CHAPITRE III
DISPOSITIONS AMÉLIORANT LA PROCÉDURE
DE JUGEMENT DES CRIMES

Article 6
Dispositions diverses relatives à la cour d'assises

Cet article procède à plusieurs modifications concernant le fonctionnement des cours d'assises. Il prévoit la création d'une audience préparatoire, modifie le seuil de la majorité qualifiée requise pour prononcer la culpabilité d'un accusé et impose de délivrer un mandat de dépôt en cas de condamnation à une peine d'emprisonnement de dix ans au plus si l'accusé a comparu libre.

La commission a adopté une mesure de cohérence concernant la majorité requise pour prononcer la peine maximale encourue. Elle a souhaité que l'audience préparatoire devienne une réunion préparatoire facultative et elle a adopté un amendement tirant les conséquences d'une récente décision du Conseil constitutionnel concernant la purge des nullités.

Elle a adopté l'article ainsi modifié.

1. Le dispositif proposé

1.1. Composition de la cour d'assises

Ajoutés à l'initiative du rapporteur de l'Assemblée nationale, le 1° AA et le 1° A de l'article 6 visent à faciliter la constitution des cours d'assises afin de faire face plus aisément à l'accroissement de leur activité.

La cour d'assises est composée de la cour proprement dite, qui comprend un président et des assesseurs, et du jury, qui comprend des citoyens tirés au sort.

Le président est un président de chambre ou un conseiller de la cour d'appel. Concernant les assesseurs, l'article 249 du code de procédure pénale dispose qu'ils sont choisis soit parmi les conseillers de la cour d'appel, soit parmi les présidents, vice-présidents ou juges du tribunal judiciaire du lieu de la tenue des assises.

Dans les départements où siège une cour d'appel, la cour d'assises siège dans la même ville. Autrement, les assises se tiennent ordinairement au chef-lieu du département. Dans les départements qui comptent plusieurs tribunaux, les magistrats affectés dans les autres tribunaux du département ne peuvent donc être appelés à siéger aux assises.

Depuis l'entrée en vigueur de la loi n° 2019-222 du 23 mars 2019 de programmation et de réforme pour la justice, les magistrats en activité peuvent bénéficier du renfort de magistrats honoraires exerçant des fonctions juridictionnelles. Un seul poste d'assesseur peut être occupé par un magistrat honoraire.

Des assouplissements sont proposés à ces règles afin qu'il devienne plus facile de composer les cours d'assises. En premier lieu, tous les présidents, vice-présidents ou juges affectés dans l'un des tribunaux judiciaires du département du siège de la cour d'assises pourraient exercer les fonctions d'assesseur.

En second lieu, en plus des magistrats honoraires, les magistrats à titre temporaire seraient autorisés à siéger comme assesseurs. Là encore, tous les magistrats honoraires et tous les magistrats à titre temporaire affectés dans l'un des tribunaux judiciaires du département du siège de la cour d'assises pourraient exercer cette fonction.

Les magistrats exerçant à titre temporaire

Les magistrats exerçant à titre temporaire (MTT) sont recrutés pour participer au fonctionnement de l'institution judiciaire, comme le permettent les articles 41-10 et suivants de l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature modifiée.

Le recrutement s'effectue sur dossier parmi les candidats de nationalité française, âgés entre 35 et 75 ans, qui remplissent certaines conditions de diplômes et qui justifient d'une expérience professionnelle les qualifiants pour exercer des fonctions judiciaires. Sous réserve de conditions d'ancienneté, les directeurs de services de greffes, les fonctionnaires de catégorie A du ministère de la justice, les membres et anciens membres des professions libérales juridiques et judiciaires (avocats, notaires, huissiers de justice, administrateurs judiciaires, etc.).

Le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) rend un avis sur les candidatures qui lui sont proposées par le ministre de la justice. Le MTT est nommé pour une durée de cinq ans, renouvelable une fois. Il est soumis au statut de la magistrature et peut exercer en parallèle une autre activité professionnelle, sous réserve de certaines incompatibilités. Le MTT est rémunéré au service fait et à la vacation.

Il suit une formation théorique de dix jours à l'École nationale de la magistrature (ENM) puis réalise un stage en juridiction dont la durée dépend de son expérience professionnelle.

Le MTT est compétent pour traiter du contentieux de la protection, ainsi que des contentieux civil et pénal en qualité d'assesseur dans les formations collégiales. Il peut être chargé de valider les compositions pénales et siéger comme juge du tribunal de police pour connaître de certaines contraventions.

1.2. L'audience préparatoire

Le 1° de l'article 6 a ensuite pour objet de prévoir la tenue d'une audience préparatoire criminelle dont l'objet serait de mieux organiser les procès d'assises.

Cette audience s'inspire d'une bonne pratique déjà mise en oeuvre de manière informelle dans plusieurs cours d'appel : par une concertation en amont, un accord est recherché entre les parties afin de fixer le nombre d'auditions de témoins et d'experts et de rendre ainsi plus prévisible la durée et le déroulement de l'audience. En décembre 2020, la « mission flash » conduite à l'Assemblée nationale par les députés Stéphane Mazars et Antoine Savignat avait recommandé d'inscrire cette bonne pratique dans la loi afin d'en favoriser la diffusion.

Cette audience préparatoire serait prévue par un nouvel article 276-1 du code de procédure pénale.

L'audience préparatoire serait organisée après l'interrogatoire auquel procède le président de la cour d'assises en application de l'article 272 du même code. Cet interrogatoire a lieu après que l'acte d'accusation est devenu définitif, dans les plus brefs délais après que l'accusé a été transféré à la maison d'arrêt du lieu où se tiennent les assises s'il est détenu, et au moins cinq jours avant l'ouverture des débats. Il reviendrait au président de la cour d'assises d'organiser l'audience préparatoire criminelle en chambre du conseil, donc hors la présence du public.

La commission des lois de l'Assemblée nationale a adopté un amendement de sa présidente Yaël Braun-Pivet qui précise que, si l'accusé est en détention provisoire, le président sollicite la communication d'une copie de son dossier individuel de détention. Constitué au greffe de l'établissement pénitentiaire en application de l'article D. 155 du code de procédure pénale, ce dossier contient notamment des informations sur le comportement du détenu ainsi que sur les résultats des enquêtes, examens et expertises auxquels il a pu être procédé sur sa personnalité, son état de santé, sa situation matérielle, familiale ou sociale. Ces informations peuvent être utiles pour apprécier la personnalité de l'accusé.

L'audience réunit le ministère public et les avocats de l'ensemble des parties, le cas échéant par « tout moyen de communication », donc éventuellement par téléphone ou par visioconférence, ainsi que l'a précisé un amendement adopté par l'Assemblée nationale sur proposition de la députée Laurence Vichnievsky et de plusieurs de ses collègues.

