Rapport n° 816 (2020-2021) de M. Philippe BAS , fait au nom de la commission des lois, déposé le 8 septembre 2021

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N° 816

SÉNAT

SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2020-2021

Enregistré à la Présidence du Sénat le 8 septembre 2021

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, autorisant la prorogation de l' état d' urgence sanitaire dans les outre-mer ,

Par M. Philippe BAS,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. François-Noël Buffet , président ; Mmes Catherine Di Folco, Marie-Pierre de La Gontrie, MM. Christophe-André Frassa, Jérôme Durain, Marc-Philippe Daubresse, Philippe Bonnecarrère, Mme Nathalie Goulet, M. Alain Richard, Mmes Cécile Cukierman, Maryse Carrère, MM. Alain Marc, Guy Benarroche , vice-présidents ; M. André Reichardt, Mmes Laurence Harribey, Jacky Deromedi, Agnès Canayer , secrétaires ; Mme Éliane Assassi, MM. Philippe Bas, Arnaud de Belenet, Mmes Catherine Belrhiti, Esther Benbassa, MM. François Bonhomme, Hussein Bourgi, Mme Valérie Boyer, M. Mathieu Darnaud, Mmes Françoise Dumont, Jacqueline Eustache-Brinio, M. Pierre Frogier, Mme Françoise Gatel, MM. Ludovic Haye, Loïc Hervé, Mme Muriel Jourda, MM. Patrick Kanner, Éric Kerrouche, Jean-Yves Leconte, Henri Leroy, Stéphane Le Rudulier, Mme Brigitte Lherbier, MM. Didier Marie, Hervé Marseille, Mme Marie Mercier, MM. Thani Mohamed Soilihi, Jean-Yves Roux, Jean-Pierre Sueur, Mmes Lana Tetuanui, Claudine Thomas, Dominique Vérien, M. Dany Wattebled .

Voir les numéros :

Assemblée nationale ( 15 ème législ.) :

4428 , 4432 et T.A. 662

Sénat :

815 et 817 (2020-2021)

L'ESSENTIEL

Après consultation de l'ensemble des exécutifs locaux des collectivités ultramarines concernées, la commission des lois, réunie sous la présidence de Catherine Di Folco (Les Républicains - Rhône), a examiné le rapport de Philippe Bas (Les Républicains - Manche) sur le projet de loi n° 815 (2020-2021) autorisant la prorogation de l'état d'urgence sanitaire dans les outre-mer.

I. DES SITUATIONS À RISQUE DANS LES OUTRE-MER JUSTIFIANT LA DÉCLARATION DE L'ÉTAT D'URGENCE SANITAIRE DANS PLUSIEURS TERRITOIRES

A. UNE SITUATION SANITAIRE PRÉOCCUPANTE DANS PLUSIEURS TERRITOIRES ULTRAMATINS

Après une nette amélioration au niveau national entre le 15 mai et le 1 er juillet 2021, la situation sanitaire s'est brutalement dégradée au cours du mois de juillet 2021. La très grande transmissibilité du nouveau variant Delta 1 ( * ) a ainsi été à l'origine d'une reprise inquiétante de l'épidémie qui a justifié la prise de nouvelles mesures de nature à freiner son expansion 2 ( * ) . Depuis fin juillet 2021, la situation sanitaire est relativement stable dans l'Hexagone et le Conseil scientifique Covid-19 anticipe une stabilisation du nombre des hospitalisations au niveau national à court terme.

L'évolution de l'épidémie est toutefois hétérogène selon les territoires. Certains territoires ultramarins, en particulier, présentent des situations sanitaires très préoccupantes qui s'expliquent par quatre facteurs principaux :

- la faible couverture vaccinale : au 7 septembre 2021, le niveau de vaccination aux Antilles (29,3 % de la population a reçu une première dose en Guadeloupe, 30,2 % en Martinique, 34,1 % à Saint Martin et 64,5 % à Saint-Barthélemy), en Guyane (24 %), en Polynésie française 3 ( * ) (47,7 %), à Mayotte (35,9 %) et à La Réunion (52,6 %) est encore insuffisant pour espérer limiter les hospitalisations ;

- la prévalence de comorbidités dans la population ;

- l'arrivée massive durant l'été de touristes et de membres des familles des personnes résidentes , en provenance de pays ou territoire où le variant Delta est en circulation ;

- la circulation antérieure de variants (Gamma en Guyane, Beta à La Réunion) dont le niveau de protection croisée vis-à-vis du variant Delta est limité 4 ( * ) .

