TRAVAUX DE LA COMMISSION

I. AUDITION DE MM. BRUNO LE MAIRE, MINISTRE DE L'ÉCONOMIE, DES FINANCES ET DE LA SOUVERAINETÉ INDUSTRIELLE ET NUMÉRIQUE, ET DE GABRIEL ATTAL, MINISTRE DÉLÉGUÉ AUPRÈS DU MINISTRE DE L'ÉCONOMIE, DES FINANCES ET DE LA SOUVERAINETÉ INDUSTRIELLE ET NUMÉRIQUE, CHARGÉ DES COMPTES PUBLICS (26 SEPTEMBRE 2022)

M. Claude Raynal , président . - Nous avons le plaisir de recevoir cet après-midi M. Bruno Le Maire, ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et M. Gabriel Attal, ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique, chargé des comptes publics, pour évoquer devant nous le projet de loi de finances pour 2023 et le projet de loi de programmation des finances publiques pour les années 2023 à 2027, deux textes présentés ce matin en conseil des ministres.

Nous recevrons mercredi matin le président du Haut Conseil des finances publiques, qui nous présentera l'avis du Haut Conseil sur ces deux textes, ainsi que sur le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2023.

Le projet de loi de finances applique pour la première fois la réforme de la loi organique relative aux lois de finances, promulguée le 28 décembre 2021. Comme vous le savez, certains articles renforcent l'information du Parlement sur les crédits et sur la trajectoire pluriannuelle. Par ailleurs, la répartition des articles entre la première et la seconde partie est, je crois, clarifiée.

Ce budget constitue aussi la première étape de mise en oeuvre de la future loi de programmation des finances publiques. Le texte proposé par le Gouvernement vise à ramener le déficit à 2,9 % du PIB en 2027 et fixe des orientations pour l'évolution des crédits des budgets de l'État, des collectivités territoriales et des administrations de sécurité sociale.

Comme d'habitude - mais peut-être plus encore cette année -, ces deux textes sont soumis à de nombreuses incertitudes : je pense à l'évolution de la situation internationale et à ses effets sur les coûts de l'énergie et sur l'inflation, mais aussi aux changements du cadre européen des finances publiques, de nouvelles règles pouvant entrer en vigueur au cours de la mise en oeuvre de la loi de programmation.

Même si vous avez fait précéder ce dépôt d'une phase de consultation originale sous la forme des « dialogues de Bercy », auxquels certains d'entre nous ont participé, nos collègues auront certainement de nombreuses questions à vous poser sur ces deux textes.

Messieurs les ministres, je vous laisse la parole pour un propos liminaire, avant d'en venir à mes questions, à celles du rapporteur et de l'ensemble des sénateurs membres de la commission des finances.

M. Bruno Le Maire, ministre . - Je suis très heureux de vous retrouver avec Gabriel Attal pour vous présenter ce premier budget du nouveau quinquennat, le sixième de notre majorité.

L'objectif de ce projet de loi de finances est de tenir l'équilibre entre la protection de nos compatriotes et de nos entreprises face à l'inflation et le nécessaire rétablissement de nos finances publiques, avec comme objectif un déficit public ramené à moins de 3 % en 2027.

Comme vous l'avez rappelé, monsieur le président, les incertitudes n'ont jamais été aussi grandes : je pense aux conséquences de la guerre en Ukraine sur les prix de l'énergie, aux difficultés économiques de nos principaux partenaires et aux incertitudes politiques au sein de la zone euro.

Dans ce contexte, je tiens à rappeler la très bonne résistance de l'économie française. Le taux de croissance devrait atteindre 2,7 % au cours de l'année 2022, les créations d'emplois restent dynamiques, la consommation des ménages se maintient et l'investissement des entreprises reste solide. C'est ainsi que nous maintenons notre prévision de croissance à 1 % pour l'année 2023.

La priorité va à la lutte contre l'inflation, qui restera à un niveau élevé dans les mois qui viennent, à hauteur de 6 %, contre une prévision de 4 % pour 2023.

Nous avons adopté une stratégie singulière de protection des ménages au sein de la zone euro. Dès l'automne 2021, nous les avons préservés de l'augmentation des prix de l'énergie : nous avons gelé les prix du gaz, plafonné l'augmentation du prix de l'électricité à 4 % et contenu l'inflation à un niveau le plus faible parmi les pays de la zone euro.

Nous maintiendrons ce bouclier tout en l'adaptant progressivement : les prix du gaz et de l'électricité augmenteront de 15 % au début de l'année 2023. Cette hausse s'élèverait à plus de 100 % si nous suivions les prix du marché, ce qui serait intolérable. Ce bouclier représente un coût de 16 milliards d'euros - 11 milliards d'euros pour le gaz et 5 milliards d'euros pour l'électricité - inscrits dans le projet de loi de finances pour 2023. Cette somme représente un coût net : il convient de retrancher au coût brut de ce dispositif, beaucoup plus élevé, la somme de près de 20 milliards d'euros, correspondant aux prélèvements sur les énergéticiens.

À plusieurs reprises, j'ai eu l'occasion de rappeler que nous n'étions pas favorables à des taxes exceptionnelles sur les superprofits, des taxes ordinaires et permanentes pesant sur les profits de toutes les entreprises. En revanche, nous entendons récupérer la rente dont bénéficient les énergéticiens.

Nous protégeons également nos compatriotes en privilégiant le travail qui paie. Nous avons décidé de revaloriser le barème de l'impôt sur le revenu (IR) du montant de l'inflation, soit 5,4 %. Ce faisant, nous évitons à tous les contribuables soumis à cet impôt de payer davantage, même si leurs revenus augmentent. Le revenu disponible après impôt restera le même. Tel est l'objectif de notre politique économique : faire en sorte que le travail permette de vivre dignement. Il est essentiel de protéger de l'inflation nos compatriotes qui travaillent, en particulier ceux des classes moyennes.

Nous voulons aussi protéger les entreprises. Chacun a pris conscience que l'arrivée des factures d'énergie inquiète les chefs d'entreprise. Le tarif régulé de l'électricité est maintenu pour les très petites entreprises de moins de 10 salariés dont le chiffre d'affaires est inférieur à 2 millions d'euros : les hausses de prix seront contenues à 15 %.

Pour toutes les autres, nous avons demandé à la Commission européenne d'établir des critères plus simples afin de renforcer les aides accordées aux entreprises qui sont exposées à la concurrence internationale et qui souffrent de la flambée des prix de l'énergie. Le critère de 3 % de consommation énergétique dans le chiffre d'affaires de l'entreprise doit être adapté afin que l'année de référence ne soit pas 2021, mais 2022 ou 2023. Avant la crise, la part de l'énergie dans les chiffres d'affaires de nombreuses entreprises représentait 1 ou 2 %. Celles-ci ne sont donc pas éligibles aux dispositifs d'aide, alors que le coût de l'énergie représente désormais une charge pouvant aller jusqu'à 5 % de leur chiffre d'affaires. Il est indispensable de revoir le mécanisme.

Par ailleurs, nous estimons que le critère de l'EBITDA (bénéfice avant intérêts, impôts, dépréciation et amortissement) négatif durant trois mois est absurde : cela revient à condamner les entreprises, qui ne peuvent faire face à une telle situation. Nous avons demandé que celui-ci soit remplacé par une baisse de bénéfice durant un mois.

Enfin, j'ai demandé le doublement du plafond des aides d'État que nous pourrions apporter à ces entreprises, afin qu'aucune d'entre elles ne soit contrainte à la fermeture en raison de la flambée des prix de l'énergie. Nous avons d'ores et déjà obtenu que la révision du cadre des aides d'État intervienne non pas au 1 er janvier 2023, mais bien dans le courant du mois d'octobre pour que les entreprises bénéficient de ce soutien le plus rapidement possible.

Enfin, nous aidons les collectivités locales, via un fonds d'un montant de 430 millions d'euros créé, avec votre aide, lors de l'examen du projet de loi de finances rectificative pour 2022.

Notre objectif consiste également à transformer notre économie pour rétablir nos finances publiques et garantir la baisse de la dette publique, alors que les taux d'intérêt augmentent. Nous gardons la même stratégie : la réduction des dépenses, le soutien à la croissance et les réformes structurelles.

Concernant les dépenses, nous sommes sortis du « quoi qu'il en coûte ». Celui-ci était approprié pour lutter contre les conséquences du covid-19, mais il constituerait une faute économique dans la lutte contre l'inflation, qu'il ne ferait que nourrir. Nous devons abandonner les dispositifs transversaux au profit d'aides ciblées. Ceux qui critiquent le manque d'ambition du projet de loi de finances pour 2023 en matière de réduction des dépenses publiques sont les mêmes qui réclamaient d'apporter un soutien à toutes les entreprises, quelles que soient les circonstances. Je ne vise pas les sénateurs présents aujourd'hui ; je réclame de la cohérence.

Par ailleurs, maintenir une croissance forte suppose de continuer à soutenir la compétitivité de nos entreprises et la politique de l'offre. Nous confirmons la suppression de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE). Dans un esprit de responsabilité, cette réforme sera menée en deux temps, en 2023 et en 2024, pour un montant total de 8 milliards d'euros. La trajectoire de suppression de la CVAE sera inscrite dans ce projet de loi de finances afin d'apporter toutes les garanties nécessaires aux chefs d'entreprise.

La croissance repose également sur l'innovation : nous inscrivons 6 milliards d'euros d'engagements au titre du plan France 2030.

Enfin, une stratégie crédible de restauration des finances publiques suppose d'engager des réformes structurelles. Dans un pays comptant près de 400 000 emplois non pourvus, il me paraît légitime de durcir les règles de l'assurance chômage.

Il me paraît également nécessaire de mener la réforme des retraites en vue de son application dès l'été 2023 afin de financer notre modèle de protection sociale sans augmenter les impôts. Lorsque je compare la France aux autres nations développées, je constate que notre pays réussit partout, mais que le volume global de travail est insuffisant dans notre pays. Le taux d'emploi des personnes âgées de plus de 55 ans est inférieur de 20 points à celui de l'Allemagne par exemple. Cela entraîne une perte de compétences, de savoir-faire et d'expérience.

Ce projet de loi de finances concrétise notre détermination à accélérer la transition écologique. Je reconnais cependant que les sommes importantes allouées au bouclier énergétique ont un impact sur la qualité du budget vert. Nous devons faire mieux dans les mois qui viennent. Les crédits de MaPrimeRénov' s'élèveront à 2,5 milliards d'euros. Quelque 1,3 milliard d'euros seront consacrés au verdissement du parc automobile et 1,5 milliard d'euros seront versés au fonds destiné à aider les collectivités territoriales à faire face au changement climatique.