Son objet est de rechercher un accord entre les parties sur la liste des témoins et des experts qui seront cités à l'audience, sur leur ordre de déposition et sur la durée de l'audience, notamment en cas d'appel portant uniquement sur la peine (et non sur la culpabilité).

L'accord ne fait pas obstacle, lorsque c'est nécessaire, à la possibilité pour le ministère public et pour les parties de citer d'autres témoins ou experts ni de modifier l'ordre de leurs dépositions. En l'absence d'accord, il est fait application des articles 277 à 287 du code de procédure pénale. Ces articles précisent notamment dans quelles conditions les pièces du dossier de la procédure sont délivrées à l'accusé et aux parties civiles, dans quelle conditions la liste des jurés est signifiée à l'accusé, comment le président peut ordonner des actes d'information supplémentaires, comment le président peut décider de joindre ou de disjoindre des affaires. L'article 281 précise que le ministère public, l'accusé et les parties civiles font connaître, au moins un mois avant l'ouverture des débats, la liste des personnes qu'ils désirent faire entendre en tant que témoins et les noms des experts ; si la liste des témoins a été signifiée au moins un mois et dix jours avant la date d'ouverture des débats, le ministère public est tenu de citer à ses frais cinq témoins figurant sur la liste. Les autres citations sont faites aux frais des parties.

Il est à noter que l'Assemblée nationale a souhaité rendre systématique la tenue de l'audience préparatoire, alors que le projet de loi initial réservait la possibilité pour le ministère public et les avocats des parties d'y renoncer d'un commun accord. La commission des lois de l'Assemblée nationale a adopté l'amendement du député Dimitri Houbron qui supprime cette faculté de renonciation, considérant que l'audience devait être obligatoire pour produire pleinement ses effets.

1.3. Discours et rapport introductif du président de la cour d'assises

Le 1° bis a été introduit par la commission des lois de l'Assemblée nationale sur proposition de son rapporteur. Il vise à modifier le discours tenu par le président de la cour d'assises avant la prestation de serment des jurés lorsque la cour d'assises statue en appel uniquement sur la peine.

Actuellement, le discours, prévu à l'article 304 du code de procédure pénale, est le suivant : « Vous jurez et promettez d'examiner avec l'attention la plus scrupuleuse les charges qui seront portées contre X..., de ne trahir ni les intérêts de l'accusé, ni ceux de la société qui l'accuse, ni ceux de la victime ; de ne communiquer avec personne jusqu'après votre déclaration ; de n'écouter ni la haine ou la méchanceté, ni la crainte ou l'affection ; de vous rappeler que l'accusé est présumé innocent et que le doute doit lui profiter ; de vous décider d'après les charges et les moyens de défense, suivant votre conscience et votre intime conviction, avec l'impartialité et la fermeté qui conviennent à un homme probe et libre, et de conserver le secret des délibérations, même après la cessation de vos fonctions ».

Afin de l'adapter au cas particulier de l'appel formé uniquement contre la peine, ce discours serait modifié sur deux points. Au lieu d'examiner avec une scrupuleuse attention les charges portées contre X..., les jurés seraient invités à examiner les « éléments de preuve retenus contre X... qui ont conduit à sa déclaration de culpabilité ». Les références à la présomption d'innocence et au doute qui profite à l'accusé seraient supprimées et il serait seulement demandé aux jurés de se prononcer sur la peine d'après les charges et les moyens de défense.

Le 1° ter de l'article 6 est issu de l'adoption par la commission des lois de l'Assemblée nationale d'un amendement du Gouvernement, modifié en séance publique par l'adoption de deux amendements rédactionnels du rapporteur. Il concerne le rapport introductif fait par le président de la cour d'assises en application de l'article 327 du code de procédure pénale.

Il revient au président de présenter de façon concise les faits reprochés à l'accusé tels qu'ils résultent de l'ordonnance de renvoi prise par le juge d'instruction. Il expose les éléments à charge et à décharge concernant l'accusé tels qu'ils sont mentionnés dans l'ordonnance de renvoi.

La modification proposée vise à mieux garantir les droits de la défense et le respect de la présomption d'innocence en permettant au président de la cour d'assises de se détacher de l'ordonnance de renvoi dans son discours. Par construction, l'ordonnance peut avoir tendance à mettre l'accent sur les éléments à charge, qui ont motivé la décision de renvoi, au détriment des éléments à décharge. Pour une plus grande objectivité, le président serait ainsi invité à exposer les éléments à charge et à décharge tels qu'ils résultent de l'information judiciaire, y compris, éventuellement, les éléments à décharge mentionnés par les observations de l'avocat déposées en application du III de l'article 175 du code de procédure pénale 70 ( * ) .

1.4. Le rétablissement de la « minorité de faveur »

Le 2° de l'article 6 tend à rétablir ce qu'il est convenu d'appeler la « minorité de faveur », c'est-à-dire la règle selon laquelle l'accusé ne peut être déclaré coupable par la cour d'assises que si la majorité des jurés en décident ainsi.

Cette minorité de faveur a été supprimée à l'occasion de l'adoption de la loi n° 2011-939 du 10 août 2011 sur la participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale et le jugement des mineurs, qui a réduit le nombre de jurés siégeant aux assises de neuf à six en première instance et de douze à neuf en appel. En ajoutant les trois magistrats professionnels, la cour d'assises est donc composée de neuf membres et la cour d'assises d'appel de douze membres.

Les règles de majorité applicables aux décisions sur la culpabilité et sur la peine ont alors été adaptées. Pour prendre une décision sur la culpabilité, il faut désormais une majorité qualifiée de six voix sur neuf en première instance et de huit voix sur douze en appel, soit une majorité des deux tiers. Avant 2011, une majorité de huit voix sur douze ou de dix voix sur quinze était exigée. La décision sur la peine est prise par la majorité absolue des votants, sauf pour prononcer la peine maximale encourue, auquel cas la majorité est portée à six voix sur neuf ou huit voix sur douze en appel.

Il en résulte que la culpabilité peut actuellement être décidée, en première instance, par trois jurés et par les trois magistrats professionnels, en dépit de l'opposition des trois autres jurés. En appel, en revanche, la culpabilité ne pourra être prononcée qu'avec l'accord d'au moins cinq jurés sur neuf.

Afin de rétablir la minorité de faveur, la majorité exigée en première instance passerait à sept voix sur neuf, ce qui garantit que la culpabilité ne pourra être prononcée qu'avec l'accord de quatre jurés sur six.

Deux mesures de coordination sont prévues par le 4° de l'article, concernant respectivement la cour d'assises de Mayotte et le tribunal criminel de Saint-Pierre-et-Miquelon.

1.5. La lecture du verdict

Le 2° bis de l'article 6 est issu de l'adoption par l'Assemblée nationale en séance publique d'un amendement du rapporteur Stéphane Mazars. Il vise à simplifier la lecture du verdict de la cour d'assises.