La situation sanitaire est ainsi alarmante dans les Antilles et en Polynésie française . Dans ces territoires, le taux d'incidence est particulièrement élevé - même s'il est désormais en diminution - et les hôpitaux sont saturés. Aux Antilles, l'accès aux soins critiques est désormais réservé aux patients de moins de 60 ans.

Indicateurs de suivi de l'épidémie de Covid-19
dans les Antilles et en Polynésie française 5 ( * )

Territoire

Guadeloupe

Saint-Martin

Saint-Barthélemy

Martinique

Polynésie française

France entière

Taux d'incidence pour 100 000 habitants
(évolution par rapport à la semaine précédente)

1 073
(- 43 %)

512
(- 12 %)

141
(- 65 %)

646
(- 28 %)

1 127
(- 60 %)

179
(- 18 %)

Nombre de nouvelles hospitalisations
(évolution par rapport à la semaine précédente)

346
(- 9 %)

13
(- 50 %)

3
(+ 0 %)

NC

387
(+ 2 %)

5 321
(- 14 %)

Nombre de nouvelles admissions en soins critiques
(évolution par rapport à la semaine précédente)

59

(- 12 %)

NC

NC

91

(+ 6 %)

40

(+42 %)

1 183

(- 12 %)

Source : commission des lois du Sénat
à partir des chiffres de Santé publique France

En Guyane et à La Réunion, la situation sanitaire présente également des risques élevés . En Guyane, le taux d'incidence augmente depuis trois semaines (456 au 2 septembre 2021, contre 434 la semaine précédente, soit + 4 %) tandis qu'à La Réunion, bien qu'en nette diminution à la suite de la mise en place d'un confinement et d'un couvre-feu au début du mois d'août, le taux d'incidence se maintient à un niveau relativement élevé (185 au 2 septembre 2021).

Indicateurs de suivi de l'épidémie de Covid-19
en Guyane et à La Réunion 6 ( * )

Territoire

Guyane

La Réunion

Taux d'incidence pour 100 000 habitants
(évolution par rapport à la semaine précédente)

456
(+ 4 %)

185
(- 16 %)

Nombre de nouvelles hospitalisations
(évolution par rapport à la semaine précédente)

76
(+ 0 %)

78
(- 12 %)

Nombre de nouvelles admissions
en soins critiques
(évolution par rapport à la semaine précédente)

12
(- 33 %)

12
(- 48 %)

Source : commission des lois du Sénat
à partir des chiffres de Santé publique France

B. L'ACTIVATION DU RÉGIME DE L'ÉTAT D'URGENCE SANITAIRE SUR CES TERRITOIRES

Pour répondre à la circulation élevée de la covid-19 sur ces territoires, l'état d'urgence sanitaire y est en vigueur . Il permet au Gouvernement de disposer de l'ensemble des mesures de freinage de l'épidémie autorisé par le corpus juridique bâti depuis mars 2020 7 ( * ) . C'est ainsi le cas :

- de la Guyane depuis le 17 octobre 2020 8 ( * ) , la situation sanitaire sur ce territoire ayant justifié le maintien en vigueur de ce régime alors que les autres territoires de la République passaient sous le régime de gestion de la sortie de crise sanitaire 9 ( * ) . L'état d'urgence sanitaire y a été prorogé à plusieurs reprises, et en dernier lieu jusqu'au 30 septembre 2021 par la loi n° 2021-1040 du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire ;

- de La Réunion et de la Martinique , où l'état d'urgence sanitaire a été déclaré à compter du 14 juillet 2021 par le décret n° 2021-931 du 13 juillet 2021 déclarant l'état d'urgence sanitaire dans certains territoires de la République, puis prorogé jusqu'au 30 septembre 2021 par la loi n° 2021-1040 du 5 août 2021 précitée ;

- de la Guadeloupe, de Saint-Barthélemy et de Saint-Martin , où l'état d'urgence sanitaire a été déclaré à compter du 29 juillet 2021 par le décret n° 2021-990 du 28 juillet 2021 déclarant l'état d'urgence sanitaire dans certains territoires de la République , puis prorogé jusqu'au 30 septembre 2021 par la loi n° 2021-1040 du 5 août 2021 précitée ;

- de la Polynésie française , où il a été déclaré à compter du 12 août 2021 par le décret n° 2021-1068 du 11 août 2021 déclarant l'état d'urgence sanitaire en Polynésie française . En application de l'article L. 3131-13 du code de la santé publique, une intervention du législateur est nécessaire afin de permettre sa prolongation au-delà d'un mois, c'est-à-dire au-delà du 12 septembre 2021 .