Je tiens à souligner une décision politique majeure : la France renonce pour la première fois aux assurances crédit-export pour tous les projets liés aux énergies fossiles.

Enfin, ce budget reste conforme aux engagements pris en matière de finances publiques. Nous souhaitons que l'augmentation des dépenses en volume reste cantonnée, toutes administrations confondues, à hauteur de 0,6 % durant le quinquennat, contre 1 % au cours des dix dernières années et 2 % pendant les vingt dernières années. Nous ralentissons l'accroissement en volume de la dépense publique. Mais il est toujours possible de mieux faire : toutes les propositions de réduction des dépenses des sénatrices et des sénateurs seront examinées avec le plus grand intérêt.

M. Gabriel Attal, ministre délégué auprès du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique chargé des comptes publics . - Face aux aléas géopolitiques et économiques, il nous est très difficile de prévoir l'avenir. Nous n'avons pas de boule de cristal, mais nous disposons d'une boussole : la protection de nos concitoyens.

Comme l'a rappelé Bruno Le Maire, le bouclier tarifaire, d'un montant net de 16 milliards d'euros, limitera la hausse des prix de l'énergie à 15 %, contre 120 ou 140 % si nous n'avions pas agi.

Certains soutiennent que la revalorisation du barème de l'impôt sur le revenu serait automatique. Or ce n'est pas nécessairement le cas chaque année. Cela relève toujours du choix d'un gouvernement. Cette année, la question se posait, car le coût de la mesure est estimé à 6,4 milliards d'euros, compte tenu de l'importance de l'inflation que nous connaissons actuellement.

La protection de nos concitoyens passe par la poursuite de nos actions en faveur de l'emploi. Conformément à l'objectif fixé par le Président de la République, nous souhaitons que notre pays compte prochainement 1 million d'apprentis, ce qui explique la revalorisation des crédits du ministère du travail, pour un montant de 6 milliards d'euros. C'est aussi l'enjeu de l'augmentation des crédits du ministère de l'éducation nationale, à hauteur de 3,7 milliards d'euros. À la rentrée 2023, aucun enseignant ne touchera moins de 2 000 euros net par mois et tous les professeurs connaîtront une hausse de salaire de 10 %.

Les fonctions régaliennes sont renforcées. Plus de 3 milliards d'euros supplémentaires seront accordés au ministère de la défense, conformément à la loi de programmation militaire. Le ministère de l'intérieur recevra 1,4 milliard d'euros de crédits additionnels. Le budget du ministère de la justice connaîtra une hausse importante de 8 %, pour la troisième année consécutive.

Nous protégeons également nos comptes publics. Nous sommes passés du « quoi qu'il en coûte » au « combien ça coûte ». Chaque euro dépensé doit être utile. La trajectoire de maîtrise de la dépense publique est la plus ambitieuse depuis vingt ans. Durant le quinquennat, les dépenses de l'État baisseront chaque année de 0,4 % en moyenne, et celles des collectivités territoriales de 0,5 %. En revanche, les dépenses de santé continueront d'augmenter en volume : ce choix politique vise à soutenir l'hôpital.

Dans le projet de loi de finances, le poids des dépenses publiques dans le PIB recule, de 57,6 % l'année dernière à 56,6 % en 2023, pour atteindre 53,8 % en 2027. En matière de finances publiques, le coeur de notre stratégie reste la création de valeur et l'amélioration du taux d'emploi.

Je remercie les sénatrices et sénateurs ayant participé aux « dialogues de Bercy », qui, de l'avis général, ont été utiles. À cette occasion, nous avons retenu certaines propositions : plusieurs participants ont déploré la suspension de l'actualisation des valeurs locatives des locaux professionnels, qui aurait conduit à une hausse de la fiscalité pour les commerces de centre-ville et à une baisse pour les hypermarchés en périphérie de nos villes, ce qui ne correspond pas à notre stratégie de revitalisation des centres urbains.

J'ai annoncé aujourd'hui au comité des finances locales (CFL) que la dotation de solidarité urbaine (DSU) et la dotation de solidarité rurale (DSR) seraient abondées de 210 millions d'euros afin de garantir la stabilité de la part forfaitaire de la dotation globale de fonctionnement (DGF). Ainsi, 70 % des communes auront une dotation stable, voire en augmentation. Un amendement au projet de loi de finances concrétisera cette décision.

Une enveloppe supplémentaire d'un million d'euros a été débloquée pour soutenir les communes forestières en proie aux scolytes - Sylvie Vermeillet nous avait alertés à ce sujet. Une mesure fiscale incitera les propriétaires forestiers à replanter des arbres. De plus, un amendement tendra à sanctuariser les effectifs de l'Office national des forêts (ONF), toujours suite aux dialogues de Bercy.

Des propositions visent également à améliorer la qualité de l'évaluation de la dépense publique : une liste recensera les dépenses pour lesquelles l'État sera soumis à une obligation d'évaluation.

Dans une démocratie, il est sain de ne pas être d'accord sur tout, mais cela ne veut pas dire que nous ne pouvons discuter de rien. À cet égard, les « dialogues de Bercy » ont été fructueux. Je forme le voeu que nos échanges futurs le soient tout autant.

M. Claude Raynal , président . - Les « dialogues de Bercy » ont permis de gagner du temps.

Je me réjouis que vous ayez apporté des solutions à quelques problèmes. Toutefois, votre copie reste conforme à l'original sur certains points essentiels. Je pense à la question de la suppression des impôts de production, notamment la CVAE. Je n'aborderai pas la question de la compensation de cette décision pour les collectivités locales. Le projet de loi de finances se fonde sur une prévision de croissance de 1 %. Je ne la contesterai pas : il est normal que le ministre de l'économie soit optimiste et cherche à inspirer la confiance.

Cependant, la confiance n'exclut pas de prévoir le pire : si la croissance était nulle en 2023, le Gouvernement devrait alors trouver entre 10 et 15 milliards d'euros supplémentaires. Cette somme est importante, mais, aujourd'hui, les milliards vont et viennent, mes chers collègues ! Je le répète : dans ces périodes difficiles, durant lesquelles la croissance n'est pas assurée, priver l'État de recettes n'est pas une bonne chose, comme l'ont d'ailleurs souligné le Premier président de la Cour des comptes, le gouverneur de la Banque de France et de nombreux économistes. En outre, vous avez lissé cette dépense de 8 milliards d'euros sur deux ans, ce qui montre bien que celle-ci pèse sur le budget de l'État. Par ailleurs, ceux qui sollicitaient cette baisse protestent aujourd'hui énergiquement contre cet étalement : messieurs les ministres, c'est fort de café, et le moins que l'on puisse dire est que vous n'êtes pas récompensés ! Selon eux, le signal ne serait plus assez clair et l'effet de choc amoindri. Si elle ne sert plus à rien, autant supprimer totalement cette mesure ! Nous pourrions en examiner l'opportunité en 2027, comme le proposent certains experts.

À ces 8 milliards d'euros, ajoutons les suppressions d'impôt pour nos concitoyens les plus riches, qui s'élèvent à 3 milliards d'euros supplémentaires, soit un total de 11 milliards d'euros. Si la croissance était plus faible que prévu, nous disposerions de l'argent nécessaire pour faire face à la situation et nous ne serions pas obligés de chercher des économies dans notre système de retraite.

M. Jean-François Husson , rapporteur général . - Nous apprécions la présence des deux ministres pour l'examen des textes financiers au Sénat. En ce début de quinquennat, j'y vois, d'une certaine manière, un changement de méthode.

Ma lecture concernant la croissance est moins optimiste que celle du président de notre commission. Les économistes prévoient pour nombre d'entre eux une croissance proche de 0 % tandis que votre prévision s'élève à 1 %. Quelles sont les raisons, messieurs les ministres, qui vous conduisent à cet optimisme ? Si malheureusement la croissance ne devait pas être aussi favorable, nous pourrions payer pendant un certain temps le scénario macroéconomique que vous aurez retenu.

Deuxièmement, le Haut Conseil des finances publiques constate, en excluant les mesures prises en lien avec la crise sanitaire ou la hausse de l'inflation et la crise de l'énergie, que la dépense en volume devrait croître de près de 1 % entre 2022 et 2023. Or une croissance de 1 % ne fait pas une baisse ! Vous évoquez une baisse de la dépense publique entre 2022 et 2023.

Troisièmement, le projet de loi de programmation des finances publiques remplace les dépenses pilotables par un « périmètre des dépenses de l'État » qui inclut, cette fois, les prélèvements sur recettes à destination de l'Union européenne et des collectivités territoriales. En fait, vous renversez le sablier. Alors que lors du premier quinquennat vous aviez exclu les collectivités locales, vous les replacez à présent dans la trajectoire. Je vous alerte sur ce point. Quelles sont donc les raisons qui vous conduisent à contraindre les collectivités territoriales, dont vous connaissez très bien l'importance dans l'investissement public et dont les règles budgétaires diffèrent de celles de l'État ?

Quatrièmement, vos propos sur la transition écologique ont été très brefs et, pour tout vous dire, ils m'inquiètent. J'ai eu l'occasion de vous l'expliquer ces dernières années : ce que vous qualifiez de « budget vert » s'apparente plutôt à de la peinture à l'eau. Faire intervenir Mme Valérie Masson-Delmotte pour sensibiliser le Gouvernement aux enjeux climatiques était une bonne initiative, mais cela ne suffit pas. M. le ministre des comptes publics indiquait à l'instant que l'enjeu écologique avait été évoqué en début de réunion. La prise de conscience doit être d'une tout autre ampleur ; il va falloir y mettre de l'intelligence et des moyens. Nous avons déjà perdu un temps considérable, il est donc absolument nécessaire de changer de logiciel. Quand je regarde les crédits de paiement, je m'interroge sur la façon dont tout cela va fonctionner.

Par ailleurs, vous avez évoqué un fonds vert auquel les collectivités locales seraient associées. Je ne peux que m'en réjouir, si cela peut permettre, enfin, d'articuler les actions du mieux possible pour les rendre productives. Le meilleur contre-exemple est finalement MaPrimeRénov' : quelque 2 000 logements rénovés sur un objectif de 80 000 rénovations de passoires thermiques, je le dis comme je le pense, c'est nul ! Évidemment, il faut progresser sur ce point, et je pense que nous y parviendrons.

