EXAMEN EN COMMISSION

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MERCREDI 1 ER DÉCEMBRE 2021

M. François-Noël Buffet , président . - Nous examinons maintenant la proposition de loi relative à la commémoration de la répression d'Algériens le 17 octobre 1961 et les jours suivants à Paris.

Mme Valérie Boyer , rapporteure . - La proposition de loi déposée par Temal et plusieurs de ses collègues du groupe Socialiste Écologiste et Républicain a deux objectifs qui se traduisent dans ses deux articles. Le premier tend à reconnaître la responsabilité de la France dans la répression de la manifestation pacifique d'Algériens réclamant l'indépendance de leur pays à Paris le 17 octobre 1961 et les jours suivants. Le second article prévoit une commémoration annuelle en hommage aux victimes de cette répression.

Je ne reviendrai pas sur les faits et sur le déroulement de la journée du 17 octobre 1961 et des jours suivants. Je rappelle simplement que le texte qui nous est soumis a une vocation symbolique et mémorielle et non pas pénale puisque les faits survenus il y a plus de soixante ans sont soit couverts par l'amnistie décidée en 1962, soit prescrits.

Après une occultation des faits par l'ensemble des acteurs politiques, pour des raisons différentes, les historiens se sont rapidement saisis de cet événement pour en établir le déroulement et les causes. Dès 1985, un premier ouvrage historique paraissait sur la question, et en 1986 l'historien Michel Winock lui consacrait un article dans le journal Le Monde .

Selon l'estimation de deux historiens britanniques, Jim House et Neil MacMaster, plus d'une centaine de livres et d'articles consacrés spécifiquement à cet événement ont été publiés de 1985 à 2005. Ce chiffre a déjà été dépassé pour la période plus courte qui va de 2006 à 2021. Le travail historique est donc considérable et a abouti à de nombreux points de consensus entre les historiens.

Parallèlement à ce travail scientifique, un travail de mémoire s'est engagé porté par des associations et des historiens militants. Depuis 2001 une commémoration annuelle est organisée par la Ville de Paris, commémoration à laquelle le Président de la République s'est associé cette année.

En 2012, à l'initiative de notre ancienne collègue la présidente Nicole Borvo Cohen-Seat, le Sénat avait adopté une résolution tendant à ce que la France reconnaisse la répression de la manifestation du 17 octobre et qu'un lieu de souvenir à la mémoire des victimes soit créé.

Le président François Hollande a effectivement en 2012 déclaré : « Le 17 octobre 1961, des Algériens qui manifestaient pour le droit à l'indépendance ont été tués lors d'une sanglante répression. La République reconnaît avec lucidité ces faits. » Un communiqué de presse de la présidence de la République du 17 octobre dernier comporte pour sa part la déclaration suivante : « Les crimes commis cette nuit-là sous l'autorité de Maurice Papon sont inexcusables pour la République. »

On ne peut donc que constater l'importance du travail historique et mémoriel déjà accompli, y compris par le Sénat.

La proposition de loi soumise à notre examen nous propose d'aller plus loin et de reconnaître par la loi la responsabilité de la France. Je tiens à souligner le caractère mesuré de la formulation retenue qui vise la répression sans la qualifier pénalement.

Cependant, reconnaître la responsabilité de la France ne peut recueillir le consensus.

D'une part, parmi les historiens et militants, le souhait de voir des responsabilités clairement attribuées persiste, au-delà de la responsabilité du préfet de police de l'époque. Ceux qui sont favorables à cette proposition de loi m'ont indiqué qu'elle constituait une « première étape » dans la reconnaissance de la responsabilité. Elle ne pourrait donc pas clore le débat.

