéder à l'information après la mise en oeuvre éventuelle de l'article 24. Quid du statut de journaliste et de ceux qui ne le sont pas, mais qui contribuent pourtant à la fabrication de l'information, au droit d'informer et d'être informé ?

Plus encore, la confidentialité ou le maintien du secret des sources pourrait être mis en cause par une utilisation abusive des drones lors des opérations de maintien de l'ordre.

M. Gérald Darmanin, ministre . - Madame Lherbier, le procureur de la République est évidemment essentiel dans le dispositif, puisque c'est sous son autorité qu'agiront les agents qui constateront des délits et les policiers nationaux et les gendarmes qui mèneront des enquêtes.

À l'Assemblée nationale, singulièrement au groupe Les Républicains, on demande que les policiers municipaux puissent faire exactement ce que font les policiers nationaux, par exemple accéder à tous les fichiers ou pouvoir contraindre la liberté de telle ou telle personne.

M. Loïc Hervé , rapporteur . - Nous sommes au Sénat !

M. Gérald Darmanin, ministre . Je l'ai bien compris...

Cela aurait toutefois comme conséquence que les policiers municipaux sont sous l'autorité exclusive du procureur de la République. Comment un maire peut-il recruter des policiers municipaux pour que ceux-ci ne soient que sous l'autorité du procureur de la République ? Ce serait tout de même une façon un peu étonnante d'imaginer l'intérêt commun, mais je doute que ce soit la volonté première de ceux qui formulent une telle demande.

Le procureur de la République est celui qui donne un certain nombre de possibilités d'action, qui autorise l'enquête et qui permet les privations de liberté. Il mène sa politique pénale comme il l'entend, dans le cadre que lui laisse la loi. La police municipale, dans le cadre de l'expérimentation, sera sous l'autorité de ce que décidera le procureur de la République, qui classera ou pas tel ou tel constat.

Le procureur de la République reste notre pierre angulaire. Les policiers nationaux agissent souvent sous l'autorité d'un magistrat : je suis un employeur, mais pas toujours le donneur d'ordre. Et c'est très bien ainsi, puisque c'est ainsi qu'est fondé notre droit.

Sur les tâches indues et le refus de délégations de service public, je comprends bien la rhétorique du groupe communiste et je respecte tout à fait cette position idéologique. En revanche, je ne peux partager la conclusion du sociologue que Mme Assassi a cité : si la conséquence est la suppression de postes, pourquoi sommes-nous le gouvernement qui a le plus créé de postes sous la V e République, alors même que nous luttons contre les tâches indues ?

En tant que ministre de l'intérieur, je ne comprends pas pourquoi ce sont quasi systématiquement des policiers qui assurent l'accueil de jour dans les commissariats. Un personnel administratif peut tout à fait le faire, une fois formé à l'accueil et à l'accompagnement. Évidemment, c'est seulement le fonctionnaire de police qui prendra la plainte. Voilà une tâche indue qu'il s'agit de confier non pas à quelqu'un du privé, mais à un autre fonctionnaire, ce que l'on appelle la substitution.

Dans les centres de rétention administrative, ce sont toujours des forces de l'ordre qui s'occupent de la bagagerie. Pourquoi ? On pourrait tout à fait déléguer cette tâche à d'autres : le policier aux frontières, armé, formé, a peut-être mieux à faire.

Il en est de même pour les gardes statiques devant les chambres de certains détenus qui sont par exemple en réanimation : elles sont toujours assurées par des policiers. Si cela va de soi lorsqu'il s'agit de personnes impliquées dans le grand banditisme par exemple, ce n'est pas toujours le cas. On a des conventions avec l'administration pénitentiaire.

Aujourd'hui, ce sont presque toujours des policiers qui assurent le transport vers les centres de rétention administrative. On peut imaginer que d'autres prennent en charge ces déplacements, car c'est du temps policier pris.

Il ne s'agit pas toujours de déléguer à la sécurité privée, même si, pour moi, ce n'est pas un mauvais mot. Il s'agit de faire en sorte que chaque fonctionnaire puisse faire le travail pour lequel il a été formé et pour lequel il est le mieux utilisé. Quand on parle de tâches indues, il ne faut pas y voir de la privatisation à outrance. Par ailleurs, des agents de sécurité privée pourraient accomplir un certain nombre de tâches. Je pense en tout cas que l'on devrait expérimenter.

L'augmentation de la délinquance dans les campagnes, qu'a évoquée Mme Gatel à la suite de l'article du Figaro , relève de trois types, qui correspondent à trois grands maux qui touchent notre société.

Il y a d'abord les violences conjugales et intrafamiliales, qui sont également en augmentation dans les territoires ruraux.

Il y a ensuite la délinquance routière et je souhaite que le Sénat nous aide à trouver les moyens de lutter contre ce phénomène. Toutes les demi-heures, toutes les vingt minutes en zone gendarmerie, on constate des délits routiers et des refus d'obtempérer de la part de personnes qui, parce qu'elles n'ont pas le bon permis de conduire, roulent sans assurance ou sont sous l'emprise d'alcool ou de stupéfiants, prennent la vie de gendarmes, de policiers ou d'autres en refusant de s'arrêter.

