Rapport n° 901 (2021-2022) de M. Thani MOHAMED SOILIHI , fait au nom de la commission des lois, déposé le 28 septembre 2022

Disponible au format PDF (543 Koctets)


N° 901

SÉNAT

2021-2022

Enregistré à la Présidence du Sénat le 28 septembre 2022

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur la proposition de loi visant à actualiser le régime de réélection des juges consulaires dans les tribunaux de commerce ,

Par M. Thani MOHAMED SOILIHI,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. François-Noël Buffet , président ; Mmes Catherine Di Folco, Marie-Pierre de La Gontrie, MM. Christophe-André Frassa, Jérôme Durain, Marc-Philippe Daubresse, Philippe Bonnecarrère, Mme Nathalie Goulet, M. Alain Richard, Mmes Cécile Cukierman, Maryse Carrère, MM. Alain Marc, Guy Benarroche , vice-présidents ; M. André Reichardt, Mmes Laurence Harribey, Muriel Jourda, Agnès Canayer , secrétaires ; Mme Éliane Assassi, MM. Philippe Bas, Arnaud de Belenet, Mmes Nadine Bellurot, Catherine Belrhiti, Esther Benbassa, MM. François Bonhomme, Hussein Bourgi, Mme Valérie Boyer, M. Mathieu Darnaud, Mmes Françoise Dumont, Jacqueline Eustache-Brinio, M. Pierre Frogier, Mme Françoise Gatel, MM. Loïc Hervé, Patrick Kanner, Éric Kerrouche, Jean-Yves Leconte, Henri Leroy, Stéphane Le Rudulier, Mme Brigitte Lherbier, MM. Didier Marie, Hervé Marseille, Mme Marie Mercier, MM. Thani Mohamed Soilihi, Jean-Yves Roux, Jean-Pierre Sueur, Mme Lana Tetuanui, M. Dominique Théophile, Mmes Claudine Thomas, Dominique Vérien, M. Dany Wattebled .

Voir les numéros :

Sénat :

768 et 902 (2021-2022)

L'ESSENTIEL

Réunie le mercredi 28 septembre 2022 sous la présidence de François-Noël Buffet (Les Républicains - Rhône), la commission des lois a adopté avec modifications la proposition de loi n° 768 (2021-2022) de Nathalie Goulet (Union centriste - Orne) visant à actualiser le régime de réélection des juges consulaires dans les tribunaux de commerce , sur le rapport de Thani Mohamed Soilihi (Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants - Mayotte).

Elle vise à « réparer des malfaçons législatives » introduites par la loi PACTE 1 ( * ) en 2019 lors de la réforme du régime électoral des juges consulaires dans les tribunaux de commerce.

Il s'agirait de la seconde intervention du législateur sur le sujet en l'espace d'un an : à l'initiative de Nathalie Goulet, le Sénat avait déjà adopté un texte le 21 septembre 2021 visant à rétablir l'éligibilité des membres en exercice et anciens membres du tribunal de commerce, qui avait été adopté conforme par l'Assemblée nationale 2 ( * ) .

Cette proposition de loi tend principalement à élargir de nouveau le vivier des personnes pouvant se porter candidates aux fonctions de juges consulaires, en rétablissant l'éligibilité des cadres dirigeants , qui existait avant la loi PACTE. Elle propose également de revoir la condition de résidence pour l'éligibilité des membres en exercice et anciens membres des tribunaux de commerce. Elle prévoit enfin d'instituer le refus de siéger sans motif légitime en cause de cessation des fonctions de juge consulaire. Par ailleurs, elle corrigerait deux « scories » qui n'ont pas posé de difficultés concrètes pour l'organisation des élections.

S'agissant de l'éligibilité, la tenue prochaine des élections des juges consulaires des tribunaux de commerce 3 ( * ) justifie l'examen rapide de ce texte.

I. RESTAURER L'ÉLIGIBILITÉ DES CADRES DIRIGEANTS SUPPRIMÉE PAR LA LOI PACTE : UNE QUESTION À RÉGLER AVANT LES ÉLECTIONS CONSULAIRES

Antérieurement à la loi PACTE, les cadres dirigeants salariés des entreprises inscrites au registre du commerce et des sociétés ou au répertoire des métiers étaient électeurs des délégués consulaires, et à ce titre éligibles aux fonctions de juge de tribunal de commerce . En supprimant la fonction de délégué consulaire et en instaurant une élection directe des juges consulaires par les membres des chambres de commerce et d'industrie (CCI) et des chambres de métiers et de l'artisanat (CMA), la loi PACTE a indirectement supprimé l'éligibilité des cadres dirigeants .

Or leurs compétences spécialisées, en droit bancaire ou cambiaire par exemple, et leur disponibilité sont précieuses pour la résolution des litiges soumis aux juridictions commerciales.

La Conférence générale des juges consulaires de France estime que les cadres dirigeants salariés représentent actuellement plus de 40 % des juges consulaires en exercice dans les tribunaux de commerce de grande taille.

La commission a donc été favorable au rétablissement de l'éligibilité des cadres dirigeants aux fonctions de juge consulaire du tribunal de commerce. Elle a modifié la rédaction proposée, qui intégrait ces cadres dirigeants dans le collège électoral des membres des CCI, pour lui préférer une éligibilité directe, ce qui correspond à l'intention de l'auteur du texte 4 ( * ) .

Les cadres dirigeants seraient soumis à la même condition d'ancienneté de 5 ans que les personnes éligibles du fait de leur inscription sur les listes électorales des CCI et CMA.

Par ailleurs, la commission a accepté de revoir les conditions d'éligibilité des juges en exercice et anciens juges dans leur tribunaux de commerce d'origine ou un tribunal limitrophe, en supprimant la condition de résidence . Elle a ainsi souhaité permettre aux juridictions commerciales de continuer à bénéficier des compétences et de l'expérience de juges qui, du fait de leur retraite, n'y ont plus de domiciliation professionnelle et n'y résident pas. Elle a en revanche maintenu cette condition, nécessaire pour garantir un lien géographique avec le tissu économique local , pour les candidatures dans des tribunaux non limitrophes.