D'autre part, la proposition de loi isole le 17 octobre 1961 du contexte des violences liées à la guerre d'Algérie en métropole. Or cette mise en contexte est l'un des enjeux majeurs du débat entre historiens aujourd'hui, entre ceux qui estiment que les violences sont liées à la vague d'attentats du Front de libération nationale (FLN) visant particulièrement les policiers - 22 tués et 79 blessés en 1961, pour un total de 47 morts et 140 blessés depuis 1957 en métropole -, et ceux qui estiment qu'elle résulte d'une « terreur d'État » mise en place par les opposants à l'indépendance de l'Algérie.

Il me paraît impossible d'envisager de reconnaître la responsabilité de la France sans prendre en compte les violences, et particulièrement les attaques contre les policiers. Le climat de tension était intense à l'époque, notamment en raison de la lutte sanglante entre mouvements indépendantistes, le FLN et le Mouvement national algérien (MNA), que décrit bien le livre de Jean-Paul Brunet, Police contre FLN : le drame d'octobre 1961.

Outre cette question importante, la formulation proposée par l'article 1 er fait débat. N'est mentionnée en effet que la revendication de l'indépendance de l'Algérie. Or il m'a été indiqué avec force lors de mes auditions que c'est d'abord la protestation contre le couvre-feu de fait, qui avait été instauré par la préfecture de police et qui était ressenti comme discriminatoire, qui était l'objet de la manifestation. Mentionner la seule revendication indépendantiste ne reflète pas la volonté des porteurs de la mémoire de l'événement. Je note aussi que Benjamin Stora évoque, pour sa part, dans son rapport remis en janvier dernier au Président de la République, s'agissant du 17 octobre 1961, la répression de travailleurs algériens. Voilà qui est une troisième vision de l'événement.

Ainsi tant sur la responsabilité de la France que sur les motivations de l'événement, l'article 1 er ne me semble pouvoir être l'objet d'un consensus et risque de susciter de nouveaux débats.

Je me suis également interrogée sur le choix de décrire les manifestants comme « Algériens », ce qui était juridiquement inexact au moment des faits. La nationalité algérienne, en effet, n'existait pas à l'époque. Tous les citoyens résidant en Algérie avaient la même nationalité et les mêmes droits civiques depuis les réformes de 1944 et 1956. La différence concernait le statut civil. Je rappelle que, depuis le décret Crémieux de 1870, les juifs d'Algérie étaient devenus Français à part entière, car ils avaient accepté le code civil, à la différence des musulmans d'Algérie qui ne l'ont pas accepté, notamment à cause de la législation sur le mariage ou l'héritage. J'ai cependant constaté que cette formule fait consensus parmi les historiens, qui se fondent notamment sur la perception que les manifestants pouvaient avoir d'eux-mêmes en tant qu'Algériens et non en tant que Français musulmans d'Algérie, alors que d'autres, notamment les supplétifs de l'armée et de la police française, se considéraient comme Français.

J'en viens maintenant à l'article 2 et à la mise en place d'une commémoration annuelle. La mise en place d'une telle commémoration par la loi me paraît inadaptée pour deux raisons. La première est que la loi du 6 décembre 2012, dans une volonté de réunir les différentes mémoires de la guerre a déjà reconnu le 19 mars comme journée nationale du souvenir et de recueillement à la mémoire des toutes les victimes civiles et militaires de la guerre d'Algérie et des combats en Tunisie et au Maroc. On peut discuter de la date choisie, mais la commémoration existe pour toutes les victimes.

Dès lors, reconnaître par la loi la nécessité de commémorer les victimes du 17 octobre et des jours suivants appellera nécessairement la reconnaissance par la loi d'autres dates pour les autres victimes. Je rappelle c'est par décret qu'a été mise en place en 2003 la journée nationale d'hommage aux harkis et autres membres des formations supplétives, le 25 septembre.

Outre les difficultés qui s'attachent à toute loi mémorielle, cette proposition de loi risque de conduire à de nouvelles revendications et à une concurrence des mémoires que nous souhaitons tous éviter. D'autres épisodes sanglants ont eu lieu, comme ceux de la rue d'Isly en 1962 ou ceux du 5 juillet de la même année à Oran, qui ne sont pas prévus par la loi aujourd'hui.

