Rapport n° 281 (2022-2023) de Mme Laurence ROSSIGNOL , fait au nom de la commission des affaires sociales, déposé le 25 janvier 2023

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N° 281

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2022-2023

Enregistré à la Présidence du Sénat le 25 janvier 2023

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des affaires sociales (1) sur la proposition de loi
relative à l'
instauration d'un nombre minimum de soignants par patient hospitalisé ,

Par Mme Laurence ROSSIGNOL,

Sénatrice

(1) Cette commission est composée de : Mme Catherine Deroche , présidente ; Mme Élisabeth Doineau , rapporteure générale ; M. Philippe Mouiller, Mme Chantal Deseyne, MM. Alain Milon, Bernard Jomier, Mme Monique Lubin, MM. Olivier Henno, Martin Lévrier, Mmes Laurence Cohen, Véronique Guillotin, M. Daniel Chasseing, Mme Raymonde Poncet Monge , vice-présidents ; Mmes Florence Lassarade, Frédérique Puissat, M. Jean Sol, Mmes Corinne Féret, Jocelyne Guidez , secrétaires ; Mme Cathy Apourceau-Poly, M. Stéphane Artano, Mme Christine Bonfanti-Dossat, MM. Bernard Bonne, Laurent Burgoa, Jean-Noël Cardoux, Mmes Catherine Conconne, Annie Delmont-Koropoulis, Brigitte Devésa, MM. Alain Duffourg, Jean-Luc Fichet, Mmes Frédérique Gerbaud, Pascale Gruny, MM. Abdallah Hassani, Xavier Iacovelli, Mmes Corinne Imbert, Annick Jacquemet, M. Jean-Marie Janssens, Mmes Victoire Jasmin, Annie Le Houerou, Viviane Malet, Colette Mélot, Michelle Meunier, Brigitte Micouleau, Annick Petrus, Émilienne Poumirol, Catherine Procaccia, Marie-Pierre Richer, Laurence Rossignol, M. René-Paul Savary, Mme Nadia Sollogoub, M. Jean-Marie Vanlerenberghe, Mme Mélanie Vogel .

Voir les numéros :

Sénat :

105 et 282 (2022-2023)

L'ESSENTIEL

La proposition de loi déposée par M. Bernard Jomier, adoptée par la commission des affaires sociales, vise à créer à l'hôpital des « ratios » de soignants par patient et ainsi améliorer la qualité des soins et des conditions d'exercice .

Elle traduit ainsi une préconisation de la commission d'enquête sur l'hôpital en 2022.

I. DES EXPÉRIENCES ÉTRANGÈRES ÉTABLISSANT UN LIEN ENTRE RATIOS DE SOIGNANTS ET AMÉLIORATION DE LA QUALITÉ DES SOINS ET DES CONDITIONS DE TRAVAIL

Différents États ont, depuis les années 1990, établi des réglementations visant à prévoir des ratios de soignants par patients, particulièrement des ratios de personnels infirmiers.

La littérature s'accorde à constater, sur la base notamment des observations des législations adoptées en Californie en 1999 ou dans l'État du Queensland , en Australie, en 2016, des effets positifs des ratios tant sur la qualité de soins que les conditions de travail des personnels .

L'adoption de ratios réglementés et l'amélioration des dotations en effectifs en conséquence permettraient d'améliorer différents indicateurs de santé, avec une baisse de la mortalité, des réadmissions, ou encore des durées de séjour. Du côté des infirmières, la satisfaction au travail augmenterait et les états d'épuisement professionnel ( burn-out ) diminueraient .

• La Haute Autorité de santé, dans son rapport de décembre 2022 sur les déterminants de santé a également mis en avant une corrélation établie par la littérature internationale entre l'effectif médical et le pronostic des patients.

II. DES RATIOS AUJOURD'HUI NORMÉS POUR CERTAINES ACTIVITÉS AU NOM D'EXIGENCES DE SÉCURITÉ

A. CERTAINES ACTIVITÉS DE SOINS SOUMISES À DES RATIOS SÉCURITAIRES

Hors champ de l'obstétrique et de traitement du cancer, des ratios de sécurité existent : en néonatologie et réanimation néonatale , pour le traitement des grands brûlés , pour la réanimation et les soins intensifs ainsi que pour l' insuffisance rénale chronique . Ceux-ci sont fixés par décret, relevant des « conditions techniques de fonctionnement » au sens du code de la santé publique. Faute de respect des conditions prévues, les capacités d'accueil sont réduites ou l'activité suspendue .