II. LE REFUS DE SIÉGER : UN SUJET DISCTINCT QUI PEUT ÊTRE TRAITÉ PAR LA DISCIPLINE

En mai 2021, dans leur rapport d'information portant sur le droit des entreprises en difficulté à l'épreuve de la crise 5 ( * ) , Thani Mohamed Soilihi et François Bonhomme avaient recommandé d'encourager les chefs de cour de se saisir pleinement de leurs prérogatives en matière disciplinaire afin de faire face aux refus de siéger . Il semble en effet évident que siéger constitue pour un juge, qu'il soit juge professionnel ou non, « un devoir de son état » 6 ( * ) .

Par ailleurs, la Première ministre a annoncé un projet de loi pour l'amélioration de la justice du quotidien au cours de l'année 2023, à la suite du rapport du comité des États généraux de la justice qui formule plusieurs pistes de réforme du fonctionnement des juridictions commerciales 7 ( * ) .

Dans ces conditions, et en l'absence de toute urgence à modifier le droit existant qui permet déjà de sanctionner de tels comportements, la commission a préféré supprimer la disposition relative au refus de siéger du texte et s'en tenir à la seule question de l'éligibilité .

*

* *

La commission des lois a adopté la proposition de loi ainsi modifiée .

EXAMEN DES ARTICLES

Article 1er (supprimé)
Électorat des chambres de commerce et d'industrie
et éligibilité des cadres dirigeants aux fonctions de juge consulaire

L'article 1 er de la proposition de loi vise à permettre aux cadres dirigeants d'être éligibles aux fonctions de juge consulaire du tribunal de commerce, revenant ainsi sur un changement opéré par la loi PACTE . Pour ce faire, il procèderait de manière indirecte, en leur conférant la qualité d'électeurs, à titre personnel, pour les élections des membres des chambres de commerce et d'industrie (CCI). En élargissant le corps électoral des chambres des CCI, la modification proposée dépasse cependant l'objectif d'urgence poursuivi.

Sur proposition de son rapporteur, la commission a supprimé l'article 1 er , préférant modifier l'article 3 pour rendre directement éligibles aux fonctions de juge consulaire les cadres dirigeants.

1. Un objectif partagé : réintégrer les cadres dirigeants parmi les personnes éligibles aux fonctions de juge des tribunaux de commerce

1.1. Des cadres dirigeants privés d'éligibilité par un effet indirect de la loi PACTE

Avant l'entrée en vigueur de la loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises , dite loi PACTE, les juges consulaires des tribunaux de commerce étaient élus par un collège électoral composé de délégués consulaires , ainsi que des juges en exercice et des anciens membres du tribunal de commerce 8 ( * ) .

Les délégués consulaires étaient élus dans le ressort de la juridiction par trois catégories d'électeurs 9 ( * ) qui étaient principalement :

- à titre personnel, les commerçants inscrits au registre du commerce et des sociétés, les chefs d'entreprise inscrits au répertoire des métiers, les conjoints des catégories précitées et les capitaines de la marine marchande ;

- par l'intermédiaire d'un représentant choisi parmi les mandataires sociaux ou à défaut les cadres dirigeants, les sociétés à caractère commercial ;

- les cadres dirigeants des sociétés à caractère commercial.

Les électeurs des délégués consulaires étaient de ce fait éligibles aux fonctions de juge du tribunal de commerce , sous certaines conditions 10 ( * ) .

Cette organisation électorale a été profondément modifiée par la loi PACTE qui a supprimé les délégués consulaires pour instituer une élection directe des juges consulaires par les membres des chambres de commerce et d'industrie (CCI) et des chambres de métiers et de l'artisanat (CMA) , les électeurs des membres des CCI et CMA devenant à leur tour éligibles aux fonctions de juge consulaire. Les cadres dirigeants ne figurant pas parmi le corps électoral des CCI et CMA, la réorganisation des élections ainsi décidée a rendu inéligibles les cadres dirigeants aux fonctions de juge du tribunal de commerce .

Cette situation est similaire à celle des juges en fonction et anciens juges ayant six ans d'ancienneté dont l'éligibilité a été rétablie l'année dernière, également à la suite d'une initiative de Nathalie Goulet, par la loi n° 2021-1317 du 11 octobre 2021 permettant la réélection des juges consulaires dans les tribunaux de commerce .

1.2. Un vivier de candidats pourtant précieux pour les tribunaux de commerce

Il n'existe pas de statistiques nationales sur le nombre de juges en exercice appartenant à la catégorie des cadres dirigeants . Toutefois, la Conférence générale des juges consulaires de France estime qu'ils représentent actuellement plus de 40 % des juges consulaires en exercice dans les tribunaux de commerce des grandes agglomérations .

Par ailleurs, ces derniers disposent de compétences spécialisées, par exemple en droit bancaire ou cambiaire, qui sont particulièrement recherchées par les juridictions commerciales. Leurs fonctions de direction leur laissent enfin la faculté d'organiser leurs activités et de se rendre disponibles pour exercer leurs fonctions juridictionnelles.

La commission est favorable au rétablissement de l'éligibilité des cadres dirigeants aux fonctions de juge consulaire du tribunal de commerce, étant précisé qu'une fois élus, les cadres dirigeants salariés seraient astreints aux mêmes règles déontologiques et disciplinaires que l'ensemble des juges qui composent les tribunaux de commerce.

La déontologie et la discipline
des juges consulaires des tribunaux de commerce

Les juges consulaires « exercent leurs fonctions en toute indépendance, dignité, impartialité, intégrité et probité et se comportent de façon à prévenir tout doute légitime à cet égard » 11 ( * ) . Avant d'entrer en fonctions, ils prêtent serment et jurent de « bien et fidèlement remplir [leurs] fonctions, de garder le secret des délibérations et de [se] conduire en tout comme un juge digne et loyal » 12 ( * ) .

L'article L. 722-20 du code de commerce leur impose également de veiller à « prévenir ou à faire cesser immédiatement les situations de conflit d'intérêts ». Cette obligation de prévention des conflits d'intérêts est renforcée par la rédaction d'une déclaration d'intérêts qui donne lieu à un entretien déontologique avec le président du tribunal de commerce.

La déclaration d'intérêts mentionne les liens et les intérêts détenus de nature à influencer ou à paraître influencer l'exercice indépendant, impartial et objectif des fonctions que le déclarant a ou qu'il a eu pendant les cinq années précédant sa prise de fonctions. En cas de poursuites disciplinaires, elle peut être consultée par la commission nationale de discipline et le ministre de la justice. Le fait de ne pas rédiger cette déclaration ou d'omettre de déclarer une partie substantielle de ses intérêts est puni de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende.