Enfin, mon dernier point concerne la CVAE. J'ai personnellement participé aux « dialogues de Bercy », dont je salue l'initiative. Je regrette tout de même une forme de déséquilibre entre la représentation des forces politiques et celle de nos commissions, dont la raison d'être est tout de même de travailler sur ce sujet. Certains des nôtres, qui n'ont pas été invités, ont pu avoir l'impression qu'il existait deux types d'élus.

Il y a sur la CVAE un problème de forme. L'étalement de sa suppression sur deux ans répond certes à une demande et vous conservez une incitation pour les collectivités à attirer de l'activité économique sur leurs territoires. Le Gouvernement propose ainsi la dynamique de la TVA versée en remplacement de la CVAE abonde un fonds dont les ressources seraient réparties en fonction de critères locaux d'activité économique à compter de 2024, sans plus de précisions. Mais quelle serait la gouvernance de ce fonds ? Selon quelles modalités les élus locaux et parlementaires pourraient participer à la définition des critères de répartition de son produit ? Je ne comprends pas la méthode. Vous proposez une concertation après une décision qui vient d'en haut. Conformément à la culture du compromis qu'a proposée Mme la Première ministre, j'aurais préféré que vous élaboriez un projet concerté avec les collectivités et leurs représentants, puis que vous le proposiez ensuite à l'approbation du Parlement, laquelle serait venue plus naturellement.

M. Bruno Le Maire, ministre . - Monsieur Raynal, vous dites que c'est fort de café, de la part du Medef, de critiquer notre budget pour son manque d'ambition. Je suis de cet avis.

M. Claude Raynal . - Très bien !

M. Bruno Le Maire, ministre . - C'est fort de café en effet de nous reprocher de supprimer la CVAE en deux fois, quand nous le faisons pour tenir compte de la situation des finances publiques. Personne ne peut remettre en cause la parole du Gouvernement, de la majorité ou du Président de la République, ni douter de notre détermination à tenir notre ligne sur la baisse des impôts. Nous avions promis la baisse de l'impôt sur les sociétés de 33,3 % à 25 %, c'est fait. Nous avions promis un prélèvement forfaitaire unique à 30 %, c'est fait. Nous avions promis de baisser les impôts de production pour la première fois depuis vingt ans, c'est fait.

C'est fort de café également de nous demander moins de dépenses publiques, mais plus de soutien pour les entreprises. Il ne serait pas mauvais de faire preuve de cohérence et surtout de garder un esprit constructif, à un moment où l'économie française est confrontée à des défis considérables. Pour ce qui nous concerne, nous tenons notre ligne politique de l'offre : baisse des impôts de production pour soutenir l'outil productif français et rétablissement des comptes publics. Cela témoigne au contraire de notre ambition économique pour le pays.

J'en viens aux raisons qui nous ont conduits à supprimer la CVAE. Nous ne nous sommes pas réveillés, un matin, avec cette volonté soudaine. Cela fait plus de cinq ans maintenant que je suis ministre de l'économie et des finances et j'ai toujours considéré - comme nombre d'entre vous ici - que la reconquête industrielle était une ardente obligation dans un pays qui, je le rappelle, a détruit des emplois industriels par centaines de milliers et qui a connu une hémorragie industrielle comme aucun autre grand pays industriel en Europe. Ni l'Italie ni l'Allemagne n'ont connu pareille hémorragie. Il y a donc eu faute économique, faute politique, faute collective sur l'industrie nationale.

Cette reconquête ne peut toutefois se faire en une année ni par un claquement de doigts. Elle demande une stratégie continue, résolue, déterminée et constante, qui repose sur trois piliers.

Le premier pilier est la baisse des charges et l'allègement de la fiscalité sur les entreprises industrielles. J'ai visité il y a quelques jours pour la cinquième ou sixième fois mes amis décolleteurs dans la vallée de l'Arve. Vous ne pouvez pas demander à des industriels qui sont confrontés à de tels défis de traîner ce boulet d'impôts de production sept fois plus élevés que leurs voisins allemands. Vous ne pouvez pas leur demander d'être compétitifs quand leurs cotisations patronales sont beaucoup plus élevées que celles de leurs grands voisins européens. Nous avons remédié à ces difficultés. Je rappelle que c'est cette majorité qui a transformé les allègements de charges, qui étaient un crédit d'impôt, en allègements définitifs. C'est cette majorité qui a engagé la baisse des impôts de production, qui a fait de la France le territoire le plus attractif pour les investissements étrangers.

Ce premier pilier de la reconquête industrielle n'est pas le plus facile à faire comprendre. À chaque fois que nous baissons les impôts sur les entreprises, on nous dit « cadeau pour les entreprises ». Je réponds cadeau pour l'industrie, pour les ouvriers, pour la culture industrielle nationale. C'est différent.

Le deuxième pilier est évidemment la formation et la qualification, qui passent par une reconquête culturelle de l'industrie française. Il n'est pas normal que dans un centre de formation d'apprentis aussi remarquable que celui que j'ai visité, en Haute-Savoie, où l'employabilité est de 100 % à la sortie et où chaque jeune bénéficie à lui seul de trois offres d'emploi, seules 300 places sur les 400 disponibles soient pourvues. Il faut montrer à nos enfants et en particulier aux jeunes femmes - le taux de féminisation est beaucoup trop faible - que l'industrie, ce n'est plus Zola, mais de la création, du savoir-faire, de la technologie, des ingénieurs, de la valeur ajoutée, de bons salaires et des perspectives de carrière.

Enfin, troisièmement, le combat pour la reconquête industrielle passe par la simplification de la vie des industriels, notamment pour l'installation de nouveaux sites. Dès le début de l'année 2023, je ferai des propositions très concrètes à la Première ministre et au Président de la République sur ce sujet. Mon objectif est que la France retrouve 15 % de part de l'industrie dans la richesse nationale d'ici quinze ans. Nous sommes tombés à 10 ou 11 % alors que rien ne le justifiait. Je fixe donc cette ambition, avec les sites industriels, les technologies et les emplois qui vont avec.

Au sujet des prévisions de croissance, il est bien entendu que d'autres scénarios existent. Mais quand on présente un budget, on choisit un scénario central. Dans ses scénarios les plus sombres, la Banque de France part du principe qu'il pourrait y avoir des coupures d'énergie, des délestages sur les sites industriels, des arrêts de production massifs sur le territoire. Ce n'est pas notre scénario central. Les actions que nous avons menées avec Agnès Pannier-Runacher - le plan d'économie d'énergie, le remplissage à 94 % des stocks de gaz, la diversification des sources d'approvisionnement - visent précisément à éviter ce scénario que je n'écarte pas - cela serait très audacieux de ma part - d'un revers de la main. Je dis simplement que notre scénario central reste une croissance positive en 2023 à hauteur de 1 %.

Par ailleurs, au-delà des mesures que nous avons prises sur l'énergie, nous avons eu aussi à coeur de soutenir la demande des ménages français. Protéger les ménages contre l'inflation - la France est l'un des seuls pays de la zone euro où le pouvoir d'achat continuera à progresser en 2023 - est aussi une manière de soutenir notre croissance. Enfin, les réserves d'épargne restent élevées dans notre pays ; c'est aussi un motif de confiance.

En ce qui concerne la transition écologique, je partage totalement votre ambition. Je vous invite simplement à ne pas sous-estimer l'ampleur des transformations que nous avons engagées avec le Président de la République et la Première ministre en la matière. Tout en ayant parfaitement conscience qu'il faut aller plus vite, faire mieux, déployer encore plus massivement nos dispositifs, je crois que nous sommes dans la bonne direction.

D'abord, nous avons engagé un plan de sobriété qui sera présenté le 6 octobre prochain et qui est absolument clé. Je veux vraiment bien faire comprendre que les économies d'énergie que nous allons tous devoir faire dans les semaines qui viennent ne visent pas à passer l'hiver, mais à passer le siècle. Elles doivent nous permettre de bénéficier, dans les prochaines décennies, d'une situation climatique plus favorable. Ne pensons pas que les économies d'énergie sont une réponse à un problème conjoncturel. Le problème est évidemment structurel et ce sont des changements de comportement complets auxquels nous devons être conduits, nous, citoyens, entreprises, administrations, pour réussir à lutter contre le réchauffement climatique.

Le fonds vert des collectivités locales annoncé par Élisabeth Borne représente 1,5 milliard d'euros. Nous pourrons discuter ensemble de son déploiement afin de nous assurer qu'il sera le plus efficace possible. L'accompagnement des ménages pour l'achat de véhicules électriques et le dispositif MaPrimeRénov' sont aussi des aides budgétaires massives. Je suis prêt à regarder comment l'on passe de rénovations par geste à des rénovations plus globales qui, on le sait, sont mille fois plus efficaces pour lutter contre le réchauffement climatique et éviter les pertes thermiques.

Enfin, je rappelle que France 2030 consacre la majorité de ses investissements à la lutte contre le réchauffement climatique et aux investissements verts. Je veux redire aussi que la stratégie énergétique présentée par le Président de la République à Belfort - sobriété, accélération sur les énergies renouvelables et réalisation de six nouveaux EPR - est une manière de garantir la réduction de notre empreinte carbone.

M. Gabriel Attal, ministre . - En réponse à la question de M. Jean-François Husson, nous avons effectivement adopté une nouvelle présentation budgétaire : le « périmètre des dépenses de l'État (PDE) » remplace les deux définitions précédentes, à savoir la norme de dépenses pilotables et l'objectif total de dépenses de l'État.

Cette nouvelle présentation doit apporter une meilleure visibilité. Elle couvre un périmètre plus large, afin d'améliorer le suivi et le pilotage de la dépense publique, y compris les prélèvements à destination de l'Union européenne et les prélèvements sur recettes en direction des collectivités locales. La maîtrise de la progression des dépenses publiques demandée aux collectivités locales n'est pas liée à ce nouveau périmètre, mais à nos engagements d'une maîtrise globale de la progression des dépenses en vue de tenir nos objectifs de déficit public. Il s'agit là de deux sujets différents.

Concernant la suppression de la CVAE, nous avons précisément mené une concertation nourrie avec les associations d'élus, afin de définir les modalités de sa compensation. Au cours de ces dernières semaines, nous avons multiplié les réunions avec Christophe Béchu, Caroline Cayeux et les associations d'élus que nous avons toutes rencontrées au moins deux fois. Il en résulte que la copie qui vous est présentée n'est pas celle que nous envisagions avant ces échanges.