B. DES RATIOS « DE FAIT » POUR LE RESTE DES ACTIVITÉS HOSPITALIÈRES

Si les activités hospitalières hors champ réglementé ne font pas l'objet de ratios définis par voie réglementaire, des ratios « officieux » existent bien. Ainsi, l'ex « Copermo » préconisait bien un ratio d'une infirmière pour quinze patients dans les plans de transformation contractés.

Ces ratios sont cependant jugés inapplicables tant par les soignants que par les directeurs d'établissements.

• Plus globalement, comme l'avait déjà constaté la commission d'enquête sur l'hôpital, aucune donnée fiable ne permet de documenter les ratios effectivement pratiqués aujourd'hui. Selon l'Anap, dans les unités conventionnelles, le nombre observé de soignants présents peut être de 1 pour 6, 8 ou 10, voire 12 ou même 14 le jour et 1 pour 16, 20 ou 30 la nuit .

III. UN DISPOSITIF SOUPLE ET PROGRESSIF VISANT À REDONNER CONFIANCE AUX SOIGNANTS

A. UNE RÉPONSE À UNE ATTENTE DES SOIGNANTS

Par cette proposition de loi, la commission entend afficher un horizon de rétablissement d'effectifs suffisants au lit des patients afin de diminuer la charge des soignants aujourd'hui épuisés et restaurer des conditions d'exercice décentes pour les personnels hospitaliers.

Par l'établissement de ratios qualitatifs, le texte se présente comme un engagement de moyens visant à rassurer les soignants . La commission partage ainsi l'intention des auteurs : envoyer le message d'une volonté politique claire de renforcement des équipes , appelant les soignants à ne pas quitter l'hôpital et, pour certains, à y revenir.

B. UN DISPOSITIF SOUPLE QUI N'OBÈRE PAS LE FONCTIONNEMENT DES SERVICES HOSPITALIERS

1. Un référentiel de qualité établi par la Haute Autorité de santé

La proposition de loi prévoit d'ajouter aux missions de la Haute Autorité de santé la définition, pour chaque spécialité et type d'activité de soin hospitalier et en tenant compte de la charge de soins associée, un ratio minimal de soignants, par lit ouvert ou par nombre de passages pour les activités ambulatoires, de nature à garantir la qualité et la sécurité des soins . L'indépendance de l'autorité et ses missions existantes en matière de qualité des soins et de certification des établissements de santé justifient ce choix.

Le travail demandé à la HAS, très large, nécessitera la constitution de groupes de travail en son sein afin de consulter tant les sociétés savantes que les conseils professionnels et valoriser une approche « de terrain » aux prises avec les réalités des établissements.

2. Une distinction des types de ratios normatifs

La commission, à l'initiative de sa rapporteure, a précisé l'articulation juridique des ratios créés avec les ratios sécuritaires existants. Le code de la santé publique serait ainsi modifié pour distinguer les ratios de sécurité existants des ratios de qualité créés.

• Sur la base des recommandations de la HAS, le Gouvernement devra ainsi établir un ratio minimal de soignants par lit ouvert ou par nombre de passages pour les activités ambulatoires. Afin de prévoir une révision régulière de ces ratios, une période de validité maximale de cinq années est inscrite.

• Les ratios créés sont établis en vue de garantir la qualité des soins et des conditions d'exercice et tiennent compte de la charge de soins associée aux activités.

Ratios sécuritaires comme qualitatifs seront définis par décret. Conçus comme des standards souples ou « fourchettes » , les ratios qualitatifs pourront aussi être établis en appréciant les particularités propres aux spécialisations ou à la taille des établissements .

3. Une appropriation souple laissée aux établissements

• Les ratios définis ont particulièrement vocation à s'appliquer aux établissements du service public hospitalier , soit principalement les hôpitaux publics et les établissements de santé privés d'intérêt collectif. C'est à ces derniers que le dispositif proposé applique des mesures d'application concrète de mise en oeuvre.