La séance publique nous permettra de connaître la position du Gouvernement sur la question des mémoires de la guerre d'Algérie et peut-être de la clarifier. Hier, un groupe de jeunes descendants des acteurs de la guerre d'Algérie a remis ses préconisations pour une mémoire apaisée au Président de la République. Il me semble que cela constitue une piste intéressante. Je crois que nous devons éviter de « saucissonner » les commémorations et de créer un millefeuille mémoriel autour de la guerre d'Algérie ; la loi a déjà prévu deux dates - le 19 mars et le 5 décembre -, auxquelles s'ajoute la date du 25 septembre, prévue par décret. À titre personnel, j'aurais d'ailleurs préféré qu'il n'y ait qu'une seule date, celle de tous les Français et de ceux qui ont choisi la France.

Pour l'ensemble des raisons indiquées, je vous propose de ne pas adopter le texte de cette proposition de loi.

M. Jean-Pierre Sueur . - Je vous ai écoutée avec attention. Selon vous, si l'on décidait de commémorer le 17 octobre, il faudrait commémorer aussi bien d'autres événements. Pendant longtemps on a préféré parler des « événements » d'Algérie. La « guerre » n'a été reconnue que tardivement. Bien des atrocités ont eu lieu, de part et d'autre, c'est vrai. Toutefois, les faits qui se sont passés le 17 octobre 1961 sont particulièrement marquants : des corps ont été jetés dans la Seine ! Si on repousse à chaque fois ce genre de tentatives destinées à prendre en compte les souffrances, on ne fera rien et on ne parviendra pas à construire une mémoire apaisée, comme vous le souhaitez pourtant.

Je me rends aux cérémonies de commémoration le 19 mars. Cette cérémonie est organisée dans des milliers de communes ; les anciens combattants d'Algérie s'y retrouvent. Je ne comprends pas le fondement historique de la date du 5 décembre : il semblerait qu'elle ait été choisie, car elle correspondait au seul jour de libre dans l'agenda du Président de la République pour inaugurer un moment à Paris... Reconnaître la date du 17 octobre contribuerait, de manière non négligeable, à l'apaisement que nous recherchons tous. D'ailleurs, avec sa participation à une cérémonie le 17 octobre dernier, le Président de la République a engagé la République. J'espère que notre commission votera cette proposition de loi.

Mme Esther Benbassa . - En écoutant notre rapporteure, j'ai eu l'impression, par moments, qu'elle réécrivait l'histoire. Le couvre-feu était dû à la guerre d'Algérie ; des manifestations avaient lieu à Paris. On ne peut dissocier les deux. Les habitants de l'Algérie, dites-vous, étaient Français, c'est vrai, mais le décret Crémieux de 1870 ne visait pas les Arabes musulmans - c'est d'ailleurs toujours un point de friction entre juifs et musulmans en France. Il est difficile d'affirmer aussi que Maurice Papon était seul responsable de la répression : il n'a pas agi seul ! Il faut donc que la France assume cette répression envers les manifestants algériens. Il est temps, si l'on veut parvenir à la réconciliation et à l'apaisement, de reconnaître cette répression qui constitue un facteur d'identité des Algériens en France et donne lieu à différents rassemblements de leur part. Cela contribuerait aussi à la réconciliation avec l'Algérie.