L'article 366 du code de procédure pénale prévoit que la cour, à l'issue du délibéré, rentre dans la salle d'audience et que le président donne lecture des réponses faites aux questions 71 ( * ) puis prononce l'arrêt portant condamnation, absolution ou acquittement. Il doit également lire les textes de loi dont il est fait application.

La jurisprudence attache des effets distincts à ces différentes formalités : pour la Cour de cassation, l'absence de lecture des textes appliqués n'est pas une cause de nullité de l'arrêt ; il en va différemment de la lecture des réponses aux questions, prescrite à peine de nullité. En pratique, le président tient souvent « pour lus » les textes applicables et se dispense de leur lecture. Il lit en revanche systématiquement les réponses aux questions, ce qui impose parfois aux parties une longue attente avant de connaître le sens de la décision.

Dans un souci de simplification et de gain de temps, il est donc proposé que la lecture des textes et des réponses aux questions ne soit plus obligatoire si l'accusé ou son défenseur y renonce.

1.6. Les règles de l'incarcération à l'audience

Le 3° de l'article 6 modifie l'article 367 du code de procédure pénale, qui fixe les conditions d'incarcération ou de libération des personnes jugées par la cour d'assises.

En application de cet article 367, l'accusé est libéré immédiatement s'il est acquitté ou exempté de peine, si sa peine n'est pas privative de liberté ou s'il a été condamné à une peine privative de liberté couverte par la détention provisoire.

Dans les autres hypothèses, il doit être incarcéré. Jusqu'en 2011, l'article 367 prévoyait que si l'accusé comparaissait détenu, le mandat de dépôt à son encontre continuait de produire ses effets. Lorsqu'il avait comparu libre, la cour d'assises devait en revanche décerner un mandat de dépôt.

L'article 156 de la loi n° 2011-525 du 17 mai 2011 de simplification et d'amélioration de la qualité du droit a supprimé cette obligation de décerner un mandat de dépôt, considérant que « l'arrêt de la cour d'assises vaut titre de détention ». La situation est différente si la cour a jugé une personne renvoyée pour un délit connexe et ayant comparu libre : elle peut décider de l'incarcérer, si la peine prononcée est supérieure ou égale à un an d'emprisonnement et si une mesure particulière de sûreté est justifiée, mais elle doit alors décerner un mandat de dépôt.

Il est proposé de rétablir l'obligation de décerner un mandat de dépôt lorsque l'accusé a comparu libre et qu'il est condamné à une peine d'emprisonnement 72 ( * ) . Par une décision spéciale et motivée, la cour pourra décider de l'incarcérer si les éléments de l'espèce justifient une mesure particulière de sûreté. Le mandat de dépôt pourra avoir un effet immédiat ou différé. Dans cette deuxième hypothèse, la personne condamnée sera convoquée ultérieurement pour son incarcération, selon les mêmes modalités que si la peine avait été prononcée par le tribunal correctionnel.

En cas de condamnation à une peine de réclusion criminelle, il ne serait en revanche pas nécessaire de décerner un mandat de dépôt et la règle actuelle, selon laquelle l'arrêt de la cour vaut titre de détention, continuerait de s'appliquer.

Enfin, en cas de condamnation pour un délit connexe, il deviendrait possible de décerner un mandat de dépôt à effet différé à condition que la peine prononcée soit supérieure à six mois d'emprisonnement.

2. La position de la commission

Les deux mesures les plus significatives figurant à cet article sont celles qui modifient la majorité requise aux assises pour prononcer la culpabilité de l'accusé et la consécration dans la loi de l'audience préparatoire.

Sur le premier point, la commission a été sensible à l'intérêt de redonner toute leur place aux jurés dans la prise de décision, même si cette orientation peut paraître contradictoire avec le choix proposé en parallèle de généraliser la cour criminelle départementale, qui ne comporte pas de jurés populaires. Elle observe aussi que le relèvement de la majorité de six à sept pourrait avoir, dans certains cas, des effets paradoxaux en permettant aux trois magistrats de tenir en échec la volonté des six jurés pour aboutir à un acquittement.

La mesure proposée permet néanmoins de retrouver le fil d'une tradition qui a été interrompue à l'occasion de la réforme de 2011, laquelle a réduit le nombre de jurés et fait disparaître la minorité de faveur sans que cette conséquence ait été nécessairement bien appréciée à l'époque.

La commission a adopté à ce sujet un amendement COM-77 de ses rapporteurs qui modifie dans le code pénal la majorité requise pour prononcer la peine maximale encourue en la faisant également passer, par cohérence, de six à sept.

Concernant l'audience préparatoire, la commission n'est pas opposée à sa consécration dans la loi, même si on peut se demander s'il est indispensable d'inscrire dans le code de procédure pénale ce qui relevait jusqu'ici d'une bonne pratique, qui aurait pu être promue par voie de circulaire.

Les rapporteurs ont observé au cours de leurs auditions que peu de professionnels souhaitaient rendre l'audience préparatoire obligatoire, considérant qu'elle risquait, dans certaines affaires simples, d'alourdir la procédure sans véritable valeur ajoutée. Sur leur proposition, la commission a donc adopté l' amendement COM-76 qui rétablit le caractère facultatif de l'audience. L'amendement introduit également un changement terminologique en la rebaptisant « réunion » préparatoire, ce qui correspond mieux à son objet. Il supprime enfin l'obligation de demander le dossier de détention lorsque l'accusé est en détention provisoire, ce dossier ne comportant pas a priori d'informations utiles à l'organisation du procès.

La commission a adopté l' amendement COM-75 de ses rapporteurs qui assouplit les conditions de désignation des juges qui siègent comme assesseurs à la cour d'assises : ils pourront être choisis parmi les juges des tribunaux judiciaires situés dans le ressort de la cour d'appel.

La commission a enfin adopté l' amendement COM-74 de ses rapporteurs, qui tire les conséquences de la décision du Conseil constitutionnel n° 2021-900 QPC du 23 avril 2021 relative à la purge des nullités prévue devant la cour d'assises.

Dans cette décision, le Conseil a déclaré contraires à la Constitution le quatrième alinéa de l'article 181 du code de procédure pénale et certains mots figurant à la première phrase de l'article 305-1 du même code. Il a observé que « les dispositions contestées ne prévoient aucune exception à la purge des nullités en cas de défaut d'information de l'intéressé ne lui ayant pas permis de contester utilement les irrégularités de procédure et alors même que cette défaillance ne procède pas d'une manoeuvre de sa part ou de sa négligence ». Il a reporté l'abrogation des dispositions contestées au 31 décembre 2021, tout en précisant que la déclaration d'inconstitutionnalité peut être invoquée dans les instances en cours ou à venir lorsque la purge des nullités a été ou est opposée à un accusé.