Afin de respecter l'organisation autonome des établissements et préserver le rôle des directeurs des soins et cadres coordinateurs , la commission, par l'amendement de la rapporteure, a souhaité prévoir un rôle d'appropriation des ratios qualitatifs par les commissions médicales d'établissement (CME) et commissions des soins infirmiers , de rééducation et médico-techniques (CSIRMT) ou les instances analogues dans les établissements privés.

Celles-ci seraient chargées d' approuver le schéma d'organisation des soins au regard des ratios qualitatifs définis . Cette appropriation « locale » permet en outre de tenir compte de la typologie de patients accueillis dans l'établissement ou encore de contraintes matérielles ou architecturales.

4. Une nécessité de suivi et d'information des tutelles

La commission a souhaité prévoir un mécanisme « d'alerte » : la constatation d'une incapacité à respecter les ratios qualitatifs au-delà d'une durée de trois jours conduit à un signalement au directeur général de l'agence régionale de santé.

Si le non-respect du ratio qualitatif n'entraîne pas, contrairement au ratio sécuritaire, de « fermeture de lit » ou de réduction obligatoire du capacitaire, cette obligation d'information de l'ARS répond à deux objectifs :

- assurer une connaissance en temps réel de la situation des hôpitaux par les ARS qui sont leur tutelle et souligner la responsabilité de celles-ci en matière de qualité et de continuité des soins sur le territoire ;

- permettre un réel suivi documenté des difficultés rencontrées et ainsi mieux identifier les besoins auxquels une réponse doit être apportée en termes d'organisation ou de recrutements.

C. UNE INDISPENSABLE PROGRESSIVITÉ DANS LA MISE EN OEUVRE ATTENDUE

Comme l'analyse la rapporteure, la proposition de loi s'entend comme une « loi de programmation » . Il n'est pas réaliste de prévoir une mise en oeuvre du dispositif proposé en seulement quelques mois et les expériences étrangères montrent le temps requis par de tels changements. Au temps indispensable à l'établissement même des ratios , à leur définition nuancée et à la bonne évaluation des besoins, s'ajoute le temps nécessaire aux recrutements , à la formation et au financement des postes.

C'est pourquoi la commission, par l'amendement de la rapporteure, a prévu un schéma en deux temps avec:

- l'entrée en vigueur des dispositions relatives à la HAS au plus tard le 31 décembre 2024 ;

- l'entrée en vigueur de l'établissement des ratios réglementaires au 1 er janvier 2027.

Réunie le mercredi 25 janvier 2023 sous la présidence de Catherine Deroche, la commission des affaires sociales a adopté la proposition de loi modifiée par l'amendement de la rapporteure.

EXAMEN DE L'ARTICLE UNIQUE

Article unique
Ratios de soignants par patient hospitalisé

Cet article propose d'instaurer un nombre minimal de soignants par lit ouvert à l'hôpital, établi par la Haute Autorité de santé pour chaque spécialité ou activité.

I - Le dispositif proposé

A. Des ratios aujourd'hui limités à certaines activités seulement

1. Des conditions de fonctionnement strictes pour cinq activités de soins

Certaines activités ou spécialités de soins sont aujourd'hui soumises à des conditions de fonctionnement qui peuvent comprendre des effectifs minimaux. C'est le cas particulièrement des activités d'obstétrique, de périnatalité, de traitement du cancer, de soins critiques ou encore du traitement des grands brûlés.

• Des ratios réglementés de personnels par activité de soins existent aujourd'hui pour un nombre limité d'activité. Hors champ de l'obstétrique et de traitement du cancer, une série d'activités définie est ainsi concernée : en néonatologie et réanimation néonatale , pour le traitement des grands brûlés , pour la réanimation et les soins intensifs ainsi que concernant l'insuffisance rénale chronique . Ceux-ci sont fixés par décret, relevant des « conditions techniques de fonctionnement » au sens de l'article L. 6124-1 du code de la santé publique (CSP).