M. Guy Benarroche . - Le dossier est complexe et sensible. Le conflit en Algérie était une véritable guerre, qui a laissé des cicatrices profondes. Je salue cette proposition de loi visant à créer un jour de commémoration officiel pour rendre hommage aux victimes d'une répression organisée. Le Président de la République l'a reconnu, en qualifiant les crimes commis cette nuit-là « sous l'autorité » de Maurice Papon, et non « par » Maurice Papon - j'insiste - d'« inexcusables pour la République». Maurice Papon était à l'époque préfet de police. Le Président de la République reconnaît ainsi l'existence d'un crime d'État qui a été préparé à l'avance. Les historiens ont montré, en effet, que plusieurs disparitions suspectes avaient eu lieu les jours précédents. Nous voterons ce texte et demandons que les archives soient totalement ouvertes aux historiens.

Mme Jacqueline Eustache-Brinio . - Merci à notre rapporteure d'avoir rappelé le contexte historique. Je suivrai son avis. Nous avons tous une volonté d'apaisement s'agissant de la guerre d'Algérie. Je ne suis pas sûr que ce genre de texte, qui nous installe dans une repentance permanente, y contribue. Il ne faut pas confondre le travail des historiens et celui du législateur. Il appartient aux historiens de rappeler ce que la France a fait de mal et de bien. Des atrocités ont été commises, il faut le reconnaître. Mais des Français vivant en Algérie ont aussi été meurtris, et on n'en parle guère. Ce n'est pas en remuant le passé et en se flagellant que l'on parviendra à apaiser les mémoires et à résorber les tensions avec l'Algérie.

M. Patrick Kanner . - Notre rapporteure préférerait que l'on parle de manifestants de nationalité française, plutôt que de manifestants algériens. Or, c'est lors d'un comité interministériel du 5 octobre 1961 que le préfet de police a décidé de mettre en place un couvre-feu « pour tous les travailleurs musulmans algériens » entre 20 h 30 et 5 h 50. Ceux qui se rendaient à leur travail pendant le couvre-feu devaient fournir un formulaire de leur employeur visé par le service d'assistance technique aux Français musulmans d'Algérie. Cette obligation a permis à la préfecture de police de ficher 14 000 Algériens. Si nous employons le terme de manifestants algériens dans cette proposition de loi, c'est à dessein. Il s'agissait peut-être de Français, mais alors de seconde zone.

Mme Brigitte Lherbier . - L'« apaisement » est un mot qui est revenu souvent. J'ai eu, parmi mes élèves, beaucoup d'étudiants d'origine algérienne. Ils veulent savoir ce qui s'est passé et se tournent vers les historiens. En revanche, dans les banlieues, les jeunes ne sont pas animés par un désir de recherche historique : ils sont en recherche d'identité ; tout est prétexte pour trouver, dans l'histoire, un exutoire à leur mal-être et des justifications à la violence. C'est compréhensible, car ces jeunes sont tiraillés entre deux cultures, mais cela relève plus de la sociologie que de l'histoire. Plus on parlera des violences qui ont eu lieu dans le passé contre leurs grands-parents, plus on risque de susciter chez eux un sentiment d'amalgame, et donc de créer des tensions. Ce n'est pas en ressassant le passé qu'on les incitera à aimer la France.

M. Philippe Bas . - Je suivrai l'avis de notre rapporteure. Lorsque le président Chirac a reconnu en 1995 la responsabilité de la France, non de l'État, dans la rafle du Vél' d'Hiv, il a pesé ses mots. Il s'appuyait sur une réalité historique : il a considéré que ce n'était pas simplement une administration qui avait commis le crime, mais bien la France. Sa déclaration a fait l'objet de contestations à l'époque. Elle est en effet très grave au sens où elle est empreinte de gravité. Mais on peut considérer que, dans la collaboration, il y a à l'oeuvre un antisémitisme qui exprime une certaine réalité française.