Je note par exemple une évolution majeure dans le passage d'un prélèvement sur recettes à une fraction de TVA. Au départ, il est vrai que nous voulions compenser la suppression de la CVAE par un prélèvement sur recettes, auquel on aurait appliqué la dynamique moyenne de CVAE des huit dernières années, à savoir 2,5 % par an. Cela nous semblait être un gage de visibilité. Nous étions peu favorables à la solution d'une fraction de TVA, en raison d'une prévisibilité moindre, mais aussi parce que, avec cette compensation, les recettes de TVA affectées à l'État seraient en effet inférieures à 50 % des recettes de TVA, dont l'essentiel irait aux organismes de sécurité sociale ou aux collectivités locales. Cela ne change pas grand-chose sur le fond, si ce n'est qu'à l'avenir, des majorités qui auraient à prendre des décisions sur la TVA pourraient rencontrer des réticences parmi les principaux bénéficiaires de cet impôt. Sur ce point, le Gouvernement a fait évoluer sa position. Nous avons choisi comme solution la fraction de TVA, conformément au souhait des associations d'élus.

La question se pose ensuite de la territorialisation de la dynamique de la compensation de la CVAE. Autrement dit, comment permet-on aux maires et aux patrons d'établissements publics de coopération intercommunale (EPCI) d'affirmer à leurs administrés que l'accueil d'une activité économique sur le territoire reste intéressant également pour les recettes de la collectivité ?

Nous avons commencé à en discuter avec les associations d'élus et des membres de cette commission, dans le cadre des « dialogues de Bercy ». Pour l'instant, nous envisageons de nous appuyer sur les bases de cotisation foncière des entreprises (CFE), qui figurent déjà parmi les critères de territorialisation des recettes de CVAE. Plusieurs associations d'élus et des parlementaires ont suggéré d'enrichir ces critères. Nous sommes ouverts à leurs propositions, que pour l'heure nous n'avons pas reçues. Je suis convaincu qu'elles nourriront les prochains débats parlementaires. Mon objectif est que la gouvernance du fonds ait le moins de décisions possible à prendre et que l'affectation des recettes de CVAE se fasse à partir de critères suffisamment efficaces pour mesurer l'attractivité économique des territoires.

Enfin, je suis très ouvert à ce que l'on révise le périmètre des « dialogues de Bercy ». Nous avions retenu comme participants les membres des bureaux des commissions des finances de l'Assemblée nationale et du Sénat plus un représentant par groupe, en considérant que ce dernier communiquerait les informations à ses collègues et qu'un format resserré permettrait de fluidifier les échanges. Personnellement, je vois plutôt un bon signe dans le fait que des candidatures s'expriment pour participer aux prochaines éditions.

M. Claude Raynal , président . - Nous démarrons maintenant la série de questions.

Mme Christine Lavarde . - En entendant M. le ministre Le Maire, il m'a semblé que ses critiques à l'égard de ceux qui demandent moins de dépenses publiques et davantage de soutien aux entreprises visaient le groupe Les Républicains.

M. Bruno Le Maire, ministre . - Non, je ne vous visais pas.

Mme Christine Lavarde . - Je rappellerai que le Gouvernement se félicite de recettes fiscales meilleures que prévu, notamment du fait des rentrées provenant des entreprises. C'est pourquoi nous pensons qu'il est utile de les soutenir.

Après les précisions de M. le ministre Attal sur la dotation globale de fonctionnement (DGF), je comprends que la version du texte dont nous disposons est déjà obsolète, puisqu'il convient d'ajouter aux crédits déjà inscrits des crédits supplémentaires à hauteur de 210 millions d'euros. Peut-être faudrait-il nous expliquer le mécanisme, car le texte prévoit bien une augmentation de la dotation de solidarité urbaine (DSU) et de la dotation de solidarité rurale (DSR), financée sur l'enveloppe normée.

Ma deuxième question concerne la réforme des valeurs locatives professionnelles. Monsieur le ministre, vous dites nous avoir entendus lors des « dialogues de Bercy » à ce sujet. Envisagez-vous un simple report ou allez-vous revoir complètement la méthode ? Un report à l'automne prochain déboucherait en effet sur les mêmes écueils.

Par ailleurs, si le sujet du Fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée (FCTVA) ne figure pas dans le texte - hormis une faible augmentation des crédits -, le Sénat ne l'a pas oublié et vous le trouverez sur votre route sur ce sujet.

Toujours concernant les collectivités locales, M. le rapporteur général a évoqué l'article 16 du projet de loi de programmation, qui encadre la trajectoire des dépenses. Sur ce point, vous annoncez une concertation, mais vous demandez aux collectivités de présenter des éléments dans leur débat d'orientation budgétaire qui a lieu, pour certaines d'entre elles, début décembre. Cela rend la tâche très difficile, d'autant que l'article, assez flou, se borne à indiquer que l'augmentation doit se limiter à 3,8 %. Je vous rappelle que la masse salariale, qui pèse pour toutes les collectivités pour plus de 50 % des dépenses, augmente déjà de 3,5 % et que l'inflation des dépenses du volet énergie-alimentation-papier nous amène bien au-delà des 3,8 %. En résumé, vous demandez aux collectivités de diminuer drastiquement leurs dépenses. En aval, prévoyez-vous un régime de sanctions pour les collectivités qui ne respecteraient pas les objectifs des contrats de Cahors ? Prévoyez-vous des déclinaisons selon les collectivités, qui ne sont pas toutes exposées de la même manière au choc d'inflation ? J'entends concertation avec les collectivités, mais selon quel calendrier ?

Enfin, la dernière salve est la salve verte. Pour nous non plus, le compte n'y est pas. J'ai certes relevé que l'article 14 du projet de loi de programmation des finances publiques prévoit un rééquilibrage d'ici à 2027, avec une diminution des dépenses fiscales défavorables par rapport aux dépenses fiscales favorables. Je relève simplement que les réformes envisagées lors du premier quinquennat ont toujours été reportées à des temps meilleurs. J'ai envie de vous croire, mais le différentiel est tellement important qu'il ne sera pas difficile de faire mieux.

Quant à l'article 7 - « adaptation du système fiscal aux exigences de la transition énergétique » -, nous devons l'examiner en détail, mais je ne vois pas en quoi les mesures proposées répondraient aux exigences. Lors des « dialogues de Bercy », le besoin d'une véritable rénovation des bâtiments a été largement soulevé. Or je n'ai absolument rien trouvé sur ce thème dans l'ensemble des documents qui nous ont été proposés.

M. Roger Karoutchi . - Je reviens sur le taux de croissance que vous retenez. Pour rappel, lorsque je doutais ici même, en 2020 et en 2021, du réalisme de vos prévisions, vous me traitiez de Cassandre tout en affichant votre confiance. De fait, nous sommes très loin des taux de croissance que vous aviez annoncés pour 2020, 2021 et pour les années suivantes.

Bien sûr, il y a eu la crise de la covid. Bien sûr, il y a eu la guerre en Ukraine. Bien sûr, il y a la crise de l'énergie. Bien sûr, il y a l'inflation. Mais tout cela disparaît-il en 2023 ? Qui vous dit que la guerre en Ukraine va cesser ? Qui vous dit que la crise énergétique ne va pas s'aggraver, en fonction de la nouvelle politique des pays producteurs ? Dans ces conditions, l'inflation ne baissera certainement pas en 2023 !

Quand vous affirmez retenir le chiffre moyen de 1 %, de quelle moyenne parlez-vous ? La Banque de France prévoit un taux de croissance de 0,5 %, l'OCDE de 0,6 %, et encore... L'entrée probable en récession de l'Allemagne en 2023 entraînera des conséquences pour la France, dont la croissance pourrait être ramenée à zéro. À ma connaissance, aucun organisme ne prévoit le taux de croissance de 2 % qui vous aurait permis d'atteindre une moyenne de 1 %. Vous avez donc adopté une vision très optimiste.

M. Attal nous dit qu'il n'a pas de boule de cristal, mais une boussole. Cette boussole n'est-elle pas tout de même un peu désorientée ? Sous le prétexte d'une politique volontariste, vous affichez un optimisme qui m'inquiète. Vous annoncez vous-même que la France empruntera 270 milliards d'euros, que les déficits s'élèveront au bas mot à 5 % du PIB en 2023, probablement à 6 %. Vous créez des postes dans le domaine de la sécurité, vous créez 6 000 places d'hébergement. Je ne conteste pas cette politique volontariste, mais on ne voit pas, en parallèle, de réduction des dépenses.

Alors que le Président de la République nous avait annoncé, dans un environnement extrêmement difficile, un budget de guerre et de crise, nous avons l'impression d'être face à un budget classique, très optimiste et probablement inatteignable.

M. Jean-Marie Mizzon . - N'ayant pas participé aux « dialogues de Bercy » - j'ai suffisamment de mal à honorer les invitations que je reçois pour ne pas me rendre là où je ne suis pas invité -, j'aborderai un sujet qui ne relève pas de la stratégie globale du projet de loi de finances pour 2023, mais que M. Le Maire a évoqué. Comme d'autres ici j'imagine, j'ai rencontré un certain nombre de chefs d'entreprise qui m'ont exprimé leurs angoisses face à la multiplication, par plus de dix, des prix de l'électricité qui leur sont proposés. Ces chefs d'entreprise sont désemparés et très inquiets.

Monsieur le ministre, êtes-vous favorable à la mise en place de nouvelles règles, dans le sens attendu par les fournisseurs et les clients pour l'approvisionnement en 2023 ? Je pense en particulier aux règles de fonctionnement de l'accès régulé à l'électricité nucléaire historique (Arenh) ainsi qu'à l'organisation du marché de l'électricité. Je sais que ces règles dépendent essentiellement du niveau européen, que le volume d'Arenh a été porté à 120 térawattheures et que le prix de l'Arenh ne peut être désormais inférieur à 49,50 euros, en application de la loi sur la protection du pouvoir d'achat du mois d'août dernier. Seriez-vous néanmoins favorable à une nouvelle augmentation du plafond du volume de l'Arenh ?