Comme le précise la direction générale de l'offre de soins, « l'obstétrique et la périnatalité , de par la spécificité de la population concernée, font historiquement l'objet de ratios depuis 1998 et, pour les activités hautement spécialisées telles que le traitement des grands brûlés et de l'insuffisance rénale chronique et des soins critiques, de tels ratios existent respectivement depuis 2002 et 2007 . Les objectifs de qualité et de sécurité des soins ont conduit à la mise en place de tels ratios normés au regard de la spécificité de ces activités et des patients concernés par celles-ci ».

• Les ratios relatifs aux soins critiques vont progressivement évoluer dans les mois à venir, à la suite d'une révision en 2022 des conditions de fonctionnement de ces services 1 ( * ) portant une nouvelle typologie d'activités de soins intensifs et de réanimation .

Réglementation de certaines activités de soins

Activité de soin

Article CSP

Articles CSP issus de la réforme des autorisations 2 ( * )

Obstétrique, néonatologie, réanimation néonatale

Obstétrique

D. 6124-44

Non réformé à date

Néonatologie

D. 6124-56

Non réformé à date

Soins intensifs de néonatologie

D. 6124-56

Non réformé à date

Réanimation néonatale

D. 6124-61

Non réformé à date

Grands brûlés

Traitement des grands brûlés

D. 6124-158

Non réformé à date

Soins critiques

Dénomination actuelle : Réanimation adulte

Dénomination future : Réanimation et soins intensifs polyvalents, et de spécialité le cas échéant

D. 6124-32

D. 6124-28-4

(Cf. décret 2022-694)

Dénomination actuelle : Soins intensifs

Dénomination future : Soins intensifs d'hématologie

D. 6124-31-3

(Cf. décret 2022-694)

Dénomination actuelle : Surveillance continue

Dénomination future : Réanimation et soins intensifs polyvalents, et de spécialité le cas échéant

D. 6124-28-5

(Cf. décret 2022-694)

Dénomination actuelle : Soins intensifs

Dénomination future : Soins intensifs de neurologie vasculaire

D. 6124-30-3

(Cf. décret 2022-694)

Dénomination actuelle : Soins intensifs

Dénomination future : Soins intensifs de cardiologie

D. 6124-112

D. 6124-29-3

(Cf. décret 2022-694)

Activité de soin

Article CSP

Articles CSP issus de la réforme des autorisations 3 ( * )

Soins

critiques

Dénomination actuelle : Réanimation pédiatrique

Dénomination future : Réanimation et soins intensifs pédiatriques polyvalents, et de spécialité le cas échéant.

D. 6124-34-4

D. 6124-33-4

(Cf. décret 2022-694)

Dénomination actuelle : Réanimation pédiatrique spécialisée

Dénomination future : Réanimation de recours et soins intensifs pédiatriques polyvalents, et de spécialité le cas échéant

D. 6124-34-5

D. 6124-33-3

(Cf. décret 2022-694)

Dénomination actuelle : Surveillance continue pédiatrique

Dénomination future : Réanimation et soins intensifs pédiatriques polyvalents, et de spécialité le cas échéant

D. 6124-33-5

(Cf. décret 2022-694)

Dénomination actuelle : Surveillance continue

Dénomination future : Soins intensifs polyvalents dérogatoires

D. 6124-33-5

(Cf. décret 2022-694)

Dénomination actuelle : Soins intensifs

Dénomination future : Soins intensifs pédiatriques d'hématologie

D. 6124-34-2

(Cf. décret 2022-694)

Insuffisance rénale chronique

Centres d'hémodialyse

D. 6124-70

Non réformé à date

Centres d'hémodialyse pour enfants

D. 6124-73

Non réformé à date

Unités de dialyse médicalisée

D. 6124-77

Non réformé à date

Unités d'autodialyse

D. 6124-81

Non réformé à date

(Dialyse péritonéale à domicile)

D.6124-87

Non réformé à date

Traitement du cancer

Radiothérapie externe

Critères d'agrément n°4 de l'INCA

D. 6124-140-2

(Cf. décret 2022-693)

Source : Direction générale de l'offre de soins

Les ratios ainsi définis se conçoivent comme des ratios de « sécurité » . Ils sont nécessaires au fonctionnement de l'activité : l'autorisation d'activité est subordonnée au respect de ces derniers et, en cas d'incapacité de l'établissement à y répondre, les capacités d'accueil sont réduites, autrement dit, des « lits sont fermés ».