En Nouvelle-Calédonie , la situation sanitaire semblait jusqu'à présent maîtrisée, grâce à la fermeture des frontières du territoire jusqu'au 31 décembre 2021 (sauf motif impérieux et quarantaine obligatoire à l'arrivée). Néanmoins, trois cas géographiquement éloignés et sans lien entre eux ont été détectés lundi 6 septembre 10 ( * ) , fais ant craindre une diffusion de l'épidémie sur le territoire néo-calédonien . L'état d'urgence sanitaire y a donc été déclaré mercredi 8 septembre en conseil des ministres 11 ( * ) et un confinement strict y a été décidé à compter du mardi 7 septembre minuit jusqu'au lundi 20 septembre minuit 12 ( * ) .

II. UNE PROLONGATION NÉCESSAIRE DE L'ÉTAT D'URGENCE

Le Conseil scientifique, dans sa note d'alerte du 20 août 2021 précitée, qualifie de « drame sanitaire » la situation actuelle aux Antilles et en Polynésie française , et ce « malgré l'arrivée des renforts humains et logistiques ». Il appelle également à anticiper la vague du variant Delta en Guyane, à La Réunion et à Mayotte , où la circulation passée du virus ne permet pas une protection contre le nouveau variant, où les capacités hospitalières sont limitées et où il existe des facteurs de risque importants liés au diabète, à l'hypertension et au surpoids.

Au vu de la situation sanitaire dans ces territoires, le Gouvernement propose, dans l'article unique de son projet de loi, de proroger l'état d'urgence sanitaire en Guadeloupe, en Guyane, à La Réunion, en Martinique, en Polynésie française, à Saint-Barthélemy et à Saint-Martin jusqu'au 15 novembre 2021 . Cela conduirait à prolonger l'application de ce régime d'environ deux mois pour la Polynésie française et d'un mois et demi pour les six autres territoires, ce que l'Assemblée nationale a accepté.

L'Assemblée nationale a également prévu, par l'adoption d'un amendement du Gouvernement en séance publique, que l'état d'urgence sanitaire serait en vigueur en Nouvelle-Calédonie jusqu'au 15 novembre 2021 inclus .

La commission des lois considère que la prorogation de l'état d'urgence sanitaire sur ces territoires est nécessaire et y a donc souscrit . Elle souligne toutefois que le maintien en vigueur de l'état d'urgence sanitaire ne confère au Gouvernement qu'une possibilité d'agir, et que les restrictions prises doivent être strictement proportionnées aux risques encourus : celles-ci doivent donc être levées dès qu'elles ne sont plus nécessaires. La commission rappelle également qu'il peut être mis fin à l'état d'urgence sanitaire par décret avant l'expiration du délai fixé par la loi le prorogeant 13 ( * ) .

La commission s'est également félicitée du maintien du fonds de solidarité dans les outre-mer au-delà du 30 septembre 2021 . Les aides économiques doivent en effet perdurer tant que des restrictions strictes sont décidées aux fins de lutter contre l'épidémie.

III. N'ACCEPTER UN RÉGIME DÉROGATOIRE DE PROLONGATION DE L'ÉTAT D'URGENCE SANITAIRE QUE DANS LES TERRITOIRES PRÉSENTANT DES RISQUES DE DÉGRADATION RAPIDE DE LEUR SITUATION SANITAIRE

Afin de faire face au risque de dégradation rapide de la situation sanitaire à Mayotte dont les premiers signes se faisaient sentir à la fin du mois de juillet 2021 , la loi n° 2021-1040 du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire a prévu une dérogation à la disposition législative selon laquelle la prorogation de l'état d'urgence sanitaire au-delà d'un mois doit être autorisée par la loi 14 ( * ) . Le législateur avait ainsi prévu qu'en cas de déclaration de l'état d'urgence sanitaire à Mayotte avant le 30 août 2021, ce régime était applicable jusqu'au 30 septembre 2021. L'état sanitaire dans ce Département n'a toutefois pas justifié cette mesure.

Le Gouvernement propose, dans son projet de loi, de reprendre ce régime dérogatoire tout en l'étendant aux territoires de Saint-Pierre-et-Miquelon, aux îles de Wallis et Futuna et à la Nouvelle-Calédonie et d'aligner le terme de cet éventuel état d'urgence sur celui prévu pour les autres territoires ultramarins : si l'état d'urgence sanitaire était déclaré sur ces territoires ou à Mayotte avant le 15 octobre 2021, ce régime serait immédiatement applicable jusqu'au 15 novembre 2021 sans qu'une intervention du législateur soit nécessaire.