Afin de permettre à l'accusé de faire valoir ses droits, tout en évitant que des nullités qui auraient été commises au cours de l'instruction soient invoquées à l'audience de la cour d'assises, l'amendement prévoit que l'accusé pourra contester la régularité de la procédure, avant sa comparution en jugement, devant le président de la chambre de l'instruction, ce qui répond à la difficulté soulevée par le Conseil constitutionnel.

La commission a adopté l'article 6 ainsi modifié .

Article 6 bis
Possibilité de procéder à l'instruction de certaines affaires criminelles
dans un tribunal judiciaire sans pôle de l'instruction

Cet article, issu d'un amendement du rapporteur de l'Assemblée nationale adopté en commission, vise à permettre au juge d'instruction d'un tribunal judiciaire dans lequel il n'existe pas de pôle de l'instruction de procéder à l'information judiciaire d'un crime lorsque celui-ci relève de la compétence de la cour criminelle et qu'il ne présente pas un degré de gravité ou de complexité particulier.

Par cohérence avec sa position sur l'article 7, la commission a supprimé la référence aux cours criminelles départementales et adopté l'article ainsi modifié.

1. Le dispositif proposé

Cet article tend à permettre au juge d'instruction unique d'un tribunal judiciaire de mener l'information des affaires peu complexes lorsqu'elles relèvent de la cour criminelle départementale.

Il permet ainsi d'éviter que les procureurs de la République ne soient dans tous les cas obligés de requérir l'ouverture d'une information devant les magistrats du pôle territorialement compétents, comme le prévoit à l'heure actuelle l'article 80 du code de procédure pénale.

Cette mesure permet une instruction au plus proche des justiciables et est cohérente avec la volonté de simplification de la procédure pénale.

L'article modifie l'article 52-1 du code de procédure pénale pour permettre au procureur de requérir l'ouverture d'une information auprès du tribunal judiciaire dans le ressort duquel les faits ont été commis « s'il s'agit d'un crime relevant de la compétence de la cour criminelle départementale » et qu'il « considère qu'il résulte des circonstances de l'espèce et de son absence de complexité que le recours à la cosaisine, même en cours d'instruction, paraît peu probable ».

Il modifie également l'article 118 du code de procédure pénale pour permettre au juge d'instruction du tribunal judiciaire de ne pas se dessaisir au profit du pôle lorsqu'il apparaît au cours de l'information judiciaire que les faits reprochés à la personne mise en examen sous une qualification correctionnelle constituent un crime mais ne présentent pas une gravité ou une complexité le justifiant.

Il adapte enfin les articles 80, sur l'ouverture de l'instruction, 397-2, sur la demande de supplément d'information, et 397-7 du code de procédure pénale, sur le placement de l'accusé sous contrôle judiciaire ou en détention provisoire dans l'attente de sa comparution devant le juge d'instruction, en soumettant, par cohérence, la saisine du pôle de l'instruction aux mêmes exigences de gravité et de complexité des faits.

2. La position de la commission

La commission est favorable à cette mesure qui permettra une instruction plus proche et sans doute plus rapide des affaires peu complexes.

Par cohérence avec sa position sur la généralisation des cours criminelles départementales, elle a adopté, à l'initiative des rapporteurs, un amendement COM-73 supprimant la référence à ces cours au sein de l'article.

La commission a adopté l'article 6 bis ainsi modifié .

Article 6 ter
Création d'un pôle national
en charge des crimes sériels ou non élucidés

Cet article issu de quatre amendements identiques dont un du Gouvernement adoptés en séance publique à l'Assemblée nationale, tend à la création d'un ou plusieurs pôles nationaux en charge des crimes sériels ou non élucidés et à faciliter le traitement de ces affaire par la création d'un fichier d'empreintes génétiques.

La commission a adopté cet article ainsi modifié.

1. Le dispositif proposé

Issu d'un amendement en commission de Mme Laurence Vichnievsky, non adopté mais retravaillé avec le Gouvernement, le présent dispositif, adopté en séance publique, est issu de quatre amendements identiques du Gouvernement, de Mme Vichnievsky et de plusieurs de ses collègues, des membres du groupe Agir ensemble et de plusieurs membres du groupe La République en Marche.

Le texte propose d'introduire dans le code de procédure un nouveau titre XXV bis , composé des articles 706-106-1 à 706-106-4 nouveaux, relatif à « la procédure applicable aux crimes sériels ou non élucidés ».

Le nouvel article 706-106-1 prévoit la compétence concurrente d'un ou plusieurs tribunaux judiciaire pour les crimes suivants, si les investigations présentent une complexité particulière : atteintes volontaires à la vie, actes de torture et de barbarie, viol, enlèvement et séquestration. Deux conditions alternatives peuvent conduire à l'exercice de cette compétence : les crimes sont susceptibles d'avoir été commis de manière répétée à des dates différentes par une même personne à l'encontre de différentes victimes, soit l'auteur n'a pu être identifié dix-huit mois après la commission des faits.

L'exposé des motifs de l'amendement présenté par le Gouvernment indique que l'article 706-106-1 permettra la création d'un pôle unique national qui sera désigné par décret, « mais sans interdire si cela s'avérait nécessaire la création de deux ou trois pôles (comme par exemple pour les pôles prévus en matière sanitaire) ».

La création d'un tel pôle permettra une meilleure réponse judiciaire, à la fois plus efficace par l'affectation de personnels dédiés et susceptibles de nouer des contacts internationaux, et mieux à même de prendre en charge les victimes et leurs familles.

Le nouvel article 706-106-2 permet aux magistrats du pôle national d'obtenir l'aide d'assistants spécialisés.

Le nouvel article 706-106-3 prévoit les conditions dans lesquelles un procureur de la République peut saisir les juges d'instruction spécialisés du pôle national.

Le nouvel article 706-106-4 renvoie à un décret les conditions d'application des dispositions du titre XXV bis et précise que le juge d'instruction spécialisé pourra être chargé de retracer le parcours criminel d'une personne condamnée pour des faits relevant de la compétence du pôle national. Cette mesure, issue de l'expérience récente en matière de crime sériels, permet de retracer le nombre de crimes commis sur plusieurs années et non dentifiés ou non résolus.

L'article modifie également l'article 706-54 afin de prévoir que les empreintes génétiques des victimes de ces crimes, ou, avec leur accord, des membres de leurs familles, pourront être inscrites au Fichier national automatisé des empreintes génétiques (FNAEG), afin qu'elles y soient conservées aux fins de comparaisons ultérieures, notamment dans le cadre de faits sériels. Avec leur accord, les empreintes génétiques de membres de la famille de la victime, lorsque l'empreinte de celle-ci n'a pas pu être recueillie ou aux seules fins de confirmation de son identification, pourront, pour les mêmes faits, être inscrites dans le FNAEG.