Cependant, comme l'a constaté l'Agence nationale d'appui à la performance (Anap) 4 ( * ) , « ce ratio constaté ne présume pas de la complexité de prise en charge des patients accueillis dans chaque service. Il est défini sur une base nationale alors même que certaines unités peuvent accueillir des patients nécessitant plus ou moins de charge de travail pour les soignants ».

2. Des ratios « de fait » pour le reste des activités

Pour les activités hospitalières ne faisant pas l'objet de conditions techniques spécifiques, il n'est pas prévu de niveaux réglementairement établis de personnels requis pour le fonctionnement.

Cependant, comme l'ont rappelé de manière unanime tant les directeurs d'établissements que les soignants entendus, des ratios « de fait » existent pour l'hôpital . Ainsi, il est admis que les projets de transformation et contrats d'investissements liés au comité interministériel de la performance et de la modernisation de l'offre de soins hospitaliers, connu sous la désignation de « Copermo », étaient établis sur une référence d'un ratio d'une infirmière 5 ( * ) pour 15 patients .

Ces ratios bien qu'informels ont eu des conséquences directes sur les effectifs hospitaliers. Comme l'avait constaté la commission d'enquête sénatoriale sur l'hôpital en 2022, « cette instance interministérielle conditionnait en effet l'octroi de crédits pour financer des investissements à la mise en oeuvre de « recommandations », comportant des « plans d'efficience » dont le contenu consistait essentiellement en des réductions capacitaires ».

Ces ratios qui relèvent de préconisations officielles demeurent, bien que jugés inapplicables par les directions et, par les soignants, absolument incompatibles avec la qualité de leurs conditions de travail , la conférence des commissions médicales d'établissement (CME) estimant qu' « avec l'évolution actuelle des soins, des patients polypathologique et le virage ambulatoire, ce ratio n'est plus acceptable ».

Ainsi, la conférence des directeurs de CHU a précisé auprès de la rapporteure que « Les ratios qui demeurent officiellement préconisés (ex-COPERMO) d'1 soignant/15 patients ne se concrétisent pas en pratique dans les CHU », ajoutant qu' « aujourd'hui les contreparties demandées dans le cadre des investissements hospitaliers (CNIS, ex-COPERMO) reviennent à imposer des ratios très hauts (toutes spécialités-hors soins critiques confondues) par rapport à la réalité des établissements avec 1 soignant/15 lits et un IPDMS proche de 0,94. Cela revient à imposer 1 IDE et 1 AS pour 30 lits (upgradable à 32) la nuit en MCO, ce qui est trop juste . »

3. Des proportions mal documentées

Dans le cadre de la commission d'enquête sur l'hôpital et le système de santé en France, menée par le Sénat en 2021-2022, comme lors des travaux préparatoires à l'examen de la présente proposition de loi, la question des proportions de soignants par patient hospitalisé est apparue particulièrement mal évaluée . Il n'existe pas de données nationales fines, par grandes catégories de spécialités, permettant de connaître le nombre de soignants effectivement présents au lit du patient.

• Selon l'Anap « dans les unités conventionnelles, le nombre observé de soignants présents peut être de 1 pour 6, 8 ou 10, voire 12 ou même 14 le jour et 1 pour 16, 20 ou 30 la nuit . Il varie selon plusieurs facteurs : la spécialité, voire surspécialité, pouvant générer une complexité des prises en charge ; le dimensionnement physique de l'unité ; les paramètres RH appliqués dans l'établissement ».

Selon la conférence des directeurs de CHU, le ratio d'une infirmière pour 10 patients qui prévalait avant la crise sanitaire aurait évolué. L'étude annuelle menée en 2022 indiquerait un ratio constaté de 9,4 patients par infirmière en médecine et 9,8 en chirurgie . Cependant, cette amélioration n'est pas le fait de recrutements mais résulte de redéploiement d'effectifs, d'un recours accru aux heures supplémentaires ou encore de fermetures de lits.