Puisque cette proposition de loi reprend les mêmes termes que ceux employés par Jacques Chirac, je me demande si l'on a affaire à des événements, quelle que soit leur gravité, de même nature et qui impliquent la Nation française. Je ne peux pas supporter l'idée que je doive assumer, en tant que Français, une part de responsabilité historique dans la répression sanglante d'une manifestation commise durant une guerre qui a donné lieu à des actes barbares de part et d'autre. Il me semble qu'il y a une forme de partialité à vouloir faire reconnaître la responsabilité de la France, et non simplement du préfet de police, voire de sa hiérarchie, pour des événements qui s'inscrivent dans un conflit qui a connu tant d'autres atrocités. Est-il justifié de reconnaître unilatéralement, comme les bourgeois de Calais, notre responsabilité, sans attendre de réciprocité de la part du gouvernement algérien, qui est l'héritier d'un mouvement qui a aussi commis des actes de barbarie ? Peut-être les Algériens considèrent-ils qu'ils avaient le droit pour eux, mais des atrocités ont bien eu lieu. Si je trouve ignoble la répression du 17 octobre 1961, je trouve excessif de reprendre les termes utilisés par Jacques Chirac en 1995 pour reconnaître la responsabilité de la France dans la rafle du Vél' d'Hiv.

Monsieur Sueur, la date du 5 décembre n'a pas été a été instaurée comme date de mémoire par le Président de la République en fonction de la disponibilité de son agenda, mais bien par le Parlement lorsqu'il a voté la loi du 23 février 2005. Il s'agissait de parvenir à une forme de consensus, qui n'a jamais existé en France, sur la célébration de la paix. Pour beaucoup de Français, on ne pouvait retenir la date du 19 mars, date anniversaire de la proclamation du cessez-le-feu en Algérie, car il y a eu des morts après cette date. Il n'est pas correct d'abaisser ainsi le choix de la date du 5 décembre en la réduisant à un motif de pure convenance personnelle.

M. Arnaud de Belenet . - Nous partageons l'avis de notre rapporteure et la remercions pour sa clarté et sa pondération. Comme l'a rappelé Philippe Bas, l'apaisement ne peut être unilatéral, pas plus que la construction de la mémoire.

Mme Éliane Assassi . - Je remercie notre rapporteure d'avoir fait référence à la proposition de résolution que nous avions déposée en 2012 et qui avait été, d'ailleurs, adoptée. Toutefois, je ne peux partager ses conclusions. Certains propos tenus à l'instant m'ont heurtée. Je ne peux accepter d'entendre que les jeunes d'origine algérienne seraient des abrutis qui recherchent un prétexte à la violence. Ce qu'ils veulent, c'est connaître la vérité. Il conviendrait de verser aux archives nationales les archives de la préfecture de police. Voilà qui constituerait un acte d'apaisement !

Mme Catherine Di Folco . - Je partage les propos de Philippe Bas. Une question technique : l'article 1 er relève-t-il bien du domaine législatif ?

M. Éric Kerrouche . - Cette question est étonnante : le Parlement a déjà eu l'occasion de voter des lois mémorielles, comme celle reconnaissant le génocide arménien. Manifestement, l'exercice de la mémoire est différent selon les bancs !

Je ne suis pas sûr, à la différence de Philippe Bas, qu'il y ait une gradation dans l'horreur. Ce n'est pas parce que l'on désigne les choses avec le même mot qu'elles deviennent identiques. La gravité d'un acte ne saurait en excuser un autre. Vous évoquez la réciprocité. Mais ce n'est pas la question de ce texte ! Faire un devoir de mémoire, reconnaître la responsabilité de la France dans la répression du 17 octobre 1961, ce n'est pas se mettre en situation de faiblesse par rapport à l'Algérie. C'est simplement reconnaître la responsabilité de la France à l'égard des victimes. J'ai été heurté par les propos de Brigitte Lherbier. Évitons d'essentialiser les sujets, en accréditant l'idée que les populations immigrées d'origine algérienne seraient incapables de s'intégrer, qu'il s'agit de populations à problèmes...

Mme Brigitte Lherbier . - Ce n'est pas ce que j'ai dit !