Ces territoires sont cependant dans des situations différentes. La situation sanitaire à Mayotte pourrait rapidement se dégrader du fait de l'arrivée récente du variant Delta, des capacités hospitalières limitées et de la faible prévalence de la vaccination. En ce qui concerne les îles de Wallis et Futuna, les liens forts de ce territoire avec la Nouvelle-Calédonie peuvent faire également craindre une détérioration de la situation sanitaire.

À l'inverse, la situation est bien plus favorable à Saint-Pierre-et-Miquelon : les taux de vaccination sont supérieurs à la moyenne nationale (au 30 août 2021, 84 % de la population adulte est entièrement vaccinée contre 80 % pour la France entière et 48 % des personnes entre 12 et 17 ans, soit une proportion égale pour cette tranche d'âge à la moyenne nationale) et aucun cas de covid-19 n'y est recensé.

Après discussion avec le rapporteur pour le Sénat, le rapporteur pour l'Assemblée Nationale a proposé à son assemblée d' exclure Saint-Pierre-et-Miquelon du dispositif dérogatoire proposé . Compte tenu de l'évolution de la situation sanitaire en Nouvelle-Calédonie et de la déclaration de l'état d'urgence sanitaire sur ce territoire, le mécanisme dérogatoire de prolongation de l'état d'urgence sanitaire ne serait donc conservé que pour Mayotte et les îles de Wallis et Futuna, territoires dans lesquels la situation sanitaire pourrait se détériorer rapidement.

La commission a estimé que le projet de loi, tel que modifié par l'Assemblée nationale, était équilibré et répondait aux enjeux sanitaires de chacun des territoires ultramarins . Elle l'a donc adopté sans modification.

*

* *

La commission a adopté le projet de loi sans modification.

Le projet de loi sera examiné en séance publique à partir du jeudi 9 septembre 2021.

EXAMEN EN COMMISSION

__________

MERCREDI 8 SEPTEMBRE 2021

M. Philippe Bas, rapporteur . - Je tiens tout d'abord à remercier nos collègues ultramarins - à commencer par Lana Tetuanui, ici présente - qui ont bien voulu m'éclairer sur la situation de leurs territoires et me décrire la réalité qu'ils vivent. J'ai adressé une demande informelle aux présidents des collectivités ultramarines. Plusieurs m'ont répondu, dont ceux de la Nouvelle-Calédonie, de la Polynésie française et de Saint-Barthélemy.

Vous connaissez tous la situation dans laquelle se trouve une partie des outre-mer - une partie seulement, car nous devons à nos compatriotes ultramarins une prise en compte de la grande diversité de leurs territoires. Derrière les chiffres que je vais rappeler, il y a des réalités humaines : en Martinique, en Guadeloupe, en Polynésie française, des familles sont en deuil et le climat est très difficile. Je suis certain que demain, dans l'hémicycle, nous ferons résonner sur toutes les travées un message d'empathie et de solidarité. Dans certaines collectivités, nos compatriotes connaissent une épreuve que l'Hexagone n'a pas connue.

La semaine dernière, la Guadeloupe dénombrait plus de 1 000 nouveaux cas pour 100 000 habitants, contre près de 650 en Martinique. À Saint-Barthélemy, le taux d'incidence de l'épidémie s'établit à 141 - il est inférieur à la moyenne nationale, qui était de 179 - ; il est d'un peu plus de 500 à Saint-Martin ; de 456 en Guyane - ce chiffre ne prend en compte que les personnes ayant accès au système de santé. Le taux se situe à 185 à La Réunion, soit au même niveau que la moyenne hexagonale, mais celle-ci dissimule des différences importantes entre le pourtour méditerranéen, avec un taux de plus de 300 en Provence Alpes Côte d'Azur, et de plus de 150 en Occitanie, et le reste de l'Hexagone. À Mayotte, le taux est tellement bas - il est de 42,5 - qu'on le soupçonne de ne pas refléter la réalité, même si le faible nombre d'évacuations sanitaires vers La Réunion confirme l'absence de développement exponentiel de l'épidémie. À Wallis-et-Futuna, ce taux est également très bas. En Polynésie française cependant, l'épidémie, quoique récente puisqu'elle a flambé en août, est dévastatrice avec, en fin de semaine dernière, 1 127 cas pour 100 000 habitants ; à l'autre extrême, Saint-Pierre-et-Miquelon, dont 84 % des habitants adultes ont reçu deux injections, a un taux d'incidence négligeable - ce meilleur élève français pour la vaccination est aussi le plus épargné par la maladie.