2. La position de la commission

La commission estime que le dispositif proposé, issu de l'expérience acquise lors de l'affaire Fourniret et des différents rapports remis sur le sujet des affaires non élucidés depuis 2006, vient combler une lacune dans le dispositif judiciaire français.

À l'initiative des rapporteurs, la commission a adopté un amendement COM-78 apportant des précisions techniques au dispositif, limitant à une seule le nombre de juridictions spécialisées et permettant aux juges spécialisés de bénéficier de l'assistance d'officiers de police judiciaire affectés au pôle national afin de faciliter les démarches d'enquête.

La commission a adopté l'article 6 ter ainsi modifié .

Article 7
Généralisation des cours criminelles pour les crimes punis
de quinze ou de vingt ans de réclusion criminelle

Cet article tend à généraliser la cour criminelle départementale, créée à titre expérimental en 2019 et compétente pour les crimes punis de quinze ou vingt ans de réclusion criminelle et uniquement composée de juges professionnels.

La commission a jugé cette généralisation prématurée et donc décidé de prolonger l'expérimentation.

1. Une généralisation proposée avant la fin de l'expérimentation

1.1. Une juridiction créée à titre expérimental

L'expérimentation de la cour criminelle départementale est prévue par l'article 63 de la loi n°2019-222 du 23 mars 2019 de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice.

Cet article dispose que les personnes majeures accusées d'un crime puni de quinze ans ou de vingt ans de réclusion criminelle, hors récidive légale, sont jugées en premier ressort par la cour criminelle. La cour est également compétente pour le jugement des délits connexes. Elle n'est pas compétente s'il existe un ou plusieurs coaccusés ne répondant pas à ces conditions. En appel, l'affaire est jugée par la cour d'assises d'appel.

La cour criminelle applique les mêmes règles de procédure que la cour d'assises, sous plusieurs réserves.

Elle n'est ainsi composée que de juges professionnels, le président étant entouré de quatre assesseurs. Ces magistrats sont choisis par le premier président de la cour d'appel parmi, pour le président, les présidents de chambre et les conseillers du ressort de la cour d'appel et, pour les assesseurs, les conseillers et les juges de ce ressort. Deux des assesseurs peuvent être des magistrats exerçant à titre temporaire ou des magistrats honoraires.

Ensuite, le délai d'audiencement, qui sépare la date de la mise en accusation de la date de comparution devant la cour, est réduit de moitié. Au-delà d'un délai de six mois, contre un an devant la cour d'assises, l'accusé placé en détention provisoire est remis en liberté. Le délai peut seulement être prolongé une fois, sur décision de la chambre de l'instruction 73 ( * ) .

Par ailleurs, les membres de la cour ont accès au dossier de la procédure, ce qui leur permet d'en prendre connaissance et de se concentrer pendant l'audience sur les points les plus contestés. Devant la cour d'assises, seuls le président et les assesseurs ont connaissance du dossier avant l'audience, les jurés ne pouvant y avoir accès qu'au moment du délibéré.

La cour criminelle est actuellement expérimentée dans quinze départements. Un arrêté du 25 avril 2019 a d'abord autorisé l'expérimentation dans sept départements (Ardennes, Calvados, Cher, Moselle, Réunion, Seine-Maritime et Yvelines). Puis un arrêté du 2 mars 2020 l'a étendue à deux départements supplémentaires (Hérault et Pyrénées-Atlantiques). L'article 32 de la loi n° 2020-734 du 17 juin 2020 relative à diverses dispositions liées à la crise sanitaire, à d'autres mesures urgentes ainsi qu'au retrait du Royaume-Uni de l'Union européenne a porté à dix-huit le nombre maximum de départements autorisés à participer à l'expérimentation, ce qui a permis, par un arrêté du 2 juillet 2020, de l'étendre à six nouveaux départements (Isère, Haute-Garonne, Loire-Atlantique, Val d'Oise, Guadeloupe et Guyane).

L'arrêté du 25 avril 2019 fixait la date du début de l'expérimentation, c'est-à-dire la date à partir de laquelle une personne pouvait être mise en accusation devant la cour criminelle, au 13 mai 2019. L'expérimentation devait durer trois ans, soit jusqu'au 13 mai 2022.

L'article 63 de la loi de programmation prévoit que le Gouvernement adresse au Parlement, six mois au moins avant le terme de l'expérimentation, un rapport procédant à son évaluation, à laquelle doivent être associés l'ensemble des acteurs judiciaires.

1.2. La proposition de généraliser la cour criminelle

Sans respecter le calendrier prévu, le projet de loi tend à généraliser les cours criminelles départementales à l'ensemble du territoire.

À cette fin, de nouveaux articles, complétés par des mesures de coordination, seraient insérés dans le code de procédure pénale. Ils reprennent les dispositions appliquées jusqu'ici à titre expérimental.

Ainsi, le nouvel article 181-1 prévoit que le juge d'instruction, à l'issue de l'information judiciaire, met en accusation devant la cour criminelle départementale la personne contre laquelle il existe des charges suffisantes d'avoir commis, hors récidive, un crime puni de quinze ou vingt ans de réclusion criminelle, sauf s'il existe des co-accusés ne répondant à ces conditions.

Le délai d'audiencement serait, comme cela a été le cas pendant l'expérimentation, fixé à six mois, prolongeable une fois.

L'article 181-2 nouveau règle ensuite le problème qui peut survenir si le juge d'instruction renvoie, par erreur, l'accusé devant la cour d'assises au lieu de la cour criminelle, ou inversement. Dans ce cas, le procureur de la République ou une partie pourrait demander au président de la chambre de l'instruction de rectifier cette erreur en renvoyant, par une ordonnance motivée, l'accusé devant la juridiction compétente.

Un nouveau sous-titre intitulé « De la cour criminelle départementale » serait introduit dans le titre Ier du livre deuxième du code de procédure pénale, à la suite du sous-titre consacré à la cour d'assises. Il comporterait sept articles 380-16 à 380-22.

L'article 380-16 précise le champ de compétences de la cour criminelle en reprenant les mêmes critères que ceux appliqués pendant la durée de l'expérimentation : crimes punis de quinze ans ou vingt ans de réclusion (et délits connexes), commis hors récidive, jugés en premier ressort. La cour d'assises resterait compétente si ou plusieurs co-accusés ne répondent pas à ces conditions.

L'article 380-17 fixe la composition de la cour criminelle : le président et les quatre assesseurs sont désignés par le premier président de la cour d'appel. Le président est choisi parmi les présidents de chambre et les conseillers exerçant ou ayant exercé les fonctions de président de la cour d'assises, ce qui devrait favoriser une plus grande homogénéité entre les pratiques suivies aux assises et devant la cour criminelle. Les assesseurs sont choisis parmi les conseillers et les juges dans le ressort de la cour d'appel, deux d'entre eux pouvant être désignés parmi les magistrats à titre temporaire ou les magistrats honoraires.