Par ailleurs, envisagez-vous de permettre à tous les clients de bénéficier d'offres grâce à une garantie de l'État qui serait apportée aux fournisseurs ? Certains fournisseurs ne trouvent pas d'offres, tout simplement, parfois, parce qu'elles n'existent pas. Le marché est totalement insécurisé : certaines offres sont émises à onze heures, prennent fin à midi et on se réserve le droit de les annuler avant si les marchés fluctuent. Un fournisseur de dernier recours, qui pourrait être l'État, pourrait permettre à ces entreprises de trouver une solution.

Enfin, ma dernière question s'adresse à M. Attal, qui a évoqué la commission de révision de la valeur locative des locaux professionnels. Je suis dans un département où la commission n'a pas fini ses travaux. Doit-elle les arrêter ?

M. Éric Bocquet . - Je voudrais évoquer deux points : la CVAE et, sujet cher à Bruno Le Maire, les superprofits.

Je rêve d'une république où l'on demanderait l'avis des maires quand on décide de supprimer des impôts -- taxe professionnelle en son temps, taxe d'habitation et CVAE aujourd'hui...

Nous sommes nombreux, ces temps-ci, à participer à des assemblées générales ou des congrès d'associations d'élus dans les départements -- j'étais pour ma part à celle de l'association des maires ruraux la semaine dernière dans le Nord et serai à celle de l'association des maires du Nord à Douai ce vendredi -- et ce qui revient avec force, c'est l'inquiétude et parfois même la panique par rapport à la hausse des prix de l'énergie. Les maires se demandent comment ils vont honorer leurs factures et maintenir l'équilibre de leur budget.

Quelque chose d'important se passe : les maires ruraux ont ainsi adopté une motion à l'unanimité -- ce qui n'est pas dans leurs habitudes --, pour demander la mise en place d'un bouclier tarifaire sur l'énergie.

À titre d'exemple, une commune de 27 000 habitants de la métropole lilloise, qui prévoyait dans son budget primitif 900 000 euros de dépenses, compte 2,4 millions d'euros de dépenses effectives, sur un fonctionnement de 34 millions d'euros sur une seule année. Cela veut dire que cette commune honorera ses factures d'ici à la fin de l'année, mais que l'excédent disponible l'an prochain sera en nette diminution.

Pensez-vous donc vraiment qu'il soit responsable de supprimer la CVAE, impôt très dynamique, sans demander leur avis aux élus, à un moment où les collectivités territoriales vont rencontrer des difficultés accrues ?

Je sais que vous avez réitéré cet engagement face au Medef fin août, mais vous auriez pu le différer de deux, trois ou quatre ans sans problème. Est-ce une bonne idée de priver les collectivités de cette ressource ? Une préoccupation forte monte chez les élus et vous en entendrez sans doute parler au congrès des maires en novembre.

Ma deuxième question porte sur la taxation des superprofits. Sans doute pensiez-vous que le débat serait clos après la discussion du PLFR cet été, qui avait abouti au rejet des amendements des différents groupes portant cette mesure. Or, il réapparaît avec force en cette rentrée. Vous dites ne pas savoir ce que sont des superprofits. Une proposition simple : prenez les trois années antérieures à la crise covid -- 2017, 2018 et 2019 --, faites une moyenne des profits réalisés par les groupes du CAC 40 à cette époque-là et on aura une petite idée de la notion de superprofits.

Le débat n'est pas clos et nous reviendrons, avec d'autres, sur le sujet au cours des débats à venir, car je ne vois rien de cette nature dans le PLF.

Mme Vanina Paoli-Gagin . - En premier lieu, je salue, au nom du groupe Les Indépendants, la dynamique de consultation engagée via les « dialogues de Bercy » en amont de la discussion du PLF.

Ma première question concerne les forêts. Les précisions que vous avez apportées, monsieur le ministre chargé des comptes publics, sont louables.

Êtes-vous ouvert à la mise en place de dispositifs supplémentaires ? Nous allons prochainement discuter une proposition de loi, que je porte, sur la valorisation des externalités positives de la forêt. Nous envisageons de mettre en place un dispositif fiscal à l'endroit des particuliers et des entreprises qui souhaiteraient financer, via le mécénat, les communes forestières, nombre d'entre elles étant en difficulté. À cet égard, le Gouvernement est-il ouvert à des aménagements pour enrichir les dispositifs que vous décrivez ?

Je souhaite ensuite évoquer le crédit d'impôt recherche, car j'ai entendu que des collègues, à l'Assemblée nationale, planchaient sur une réforme, or je n'ai rien vu dans le budget. Là encore, nous avons mené au Sénat une mission d'information sur le sujet.

Nous souhaiterions qu'à enveloppe constante, une partie du crédit d'impôt recherche soit fléchée vers les PME. Après le « quoi qu'il en coûte », le « combien ça coûte », l'heure du « mieux qu'il en coûte » est arrivée, et l'effet de levier du crédit d'impôt recherche sur les PME est trois fois supérieur à celui des dépenses des grands groupes.

Concernant les collectivités territoriales, je voudrais évoquer le fonds national de péréquation des ressources intercommunales et communales (Fpic), qui devait être transitoire et ne fait pas que des heureux dans la ruralité. Les modifications que vous prévoyez à l'article 45 du PLF, notamment sur le critère d'exclusion de reversement du Fpic, vont-elles affecter la clé de répartition ?

J'ai enfin une question similaire sur la taxe d'aménagement, dont les modalités d'attribution ont été modifiées récemment : le reversement de la taxe perçue par la commune aux EPCI a été rendu obligatoire, ce qui a été mal perçu dans les zones rurales et a modifié des équilibres économiques. Avez-vous prévu de revenir sur cette décision ? Disposez-vous de retours d'expérience sur ce nouveau régime de taxe d'aménagement ?

M. Rémi Féraud . - Éric Bocquet a évoqué la question des superprofits, qui est au centre du débat politique. Sans trop y revenir, je précise, messieurs les ministres, que la proposition de taxation n'entre pas dans les impôts de production. Elle est par ailleurs temporaire, et non pérenne. Même si nous ne partageons pas la philosophie politique du Gouvernement, il me semble qu'il s'agit d'une position d'équilibre, à un moment très particulier de l'histoire, qui ne remet pas en cause l'ensemble de votre politique.

J'ai deux questions à vous poser.

Comment s'inscrit l'éventuelle réforme des retraites dans la loi de programmation des finances publiques ? Nous avons compris que vous considérez -- sûrement à juste titre -- qu'elle n'aurait pas d'impact budgétaire en 2023, mais elle en aurait forcément sur la loi de programmation des finances publiques. Vous l'avez d'ailleurs dit dans votre introduction, mais dans le texte lui-même, la phrase est très courte et sibylline : « La soutenabilité de notre trajectoire reposera notamment sur les réformes structurelles engagées. » Je ne sais pas si la réforme des retraites entre dans ces réformes structurelles engagées, mais cela demande des précisions et des chiffres.

Ensuite, nous avons parlé de la CVAE, de la CFE, de la difficulté à trouver des dispositifs pour compenser la perte de ces recettes pour les collectivités locales et des besoins de tenir compte des dynamiques territoriales. Êtes-vous prêts à regarder comment retrouver ces dynamiques sur d'autres sujets ? Je pense notamment aux dispositifs qui peuvent être revus pour abonder les objectifs de politique de logement : taxe sur les logements vacants, taxe sur les résidences secondaires...

Par ailleurs, seriez-vous prêts à revoir les limitations actuellement imposées sur la taxe de séjour ? C'est une question importante pour beaucoup de communes dont Paris, où je suis élu. Cette taxe reposant en premier lieu sur les touristes étrangers, son augmentation ne pèserait pas sur les Français et pourrait éviter à des communes d'augmenter leur taxe foncière.

Êtes-vous prêts, en somme, à redonner des marges de manoeuvre sur différents modes d'imposition aux collectivités locales ?

M. Daniel Breuiller . - En introduction de vos propos, monsieur le ministre, vous avez évoqué les incertitudes très fortes qui pèsent sur le plan énergétique et sur l'inflation ; j'y ajoute l'accélération gravissime de la crise climatique que nous traversons.

Pour ceux qui pourraient encore en douter, les événements majeurs survenus cet été -- sécheresse, incendies -- l'ont bien illustrée.

Il s'agit d'un problème international, et non national. L'exemple du Pakistan montre les enjeux géostratégiques que cette crise climatique fait peser sur le devenir des populations, sur les migrations, sur la possibilité même de vivre dans certains territoires.

J'estime donc que les propositions que vous nous faites, même si les mots annoncent des inflexions, sont très loin du compte.

Puisque nous sommes dans le « combien ça coûte », je vais vous dire combien ça coûtera de ne pas nous mettre à la bonne hauteur.

Il y a eu 40 milliards d'euros, il va y avoir 36 milliards ou 16 milliards nets de bouclier énergétique, dont 2,5 milliards sur l'isolation des bâtiments. Mais, si on veut sortir de notre dépendance au gaz russe et ne pas tomber dans la dépendance au gaz de schiste, il faut mettre un facteur 10 sur cet engagement. Il faut mettre a minima 10 milliards d'euros sur l'isolation thermique. Il faut mettre des crédits aussi pour accroître la place du rail.

Nous ne sommes pas du tout dans les ordres de grandeur qui permettent un bouleversement.

Le volet de la sobriété, qui n'est d'ailleurs pas toujours coûteux, ne mérite pas les mesurettes annoncées, mais un vrai engagement collectif pour une sobriété heureuse.

Il est nécessaire de dégager des moyens d'action sur ces sujets. Dans cette perspective, nous estimons que ce n'est donc pas le moment de supprimer la CVAE, car cela constitue un désarmement de la capacité de l'État à agir, dans ce domaine comme dans celui de la justice sociale.

Vous devriez, a minima , messieurs les ministres, proposer des conditionnalités climatiques ou sociales chiffrées pour les entreprises qui vont bénéficier d'une réduction de leurs impôts.

Toutes les décisions que nous prenons devraient être mesurées à l'aune de leur impact sur la crise climatique ou sur la justice sociale. Certaines niches fiscales méritent d'être regardées. La taxation des superprofits doit être étudiée -- je regrette, monsieur Le Maire, que vous n'ayez pas lu ou apprécié à sa juste valeur la proposition déposée par les groupes de gauche qui définit exactement ce qu'est cette taxation et n'en fait pas une taxation pérenne.

Nous proposons également un impôt sur la fortune (ISF) climatique pour aider les personnes les plus aisées, qui émettent le plus de CO 2 , à réduire leurs émissions.