M. Éric Kerrouche . - Il faut faire attention à ses propos. Chacun a sa mémoire, sa culture ; nous avons tous des origines variées et cela ne nous empêche pas de nous intégrer, d'appartenir à ce pays et de l'aimer.

M. François-Noël Buffet , président . - Je n'ai pas entendu de propos désobligeants dans cette discussion. C'est l'honneur de notre commission de parvenir à échanger de manière courtoise et respectueuse, quels que soient les sujets.

M. Jean-Yves Leconte . - Savoir assumer notre histoire dans sa complexité est une force, aussi bien en interne qu'à l'égard de l'extérieur. Il s'agit de regarder notre histoire en face. L'enjeu n'est donc pas la réciprocité, mais la lucidité. Cette démarche est source de force et nous permet aussi d'exprimer des exigences, le cas échéant, à l'égard d'autres pays.

Notre rapporteure a évoqué la différence entre le statut civil de droit local et le statut de droit commun : en tant que sénateur des Français de l'étranger, je reçois de nombreux dossiers de demande de nationalité. Je suis toujours très étonné. Notre République d'aujourd'hui n'est plus la République des années 1950. Il ne serait pas concevable à l'heure actuelle que des personnes de même nationalité aient des droits différents. Cette histoire continue de peser sur les générations suivantes. Je m'étonne que pour prouver la nationalité d'une personne, il faille parfois se référer, encore aujourd'hui, à des décrets qui datent de 1870.

M. François Bonhomme . - Notre débat confirme que l'apaisement n'est pas toujours au rendez-vous. Je rejoins Catherine Di Folco : toutes les lois mémorielles ne sont pas les bienvenues. Les historiens, dont c'est le domaine de compétence, sont d'ailleurs les premiers à les regretter. C'est pourquoi les initiatives visant à faire reconnaître tel ou tel fait historique dans la loi me rendent toujours un peu fébrile.

En l'occurrence, les faits historiques qui nous occupent aujourd'hui sont parfaitement connus et dénoncés. La France a fait un travail d'examen de conscience considérable. Je ne suis pas sûr que le même travail ait été fait de l'autre côté de la Méditerranée. Protégeons la discipline historique de toute interférence de cette nature.

Mme Valérie Boyer , rapporteure . - Je vous remercie de vos interventions. Elles montrent que, soixante ans après, les cicatrices ne sont toujours pas refermées. Elles montrent aussi que nous devons être prudents afin de ne pas tomber dans la concurrence des mémoires.

Je n'ai pas choisi d'être rapporteure de ce texte qui ravive des difficultés, y compris personnelles. Je vais néanmoins m'efforcer de répondre à chacun.

Vous avez raison, monsieur Sueur, les mémoires évoluent, l'interprétation des faits et des connaissances historiques aussi. J'estime que sur cette question, le meilleur ouvrage est celui de Jean-Paul Brunet, qui était un homme de gauche. Il ne me semble donc pas que je puisse être suspectée pour cette référence. Toutefois, ce n'est pas par la loi que nous pourrons apaiser cette question. Le travail mémoriel est important, mais à mon sens il ne sera pas facilité par ce texte.

Monsieur Kanner, je rappelle que la notion juridique employée à l'époque était effectivement celle de Français musulman d'Algérie. On employait alors le terme d'Algérien comme celui de Breton, de Provençal ou d'Alsacien. Toutefois, vous avez raison, les personnes issues des trois départements d'Algérie étaient alors considérées comme des citoyens de seconde zone, et ce, quelle que soit leur religion. Je vous rappelle les propos de Gaston Defferre sur les rapatriés. À l'époque, la violence des propos et des actes était extrême.

Chère Jacqueline Eustache-Brinio, je partage votre constat : cette proposition de loi n'apportera pas l'apaisement, c'est d'ailleurs pourquoi je vous inviterai à la rejeter.