En principe, la cour criminelle siège dans la même ville que la cour d'assises. Pour introduire un élément de souplesse, l'Assemblée nationale a cependant adopté un amendement du député Jean Terlier et de plusieurs de ses collègues permettant qu'elle siège dans un autre tribunal judiciaire du même département.

L'article 380-18 concerne l'audiencement des affaires : il est décidé par le président de la cour sur proposition du ministère public ou par le premier président de la cour d'appel à la demande du procureur général.

L'article 380-19 est relatif aux règles de procédure, qui sont identiques à celles applicables devant la cour d'assises, sous réserve des dispositions faisant référence aux jurés ou au jury qui sont ici sans objet. En particulier, les articles 254 à 267 du code de procédure pénale, relatifs aux fonctions de juré et à la formation du jury, ne sont pas applicables, de même que l'article 282, sur la communication de la liste des jurés à l'accusé, les articles 288 à 292, sur la révision de la liste du jury, ainsi que les deuxième et troisième alinéas de l'article 293 et les articles 295 à 305 sur la formation du jury.

Pour l'application des articles 359, 360 et 362 du code de procédure pénale (règles de majorité applicables pour prendre une décision défavorable à l'accusé, votes sur la culpabilité et sur la peine), la cour criminelle statue à la majorité.

Enfin, la cour délibère en étant en possession de l'entier dossier de la procédure.

L'article 380-20 envisage l'hypothèse où la cour criminelle estimerait, au cours ou à l'issue des débats, que les faits dont elle est saisie constituent un crime puni de trente ans de réclusion criminelle ou de la réclusion criminelle à perpétuité. Dans ce cas, la cour devrait renvoyer l'affaire devant la cour d'assises. S'il comparaissait détenu, l'accusé resterait en détention provisoire jusqu'à sa comparution devant la cour d'assises. Dans le cas contraire, il reviendrait à la cour criminelle de décider s'il convient de décerner un mandat de dépôt ou un mandat d'arrêt contre l'accusé après avoir entendu le ministère public et les parties ou leurs avocats.

L'article 380-21 prévoit que les décisions de la cour criminelle sont examinées en appel par la cour d'assises dans les mêmes conditions que pour l'appel des arrêts rendus par les cours d'assises en premier ressort.

Enfin, l'article 380-22 indique que la cour criminelle est assimilée à la cour d'assises pour l'application des dispositions relatives à l'aide juridictionnelle.

2. La position de la commission : prolonger l'expérimentation

Lors de l'examen du projet de loi relatif à diverses dispositions liées à la crise sanitaire, à d'autres mesures urgentes ainsi qu'au retrait du Royaume-Uni de l'Union européenne, le Sénat avait refusé que l'expérimentation de la cour criminelle soit étendue à trente départements, y voyant déjà les prémisses d'une généralisation qui ne disait pas son nom. Un compromis avait été trouvée autour du chiffre de dix-huit départements participant à l'expérimentation.

Un an plus tard, le Gouvernement propose de généraliser les cours criminelles à l'ensemble du territoire, sans attendre la fin de l'expérimentation et sans avoir procédé à l'évaluation prévue par la loi du 23 mars 2019.

Par cohérence, la commission a refusé cette généralisation, qu'elle juge prématurée, et elle demande que l'expérimentation aille à son terme et donne lieu in fine à un bilan partagé.

Il s'agit d'abord d'une question de principe : la généralisation souhaitée par le Gouvernement affaiblit le sens même de la démarche d'expérimentation. Il convient de respecter la méthode qui a été annoncée pour que la démarche d'expérimentation conserve sa crédibilité à l'avenir. Il s'agit d'un point d'autant plus essentiel que le choix de l'expérimentation avait été fait pour atténuer les craintes suscitées par la perspective d'abandonner le jury populaire, composante fondamentale de la justice criminelle dans notre pays depuis la Révolution.

Sur le fond, le Gouvernement met en avant de premiers retours d'expérience qui sont certes encourageants. Les députés ont réalisé une « mission-flash » sur les cours criminelles, qui a rendu ses conclusions le 16 décembre 2020 74 ( * ) . Puis un rapport d'évaluation a été rendu public le 11 janvier 2021 par la commission présidée par le magistrat honoraire Jean-Pierre Getti 75 ( * ) .

Il en ressort que la cour criminelle permet d'économiser du temps d'audience, environ un tiers, par rapport à la cour d'assises, tout en préservant l'oralité des débats. Dans les départements expérimentateurs, la présidence de la cour criminelle a été confiée à un président de cour d'assises qui a veillé à ce que le nombre de témoins et d'experts cités à l'audience demeure significatif. Stéphane Mazars et Antoine Savignat estiment toutefois dans leur communication que « l'absence de jurés conduit bel et bien à une perte de l'esprit et de la solennité qui caractérisaient la cour d'assises, ainsi qu'à un risque de déconnexion de la justice avec le peuple ». Le délai d'audiencement est raisonnable (6,5 mois pour les accusés détenus et 8,7 moins pour les accusés libres) 76 ( * ) , l'absence des formalités liées à la constitution du jury autorisant un gain de temps appréciable. Le taux d'appel est également plus faible pour les cours criminelles (21 %) que pour les cours d'assises (32 %), ce qui suggère que leurs décisions sont bien acceptées 77 ( * ) .

La mission Getti reconnaît cependant que les données dont elle a disposé étaient trop parcellaires pour qu'il fût possible d'en tirer des conclusions définitives. Au 13 novembre 2020, seulement 86 affaires avaient été jugées, impliquant 100 accusés. Il s'agissait à hauteur de 93 % d'affaires de viol ou de viol aggravé, essentiellement sur des mineurs de quinze ans.

La commission Getti indique ainsi, en page 9 de son rapport, que « dresser un bilan chiffré de l'activité des cours criminelles départementales, conformément à la lettre de mission du garde des sceaux, apparaît peu aisé en raison de l'absence de recul à l'instar du constat dressé par les différentes instances consultées (syndicats, associations, mission « flash » parlementaire). En effet, d'une part, l'expérimentation est encore trop récente pour être véritablement probante, et il est, à ce stade, difficile d'en tirer des conclusions significatives quant à la gestion du stock de dossiers et à la qualité des débats. D'autre part, les juridictions sélectionnées étant de taille diverses, les moyens et procédures mis en oeuvre pour mener l'expérimentation sont difficilement comparables ».

Le rapport Getti observe également que l'expérimentation a été ralentie par la grève des avocats puis par la crise sanitaire qui ont contraint à renvoyer des affaires.