Enfin, le fonds vert à destination des collectivités territoriales de 1,5 milliard d'euros n'est pas à la hauteur non plus. Or ces dernières seront sans nul doute le premier acteur de la transition écologique du pays. Dans une république décentralisée, nous devrions prendre au moins autant soin des collectivités territoriales que vous le faites des entreprises.

La commune dont j'ai été maire a vu ses frais d'énergie augmenter de 2 millions d'euros ; l'institut Gustave-Roussy, que j'ai visité il y a quelques jours avec le président du Sénat, a vu les siens augmenter de 5 millions d'euros. Je pense également aux universités, souvent vétustes et mal isolées. Où trouver cet argent ? Il faut un bouclier tarifaire sur l'énergie pour les collectivités.

M. Jean-Claude Requier . - Monsieur le ministre, vous dites ne pas être récompensé des efforts fournis en faveur de certaines catégories sociales, mais je ne suis pas sûr qu'en faisant des efforts sur l'éducation, vous obteniez le vote des enseignants ni qu'en faisant des efforts sur l'écologie, vous ayez celui des écologistes. Mais ce n'est pas le débat, nous sommes là pour gérer un pays et non gagner des catégories sociales.

Il y a, dans ce budget, beaucoup de dépenses et assez peu d'économies, mais je comprends que nous devions soutenir l'économie qui est en difficulté.

Je voudrais dire un mot sur les dispositifs de relance, qui vont se terminer en 2023 : quelle est la proportion de crédits engagés consommés à l'heure actuelle et dispose-t-on d'une évaluation de leur efficacité ?

Ma deuxième question porte sur les crédits accordés à l'Ukraine. Nous en avons voté lors du PLFR, ce sera sûrement le cas également pour le PLF ; a-t-on une idée de leur montant ?

Ma troisième question porte sur la CVAE. Une compensation pour les départements sera-t-elle proposée, comme cela existe pour le RSA, lors du PLFR ?

Enfin, ce PLF est relativement court, nous verrons si on peut s'attendre à des modifications lors de l'examen parlementaire.

M. Pascal Savoldelli . - Nous nous trouvons dans une situation inédite du fait de la forte hypothèse de 49.3 à l'Assemblée nationale. J'ai l'impression que nous sommes ici dans une bulle, car une épée de Damoclès plane en réalité sur nos dialogues !

Sans jouer les victimes, en tant qu'opposition au Sénat, avec un 49.3 annoncé à l'Assemblée et un budget de droite, cela fait droite plus droite plus droite.

Je ne vois aucune proposition concrète de dialogue adressée aux groupes d'opposition parlementaire. Il faut un langage de vérité.

À cet égard, je vous remercie pour votre honnêteté, monsieur le ministre, lorsque vous avez reconnu dès le départ qu'il y avait non pas 45 milliards d'euros pour le bouclier tarifaire, mais seulement16 milliards. Dont acte.

Quand je vous entends parler de la même manière des collectivités territoriales et des entreprises, en retenant les mêmes critères -- 2 millions de chiffre d'affaires ou moins de 10 salariés -- je me dis que j'assiste à un virage historique.

Vous avez beau arguer des négociations européennes, il faut malgré tout s'occuper des collectivités. Vous nous annoncez 430 millions d'euros d'aides, mais nous les avons déjà votées ; ce sont des plats réchauffés.

Aurez-vous la volonté politique de revenir à la tarification réglementée de la vente de l'énergie pour les collectivités territoriales et les entreprises demandeuses ? Pour cela, il faut indexer au prix de production, et désindexer du prix du marché et de la spéculation. Voilà une proposition responsable !

Sur la question de l'imposition des hauts revenus, abordée par le président Raynal - il n'a d'ailleurs pas obtenu de réponse -, je vous fais tout de suite une économie d'au moins 3 milliards d'euros ! Vous allez faire un cadeau fiscal à 905 000 foyers qui disposent de plus de 100 000 euros de revenu fiscal.

Revaloriser les premières tranches, je suis d'accord, je ne suis pas obstiné. Pardonnez ma véhémence, mais après la taxe d'habitation et la redevance audiovisuelle, ces gens-là ont-ils besoin d'un nouveau cadeau fiscal ? C'est aussi cela qui gronde dans la société, une révolte intériorisée, qui n'est pas une affaire de gauche ou de droite.

M. Bernard Delcros . - Sur les superprofits, vous connaissez la position de mon groupe. Concernant les collectivités locales, une DGF stable, en période d'inflation forte, représente une perte de pouvoir d'achat et de capacité d'autofinancement.

Il semble qu'en moyenne, la capacité d'autofinancement des collectivités baisse finalement assez peu. Mais derrière cette moyenne se cachent des inégalités très fortes. Je pense notamment -- mais pas seulement -- aux collectivités rurales, où l'inflation est de 1 à 2 points supérieure. Il faut remédier à ces disparités.

Cela a été fait pour 2022 par le biais du PLFR et je me réjouis de l'annonce d'un abondement de 210 millions d'euros de la DSR et de la DSU, qui n'est donc pas pris sur l'enveloppe normée et permet de financer la péréquation.

Cela étant dit, comment le Gouvernement envisage-t-il, en 2023, d'accompagner les collectivités et les ménages les plus touchés par l'inflation ?

J'approuve le fonds vert annoncé à hauteur de 1,5 milliard d'euros, car la transition écologique passe par les territoires. Quelle forme prendra-t-il ? S'agira-t-il d'appels à projets ?

J'ai par ailleurs une question sur les dispositions fiscales adossées aux politiques d'aménagement du territoire. La mission qui a été confiée à trois députés par le Gouvernement propose la suppression de ces dispositions fiscales adossées à un certain nombre de zonages, notamment les zones de revitalisation rurale (ZRR). Je n'y suis évidemment pas favorable, ayant travaillé sur ces questions notamment avec mes collègues Frédérique Espagnac et Rémy Pointereau. Pouvez-vous nous assurer qu'il n'en sera rien ?

Enfin, j'ai cru comprendre qu'il était question de baisser la taxe sur les frais des chambres de métiers et d'artisanat. Pouvez-vous nous donner un peu de visibilité sur cette question ?

M. Thierry Cozic . - Mon collègue Bernard Delcros a anticipé mon intervention, je vais donc être très bref : le Gouvernement est-il prêt à regarder de près une indexation de la DGF sur l'inflation pour accompagner les collectivités ?

Mme Sylvie Vermeillet . - L'évolution de la charge de la dette n'a pas été abordée : elle dépasserait les 50 milliards d'euros en 2023. De quelles marges de manoeuvre disposons-nous ?

Sur le chapitre de la mise en réserve de crédits, nécessaire pour faire face à des imprévus, vous prévoyez un gel de précaution de 8,1 milliards d'euros en crédits de paiement. Ce rabot, en quelque sorte général, peut être une piste. Mais quelles doivent-être ses déclinaisons, sachant que les budgets de certains ministères -- intérieur, justice, armées, éducation nationale... -- augmentent ? Où trouver les économies ?

Sur la question de la suppression de la CVAE, une piste aurait été de la reporter, de la même manière que nous avions préconisé le report de la suppression de la contribution à l'audiovisuel public, qui représente tout de même 3,7 milliards d'euros. Je pense que le « zéro artificialisation nette » fait beaucoup plus de mal aux entreprises que les bienfaits de la suppression de la CVAE.

Pour terminer, je vous remercie pour le million d'euros supplémentaire en direction des communes forestières, dont certaines font face à de réelles difficultés.

M. Jean-Michel Arnaud . - Je reviens sur le fil directeur de nos échanges : la hausse du prix de l'énergie. Vous avez rappelé, monsieur le ministre, dans quelles conditions serait plafonnée l'augmentation des prix à hauteur de 15 % à partir de janvier 2023 pour la plupart des particuliers.

Je me permets d'insister sur deux angles morts qui émergent des remontées de terrain. Le premier est évidemment la question de la compensation des collectivités locales. Hormis un accompagnement autour de 450 millions d'euros, décidé dans le PLFR grâce à l'action déterminante de certains de mes collègues et repris dans le PLF, il n'y a, me semble-t-il, aucune avancée sur ce sujet. C'est une alerte majeure.

Nos collectivités locales doivent-elles suivre le conseil du Président de la République émis le 22 septembre : « Ne signez pas aujourd'hui vos contrats quand ils sont à des prix fous » ? Il s'adressait aux entreprises, mais peut-être est-ce valable pour les collectivités locales...

Il semblerait que les copropriétés, qui sont sous un statut de personne morale, ne puissent pas bénéficier du tarif régulé du gaz et de l'électricité. Cela pose d'énormes problèmes et risque de mettre en grande difficulté les plus précaires, que ce soit dans le logement social ou simplement dans le logement privé classique.

Enfin, en tant qu'élu de la montagne, permettez-moi de vous interroger sur les suites des discussions des divers groupes de travail pour accompagner les stations de tourisme, en particulier sur la question des remontées mécaniques, quel que soit leur statut, y compris sous forme de régies. Face à des augmentations qui multiplient parfois par dix le montant des contrats précédents, allons-nous aboutir à des propositions pour réguler le prix des remontées mécaniques, alors que tout a déjà été commercialisé pour la saison à venir ? Il y va de l'attractivité et de la compétitivité du secteur des sports d'hiver, très important pour le tourisme.

M. Vincent Segouin . - Monsieur le ministre, vous titrez la présentation du PLF 2023 « Protéger les Français et aller vers le plein emploi ». À combien fixez-vous l'objectif chiffré sachant que le taux de chômage est actuellement de 7,1 % ?

Nous ne voyons dans le budget ni recettes supplémentaires ni baisses de dépenses. Nous apprenons au contraire que le ministère du travail va être pourvu de 6,2 milliards d'euros de crédits supplémentaires pour la formation et les maisons France Travail. Avions-nous besoin de remettre du budget sur ce poste déjà bien pourvu ? Changer l'enseigne de Pôle emploi pour France Travail, est-ce une solution pour régler nos problèmes de plein emploi ?

M. Gérard Longuet . - Je m'adresse à nos deux ministres, dont la tâche n'est pas facile : je m'étonne que, dans cette présentation, vous ne regroupiez pas les recettes et les dépenses prévisibles à moyen et long terme sur des secteurs stratégiques, dont les lignes de force sont évidentes : la démographie, l'énergie et la défense.

En ce qui concerne la démographie, nous aurons des recettes, car moins d'élèves, et donc moins de besoins quantitatifs d'enseignants, même si nous avons des besoins qualitatifs.