Il y a enfin les actes commis contre ce que l'on pourrait appeler le monde agricole : introduction dans les fermes, vol de carburant, atteintes aux bestiaux, etc.

Ces augmentations traduisent une forme de délinquance qu'il faut prendre en compte. La création de postes dans la gendarmerie nationale est une réponse ; l'implantation territoriale compte, mais l'implantation numérique compte beaucoup également. Vous savez que les gendarmes ont particulièrement avancé dans leur présence territoriale, notamment grâce aux tablettes et à la géolocalisation. Nous espérons que les centres de supervision (CSU) communaux, intercommunaux ou à une échelle plus large permettront de mieux les accompagner. De ce point de vue, je le répète, l'abandon de certaines tâches indues permet de libérer un certain nombre d'effectifs pour les remettre sur le terrain.

Mme Boyer a évoqué des sujets qui ont un rapport très lointain avec le texte, mais je ne voudrais pas la frustrer en ne lui répondant pas. Elle évoque le temps, sans doute important et béni, où Nicolas Sarkozy était ministre de l'intérieur : j'étais alors étudiant. J'ai été parlementaire avec elle, après la défaite du président Sarkozy. En évoquant les vingt ans d'augmentation massive de l'immigration, j'imagine qu'elle fait aussi volontiers sa propre autocritique...

On ne peut pas comparer les choses comme elle l'a fait. Comment comparer des chiffres dans des moments où les régimes, notamment du Maghreb et de l'Afrique, connaissaient une stabilité politique un peu différente - Libye, Tunisie, Maroc, Turquie, les théâtres syrien ou irakien - et n'étaient pas dans les mêmes prédispositions ? L'action du président Sarkozy, même si je la loue sur les questions de sécurité, n'est pas tout à fait comparable avec la politique migratoire que nous connaissons : il faudrait sinon attaquer non seulement le bilan du Président de la République, mais aussi celui de la chancelière Merkel, puisque les chiffres de l'immigration en Allemagne sont bien plus importants.

Mme Boyer devrait se méfier des chiffres. Quand on fera le bilan de l'année 2020, elle constatera une baisse de la délivrance des titres de séjour de 40 %. Sur 135 000 demandeurs d'asile, seul un quart reçoit des titres d'asile. Notre problème n'est pas tant le nombre de personnes qui viennent sur le territoire national que notre difficulté à les reconduire dans leur pays : les obligations de quitter le territoire français (OQTF) sont un vrai sujet. En outre, en 2020, il n'y avait plus de vols réguliers vers les pays du Maghreb, les pays lointains qui sont des théâtres de guerre, voire les pays avec lesquels nos relations diplomatiques sont plus que compliquées pour obtenir des laissez-passer consulaires, par exemple le Pakistan. Ceci explique sans doute cela.

Les naturalisations ont augmenté de 20 % entre 2007 et 2012. Comme maintenant.

Il faut donc faire attention aux comparaisons, elles ne sont pas toujours raison. Il ne faut pas pour autant caricaturer le débat migratoire : il mérite une vraie discussion et sans doute une amélioration de l'action publique, singulièrement dans la reconduite aux frontières, puisque, dans le contrôle des frontières, il n'y a jamais eu autant de policiers et de gendarmes. C'est d'ailleurs le Président de la République, et avant lui le président Hollande, qui a rétabli les contrôles aux frontières, conformément aux modalités prévues dans les accords de Schengen. Je pense personnellement qu'il faut revoir ces accords ; le Président de la République a encouragé l'Union européenne à le faire et à rétablir nos frontières, ce qui n'était pas le cas au début des années 2000. Il n'est pas question d'en faire le procès à quiconque, puisque le contexte climatique et géopolitique était très différent.

La formation des policiers constitue un sujet tout à fait essentiel, je le comprends mille fois et je l'ai moi-même évoqué. Réduire les formations a été une erreur.

Je pense à la formation initiale. Le Parlement doit toutefois aussi comprendre que l'on ne peut pas à la fois demander plus d'effectifs au ministre de l'intérieur et plus de temps de formation : si l'on fait plus de formation initiale quand on recrute des policiers, il faut accepter qu'ils viennent moins vite dans les commissariats. Ce débat a sans doute poussé mes prédécesseurs à raccourcir cette formation initiale, à tort.

Je pense également à la formation continue. La formation continue théorique, qu'elle soit juridique, physique ou technique, n'est pas suffisante. Les policiers du commissariat de Limoges devaient par exemple bénéficier de cinquante heures de formation annuelle, ils n'en ont fait qu'une dizaine parce qu'ils n'en ont pas le temps : ils sont hyper mobilisés et on n'a pas réglé le problème des horaires dans la police nationale. Quand on a besoin de temps, on le prend toujours sur la formation. C'est regrettable, car on empêche les policiers d'être dans un bon cycle de travail et on ne leur permet pas d'accéder à cette formation à laquelle ils ont droit. C'est de la responsabilité de l'État employeur, c'est-à-dire de moi ; c'est pourquoi nous allons changer les choses.

