II. UNE PROPOSITION DE LOI OPPORTUNE QUI NÉCESSITE DES AMÉLIORATIONS POUR GARANTIR SON OPÉRATIONNALITÉ

A. UN CADRE JURIDIQUE PÉRENNE ET TRANSPARENT RÉPONDANT AUX BESOINS ACTUELS

1. Une proposition directement inspirée des récents travaux du Sénat

La proposition de loi s'inscrit dans la continuité des travaux rendus en décembre 2020 par la mission d'information de la commission de la culture sur les restitutions de biens culturels appartenant aux collections publiques, lancée à l'initiative de Catherine Morin-Desailly. Elle vise à répondre aux deux principaux enjeux identifiés par cette mission :

- l'urgence à engager un véritable travail de fond permettant à la France de répondre de manière solide et cohérente aux enjeux associés au retour des biens culturels vers leur pays d'origine et à la gestion éthique de collections, plutôt que de continuer à prendre des décisions, dictées uniquement par l'urgence ou par des considérations diplomatiques ;

- la nécessité de répondre à cette question avec rigueur historique et scientifique et en toute transparence , compte tenu de sa complexité, de son caractère sensible et de ses effets potentiellement déstabilisateurs sur deux principes fondamentaux de nos musées, à savoir l'inaliénabilité des collections et leur conception universaliste.

L'article 1 er du texte instaure une instance scientifique pérenne chargée de réfléchir à la question des restitutions et de donner son avis, sur chacune des demandes, avant toute réponse politique formelle. Le Sénat s'était prononcé en faveur de la création d'une telle instance, déjà proposée par la rapporteure de la commission, Catherine Morin-Desailly, lors de l'examen du projet de loi relatif à la restitution de biens culturels à la République du Bénin et à la République du Sénégal.

Cette création parait judicieuse pour apporter plus de transparence à la procédure, recentrer l'examen des demandes sur la vérité historique et garantir une plus grande permanence dans les décisions de la France malgré les alternances politiques. Ce type de commission a déjà fait la preuve de son efficacité dans d'autres domaines (Commission nationale du patrimoine et de l'architecture, Commission pour l'indemnisation de victimes de spoliation de biens culturels pendant l'occupation).

L' article 2 découle de la réflexion initiée par le Sénat lors de l'examen de la loi précitée sur les têtes maories. Il s'agit d'une disposition-cadre visant à faciliter la restitution des restes humains appartenant aux collections publiques en passant par le juge, comme le préconisait le groupe de travail pluridisciplinaire, plutôt que par le Parlement pour obtenir la sortie des collections.

Compte tenu du consensus autour de critères de restituabilité des restes humains, la France s'honorerait à aller de l'avant sur cette question.

2. Une pertinence non remise en cause par le débat actuel autour d'une loi-cadre

Le Président de la République a exprimé, en octobre dernier, le souhait de pouvoir « cadrer les restitutions dans la durée » et a confié à Jean-Luc Martinez, ambassadeur pour la coopération internationale dans le domaine du patrimoine, le soin de lui faire des propositions pour établir une doctrine et des critères de restituabilité. La réflexion tout juste lancée autour d'une loi-cadre ne rend pas pour autant caduc le dispositif prévu par ces deux articles .

L'horizon auquel pourra aboutir ce travail reste très incertain . Il y a un an encore, le Gouvernement estimait qu'une loi-cadre n'était pas envisageable au regard de la difficulté à établir une critériologie suffisamment précise et exhaustive face à la variété des cas susceptibles de se présenter, craignant même qu'elle ne fasse obstacle à des restitutions qui seraient pourtant souhaitables. Il n'est pas certain que l'expérience des restitutions au Bénin et au Sénégal suffise à donner le recul nécessaire à l'identification de critères de restituabilité.

Le travail sur la provenance de nos collections et sur l'histoire des biens qui la composent doit être considéré comme un élément clé de l'élaboration d'une éventuelle loi-cadre . S'agissant des collections de restes humains, un travail de recensement des dossiers sensibles a été conduit. Il n'a pas encore été réalisé en ce qui concerne les objets d'art et fait figure d'urgence.

Compte tenu de ces incertitudes, il serait regrettable d'attendre l'adoption de ladite loi-cadre pour définir les règles applicables à la restitution des restes humains et de se priver de l'outil que pourrait constituer le conseil national de réflexion prévu par l'article 1 er pour faire progresser de façon collégiale la réflexion sur les critères de restituabilité.

Le conseil national n'est nullement incompatible avec le projet
de loi-cadre : il peut constituer un outil complémentaire.

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