La vaccination est inversement proportionnelle au taux d'incidence : là où ce dernier est le plus élevé, le taux de vaccination est aussi le plus faible. En Guadeloupe et en Martinique, près de 30 % de la population a reçu au moins une première dose de vaccin, contre 24 % en Guyane. En Polynésie française, 50 % de la population a reçu au moins une dose. À La Réunion, 50 % de la population est aujourd'hui entièrement vaccinée.

La situation économique et sociale, déjà très tendue, s'est encore dégradée ces dernières années, ce qui affaiblit encore la faculté de ces territoires à réagir à la pandémie.

Il convient de développer la vaccination selon des modalités différentes. Les élus de Guyane, de Guadeloupe, de Martinique me l'ont dit : la communication n'a pas été appropriée. Si l'on veut convaincre, il faut passer par des personnes qui ont une légitimité pour le faire, dans la proximité. Comme dans l'Hexagone, cela se passe mieux quand c'est le médecin de famille qui vaccine ou quand les centres de vaccination sont proches des lieux de vie. Cette inflexion est en cours ; espérons qu'elle donne bientôt des résultats.

Quoi qu'il en soit, les autorités ont été amenées à prendre des mesures relevant de l'état d'urgence sanitaire pour faire face à la diffusion de l'épidémie, et il nous appartient de les prolonger. En Polynésie française, elles ont pris la forme d'un décret qui arrive à échéance le 12 septembre ; la prolongation de l'état d'urgence sanitaire dans les autres collectivités a déjà fait l'objet d'une loi, mais ces mesures ne peuvent, sans une autre loi, être prolongées au-delà du 30 septembre. Il nous faut donc soutenir la proposition qui nous est faite de prolonger l'état d'urgence sanitaire dans ces territoires jusqu'au 15 novembre - date que nous avons aussi retenue en juillet dernier pour la validité du passe sanitaire. Nous aurons ainsi l'occasion d'établir un bilan sur ces deux dispositions.

En votant ce texte, nous ne disons pas qu'il faut maintenir l'état d'urgence sanitaire jusqu'au 15 novembre : le Gouvernement aura le devoir, si la situation s'améliore, de libérer les territoires concernés. J'ai beaucoup hésité sur le cas de Saint Barthélemy, qui présente des chiffres meilleurs que la moyenne nationale, mais dont la proximité avec la Guadeloupe en fait un territoire exposé. Je propose donc d'accepter de l'inclure dans le texte, mais je demanderai au Gouvernement de faire le point dès la semaine prochaine sur la pertinence des restrictions en cours. Le président de cette collectivité, Bruno Magras, m'a écrit en ce sens. Je choisis une position prudente : donner au Gouvernement des outils, mais en lui demandant de s'en servir avec circonspection.

Reste le cas des collectivités qui n'étaient pas déclarées en état d'urgence sanitaire jusqu'à présent. Le Gouvernement veut pouvoir y déclencher l'état d'urgence sanitaire sans avoir à recourir à un vote pour le renouveler avant le 15 novembre. Je suis prêt à l'accepter sous bénéfice d'inventaire : le texte initial incluait Saint-Pierre-et-Miquelon. Par égard pour des populations très épargnées et plus vaccinées que la moyenne nationale, je souhaite l'exclure.

J'étais prêt, jusqu'à dimanche dernier, à tenir le même raisonnement pour la Nouvelle Calédonie. Mais les autorités calédoniennes ont été assez inquiétées par les premiers cas du variant Delta révélés ce jour-là pour décider à l'unanimité de rendre la vaccination obligatoire. Le fait que le virus ait pu franchir les frontières malgré la septaine imposée aux voyageurs appelle effectivement à la plus grande vigilance. Il y aurait actuellement une cinquantaine de cas et, lundi dernier, le gouvernement de Nouvelle-Calédonie, en accord avec le Haut-Commissaire, a déclaré l'urgence et décrété le confinement et le couvre-feu. L'Assemblée nationale a donc décidé de déclarer directement dans la loi l'état d'urgence sanitaire sur ce territoire, action nécessaire pour donner une base légale au confinement souhaité par les autorités locales. J'y souscris et vous proposerai de faire de même.

Dans les îles de Wallis et Futuna, la situation est saine, mais les liens avec la Nouvelle-Calédonie sont tellement forts qu'il est préférable de les laisser sur la liste, tout comme Mayotte, où la situation demeure fragile.