C'est pareil pour la formation continue pratique. Les policiers doivent par exemple faire trois tirs administratifs par an. Vous constaterez qu'ils sont quasiment tous concentrés au mois de décembre, par manque de stand de tir. On peut imaginer créer des stands de tir communs avec les polices municipales ou des stands de tir mobiles. La première chose que fait l'Inspection générale de la police nationale (IGPN), lorsqu'il y a un problème avec un policier, c'est de vérifier qu'il a bien fait ses trois tirs. Or seulement 60 % des policiers font leurs trois tirs administratifs dans l'année.

Il faut donc améliorer les durées de formation initiale et continue, mais déjà appliquer ce que l'on sait faire. Cela exige un important travail de ressources humaines, ce que j'ai demandé au directeur général de la police nationale. Les gendarmes ont un système différent, mais qui mérite lui aussi d'être amélioré et revu. Le directeur général de la gendarmerie y travaille.

Il faut également améliorer la coordination de nos forces entre police et gendarmerie. En matière de maintien de l'ordre, le travail des CRS et des gendarmes mobiles sur le terrain est complémentaire : il faut que ces personnels passent plus de temps à se former ensemble, pour avoir des réflexes communs et mieux se connaître.

J'en viens au code de la justice pénale des mineurs et à la façon dont le garde des sceaux imagine les prochains textes. Évidemment, certains policiers sont dévolus à des tâches spécifiques dans leur fonction et dans leur métier et ils accomplissent un travail très courageux en ce qui concerne les mineurs. Ils font preuve de beaucoup d'humanité et se heurtent aussi à de nombreuses difficultés pour traiter cette forme de délinquance malheureusement grandissante. Le garde des sceaux et moi-même travaillons pour former aux nouveaux outils juridiques, qui seront conformes aux volontés du législateur.

C'est le magistrat seul qui décide de la culpabilité. Le logiciel dont il a été question et qui s'appelle Cassiopée vient de la magistrature, quand bien même c'est la police qui délivre la convocation. Cela ne signifie pas pour autant que police et gendarmerie ne doivent pas mieux gérer leurs process de logiciels notamment d'enquêtes pénales. Nous y travaillons : deux expérimentations sur la procédure pénale numérique sont en cours à Amiens et à Blois, et j'encourage votre commission à s'y intéresser. Elle se veut le rapprochement des deux procédures, ce qui évitera de nombreux doublons. Nous généraliserons cette procédure à la fin de l'expérimentation. Il en est de même pour les doubles écrans, comme je l'ai fait à la direction générale des finances publiques (DGFiP), l'utilisation de logiciels d'intelligence artificielle ou de dictée plus efficaces, comme le logiciel de rédaction des procédures de la police nationale (LRPPN), qui est en cours de réforme. En matière de procès-verbaux mal rédigés, la police nationale et la gendarmerie doivent aussi faire des efforts.

Nous manquons d'officiers de police judiciaire (OPJ) sur le terrain, alors que 3 000 personnes ont cette qualification, mais sont parties dans des services qui ne sont pas des services de police judiciaire. C'est pourquoi j'ai mis fin aux primes de ces OPJ et ai essayé d'améliorer les primes de ceux qui prennent le risque d'être OPJ sur le terrain ou assument ce travail parfois fastidieux.

Je pense que nous réglerons, structurellement, ce problème. Être officier de police judiciaire est un métier qui doit permettre de garantir le respect du droit et de la procédure. Les procureurs ont donc eu raison de vous alerter sur ce point.

J'ai déjà évoqué l'article 24. Quelle que soit sa rédaction, ce qui intéresse le ministre de l'intérieur, c'est que l'on puisse continuer à protéger les policiers et les gendarmes. Le temps de la navette parlementaire n'aura sans doute jamais été aussi bénéfique à une disposition législative. Tant que le but est atteint et que tout le monde est rassuré, le Gouvernement ne pourra évidemment qu'y être favorable.

M. François-Noël Buffet , président. - Sur l'article 24, puisqu'il fait l'objet de nombreuses discussions, les rapporteurs formuleront des propositions à la commission, laquelle veillera à ce que la rédaction permette de remplir cette première mission qui est de protéger les policiers ; il n'y a aucun doute sur ce point. Elle veillera également à ce que cette rédaction ne pose aucune difficulté à personne. Notre intérêt, c'est évidemment que les choses se passent bien et que les policiers qui exercent leurs fonctions soient protégés dans l'exercice de leur mission.

Permettez-moi, avant que cette réunion ne s'achève, monsieur le ministre, mes chers collègues, de vous souhaiter une bonne année.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat .

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