Est constitutif d'une faute disciplinaire, tout manquement par un juge du tribunal de commerce aux devoirs de son état, à l'honneur, à la probité ou à la dignité. Les premiers présidents de cour d'appel disposent d'un pouvoir infra-disciplinaire leur permettant de donner un avertissement aux juges consulaires des tribunaux de leur ressort. Le pouvoir disciplinaire est exercé par une commission nationale de discipline qui peut être saisie par le ministre de la justice ou le premier président de la cour d'appel concerné. Les sanctions vont du blâme à la déchéance assortie de l'inéligibilité définitive 13 ( * ) .

Par ailleurs, les membres du tribunal du commerce remplissent leur mission bénévolement, conformément à l'article L. 722-16 du code de commerce.

2. Un dispositif qui va au-delà : la modification du corps électoral des chambres de commerce et d'industrie (CCI)

L'article 1 er tel que proposé vient modifier la composition du corps électoral des CCI en y ajoutant les cadres dirigeants, qui peuvent en l'état du droit, être électeurs, mais uniquement à titre de représentants désignés d'une personne morale elle-même électeur .

Ce faisant, le dispositif va bien au-delà de la question de l'éligibilité aux fonctions de juge de tribunal de commerce, qui justifie ce texte d'urgence.

Il convient plutôt d'accorder la possibilité aux cadres dirigeants de se porter candidats, sans pour autant les rendre électeurs des membres d'une CCI. En tout état de cause, il convient de souligner que les cadres dirigeants une fois élus juges consulaires deviendraient automatiquement électeurs aux prochaines élections 14 ( * ) et seraient ainsi sur un pied d'égalité avec les autres juges qui sont ou ont été électeurs.

3. La position de la commission

À l'initiative du rapporteur, la commission a supprimé l'article 1 er par l'adoption de l' amendement COM-1 .

Elle a renvoyé l'éligibilité des cadres dirigeants aux fonctions de juge de tribunal de commerce à l'article 3, qui vise à modifier l'article L. 723-4 du code de commerce 15 ( * ) .

La commission des lois a supprimé l'article 1 er .

Article 2 (supprimé)
Sanction du refus de siéger par une cessation
des fonctions de juge consulaire

L'article 2 de la proposition de loi vise à introduire une nouvelle cause de cessation des fonctions de juge consulaire du tribunal de commerce en raison d'un refus de siéger sans motif légitime.

Ce mécanisme s'apparenterait fortement à une procédure disciplinaire dans les formes, mais sans en apporter les garanties.

Le rapporteur, co-auteur avec François Bonhomme, du rapport d'information de la commission des lois sur le droit des entreprises en difficulté à l'épreuve de la crise 16 ( * ) , a, il y a un an, recommandé d'encourager les chefs de cour à utiliser leurs prérogatives disciplinaires pour appréhender les hypothèses des juges refusant de siéger sans motif légitime. Ce comportement constitue en effet, pour le juge, qu'il soit professionnel ou non, « un manquement au devoir de son état ».

Aucun élément nouveau ne vient justifier une remise en cause de ce choix en urgence. Au surplus, le Gouvernement envisage de déposer, au cours de l'année 2023, un projet de loi sur la justice du quotidien en réponse au rapport du comité des États généraux de la justice.

En conséquence, la commission a supprimé l'article 2.

1. La problématique du refus de siéger au sein des juridictions commerciales

La Conférence générale des juges consulaires de France et la direction des services judiciaires (DSJ) ont exposé au rapporteur les difficultés entraînées par le refus de siéger opposé par certains juges consulaires qui, une fois élus, ne remplissent pas leurs fonctions et perturbent le fonctionnement de leur tribunal.

Cette problématique est soulevée depuis quelques années. Toutefois, aucune donnée chiffrée ne vient l'étayer .

Selon la DSJ, cette situation « fréquemment rencontrée » est un facteur de désorganisation pour les juridictions commerciales car la charge de travail du juge absent doit être répartie sur les autres juges, étant précisé que le nombre de juges consulaires par tribunal est fixé par décret 17 ( * ) . Par ailleurs, selon elle, la procédure disciplinaire ne serait pas une solution, le refus de siéger « n'étant pas sanctionné » et la procédure disciplinaire étant jugée trop longue.

C'est pourquoi l'article 2 de la proposition de loi vise à créer une cinquième cause de cessation de fonctions de juge d'un tribunal de commerce , s'inspirant de ce qui existe pour les conseillers prud'hommes.

Le refus de siéger aux prud'hommes

Le refus de siéger des conseillers prud'hommes est sanctionné au titre de la discipline 18 ( * ) . Il est réputé démissionnaire à titre disciplinaire.

Cette procédure est régie par un décret en Conseil d'État qui prévoit d'une part l'organisation d'un entretien préalable entre le président de la juridiction prud'homale et le conseiller prud'homme qui refuse d'effectuer son service. À l'issue de cet entretien, le président de la juridiction dresse un procès-verbal après avis du vice-président de la juridiction et de la section ou la chambre dans laquelle siège habituellement le conseiller prud'homme. Ensuite, la cour d'appel statue sur la démission de l'intéressé après l'avoir convoqué.

Cette procédure est peu employée : selon la DSJ, seulement six conseillers prud'hommes ont fait l'objet d'une application de cette procédure depuis le 14 décembre 2017.

2. Les interrogations relatives à la création d'une nouvelle cause de cessation de fonctions

Actuellement, il existe quatre causes de cessation de fonctions de juge d'un tribunal de commerce. L'article L. 722-8 du code de commerce les énumère :

- l'expiration du mandat électoral ;

- la suppression du tribunal ;

- la démission ;

- la déchéance.

Ces causes résultent toutes de situations sans équivoque, dans lesquelles, à l'exception de l'hypothèse d'une démission, le juge consulaire n'est pas à l'origine de la fin de son mandat. A l'inverse, le refus de siéger, s'il est volontaire, peut connaître des raisons différentes et temporaires et il convient d'apprécier l'absence de « cause légitime ».