Les personnes entendues par les rapporteurs ont souligné que les bons résultats d'une expérimentation menée pendant quelques mois ne présagent pas nécessairement de son succès à plus long terme : les juridictions qui se sont engagées dans l'expérimentation, sachant qu'elles seraient évaluées, ont certainement eu à coeur qu'elle se déroule dans les meilleures conditions. Qu'en sera-t-il si l'expérimentation est généralisée, une fois que des routines se seront installées et que la pression du stock d'affaires en attente incitera les acteurs du système judiciaire à accélérer leur jugement ?

La commission Getti est très prudente en ce qui concerne les effets de la création des cours criminelles sur la correctionnalisation 78 ( * ) des affaires criminelles. Elle note que la cour criminelle mobilise un grand nombre de magistrats et qu'il n'est donc pas exclu qu'elle soit à son tour embolisée, ce qui rendrait de nouveau attractive la pratique de la correctionnalisation. La direction des affaires criminelles et des grâces (DACG) a signalé aux rapporteurs plusieurs exemples d'affaires jugées par la cour criminelle qui auraient certainement été correctionnalisées en l'absence de l'expérimentation. Il est cependant difficile de tirer des conclusions définitives de ces quelques exemples encourageants.

On manque également de recul pour évaluer les effets de la cour criminelle sur l'activité des cours d'assises d'appel. Si les cours criminelles jugent un grand nombre d'affaires, ne risque-t-on pas d'assister dans quelques années, même si le taux d'appel reste modéré, à un surcroît d'activité difficile à gérer dans les cours d'assises d'appel ?

Au total, la solution la plus raisonnable consiste à poursuivre l'expérimentation, afin de pouvoir en dresser un bilan solide qui permettra au législateur de prendre une décision en disposant de tous les éléments d'évaluation.

L'expérimentation doit normalement s'achever en mai 2022, soit en pleine période électorale. Par l'adoption de l' amendement COM-79 de ses rapporteurs, la commission a donc décidé de prolonger d'un an l'expérimentation, ce qui donnera le temps au Parlement de se saisir de ce dossier en fin d'année 2022 ou en début d'année 2023 au terme d'un véritable bilan.

La commission a adopté l'article 7 ainsi modifié .

Article 8 (supprimé)
Expérimentation de la désignation d'avocats honoraires comme assesseurs
des cours d'assises et cours criminelles départementales

Cet article vise à permettre, à titre expérimental, le recrutement d'avocats honoraires pour siéger en tant qu'assesseurs au sein d'une cour d'assises ou d'une cour criminelle départementale.

Considérant que les avocats honoraires peuvent déjà participer aux cours criminelles départementales en tant que magistrats exerçant à titre temporaire et que le projet de loi prévoit leur participation aux cours d'assises à ce titre, la commission a refusé l'expérimentation perçue comme une défiance à leur égard par les magistrats, sans par ailleurs faire consensus chez les avocats.

Elle a supprimé en conséquence cet article.

1. L'expérimentation proposée : faire participer les avocats honoraires au jugement des crimes en qualité d'assesseurs

L'article 8 du projet de loi a pour objet de permettre, à titre expérimental, le recrutement d'avocats honoraires pour siéger au sein d'une cour d'assises - y compris d'appel - ou d'une cour criminelle départementale en tant qu'assesseurs. L'expérimentation durerait trois ans et concernerait de deux à vingt départements qui seraient déterminés par arrêté du ministre de la justice.

Il est complété par un article du projet de loi organique qui fixe les conditions pour exercer ces fonctions 79 ( * ) .

Cette mesure reprend une recommandation formulée en décembre 2020 par les députés Stéphane Mazars et Antoine Savignat dans le cadre de leur mission « flash » sur les cours criminelles. L'expérimentation se justifierait par les incertitudes quant au nombre d'avocats honoraires qui se porteraient effectivement candidats à ces fonctions 80 ( * ) .

Ce nouveau statut d'avocat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles s'ajouterait à celui de magistrat exerçant à titre temporaire (MTT) 81 ( * ) . Ce statut, qui existe depuis 1995 82 ( * ) , permet le recrutement de « membres ou anciens membres des professions libérales juridiques et judiciaires soumises à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé » qui justifie de cinq années au moins d'exercice professionnel, et parmi ceux-ci les avocats, en exercice ou honoraires 83 ( * ) .

Comparaison entre les statuts

Avocat nommé en qualité de magistrat
exerçant à titre temporaire (MTT)

Avocat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles (AHFJ)

Age

35 ans au moins

75 ans au plus

Pas d'âge minimal, mais être avocat honoraire implique 20 années d'exercice professionnel au minimum

75 ans au plus

Activité d'avocat

Il peut être nommé, qu'il exerce encore son activité d'avocat ou non.

Obligation de justifier de 5 années au moins d'exercice professionnel en qualité d'avocat.

L'avocat honoraire n'exerce plus sa profession 84 ( * ) .

Obligation d'être avocat honoraire, ce qui implique au moins 20 années d'exercice professionnel.

Durée du recrutement

5 ans, renouvelable une fois

3 ans, dans la limite de la durée de l'expérimentation qui est également de 3 ans

Compétences

Juge du contentieux de la protection

Assesseur en formation collégiale civile ou pénale du tribunal judiciaire

Juge du tribunal de police

Assesseur à la cour criminelle départementale

Assesseur à la cour d'assises

Assesseur à la cour criminelle départementale

Formation initiale

Formation probatoire de 10 jours à l'École nationale de la magistrature (ENM) et stage allant de 40 à 80 jours sur 6 mois 85 ( * ) .

Formation préalable uniquement, dont la durée sera fixée par décret et qui sera plus réduite que celle des MTT compte tenu des compétences plus limitées des AHFJ et par leur expérience professionnelle antérieure.

Formation continue

Obligation de formation continue

Non prévue dans le temps de l'expérimentation.

Interdiction relative aux fonctions d'avocat

Interdiction d'avoir exercé les fonctions d'avocat notamment depuis 5 ans dans le ressort du tribunal judicaire

Ne peut exercer sa profession dans le ressort du tribunal judicaire d'affectation.

Interdiction d'avoir exercé les fonctions d'avocat notamment depuis 5 ans dans le ressort de la cour d'appel

Ne peut exercer aucun acte d'une profession libérale juridique et judiciaire, ni mission d'arbitrage, d'expertise, de conciliation, de médiation dans le ressort de la cour d'appel d'affectation.

Source : Commission des lois du Sénat sur la base des réponses
de la direction des services judiciaires au questionnaire des rapporteurs

Afin de respecter le principe d'indépendance de l'autorité judiciaire, il est prévu qu'en cas de désignation d'un avocat honoraire comme assesseur au sein d'une cour d'assises ou d'une cour criminelle départementale, aucun magistrat exerçant à titre temporaire ou magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles ne puisse également être nommé comme assesseur. Le Conseil constitutionnel a en effet jugé que ce principe constitutionnel empêche qu'au sein d'une juridiction, plus d'un tiers des fonctions normalement réservées à des magistrats de carrière ne soient exercées par des magistrats recrutés provisoirement 86 ( * ) .