Le sujet de l'emploi va s'analyser d'une façon différente dans un pays où la démographie est négative et où les perspectives de main-d'oeuvre diminuent.

Nous aimerions une présentation sur les dépenses futures, en moins et en plus ; je n'imagine pas que le Gouvernement n'envisage pas une politique familiale pour soutenir la démographie et reconstituer la vitalité de la population française.

Pour ce qui est de l'énergie, si le renouvelable est sans doute nécessaire, nous ne réglerons pas les besoins en énergie électrique, qui ont été délibérément et scandaleusement sous-évalués ces dix dernières années, sans le nucléaire. En développant ce dernier de manière soutenue à moyen et long terme, nous pouvons espérer réduire les dépenses liées à la contribution au service public de l'électricité (CSPE), qui comptent pour un quart de la facturation des ménages.

Sur le plan de la défense, trop d'inconnues empêchent d'ouvrir le débat de manière sommaire.

Vous faites des efforts -- tant mieux ! -- mais nous aimerions connaître votre projet de moyen et long terme dans un environnement où le Président de la République déclarait il y a quelques années que l'OTAN se trouvait dans un état de mort cérébrale et alors que l'on s'aperçoit de la nécessité d'une défense européenne.

Imaginez-vous regrouper sur de grands axes stratégiques votre présentation du budget avec les recettes et dépenses prévisibles ?

M. Sébastien Meurant . - Nous sommes tous d'accord sur l'ambition d'une reconquête industrielle. L'une des principales raisons de l'inflation est la hausse de l'énergie. Grâce aux investissements massifs de nos aïeux, la France a longtemps disposé d'un avantage compétitif sur nos concurrents, notamment allemands : avoir une énergie peu chère. De mauvais choix ces dernières années, dont la loi Nome, intervenue dans des conditions de marché certes tout autres, nous ont menés à cette folie de produire de l'énergie peu chère tout en voyant les prix exploser.

Les ménages et les entreprises sont pris à la gorge et j'aimerais comprendre comment des intercommunalités qui voient leurs dépenses d'électricité multipliées par six vont pouvoir s'en sortir. Aidera-t-on les collectivités qui ont été prudentes et bien gérées au même titre que d'autres qui se trouvent dans des situations plus délicates et ont parfois été moins bien gérées ?

Envisage-t-on, au niveau français, de faire comme l'Espagne et le Portugal en découplant le prix de l'électricité de celui du gaz ?

En ce qui concerne la dette, nous revenons à une période plus normale après avoir bénéficié de taux d'intérêt négatifs pendant des années -- ce qui était une aberration financière. La dette va certes continuer à augmenter, mais la charge de la dette va relativement peu augmenter et sera en 2025 sensiblement identique à celle de 2023, ce qui est extrêmement positif pour l'avenir.

Enfin, je suis favorable à une politique de l'offre, mais le résultat de cette politique, depuis quelques années, c'est le déficit commercial - 156 milliards d'euros en prévision en 2022 et 154 milliards en 2023. La compétitivité de la France vis-à-vis de ses concurrents européens ne s'améliore guère.

M. Bruno Le Maire, ministre . - Je vous propose de répondre en regroupant les grandes questions qui ont été posées.

Je veux d'abord insister sur un principe. Je l'avais déjà affirmé lors de la discussion du PLFR : nous entrions avec 22 milliards d'euros de dépenses supplémentaires et nous devions sortir avec 22 milliards d'euros de dépenses supplémentaires. Cela vaut pour le PLF : nous entrons avec 5 % de déficit, nous sortirons avec 5 % de déficit. Je veux redire à quel point la France est à l'euro près.

J'entends bien toutes les remarques sur les collectivités locales, sur les services publics, sur des personnes qui seraient davantage protégées ou sur un bouclier pour les entreprises... Tout cela n'est tout simplement pas à la portée de la France. Il faut donc faire des choix.

À ceux qui veulent indexer la DGF sur l'inflation ou instaurer un bouclier tarifaire pour toutes les entreprises, je dis que ce n'est pas à la portée de notre bourse, et que nous devons tenir les 5 % de déficit public.

Il faut bien sûr protéger certaines entreprises exposées à la concurrence internationale. Les décolleteurs de la vallée de l'Arve, qui doivent vendre des pièces de véhicules automobiles en Asie, où il n'y a pas de flambée des prix, ne peuvent pas augmenter leurs tarifs et doivent être protégés. Mais d'autres commerçants, par exemple restaurateurs, peuvent faire passer une partie de la hausse dans leur prix de vente. Je ne rétablirai donc pas de mesures de « quoi qu'il en coûte », car ce serait dispendieux pour les finances publiques et ne ferait qu'augmenter un peu plus l'inflation dans les mois qui viennent.

Pour les communes, c'est la même chose : certaines doivent être aidées, d'autres sont moins en difficulté ou n'ont pas fait le bon choix de gestion au cours des deux ou trois dernières années. Est-il juste de traiter tout le monde de la même manière ? Je n'en suis pas certain, et il n'est pas sûr que nos compatriotes approuveraient une telle mesure.

Il faut donc regarder toutes les situations de près et tenir le déficit de 5 % du PIB, ce qui ne fait par ailleurs pas de nous les bons élèves de la zone euro. Nous ne faisons que respecter la trajectoire qui nous permettra d'atteindre les 3 % de déficit en 2027, seuil en deçà duquel nous serons l'un des derniers États européens à passer.

Je serai donc intraitable sur ce sujet, parce qu'il y va de la crédibilité de la France, de nos finances publiques, et qu'il n'y a aucune raison que la France accuse des déficits plus importants que ceux de ses grands voisins européens.

En ce qui concerne la croissance, je n'ai pas grand-chose à ajouter. Bien sûr que l'environnement est incertain, mais je constate qu'en 2021, la reprise a été plus forte que prévu. Parmi les grandes économies de la zone euro, le premier pays à avoir retrouvé son niveau économique d'avant-crise est la France, parce que sa politique de relance a été rapide, efficace et puissante.

Alors que les prévisionnistes disaient que nous ne pourrions pas dépasser 2,3 % de croissance en 2022, elle va s'élever à 2,7 %. Croyez-moi, je suis tout aussi surpris qu'eux par la vigueur de la demande, de l'activité touristique, du retour de l'activité des services dans notre pays, et tant mieux !

Le pire, même s'il faut s'y préparer, n'est pas certain. Mon rôle de ministre de l'économie - cela a été rappelé par le président Raynal - n'est pas de verser dans la prophétie autoréalisatrice, mais plutôt de pousser le pays vers ce qu'il peut accomplir de meilleur, c'est-à-dire 1 % de croissance en 2023.

Sur la CVAE, je veux commencer par dire au président du comité des finances locales, M. Laignel, dont j'ai lu les déclarations, que je trouve un peu révoltant de parler de cadeau au Medef. Ces propos ne sont ni dignes ni acceptables. Le ministre de l'économie et des finances ne prend pas des mesures pour faire plaisir à qui que ce soit, mais parce qu'il estime que c'est bon pour le pays.

Nous estimons, en conscience, que la reconquête industrielle ne se réalisera pas avec des impôts de production sept fois plus élevés que ceux de nos voisins. C'est maintenant que cela se joue ; il y a urgence. Si nous n'avions pas baissé les impôts de production de 10 milliards d'euros, jamais GlobalFoundries n'aurait investi chez ST Microelectronics à Crolles et à Grenoble, et la France ne compterait pas parmi les nations capables de maîtriser les technologies de semi-conducteurs, y compris dans les gravures les plus fines.

Nous pouvons, comme c'est le cas ici, discuter des procédés, échanger, contester nos approches, mais je n'accepte pas une stigmatisation maladroite, inappropriée et injuste.

Beaucoup de questions ont été posées sur le bouclier tarifaire ; c'est un enjeu majeur, la plus grande nouvelle dépense publique de 2023. Nous mettons 45 milliards d'euros sur la table, c'est ce que cela va nous coûter pour protéger nos compatriotes, y compris les entreprises.

Quand on dit du prix de l'électricité que c'est 15 % de hausse, je rappelle que le marché, c'est 100 % ! Donc si vous voulez qu'on fournisse de l'électricité et du gaz, il faut bien compenser les producteurs qui y perdent. C'est une réalité économique : il y a le marché et nous ne sommes pas seuls au monde. Si nous voulons du gaz et de l'électricité, nous devons le payer au prix du marché. Sinon, c'est la pénurie et la chute économique.

Cette compensation coûte 45 milliards d'euros. Cela pourra être plus si les prix augmentent ; cela pourra être un peu moins si les prix baissent.

À partir de là, nous avons des recettes : 19 milliards d'euros nous reviennent des énergies renouvelables. Je reviendrai sur la question de la taxation, qui est tout à fait digne politiquement et importante. Les énergéticiens qui ont réalisé des investissements coûteux sur le renouvelable, l'éolien ou le solaire, qui ne rapportaient pas beaucoup car les prix étaient bas, ont été remboursés pendant des années, en compensation, à hauteur de milliards d'euros. Quand le prix de l'énergie est supérieur à ce prix garanti, c'est nous qui récupérons l'argent. J'y suis très favorable, parce que c'est une rente et qu'il n'y a aucune raison qu'il y ait des rentes dans notre pays. Cela a rapporté 8 milliards d'euros en 2022, cela rapportera 19 milliards en 2023.

Là-dessus, vous retranchez encore 9 milliards d'euros de taxes intérieures de consommation finale sur l'électricité (TICFE) que nous ne prélèverons pas. Cela vous amène à 17 milliards d'euros. Vous retirez un milliard d'euros de recettes qui viennent de l'énergie hydraulique, qui n'était pas concernée jusqu'à présent, vous arrivez à 16 milliards d'euros de coût net. Mais ce que dépense l'État, en brut, ce qu'il met dans la poche des Français, c'est 45 milliards d'euros.

Donc personne ne peut dire que nous ne protégeons pas massivement, mais nous réduisons la note grâce à ce système de marché, qui a d'ailleurs été adopté par l'Union européenne.

Comme M. Savoldelli, j'aurai des propos modérés et enthousiastes : ceux qui travaillent en ont ras-le-bol de payer toujours plus d'impôts. Pour eux, la coupe est pleine. M. Savoldelli redoute une fronde sociale. En ce qui me concerne, je redoute la fronde de nos concitoyens qui estiment payer trop d'impôts. Je rappelle que 10 % des contribuables payent 70 % de l'impôt sur le revenu dans notre pays. Vous vous préparez à des jours difficiles avec les classes moyennes si vous voulez profiter de l'inflation pour récolter davantage d'impôts. Souvent, celles-ci ont été à l'origine des révolutions, car elles refusaient qu'on leur prenne trop. Avoir indexé le barème de l'impôt sur le revenu sur l'inflation est une décision juste.