B. La mise en oeuvre de ratios comme soutien à la qualité des soins et à l'amélioration des conditions de travail

1. Une proposition visant à restaurer l'attractivité des métiers hospitaliers par une amélioration des conditions de travail

La présente proposition de loi vise, par la formalisation d'un nombre minimal de soignants par patient , à « assurer une prise en charge de qualité et de bonnes conditions de travail » 6 ( * ) . Les auteurs justifient leur initiative avec une intention double : réduire la charge de travail des personnels et ainsi répondre à la crise de sens constatée à l'hôpital, mais aussi améliorer la qualité des soins .

En effet, les conditions de travail apparaissent aujourd'hui comme une des principales raisons qui nuisent à l'attractivité des métiers hospitaliers. Les vacances de postes, nombreuses, et les départs de personnels épuisés, entretiennent un cercle vicieux qui pèse sur les soignants en poste et fragilise les équipes hospitalières. Comme l'avait déjà constaté la commission d'enquête sur l'hôpital, les personnels en exercice sont confrontés à une charge de travail majorée du fait des sous-effectifs, facteur de fatigue supplémentaire, de gardes plus nombreuses ou de renoncements à des congés mais aussi d'un stress amplifié de commettre des erreurs.

La proposition de loi entend envoyer un signal aux personnels soignants et afficher un cap de rétablissement de conditions de travail décentes à l'hôpital. Par l'établissement de ratios, les auteurs souhaitent redonner confiance aux soignants : garantir des conditions de travail sécurisantes et, partant, inciter ceux qui sont encore en poste à le rester , faire revenir certains qui ont quitté l'hôpital, susciter de nouvelles vocations .

Vacances de postes à l'hôpital

Selon la DGOS, les taux de vacance des postes au 30 juin 2022 concernant les infirmiers en soins généraux et spécialisés au sein des établissements sanitaires de la fonction publique hospitalière :

- en CHU et CHR : 5,2 %

- en CH : 8,2 %

- en CH (anciens hôpitaux locaux) : 15,2 %

- en EPSM : 6,8 %.

Selon l'enquête de la fédération hospitalière de France (FHF) du printemps 2022, 6,6 % des postes d'IDE étaient vacants en avril 2022 dans les établissements de santé hors CHU, soit plus d'un doublement par rapport à l'année 2019 (3 %), quand la proportion demeurait stable à 4 % dans les CHU et CHR.

2. Un dispositif établi sur la base d'exemples étrangers

Les auteurs de la proposition de loi, indiquent qu'elle s'appuie sur des expériences étrangères documentées et dont la littérature scientifique présente des résultats probants.

Sont régulièrement évoqués les initiatives des États de Californie aux États-Unis et de Victoria en Australie dans les années 1990 . Ceux-ci ont été rejoints au cours de la décennie 2010 par des dispositions comparables au Royaume-Uni - au Pays de Galles et en Écosse -, en Irlande ou dans l'État du Queensland en Australie.

• Par une loi de 1999 7 ( * ) , la Californie a adopté le principe d'une réglementation de ratios minimaux d'infirmière par patient . La loi prévoyait que l'État se dote d'une telle réglementation avant le 1 er janvier 2001. Le dispositif a été complété dans les années qui ont suivi et plusieurs années ont été nécessaires pour que les ratios soient effectivement mis en oeuvre.

Une étude sur l'exemple californien réalisée en 2010 8 ( * ) indique que les infirmières californiennes s'occupent en moyenne à l'hôpital d'un patient de moins que leurs homologues des autres États, et deux de moins en moyenne pour les unités médicales et chirurgicales . Par ailleurs, les auteurs constatent que des ratios plus faibles sont associés à une mortalité significativement plus basse, mais aussi que le nombre de cas d'épuisement professionnel, ou burn-out ou d'insatisfaction vis-à-vis du travail baissaient . Les infirmières estimaient dans le même temps une amélioration notable de la qualité des soins.

• L'État du Queensland s'est lui doté d'une législation sur des ratios minimaux d'infirmière par patient dans ses hôpitaux en 2016 .