En outre, contrairement aux autres causes, le refus de siéger sans motif légitime peut s'interpréter comme un manquement aux obligations déontologiques du juge du tribunal de commerce. C'est la raison pour laquelle la procédure sanctionnant le refus de siéger des conseillers prud'hommes figure dans une sous-section consacrée à la discipline dans le code du travail .

Siéger constitue en effet pour un juge, qu'il soit professionnel ou non, « un devoir de son état » 19 ( * ) . Ne pas siéger constitue pour un juge consulaire un manquement à ce devoir et, ce faisant, une faute disciplinaire susceptible d'un avertissement du premier président de la cour d'appel et d'une saisine de la commission nationale de discipline. Telle est l'analyse qui avait déjà été faite par la commission des lois dans son rapport d'information portant sur « le droit des entreprises à l'épreuve de la crise » 20 ( * ) : elle avait alors encouragé les premiers présidents de cour d'appel à se saisir pleinement de leurs prérogatives en matière disciplinaire pour assurer le bon fonctionnement des juridictions commerciales.

Cette nature disciplinaire est bien présente à l'esprit de la DSJ qui, dans ses échanges avec le rapporteur, a indiqué souhaiter faire relever le refus de siéger du domaine disciplinaire exclusif des chefs de cour d'appel, ce qui ne correspond pas à la disposition proposée à l'article 2.

3. La position de la commission : recentrer le texte sur l'éligibilité, seule question urgente

La proposition de loi a pour objet principal de rectifier des « malfaçons » de la loi PACTE pour le bon déroulement des élections des juges consulaires à venir.

La question du refus de siéger semble pouvoir déjà être traitée via la discipline des juges consulaires et ne présente pas de caractère d'urgence.

De plus, le Gouvernement envisage de déposer un projet de loi sur la justice du quotidien au cours de l'année 2023, ce qui permettrait de réexaminer cette question dans un contexte plus général. Reprenant une proposition du Sénat, rappelée dans le rapport de la commission de mai 2021 21 ( * ) , sur la création d'un tribunal des affaires économiques, le comité des États généraux de la justice a en effet proposé une réforme de la juridiction commerciale.

Dans ces conditions, à l'initiative du rapporteur, la commission des lois a adopté un amendement de suppression COM-2 .

La commission des lois a supprimé l'article 2.

Article 3
Conditions d'éligibilité des candidats aux fonctions de juge consulaire
d'un tribunal de commerce

Cet article a pour objet de rectifier certaines malfaçons issues de la loi PACTE qui concernent l'éligibilité aux fonctions de juges consulaires. Il s'agirait en particulier de supprimer l'obligation de double inscription sur les listes électorales des chambres de commerce et d'industrie (CCI) et des chambres de métiers et de l'artisanat (CMA).

Il vise également à élargir le vivier des candidats en permettant aux juges en exercice et aux anciens juges ayant six ans d'ancienneté d'être réélus dans leur tribunal ou un tribunal limitrophe sans condition de résidence, tout en prévoyant un régime dérogatoire spécial, fixé par décret en Conseil d'Etat, pour les tribunaux non limitrophes.

La commission a pris en compte le souhait des juridictions commerciales de pouvoir maintenir l'éligibilité des juges en exercice ou anciens juges qui arrêtent leur activité professionnelle et ne remplissent pas la condition de résidence ou de domicile à titre personnel. Elle a choisi de supprimer cette condition dès lors qu'ils se portent candidats dans le tribunal de commerce dans lequel ils ont été élus ou un tribunal limitrophe.

De plus, en cohérence avec la suppression de l'article 1 er , elle a ajouté les cadres dirigeants parmi les personnes éligibles, les soumettant aux conditions d'éligibilité de l'article L. 723-4, à l'exception de la condition d'inscription sur les listes électorales des CCI ou des CMA. Ils devraient également justifier être âgés de 30 ans, avoir une ancienneté de cinq ans dans leurs fonctions de cadre dirigeant et un lien géographique avec le tribunal.

La commission a enfin ajouté une correction à l'article L. 723-4 du code de commerce, y mentionnant la procédure de sauvegarde parmi les causes d'inéligibilité rappelées, en cohérence avec l'article L. 722-9.

La commission a adopté l'article 3 ainsi modifié.

1. Le but affiché de la proposition de loi : la rectification de malfaçons de la loi PACTE

1.1 Une éligibilité sécurisée par la suppression expresse de l'exigence de double inscription sur les listes électorales des CCI et des CMA

Cette correction serait, à la lecture de l'exposé des motifs de la proposition de loi, son objet principal.

Le 1° de l'article L. 723-4 du code de commerce semble imposer aux candidats aux fonctions de juge consulaire d'être inscrits cumulativement sur les listes électorales des CCI et des CMA . Or cette double condition, qui résulte de l'emploi d'un « et » au lieu d'un « ou », ne correspond pas à l'intention du législateur, qui a fait référence de manière alternative à l'obligation d'inscription sur les listes des CCI ou des CMA au 5° du même article. Cette double condition n'a d'ailleurs en pratique pas été exigée par les préfectures qui organisent les élections annuelles des juges consulaires, ce qui n'a fait l'objet d' aucun contentieux selon les déclarations des représentants de la Conférence générale des juges consulaires de France (CGJCF) et de la direction des services judiciaires (DSJ).

Il apparait néanmoins opportun de procéder à cette correction afin de clarifier l'intention du législateur et redonner une cohérence interne à l'article L. 723-4 du code de commerce.

Dans le même ordre d'esprit, la proposition de loi procéderait à la rectification d'une erreur syntaxique - double occurrence du mot « fait » -, qui avait été corrigée d'office sur le site Internet de Légifrance par la direction de l'information légale et administrative.

Ces deux dispositions n'ont appelé aucune réserve de la part du rapporteur.

1.2 L'ajout d'une précision relative à l'inéligibilité en cas de procédure de sauvegarde

Lors de l'examen de l'article L. 723-4 du code de commerce, il est apparu nécessaire au rapporteur de le mettre également en cohérence avec l'article L. 722-9 du même code qui prévoit les causes de démission d'office et y intègre la procédure de sauvegarde.

En l'état, l'article L. 723-4 du code de commerce rend en effet seulement inéligibles les personnes à l'égard desquelles une procédure de redressement judiciaire ou de liquidation judiciaire est en cours au jour du scrutin. Le rapporteur a donc proposé d'y ajouter la procédure de sauvegarde.