La question de la taxation des superprofits n'est pas anodine. À juste titre, les Français considèrent que les entreprises faisant des bénéfices liés uniquement à la flambée des prix de l'énergie doivent participer à l'effort collectif. Je souscris à leur point de vue, puisque je récupère 19 milliards d'euros l'année prochaine, soit par l'intermédiaire du mécanisme de marché que je viens d'indiquer, soit via une contribution directe des entreprises, comme en témoigne la remise de 20 centimes d'euro à la pompe décidée par TotalEnergies. Le plafonnement des tarifs bancaires à 2 % profite directement à nos compatriotes. Notre position ne souffre d'aucune ambiguïté : les Français doivent bénéficier de l'argent des rentes.

En revanche, derrière le terme très séduisant de taxation exceptionnelle des superprofits se cache en réalité une taxation permanente de tous les profits de toutes les entreprises du CAC 40. J'ai examiné attentivement la proposition de la Nouvelle Union populaire écologique et sociale (Nupes), qui consiste à taxer toute entreprise dont le résultat fiscal serait supérieur en 2023 de 25 % à la moyenne des résultats constatés entre 2017 et 2019. Toute entreprise dont les profits ont augmenté de 25 % sur cinq ans serait taxée. La logique est claire : dès que vous réussissez, vous êtes imposé. Je me bats depuis des années contre cette maladie française. On commence par taxer les profits des grandes entreprises et on finit par le faire pour toutes les sociétés, PME comprises. Les auteurs de cette proposition soutiennent que la mesure revêt un caractère exceptionnel. Or ce n'est pas le cas, puisque ses auteurs fixent son échéance à l'année 2025. Une telle réforme deviendrait alors permanente. Telle n'est pas la bonne solution : je lui préfère le dispositif européen, qui vise à prélever les énergéticiens uniquement en 2022 d'une taxe de 20 % lorsque les résultats de l'entreprise sont supérieurs de 20 % en 2021 par rapport à 2019. Ce dispositif est raisonnable. Chacun doit dévoiler la réalité de ses intentions dans le débat sur la fiscalité.

M. Gabriel Attal, ministre . - Je concentrerai mon propos sur la question des collectivités territoriales. Des propositions intéressantes en faveur des forêts ont été formulées. Je précise que le dispositif d'encouragement fiscal à l'investissement en forêt (DEFI forêt) sera renforcé.

À la fin de l'année 2021, la situation globale des collectivités locales était très bonne, notamment en raison d'un transfert important de l'État durant la crise sanitaire, à hauteur de 10 milliards d'euros. Avec le « quoi qu'il en coûte », l'État s'est endetté, mais des dépenses des collectivités locales ont été évitées.

Pour l'année 2022, la photo est plus floue. Les collectivités territoriales doivent faire face à des dépenses supplémentaires, telles que l'augmentation du point d'indice ou la hausse de prix de l'énergie et de l'alimentation. Toutefois, certaines recettes continuent leur progression, notamment les impositions foncières ou la TVA. Ce matin, lors du comité des finances locales, j'ai annoncé qu'en 2022 la fraction des recettes de TVA allouée aux collectivités territoriales augmenterait de 9,6 %, contre des prévisions établies à 2,89 % au mois de mars dernier. Cela représente une recette supplémentaire d'un milliard d'euros tant pour les conseils régionaux que pour les conseils départementaux. La ville de Paris recevra quant à elle une somme de 500 millions d'euros. Certes, la situation n'est pas parfaite pour toutes les collectivités, mais certaines recettes ont globalement progressé deux fois plus vite que l'inflation en 2022.

Les communes assurant des charges de centralité sont davantage fragilisées. Je me réjouis de l'adoption cet été du filet de sécurité et je tiens à remercier les sénatrices et les sénateurs d'avoir enrichi le dispositif adopté par l'Assemblée nationale. Le décret d'application sera publié dans les prochains jours. Les premiers acomptes seront versés durant le mois de novembre aux communes éligibles à ce dispositif - soit environ 25 % d'entre elles. La hausse des dépenses d'énergie et d'alimentation sera prise en charge à hauteur de 70 %. Le soutien pour faire face à l'augmentation des charges de la masse salariale pourra aller jusqu'à 50 %.

Indexer la dotation globale de fonctionnement (DGF) serait irréaliste. Durant le quinquennat de François Hollande, cette pratique avait justifié les coupes claires qui avaient ensuite été décidées par le gouvernement. Comme je l'expliquais ce matin à M. André Laignel, il serait difficile de retirer demain aux collectivités locales un filet de sécurité indexé sur l'inflation si notre pays entrait en récession. Nous privilégions l'accompagnement des collectivités qui en ont le plus besoin. L'année prochaine, nous pourrons adapter ce dispositif en fonction des résultats constatés en 2022.

Et pour répondre à la question de Christine Lavarde, nous allons en effet adapter le texte qui vous est transmis aujourd'hui à la suite des « dialogues de Bercy ». Nous n'avons pas eu le temps d'indiquer dans le texte initial que nous allions abonder la DSU et la DSR de 210 millions d'euros. Très concrètement, cela représente 90 millions d'euros sur la DSU, 90 millions d'euros sur la DSR et 30 millions d'euros pour les intercommunalités.

Si nous ne prenions pas cette mesure, deux tiers des communes verraient, du fait des règles de la péréquation, leur DGF baisser l'an prochain, alors même que l'enveloppe globale est stable et sanctuarisée depuis 2017. Avec cette mesure en revanche, 70 % des communes verront leur DGF augmenter l'an prochain. Cette garantie a été qualifiée d'historique, y compris par des spécialistes du sujet et nous réfléchissons ainsi à renforcer la DSR péréquation.

M. Mizzon a demandé si, dans le cadre de l'actualisation des valeurs locatives, les commissions devaient poursuivre leurs travaux. La réponse est oui : ce travail est utile, ne serait-ce que parce que les premières remontées des commissions départementales nous ont permis de faire une forme de synthèse et d'arriver à la conclusion qu'il fallait suspendre l'application de la réforme.

En effet, ces synthèses affichaient des hausses de fiscalité de plus de 40 % pour les commerces de centre-ville et des baisses de 40 % pour des hypermarchés de périphérie. Quand bien même on appliquerait des mesures correctives - plafonnement, « planchonnement », lissage, etc. -, on arriverait toujours à +15 % pour le centre-ville et -15 % pour la périphérie. La décision a donc été prise - c'est aussi l'intérêt des « dialogues de Bercy » - de suspendre l'actualisation.

Tant que le système restera basé sur les valeurs locatives, la valeur locative au mètre carré en centre-ville sera supérieure, par définition, à celle de la périphérie. Aussi, j'estime qu'il convient probablement de réinterroger le modèle et les critères. Certains évoquent la valeur vénale, d'autres le chiffre d'affaires au mètre carré sur les dernières années. Voilà un beau de sujet de débat et de travail en commun qui pourrait nous permettre d'imaginer un système plus efficace, qui ne pénalise pas l'activité économique en centre-ville.

En ce qui concerne la CVAE, je ferai remarquer que la fraction de TVA est plus dynamique que la CVAE : ces dernières années, les recettes de TVA ont ainsi progressé davantage que les recettes de CVAE. Au travers de cette compensation, les collectivités sont donc gagnantes. Par ailleurs, la fraction de TVA est moins volatile que ne le sont les recettes de CVAE, qui varient beaucoup d'une année sur l'autre. L'exemple le plus édifiant est celui des collectivités disposant sur leur territoire d'un réacteur nucléaire à l'arrêt pour maintenance. La commune de Civaux, dans la Vienne, verra ainsi son montant de CVAE passer de 3,8 millions d'euros cette année à 53 000 euros l'année prochaine. Avec le système que nous proposons - suppression de la CVAE et compensation -, aucune commune ne pourra voir, par définition, sa CVAE baisser à l'avenir. Au mieux cette dernière sera stable et s'il existe une activité économique, elle augmentera. Cette garantie me semble intéressante.

La taxe d'aménagement a fait l'objet, elle aussi, d'une alerte dans le cadre des « dialogues de Bercy ». Il était demandé aux collectivités de rendre une délibération avant le 1 er octobre pour le partage avec les EPCI. À la suite de cette alerte, nous avons accordé un délai supplémentaire, jusqu'au 31 décembre. Toutes les collectivités n'en ont pas encore connaissance, je vous remercie donc de nous aider à relayer cette information.

Concernant la taxe de séjour, nous sommes toujours ouverts pour examiner les dossiers, mais nous devons, me semble-t-il, nous poser les bonnes questions sur la manière d'équilibrer des budgets. La taxe de séjour ne me semble pas être le moyen d'équilibrer durablement un budget. Méfions-nous des solutions de court terme qui font rentrer plus d'argent sur une année, mais pénalisent sur le long terme et font chuter l'activité touristique dans la capitale. Cela me fait penser aux loyers capitalisés. Nous avons voulu mettre fin à ce système de fuite en avant qui engrangeait des recettes de court terme sur l'année n, mais engageait en même temps la ville sur des dépenses pour les années à venir.

Afin d'équilibrer les budgets de certaines collectivités, nous considérons, il est vrai, qu'appliquer les trente-cinq heures aux fonctionnaires serait plus efficace que d'aller chercher des recettes supplémentaires en taxant les touristes. Sur cette question, il existe encore des marges de progrès.

M. Rémi Féraud . - Les trente-cinq heures s'appliquent déjà aux fonctionnaires de la ville de Paris !

M. Gabriel Attal, ministre . - Des contournements ont encore lieu.

S'agissant enfin du fonds vert, Christophe Béchu et Caroline Cayeux mènent actuellement un travail visant à définir les meilleures modalités. Notre ministère débloque les fonds ; il revient ensuite à mes collègues de définir les critères. Je peux vous dire néanmoins que j'ai attiré leur attention sur deux points particuliers : d'abord, la nécessité d'essayer de sortir de la logique d'appel à projets, qui représente un coût d'entrée trop important pour les collectivités ; ensuite, le souhait de déconcentrer au maximum le fonds, pour que l'interlocuteur des collectivités puisse être le préfet.

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