Madame Benbassa, monsieur Benarroche, l'époque était effectivement très violente. On ne peut pas analyser ce texte sans cette mise en contexte. Il n'y a hélas pas eu que le 17 octobre 1961. Pour le Front de libération nationale (FLN), la France métropolitaine et Paris étaient divisés en wilayas . Même si les faits furent à l'époque qualifiés d'« événements », il s'agissait bien d'une guerre civile, dont Jean-Jacques Jordi estime le nombre de morts à 275 500. Des assassinats étaient perpétrés quotidiennement contre la police française, qui déplorait aussi de nombreux blessés. Jean-Paul Brunet décrit très bien la répression orchestrée contre les Français musulmans d'Algérie, et le racket organisé par le FLN pour lever l'impôt révolutionnaire.

La violence de la manifestation du 17 octobre 1961 contre le couvre-feu s'inscrit dans ce contexte très violent. Si des morts sont imputables à la police, d'autres le sont au MNA et au FLN. La notion de crime d'État est grave, elle fait débat, et j'estime qu'on ne peut pas en discuter au travers de ce texte.

Monsieur Bas, je vous remercie de votre analyse profonde, que je partage pleinement. On ne peut pas analyser isolément les événements du 17 octobre. Ce n'est pas parce que les Français ont perdu cette guerre que cette histoire doit toujours être racontée d'une façon qui les met en cause. Contrairement à la date du 19 mars qui fait toujours débat, le 5 décembre est une date d'apaisement. On peut rendre hommage au président Chirac de l'avoir choisie.

Je partage votre analyse, monsieur de Belenet : ce n'est pas par le biais d'une repentance unilatérale que nous parviendrons à l'apaisement.

Madame Assassi, la vérité peut effectivement apaiser. J'ai signalé le travail d'étudiants qui ont remis leurs conclusions hier au Président de la République. Cela montre que les historiens travaillent toujours et que les mémoires évoluent.

Madame Di Folco, il est exact que l'article 1 er est dépourvu de portée normative. Il s'agit d'un texte symbolique et mémoriel.

Monsieur Kerrouche, je vous accorde qu'il n'y a pas de gradation dans l'horreur, mais mettre en cause la responsabilité de la France est grave, et j'estime qu'il n'appartient pas à la loi de trancher, en tout cas pas cette question précise.

Monsieur Leconte, les Français musulmans d'Algérie ont fait le choix de conserver le droit local musulman en matière civile. C'est parce que la France les a respectés dans leur choix qu'ils n'ont pas bénéficié d'un décret Crémieux qui leur soit adapté.

Le Parlement a reconnu le génocide arménien, mais il l'a fait parce que certains Français d'origine arménienne qui sont toujours menacés. Malheureusement, l'actualité récente a démontré l'utilité d'une telle reconnaissance. La démarche qui préside au texte qui nous est proposé est totalement différente, et c'est pourquoi je vous invite à le rejeter.

M. François-Noël Buffet , président . - Je vous propose de considérer qu'entrent dans le périmètre du texte les dispositions relatives aux événements liés à la manifestation du 17 octobre 1961 et aux jours suivants.

EXAMEN DES ARTICLES

Article 1 er

L'article 1 er n'est pas adopté.

Article 2

L'article 2 n'est pas adopté.

Après l'article 2

L'amendement COM-1 est déclaré irrecevable en application de l'article 45 de la Constitution.

La proposition de loi n'est pas adoptée.

Conformément au premier alinéa de l'article 42 de la Constitution, la discussion en séance portera en conséquence sur le texte initial de la proposition de loi déposée sur le Bureau du Sénat.

Le sort de l'amendement examiné par la commission est retracé dans le tableau suivant :

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

Article additionnel après l'article 2

M. CANÉVET

1

Attribution du bénéfice d'une demi-part fiscale supplémentaire aux veuves de 74 ans et plus, quel que soit l'âge du décès de leur époux dès lors qu'il a été titulaire de la carte du combattant.

Irrecevable article 45

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