2. Une intention moins explicite : revenir sur l'obligation de résidence votée l'année dernière

2.1. Une obligation de résidence applicable à tous les juges et anciens juges quel que soit le tribunal dans lequel ils présentent leur candidature

Actuellement, les juges en exercice et les anciens juges de ces tribunaux ayant exercé au moins six années et n'ayant pas été réputés démissionnaires sont éligibles aux fonctions de juges consulaires à condition de disposer d'une résidence ou d'être domiciliés dans le ressort du tribunal où ils candidatent ou celui des tribunaux limitrophes .

Cette disposition est applicable quel que soit le tribunal dans lequel la personne candidate : tribunal d'origine, tribunal limitrophe ou non limitrophe. Elle a été introduite dans la loi n° 2021-1317 du 11 octobre 2021 permettant la réélection des juges consulaires dans les tribunaux de commerce à l'initiative de la commission 22 ( * ) , lors de l'examen de la précédente proposition de loi de la sénateur Nathalie Goulet sur le sujet.

Une certaine connaissance de l'environnement économique local avait été considérée comme nécessaire pour l'exercice des fonctions de juge consulaire.

2.2. L'instauration contestable d'un régime différencié pour les candidats souhaitant exercer dans un tribunal non limitrophe

La rédaction de l'article 3 proposée tend à remettre en cause cette disposition votée l'année dernière :

- en supprimant la condition de résidence pour les juges en exercice et les anciens juges ayant exercé au moins six années qui postulent dans leur tribunal d'origine ou un tribunal limitrophe ;

- en introduisant des conditions fixées par décret pour « les juges d'un tribunal de commerce ayant prêté serment, à jour de leurs obligations déontologiques et de formation », qui souhaiteraient être candidats dans un tribunal de commerce non limitrophe .

Selon les informations obtenues par le rapporteur, cette modification visait à réintroduire une différenciation qui paraissait contestable entre les anciens juges ayant six ans d'exercice qui souhaitent exercer dans le ressort du tribunal de commerce ou le ressort des tribunaux de commerce limitrophes et ceux ayant trois ans d'exercice qui souhaitent exercer dans des tribunaux non limitrophes 23 ( * ) .

Le rapporteur dans un premier temps, et en l'absence d'éléments chiffrés, avait donc proposé de maintenir les dispositions actuelles qui étaient récentes.

2.3. La position de la commission : le maintien de l'obligation de résidence uniquement pour les candidats souhaitant exercer dans un tribunal non limitrophe

Les échanges avec la DSJ ont finalement mis en exergue un risque éventuel de réduction du nombre de candidats potentiels du fait de l'application de la condition de domiciliation ou de résidence. Il s'agit des juges ou anciens juges ayant pris leur retraite professionnelle et ne disposant pas d'un domicile ou d'une résidence dans le ressort de leur tribunal d'exercice ou ceux des tribunaux limitrophes. Selon la Conférence générale des juges consulaires de France, 307 juges seraient concernés .

Compte tenu de ces éléments nouveaux lors de la discussion en commission, le rapporteur a proposé de modifier son amendement COM-3 afin de lever la condition de résidence pour permettre aux juridictions commerciales de continuer à bénéficier des compétences de juges expérimentés , ce que la commission a accepté.

Elle a en revanche maintenu cette condition pour les candidatures dans des tribunaux non limitrophes , considérant qu'une certaine connaissance du bassin économique local est nécessaire pour l'exercice des fonctions de juge d'un tribunal de commerce.

Le rapporteur a modifié son amendement COM-3 en conséquence.

3. L'ajout de la commission : rétablir l'éligibilité des cadres dirigeants

En cohérence avec la suppression de l'article 1 er , la commission a souhaité, à l'initiative de son rapporteur, réintroduire parmi les personnes éligibles énumérées par l'article L. 723-4 du code de commerce les cadres dirigeants.

Leur éligibilité serait soumise aux mêmes conditions que les autres personnes éligibles : être âgé de 30 ans, disposer de cinq ans d'ancienneté dans ses fonctions, remplir les conditions de nationalité, d'absence de condamnation pénale, d'absence de procédure collective ou de sanctions commerciales...

La commission a souhaité y ajouter une condition préexistant à la loi PACTE lorsque les cadres dirigeants pouvaient être électeurs de délégué consulaire : celle d'être employé dans le ressort ou celui d'un tribunal limitrophe, conservant ainsi une exigence minimale de rattachement géographique entre le candidat et son tribunal, similaire à celle qui s'impose aux autres candidats.

La commission a, en conséquence, adopté l' amendement COM-3 modifié par le rapporteur .

La commission a adopté l'article 3 ainsi modifié .

*

* *

EXAMEN EN COMMISSION

__________

MERCREDI 28 SEPTEMBRE 2022

M. François-Noël Buffet , président . - Nous examinons en urgence la proposition de loi déposée par notre collègue Nathalie Goulet visant à actualiser le régime de réélection des juges consulaires dans les tribunaux de commerce.

M. Thani Mohamed Soilihi , rapporteur . - Je tiens d'abord à remercier Nathalie Goulet d'avoir déposé cette proposition de loi visant à régler diverses questions liées à l'éligibilité des juges consulaires des tribunaux de commerce. Les élections annuelles, qui devaient avoir lieu la première quinzaine du mois d'octobre 2022, ont été décalées par le Gouvernement à la fin du mois de novembre.

C'est la deuxième fois, et j'espère la dernière, que notre collègue doit prendre une initiative pour que nous examinions la question de l'élection des juges consulaires des tribunaux de commerce. À l'automne dernier, nous avions déjà approuvé, sur le rapport de François Bonhomme, un texte pour régler des malfaçons héritées de la loi PACTE, la très volumineuse loi du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises que nous avons dû adopter dans une certaine précipitation...

La loi du 11 octobre 2021 permettant la réélection des juges consulaires dans les tribunaux de commerce, votée conforme en première lecture dans les deux chambres, a réintégré les membres en exercice et anciens membres des tribunaux de commerce dans le vivier des candidats aux élections des juges consulaires. Il s'agirait aujourd'hui de renouveler l'exercice, car la Conférence générale des juges consulaires de France et le ministère de la justice ont de nouveau relevé des difficultés relatives au régime de l'élection des juges consulaires.