J'ai donc indiqué à nos homologues de la commission des lois de l'Assemblée nationale que, s'ils excluaient Saint-Pierre-et-Miquelon et réglaient un problème juridique pour la remontée de données médicales en Polynésie française - dont Lana Tetuanui vous parlera mieux que moi - je proposerais un vote conforme à notre commission. Ils l'ont fait et je me félicite de cette coopération entre les deux chambres. D'une certaine manière, nos amendements ont déjà été pris en compte.

C'est un texte court, mais très important, y compris pour montrer toute notre considération pour les habitants de ces territoires si divers.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Je n'ai pas de discordance sur le fond avec le rapporteur : nous savons tous qu'il est crucial d'agir dans les outre-mer. Cet accord ne dit rien des divergences que nous avons et que nous avons explorées fin juillet jusqu'à une heure avancée de la nuit sur d'autres questions connexes.

Le groupe socialiste a été d'une sobriété rare, puisqu'il n'a déposé aucun amendement. Mais il faudra revenir sur les raisons ayant conduit à cette situation sanitaire dans les territoires ultramarins : le sous-équipement hospitalier ; l'absence d'adaptation locale de la stratégie de vaccination pour convaincre des personnes qui, pour des raisons qui leur appartiennent, n'ont pas confiance ; la situation catastrophique de territoires qui vivent en grande partie du tourisme.

Nous voterons ce texte en l'état.

Mme Lana Tetuanui. - `Ia ora na ! Bonjour, comme nous le disons en Polynésie. Je salue tous mes collègues. Il ne faut pas s'intéresser aux outre-mer qu'à certains moments - nombreux sont ceux qui le feront dans les prochains mois....

Je remercie le rapporteur d'avoir présenté ce sujet en détail. La Polynésie française figure en tête des chiffres... Le taux d'incidence dépasse les 3 000 aux Îles-du-Vent. C'est trop ! Ironie du sort, la situation s'est vraiment dégradée depuis le 27 juillet exactement, date du retour en métropole du Président de la République. (Sourires) Nos détracteurs ont cette date-là en tête, et c'est une réalité.

Je recherche aussi le consensus. Il est urgent de proroger l'état d'urgence sanitaire dans les territoires où il est en vigueur. Obtenir l'unanimité du Sénat en ce sens est important pour toutes les collectivités d'outre-mer, notamment la Polynésie pour laquelle l'état d'urgence arrive à échéance samedi.

Les deux derniers confinements ont été très difficiles pour la Polynésie, avec une forte dégradation des indicateurs sanitaires, sociaux et économiques. Oui à un confinement, mais non à un confinement strict. Nous avons fait ce choix, car nous ne pouvions plus nous permettre de fermer nos frontières. Après avoir raclé tous les fonds de tiroir, la collectivité n'en peut plus.

Les réseaux sociaux viennent perturber le choix de se faire vacciner. Le président de la collectivité a fait appel aux élus locaux - souvent oubliés, mais qui jouent un grand rôle dans la lutte contre l'épidémie. Nous avons décidé de faire campagne dans les quartiers, partout, pour encourager les habitants à se faire vacciner, afin d'atteindre l'objectif que nous avons fixé pour la Polynésie.

Comme l'a évoqué le rapporteur, une question se pose sur mon territoire concernant la validité des systèmes d'information de lutte contre l'épidémie. Le président Fritch a évoqué cette question dans le courrier qu'il a adressé à notre rapporteur. Je n'ai pas déposé d'amendement. Depuis une semaine, nous échangeons avec le ministère des outre-mer. Le ministre a pris l'engagement de régler cette question par ordonnance, même si je ne suis pas une fervente adepte des ordonnances...

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Nous non plus !

Mme Lana Tetuanui. - Entre ce que nous demandons et ce qui arrive, je sursaute la plupart du temps ! Mais nous ferons confiance au Gouvernement, compte tenu de l'extrême urgence.

Cette crise sanitaire a mis en exergue la perte de compétences des collectivités du Pacifique dotées d'un statut propre - statut d'autonomie interne dans le cas de la Polynésie. L'État décrète l'état d'urgence sanitaire, mais ce sont les collectivités qui assument les dépenses.

J'ai encore sous le coude un amendement visant à ce que l'état assume financièrement l'ensemble des conséquences de ses décisions. Il mériterait peut-être d'être déposé en séance publique... Hors de question pour moi de remettre en cause la légitimité de notre commission - j'ai réaffirmé en Polynésie que je suis votre collègue à la commission des lois. Par contre, j'interpellerai le Gouvernement. Lorsqu'on parle des outre-mer, il ne faut pas mettre tout le monde dans le même sac. Je parlerai pour les collectivités du Pacifique, les départements et les territoires. Nous avons notre statut d'autonomie interne.