Le but du recrutement des magistrats honoraires sous ce nouveau statut serait multiple :

- « concilier la présence d'un regard extérieur et le maintien des compétences juridiques de la formation de jugement », comme suggéré par Stéphane Mazars et Antoine Savignat ; cette expérimentation pourrait ainsi, selon la Chancellerie, conforter « le sentiment que la justice mêle de nombreuses expériences professionnelles, spécialement celles garantissant une expertise particulière des droits de la défense » 87 ( * ) ;

- renforcer et valoriser les échanges inter-professionnels entre avocats et magistrats ;

- plus prosaïquement, permettre de faire face à la généralisation des cours criminelles sur le plan des ressources humaines : la participation d'un avocat honoraire à chaque audience permettrait, selon les projections du ministère, de libérer 9,2 équivalents temps plein travaillés (ETPT) de magistrat par an.

L'article 8 a peu évolué à l'Assemblée nationale, à l'exception de modifications rédactionnelles ou de coordination.

2. La position de la commission : s'en tenir au statut des magistrats à titre temporaire (MTT) qui permet déjà aux avocats honoraires de participer au jugement des crimes

Ainsi que l'a jugé le Conseil constitutionnel lors de la création des magistrats à titre temporaire (MTT) 88 ( * ) , « la Constitution ne fait pas obstacle à ce que, pour une part limitée, des fonctions normalement réservées à des magistrats de carrière puissent être exercées à titre temporaire par des personnes qui n'entendent pas pour autant embrasser la carrière judiciaire, à condition que , dans cette hypothèse, des garanties appropriées permettent de satisfaire au principe d'indépendance qui est indissociable de l'exercice de fonctions judiciaires ; qu'il importe à cette fin que les intéressés soient soumis aux droits et obligations ».

La participation d'avocats honoraires au jugement des crimes en qualité d'assesseurs de cour d'assises ou de cour criminelle ne semble donc pas poser de difficultés juridiques particulières, à condition que leur statut apporte les garanties d'indépendance suffisantes.

En revanche, il a semblé aux rapporteurs que cette mesure n'était ni utile ni opportune.

Les avocats honoraires - comme les avocats en exercice - peuvent déjà, à titre pérenne puisqu'il ne s'agit pas d'une expérimentation, participer aux formations des cours criminelles en tant que magistrats à titre temporaire 89 ( * ) . Le projet de loi propose d'ailleurs d'élargir leurs compétences à celles d'assesseurs de cour d'assises 90 ( * ) .

Ce qui est visé dans le cadre de l'expérimentation est donc parfaitement possible dans le cadre du statut existant de magistrats à titre temporaire.

Par ailleurs, s'agissant des échanges interprofessionnels entre magistrats et avocats, il ne semble pas qu'une mesure perçue par les magistrats comme une mesure de défiance à leur égard - puisqu'il serait nécessaire de leur apporter une expertise extérieure en matière des droits de la défense - puisse instaurer efficacement un tel dialogue. Certains syndicats d'avocats y sont également opposés, invoquant de leur côté une « confusion des genres » et une simple « logique de réduction de stocks » 91 ( * ) ou de « considérations budgétaires » 92 ( * ) .

Dans ces conditions, à l'initiative de ses rapporteurs, la commission a adopté l'amendement COM-80 de suppression de cet article.

Par coordination, la commission a également supprimé l'article du projet de loi organique qui fixe le statut des avocats honoraires exerçant des fonctions juridictionnelles 93 ( * ) .

La commission a supprimé l'article 8.


* 70 Lorsqu'il estime avoir terminé son information, le juge d'instruction en informe les parties, qui disposent alors d'un délai pour lui adresser des observations écrites.

* 71 Au cours du délibéré, les jurés et les magistrats répondent à une série de questions portant sur la reconnaissance de la culpabilité de l'accusé, sur l'existence de circonstances aggravantes, sur l'existence éventuelle de causes d'irresponsabilité pénale, etc.

* 72 L'auteur d'un crime peut se voir infliger une peine d'emprisonnement, dont la durée ne peut être inférieure à un an ni excéder dix ans.

* 73 Deux prolongations de six mois sont possibles devant les assises.

* 74 Cf. la communication de ses rapporteurs Stéphane Mazars et Antoine Savignat ( SUPER_TEMPLATE (assemblee-nationale.fr)

* 75 rapport_getti.pdf (dalloz-actualite.fr)

* 76 Il était en 2015 de 40,6 mois pour les assises.

* 77 Cette comparaison ne porte pas toutefois sur des champs infractionnels identiques et pourrait donc être affinée.

* 78 La pratique de la correctionnalisation consiste à requalifier en délit une infraction qui devrait normalement être qualifiée de crime afin qu'elle soit jugée plus rapidement par le tribunal correctionnel.

* 79 Voir le commentaire de l'article 3 du projet de loi organique.

* 80 Selon l'étude d'impact, au 1 er janvier 2020, 6 318 avocats honoraires ont été recensés sur l'ensemble du territoire, dont 28% (1781) inscrits au barreau de Paris.

* 81 Articles 41-10 à 41-16 de l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature.

* 82 Loi organique n° 95-64 du 19 janvier 1995 modifiant l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 relative au statut de la magistrature.

* 83 461 magistrats exercent à titre temporaire ; parmi eux, il y a 107 avocats, dont 11 avocats honoraires (cf. chiffres de l'étude d'impact).

* 84 En application de l'article 13.3 du Règlement intérieur national de la profession d'avocat (RIN), il ne peut exercer aucun acte de la profession hormis la consultation ou la rédaction d'actes, sur autorisation du bâtonnier.

* 85 Le Conseil supérieur de la magistrature (CSM) peut décider une dérogation de stage probatoire. Dans ce cas, elle est remplacée par une formation préalable à la prise de fonction de 10 jours à l'ENM et un stage de 40 jours.

* 86 Décision du Conseil constitutionnel n° 2019-779 DC du 21 mars 2019 [Loi organique n° 2019-221 du 23 mars 2019 relative au renforcement de l'organisation des juridictions].

* 87 Voir l'étude d'impact, page 134.

* 88 Décision n° 94-355 DC du 10 janvier 1995 [Loi organique modifiant l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 relative au statut de la magistrature].

* 89 De manière plus ponctuelle, les avocats peuvent également être appelés à compléter une formation de jugement dans le cadre de l'article L. 212-4 du code de l'organisation judiciaire.

* 90 Voir l'alinéa 6 de l'article 6 du projet de loi.

* 91 Déclarations de la Fédération Nationale des Unions des Jeunes Avocats (FNUJA) aux rapporteurs.

* 92 Déclarations du Syndicat des Avocats de France (SAF) aux rapporteurs.

* 93 Voir commentaire de l'article 3 du projet de loi organique.

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