Je tiens à vous rassurer tout de suite : mes auditions n'ont pas mis en lumière de risque d'invalidation des mandats des juges consulaires ou de « disparition des tribunaux de commerce » comme certains le craignaient... Aucun contentieux n'a remis en cause les élections organisées depuis 2019. L'enjeu est de corriger certaines erreurs de plume, mais surtout d'élargir le vivier des candidats en permettant aux cadres dirigeants de se présenter aux futures élections.

Avant l'adoption en 2019 de la loi PACTE, les cadres dirigeants salariés faisaient partie du corps électoral des délégués consulaires et étaient, à ce titre, éligibles aux fonctions de juge consulaire. La suppression et le remplacement des délégués consulaires par les membres élus des chambres de commerce et d'industrie et des chambres de métiers et de l'artisanat ont mis, indirectement, un terme à leur éligibilité.

Or leurs compétences spécialisées, en droit bancaire ou cambiaire par exemple, et leur disponibilité sont précieuses pour la résolution des litiges soumis aux juridictions commerciales. À titre d'exemple, la Conférence générale des juges consulaires de France estime que les cadres dirigeants salariés représentent actuellement plus de 40 % des juges consulaires en exercice dans les tribunaux de commerce de grande taille.

Il me semble donc tout à fait opportun de rétablir l'éligibilité des cadres dirigeants salariés, qui seraient soumis aux mêmes règles déontologiques et disciplinaires que l'ensemble des juges composant les tribunaux de commerce.

L'article 1 er apporte une modification qui dépasse cet objectif puisqu'il vise à modifier le corps électoral des chambres de commerce et d'industrie en permettant aux cadres dirigeants salariés de l'intégrer. Je vous proposerai, avec un premier amendement, de supprimer l'article 1 er et de modifier l'article 3 qui porte sur l'éligibilité des juges consulaires pour y intégrer les cadres dirigeants.

L'article 2 de la proposition de loi aborde un tout autre sujet. Il vise à créer une cinquième cause de cessation des fonctions des juges consulaires en cas de refus de siéger sans motif légitime. Je relève que ce sujet n'est pas frappé du sceau de l'urgence et que, dans un rapport de la commission des lois de l'an dernier, François Bonhomme et moi-même avions relevé qu'une réponse disciplinaire pouvait être apportée à la situation du refus de siéger. Nous avions recommandé que les chefs de cour se saisissent de leur pouvoir disciplinaire.

Il me semble préférable de limiter nos débats à la problématique qui justifie l'urgence de la proposition de loi, à savoir le vivier des candidats aux élections des juges des tribunaux de commerce.

L'article 3, qui traite des conditions d'éligibilité aux fonctions de juge consulaire, constitue vraiment le coeur de la proposition de loi. Il tend à rectifier certaines malfaçons issues de la loi PACTE. Il vise en particulier à clarifier la question de l'inscription sur les listes électorales des chambres de commerce et d'industrie et des chambres de métiers et de l'artisanat. Le législateur de 2019 n'a pas souhaité qu'il s'agisse d'une obligation de double inscription : il convient donc de modifier la rédaction.

Cet article vise également à permettre aux juges en exercice et aux anciens juges ayant six ans d'ancienneté d'être réélus dans leur tribunal ou un tribunal limitrophe sans condition de résidence, tout en prévoyant un régime dérogatoire spécial, fixé par décret, pour les tribunaux non limitrophes.

Sur cette question, j'étais beaucoup plus réservé. En effet, les conditions actuelles résultent de la loi du 11 octobre 2021 et il ne me paraissait pas justifié de les retoucher aussi rapidement sans élément nouveau.

En l'état, les juges en exercice et les anciens juges doivent justifier d'une domiciliation ou d'une résidence dans le ressort du tribunal où ils candidatent ou d'un tribunal limitrophe. L'attachement à un territoire assoit la légitimité de ces candidats aux fonctions de juge du tribunal de commerce. En effet, la particularité historique de la juridiction commerciale réside dans le fait que les justiciables sont jugés par des pairs. Ces derniers ont une connaissance fine de la vie économique locale du territoire dans lequel ils exercent. Or, en supprimant l'obligation du lien géographique avec le tribunal, nous risquerions de modifier la typologie des juridictions commerciales.

Ce matin, juste avant notre réunion, la direction des services judiciaires m'a enfin fait parvenir des éléments concrets justifiant la demande de modification de la règle de résidence. Il semblerait que 307 juges consulaires soient concernés. Il s'agit de personnes qui étaient domiciliées dans le ressort du tribunal dans lequel elles étaient élues en raison de leur activité professionnelle et qui, à la retraite, ne disposent plus de cette domiciliation. En l'état de la législation, il leur est difficile de se porter candidats sauf à se faire domicilier chez un tiers.

Compte tenu de cette information, il me semble que nous pouvons envisager de modifier la règle.

Je soumets à votre appréciation les deux options que nous avons. Première option : lever la condition de résidence pour les seuls cas que l'on nous décrit, c'est-à-dire lorsque le juge veut se représenter dans son tribunal d'origine ; deuxième option : lever cette condition lorsque le juge veut se représenter dans son tribunal d'origine ou un tribunal limitrophe, ce qui est plus souple.

En fonction de notre position, je modifierai en conséquence mon amendement n° 3.

S'agissant de ce texte, Nathalie Goulet parlait d'une deuxième rustine : c'est devenu un plâtre imposant... Et comme tout plâtre, ce n'est qu'en l'enlevant que nous verrons s'il a permis d'améliorer les choses !

Mme Nathalie Goulet . - Je remercie le rapporteur. Le président du tribunal de commerce d'Alençon m'avait saisie des difficultés qu'il rencontrait. Nous sommes dans un cas classique de malfaçons. Je suis d'accord avec la proposition de suppression de l'article 1 er et de modification conséquente de l'article 3. S'agissant des options qui nous ont été proposées, je suis favorable à la seconde, qui prévoit des conditions plus souples en matière de domiciliation.

En revanche, je ne partage pas la position du rapporteur sur le refus de siéger. Certes, ce n'est pas une urgence, mais nous n'aurons pas le temps en septembre prochain de poser une troisième rustine sur ce texte. Un président de tribunal de commerce n'a pas de sanctions à sa disposition. Le refus de siéger conduit à désorganiser les juridictions consulaires. Or le travail que nous menons depuis l'année dernière a pour but de rendre le fonctionnement de ces juridictions plus fluide et efficace.