Voilà le sens de mon amendement : à situation exceptionnelle, décision exceptionnelle et dotation exceptionnelle.

J'ai suivi les débats à l'Assemblée nationale. Certains députés sont très passionnés par l'outre-mer, et je m'en réjouis !

Je vous remercie, tous, pour cet élan de solidarité métropolitain. De nombreux collègues m'ont envoyé des messages de soutien. C'est réjouissant d'avoir des amis à 20 000 kilomètres, car la situation est vraiment très difficile en ce moment.

Mme Catherine Di Folco, président. - Je vous remercie de votre témoignage.

M. Philippe Bas, rapporteur. - Je salue l'esprit de responsabilité de tous les groupes politiques, notamment du groupe socialiste. Les grandes forces de gouvernement ne peuvent manquer à ce devoir de responsabilité face à une situation sanitaire si difficile.

Madame Tetuanui, je n'ai pas souligné cet aspect dans mon rapport, mais l'économie et les collectivités qui s'exposent dans l'action sociale et dans la mise en oeuvre d'une politique de vaccination de proximité doivent être soutenues par l'État. Il est bon que cette voix soit portée demain en séance publique, même si le Gouvernement en a conscience. J'ai tout de même fait allusion au fait que cette crise sanitaire se greffe sur une situation économique et sociale difficile, avec des taux de chômage quatre à cinq fois supérieurs à la moyenne hexagonale. La capacité d'absorption du choc est plus faible dans de nombreux outre-mer que dans l'Hexagone. Le Gouvernement a annoncé que le fonds de solidarité, qui cessera d'intervenir dans l'Hexagone le 30 septembre, continuera à être versé outre-mer, en fonction des besoins recensés par les services de l'État. Cela me semble nécessaire.

Mme Catherine Di Folco, président. - Aucun n'amendement n'a été déposé au stade de la commission, mais nous devons cependant définir le périmètre indicatif du projet de loi, en application de l'article 45 de la Constitution, si des amendements étaient déposés en vue de la séance.

M. Philippe Bas, rapporteur. - Ce n'est pas une incitation à déposer des amendements ! Le périmètre du projet de loi est restreint, il ne comporte que des dispositions relatives à la prorogation de l'application de l'état d'urgence sanitaire dans certains territoires ultramarins ou au régime de prolongation de ce même régime d'état d'urgence sanitaire.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Cela vaut uniquement pour les outre-mer ?

Mme Catherine Di Folco, président. - Tout à fait.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Ne nous tentez pas...

M. Philippe Bas, rapporteur. - Ce n'est pas l'occasion de supprimer le passe sanitaire et d'imposer la vaccination obligatoire dans l'Hexagone.

Mme Marie-Pierre de La Gontrie. - Vous avez bien suivi...

M. Philippe Bas, rapporteur . - J'essaie de comprendre !

Mme Catherine Di Folco, président. - Nous aurons l'occasion d'en débattre avant le 15 novembre.

Le projet de loi est adopté sans modification.

Mme Catherine Di Folco, président. - La séance publique se tiendra demain jeudi à 9 h 30. À l'issue de la discussion générale, nous examinerons les éventuels amendements de séance.

RÈGLES RELATIVES À L'APPLICATION DE L'ARTICLE 45
DE LA CONSTITUTION ET DE L'ARTICLE 44 BIS
DU RÈGLEMENT DU SÉNAT (« CAVALIERS »)

Si le premier alinéa de l'article 45 de la Constitution, depuis la révision du 23 juillet 2008, dispose que « tout amendement est recevable en première lecture dès lors qu'il présente un lien, même indirect, avec le texte déposé ou transmis », le Conseil constitutionnel estime que cette mention a eu pour effet de consolider, dans la Constitution, sa jurisprudence antérieure, reposant en particulier sur « la nécessité pour un amendement de ne pas être dépourvu de tout lien avec l'objet du texte déposé sur le bureau de la première assemblée saisie » 15 ( * ) .

De jurisprudence constante et en dépit de la mention du texte « transmis » dans la Constitution, le Conseil constitutionnel apprécie ainsi l'existence du lien par rapport au contenu précis des dispositions du texte initial, déposé sur le bureau de la première assemblée saisie 16 ( * ) .

Pour les lois ordinaires, le seul critère d'analyse est le lien matériel entre le texte initial et l'amendement, la modification de l'intitulé au cours de la navette restant sans effet sur la présence de « cavaliers » dans le texte 17 ( * ) . Pour les lois organiques, le Conseil constitutionnel ajoute un second critère : il considère comme un « cavalier » toute disposition organique prise sur un fondement constitutionnel différent de celui sur lequel a été pris le texte initial 18 ( * ) .

En application des articles 17 bis et 44 bis du Règlement du Sénat, il revient à la commission saisie au fond de se prononcer sur les irrecevabilités résultant de l'article 45 de la Constitution, étant précisé que le Conseil constitutionnel les soulève d'office lorsqu'il est saisi d'un texte de loi avant sa promulgation.

En application du vademecum sur l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution, adopté par la Conférence des Présidents, la commission des lois a arrêté, lors de sa réunion du mercredi 8 septembre 2021, le périmètre indicatif du projet de loi n° 815 (2020-2021) autorisant la prorogation de l'état d'urgence sanitaire dans les outre-mer.

Elle a considéré que ce périmètre incluait des dispositions relatives, d'une part, à la prorogation de l'application de l'état d'urgence sanitaire dans certains territoires ultramarins et, d'autre part, au régime de prolongation de ce même régime .

CONTRIBUTIONS ÉCRITES

M. Édouard Fritch , président de la Polynésie française

M. Bruno Magras , président du Conseil territorial de Saint-Barthélemy

M. Louis Mapou , président du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie

LA LOI EN CONSTRUCTION

Pour naviguer dans les rédactions successives du texte, le tableau synoptique de la loi en construction est disponible sur le site du Sénat à l'adresse suivante :

http://www.senat.fr/dossier-legislatif/pjl20-815.html


* 1 Dont le R 0 est évalué par le Conseil scientifique Covid-19 à environ 6 dans sa note d'alerte du 20 août 2021, Fin de la période estivale et pass sanitaire - Rentrée de septembre 2021.

* 2 Loi n° 2021-1040 du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire .

* 3 Données à la date du 30 août 2021 pour la Polynésie française.

* 4 Comme le soulignait le Conseil scientifique Covid-19 dans son avis du 6 juillet 2021, Réagir maintenant pour limiter une nouvelle vague associée au variant Delta, l'infection par les variants Beta et Delta ne protège que partiellement contre le variant Delta.

* 5 Au 2 septembre 2021 pour les Antilles et au 31 août 2021 pour la Polynésie française.

* 6 Au 2 septembre 2021.

* 7 Y compris des mesures d'interdiction de sortie du domicile - confinement et couvre-feu.

* 8 Décret n° 2020-1257 du 14 octobre 2020 déclarant l'état d'urgence sanitaire .

* 9 Déterminé par l'article 1 er de la loi n° 2021-689 du 31 mai 2021 relative à la gestion de la sortie de crise sanitaire.

* 10 Jour de l'entrée en vigueur de l'obligation vaccinale pour les personnes majeures et les personnes entrant sur le territoire de la Nouvelle-Calédonie votée par le Congrès le 2 septembre 2021.

* 11 Décret n° 2021-1161 du 8 septembre 2021 déclarant l'état d'urgence sanitaire en Nouvelle-Calédonie.

* 12 Arrêté n° 2021-10512 du 6 septembre 2021 portant diverses mesures relatives à la lutte contre la propagation du virus covid-19 à l'intérieur de la Nouvelle-Calédonie .

* 13 Article L. 3131-14 du code de la santé publique.

* 14 Article L. 3131-13 du code de la santé publique.

* 15 Cf. commentaire de la décision n° 2010-617 DC du 9 novembre 2010 - Loi portant réforme des retraites.

* 16 Cf. par exemple les décisions n° 2015-719 DC du 13 août 2015 - Loi portant adaptation de la procédure pénale au droit de l'Union européenne et n° 2016-738 DC du 10 novembre 2016 - Loi visant à renforcer la liberté, l'indépendance et le pluralisme des médias.

* 17 Décision n° 2007-546 DC du 25 janvier 2007 - Loi ratifiant l'ordonnance n° 2005-1040 du 26 août 2005 relative à l'organisation de certaines professions de santé et à la répression de l'usurpation de titres et de l'exercice illégal de ces professions et modifiant le code de la santé publique.

* 18 Décision n° 2020-802 DC du 30 juillet 2020 - Loi organique portant report de l'élection de six sénateurs représentant les Français établis hors de France et des élections partielles pour les députés et les sénateurs représentant les Français établis hors de France.

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