La version de la Chancellerie n'est pas forcément celle des praticiens, auxquels nous devons nous fier sur ces sujets.

M. Jérôme Durain . - Je remercie Nathalie Goulet et le rapporteur, qui s'est transformé en mécanicien pour mettre des rustines là où il en fallait !

Cette proposition de loi vise à corriger une loi qui corrigeait une loi... Elle est nécessaire pour pallier les insuffisances de la rustine législative que nous avions apportée l'année dernière. Les tribunaux de commerce risquent d'être fortement sollicités compte tenu de la situation économique : il faut leur faciliter le travail.

Nous souscrivons aux propositions du rapporteur.

M. Alain Richard . - Je me joins aux appréciations positives de mes collègues.

Sur l'assouplissement de la condition de résidence, je suis pour l'option incluant le tribunal limitrophe. En effet, les acteurs économiques peuvent voir leur centre d'activité se déplacer à la faveur d'une relocalisation. Par ailleurs, la tradition qui tend à rattacher tous les juges de la juridiction à un ressort donné peut donner lieu à une certaine forme d'endogamie.

Il faudra statuer sur la question de la privation de fonctions d'un juge délibérément absentéiste. Néanmoins, s'agissant de la cessation de fonctions de juges qui sont en principe inamovibles, il est préférable de prendre le temps de mener les consultations nécessaires.

M. André Reichardt . - À Strasbourg, nous n'avons pas de tribunal de commerce, mais une chambre commerciale. D'après les informations communiquées par les services de la commission, le texte ne devrait pas avoir d'impact sur le droit local alsacien-mosellan. Néanmoins, je souhaiterais que nous nous assurions de ce point. En Alsace-Moselle, les cadres des entreprises artisanales et commerciales ne sont pas membres de droit du collège électoral des chambres de métiers et de commerce : une délégation du chef d'entreprise à ces cadres est nécessaire.

Par ailleurs, pourquoi procrastiner sur la question du refus de siéger si nous pouvons régler le problème aujourd'hui ?

M. Thani Mohamed Soilihi , rapporteur . - Je remercie mes collègues pour leurs observations.

Le refus de siéger est un manquement aux obligations déontologiques du magistrat. Il y a un an, avec François Bonhomme, nous avons proposé une position qui a été validée par la commission. Nous appelions les premiers présidents à se saisir de leur pouvoir disciplinaire. Certes cette solution ne satisfait pas tout le monde. Mais le sujet n'est pas mûr ; attendons le projet de loi qui doit être proposé à la suite des États généraux de la justice.

Le texte ne comprend pas de disposition spécifique pour le droit alsacien-mosellan : il n'y a donc, à ma connaissance, pas de risque de perturbation. Nous avons posé spécifiquement cette question à nos interlocuteurs.

M. François-Noël Buffet , président . - La commission retient donc la deuxième option sur la modification de la règle de résidence des juges en exercice et anciens juges. L'amendement n° 3 devra donc être modifié en conséquence...

M. Thani Mohamed Soilihi , rapporteur . - En application du vade-mecum sur l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution, adopté par la Conférence des présidents, il nous revient d'arrêter le périmètre indicatif de la proposition de loi.

Je vous propose de considérer que ce périmètre comprend les dispositions relatives à l'éligibilité des juges consulaires et des membres de chambres de commerce et d'industrie, ainsi que la sanction du refus de siéger.

Il en est ainsi décidé.

EXAMEN DES ARTICLES

Article 1 er

M. Thani Mohamed Soilihi , rapporteur . - L'amendement COM-1 tend à supprimer l'article.

L'amendement COM-1 est adopté.

L'article 1 er est supprimé.

Article 2

M. Thani Mohamed Soilihi , rapporteur . - L'amendement COM-2 tend à supprimer l'article. La question du refus de siéger n'a pas sa place dans ce texte d'urgence.

L'amendement COM-2 est adopté.

L'article 2 est supprimé.

Article 3

M. Thani Mohamed Soilihi , rapporteur . - L'amendement COM-3 vise principalement à ajouter les cadres dirigeants salariés des entreprises inscrites au registre du commerce et des sociétés ou au répertoire des métiers à la liste des personnes éligibles aux fonctions de juge de tribunal de commerce, élargissant ainsi le vivier des candidats.

Je propose de le modifier pour prendre en compte la position de la commission permettant d'assouplir la condition de résidence exigée des juges en exercice et anciens juges lorsqu'ils candidatent dans leur tribunal d'origine ou un tribunal limitrophe.

L'amendement COM-3, ainsi modifié, est adopté.

L'article 3 est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

La proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

Article 1 er

M. MOHAMED SOILIHI, rapporteur

1

Amendement de suppression

Adopté

Article 2

M. MOHAMED SOILIHI, rapporteur

2

Amendement de suppression

Adopté

Article 3

M. MOHAMED SOILIHI, rapporteur

3

Ajout des cadres dirigeants parmi les personnes éligibles aux fonctions de juge consulaire

Adopté avec modification

RÈGLES RELATIVES À L'APPLICATION DE L'ARTICLE 45
DE LA CONSTITUTION ET DE L'ARTICLE 44 BIS
DU RÈGLEMENT DU SÉNAT (« CAVALIERS »)

Si le premier alinéa de l'article 45 de la Constitution, depuis la révision du 23 juillet 2008, dispose que « tout amendement est recevable en première lecture dès lors qu'il présente un lien, même indirect, avec le texte déposé ou transmis », le Conseil constitutionnel estime que cette mention a eu pour effet de consolider, dans la Constitution, sa jurisprudence antérieure, reposant en particulier sur « la nécessité pour un amendement de ne pas être dépourvu de tout lien avec l'objet du texte déposé sur le bureau de la première assemblée saisie » 24 ( * ) .

De jurisprudence constante et en dépit de la mention du texte « transmis » dans la Constitution, le Conseil constitutionnel apprécie ainsi l'existence du lien par rapport au contenu précis des dispositions du texte initial, déposé sur le bureau de la première assemblée saisie 25 ( * ) . Pour les lois ordinaires, le seul critère d'analyse est le lien matériel entre le texte initial et l'amendement, la modification de l'intitulé au cours de la navette restant sans effet sur la présence de « cavaliers » dans le texte 26 ( * ) . Pour les lois organiques, le Conseil constitutionnel ajoute un second critère : il considère comme un « cavalier » toute disposition organique prise sur un fondement constitutionnel différent de celui sur lequel a été pris le texte initial 27 ( * ) .

En application des articles 17 bis et 44 bis du Règlement du Sénat, il revient à la commission saisie au fond de se prononcer sur les irrecevabilités résultant de l'article 45 de la Constitution, étant précisé que le Conseil constitutionnel les soulève d'office lorsqu'il est saisi d'un texte de loi avant sa promulgation.

En application du vademecum sur l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution, adopté par la Conférence des Présidents, la commission des lois a arrêté, lors de sa réunion du mercredi 28 septembre 2022, le périmètre indicatif de la proposition de loi n° 768 (2021-2022) visant à actualiser le régime de réélection des juges consulaires dans les tribunaux de commerce.

Elle a considéré que ce périmètre incluait des dispositions relatives à l'éligibilité des juges consulaires et des membres de chambres de commerce et d'industrie, ainsi que la sanction du refus de siéger .

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES

Mme Nathalie Goulet, sénateur de l'Orne, auteur de la proposition de loi

MINISTÈRE DE LA JUSTICE

Direction des services judiciaires

Mme Soizic Guillaume , sous-directrice des ressources humaines de la magistrature

M. Christophe Valente , adjoint à la sous-directrice des ressources humaines de la magistrature

Mme Catherine Vedrenne , cheffe du bureau des magistrats exerçant à titre temporaire et des juges élus ou désignés

Mme Lucia Alem , adjointe à la cheffe du bureau des magistrats exerçant à titre temporaire et des juges élus ou désignés

M. Emmanuel Lejeune , rédacteur au bureau des magistrats à titre temporaire et des juges élus ou désignés

CONFÉRENCE GÉNÉRALE DES JUGES CONSULAIRES DE FRANCE

M. Jean-Luc Adda , président du tribunal de commerce d'Alençon, conseiller de la présidente de la Conférence

LA LOI EN CONSTRUCTION

Pour naviguer dans les rédactions successives du texte, le tableau synoptique de la loi en construction est disponible sur le site du Sénat à l'adresse suivante :

http://www.senat.fr/dossier-legislatif/ppl21-768.html


* 1 Loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises.

* 2 Loi n° 2021-1317 du 11 octobre 2021 permettant la réélection des juges consulaires dans les tribunaux de commerce.

* 3 Ces élections, habituellement organisées la première quinzaine du mois d'octobre de chaque année, ont été exceptionnellement décalées du 21 novembre au 4 décembre 2022 par décret n° 2022-1211 du 1 er septembre 2022, ce qui permettrait une application de la loi à ces élections.

* 4 Ce qui entraîne une suppression de l'article 1 er de la proposition de loi, pour réintroduire la catégorie des cadres dirigeants dans son article 3.

* 5 « Les outils juridiques de prévention et de traitement des difficultés des entreprises à l'aune de la crise de la covid-19 », rapport d'information n° 615 (2020-2021) de François Bonhomme et Thani Mohamed Soilihi.

* 6 Article L. 724-1 du code de commerce.

* 7 « Rendre justice aux citoyens », Rapport du comité des Etats généraux de la justice (Octobre 2021- avril 2022)

* 8 Article L. 723-1 du code de commerce.

* 9 Article L. 713-7 du code de commerce.

* 10 Article L. 723-4 du code de commerce.

* 11 Article L. 722-18 du code de commerce.

* 12 Article L. 722-7 du code de commerce.

* 13 Voir les articles L. 724-1 et suivants du code de commerce.

* 14 2° de l'article L. 723-1 du code de commerce.

* 15 Voir commentaire ci-après.

* 16 « Les outils juridiques de prévention et de traitement des difficultés des entreprises à l'aune de la crise de la covid-19 », rapport d'information n° 615 (2020-2021) de François Bonhomme et Thani Mohamed Soilihi.

* 17 Annexe 7-2 du livre VII du code de commerce.

* 18 Article L. 1442-12 du code du travail : « Tout conseiller prud'homme qui, sans motif légitime et après mise en demeure, refuse de remplir le service auquel il est appelé peut être déclaré démissionnaire ».

* 19 Article L. 724-1 du code de commerce.

* 20 « Les outils juridiques de prévention et de traitement des difficultés des entreprises à l'aune de la crise de la covid-19 », rapport d'information n° 615 (2020-2021) de François Bonhomme et Thani Mohamed Soilihi.

* 21 Rapport d'information n° 615 (2020-2021) précité.

* 22 Rapport n°823 (2020-2021) de François Bonhomme, fait au nom de la commission des lois, sur la proposition de loi permettant la réélection des juges consulaires dans les tribunaux de commerce.

* 23 Décret n° 2017-1163 du 12 juillet 2017 : les juges d'un tribunal de commerce souhaitant exercer dans un autre tribunal de commerce non limitrophe devaient justifier d'une ancienneté d'au moins trois ans et d'une résidence ou d'un domicile dans le ressort du tribunal ou des tribunaux limitrophes.

* 24 Cf. commentaire de la décision n° 2010-617 DC du 9 novembre 2010 - Loi portant réforme des retraites.

* 25 Cf. par exemple les décisions n° 2015-719 DC du 13 août 2015 - Loi portant adaptation de la procédure pénale au droit de l'Union européenne et n° 2016-738 DC du 10 novembre 2016 - Loi visant à renforcer la liberté, l'indépendance et le pluralisme des médias.

* 26 Décision n° 2007-546 DC du 25 janvier 2007 - Loi ratifiant l'ordonnance n° 2005-1040 du 26 août 2005 relative à l'organisation de certaines professions de santé et à la répression de l'usurpation de titres et de l'exercice illégal de ces professions et modifiant le code de la santé publique.

* 27 Décision n° 2020-802 DC du 30 juillet 2020 - Loi organique portant report de l'élection de six sénateurs représentant les Français établis hors de France et des élections partielles pour les députés et les sénateurs représentant les Français établis hors de France.

Les thèmes associés à ce dossier

Page mise à jour le

Partager cette page