L'étude de The Lancet publiée en 2021 9 ( * ) examinant les effets de l'établissement de ratios au Queensland a porté sur cinquante-cinq établissements hospitaliers et comparé près de 231 902 patients de 106 à 257 253 patients en 2018. Les auteurs ont constaté une baisse significative de la mortalité dans les hôpitaux où les ratios avaient été développés, mais aussi une évolution plus favorable des taux de réadmissions - stagnant dans ces derniers mais augmentant dans les hôpitaux « témoins » -. Toujours sur l'aspect de la qualité des soins, la baisse de la durée moyenne de séjour a été plus importante dans les établissements sous ratios. Les effets sont constatés avec une réduction de l'ordre d'un patient par infirmière.

Enfin, dans le Queensland, les économies réalisées par la baisse des durées de séjours comme des réadmissions ont été estimées au double du coût représenté par la hausse des effectifs .

• Plus globalement, différents articles ont documenté les effets du nombre de patients dont une infirmière à la charge, tant sur la qualité des soins, avec une baisse des infections nosocomiales, des réadmissions, de la mortalité, une meilleure satisfaction des patients mais aussi une baisse des cas de burn-out chez les infirmières 10 ( * ) .

Alors qu'une réflexion similaire est menée au Canada, une étude financée par le ministère de la santé et des services sociaux du Québec 11 ( * ) estime, au regard des expériences internationales qu' « au total, le bilan des preuves recueillies indique que l'imposition des ratios minimaux obligatoires, par législation ou autres voies règlementaires, est une condition utile », les auteurs constatant en outre que celle-ci « est, en général, associée à un rehaussement des niveaux de dotation en personnel infirmier , tant sur le plan quantitatif (effectifs disponibles) que sur le plan qualitatif (proportion de personnel dans les groupes d'emploi avec les niveaux les plus élevés de qualifications). Un autre gain associé à l'imposition des ratios minimaux obligatoires est l'amélioration de l'expérience au travail du personnel infirmier . Les preuves amassées indiquent que les gouvernements peuvent miser sur cette politique pour stimuler la création d'environnements favorables susceptibles d'assurer une plus grande stabilité de la main-d'oeuvre . »

3. Une démarche de détermination de « standards capacitaires » expérimentée par l'AP-HP

L'Assistance publique - hôpitaux de Paris a mené à partir de 2016 un travail concernant l'établissement de « standards capacitaires », démarche saluée par la chambre régionale des comptes d'Île-de-France 12 ( * ) .

Cette démarche dite « adéquation entre le personnel et le capacitaire » a été conduite entre 2017 et 2019 et a permis d'établir des références et non, comme le précise l'AP-HP, des ratios fixes et opposables. Ces références ont concerné certaines activités de médecine, chirurgie, obstétrique (MCO) ont ensuite été présentées dans les instances des hôpitaux. La direction de l'AP-HP indique que « leur objectif principal était d'oeuvrer à plus d'équité entre des services exerçant des activités comparables mais disposant pour le faire d'effectifs différents. »

Comme le présentait alors la CME de l'AP-HP, la démarche entendait « éliminer l'ensemble des facteurs liés à la gestion hospitalière et de tenir compte autant que possible des facteurs liés à l'activité ».

Source : Commission médicale d'établissement de l'AP-HP.

Les standards développés concernaient la médecine et la chirurgie, la médecine aval des urgences, l'oncologie, l'hématologie et la pédiatrie générale et spécialisée.

Cependant, comme l'a constaté l'AP-HP lors de son audition par la rapporteure, cette démarche s'est heurtée aux réalités des différents établissements qui composent le groupe hospitalier, a parfois généré des tensions - notamment dans des services historiquement mieux dotés - et n'a, in fine , jamais trouvé sa place.

Dans le cadre du plan d'action « 30 leviers pour agir ensemble », la direction générale de l'AP-HP revendique une nouvelle méthode. À la définition de références a priori , il est préféré une « identification, service par service, des situations d'effectifs justifiant un renforcement structurel indispensable pour garantir des conditions de travail propices à la fidélisation des professionnels ». L'expérimentation, menée à l'appui d'outils mêlant indicateurs objectifs et ressenti des professionnels, doit aboutir en avril 2023.

C. Une proposition de nouveaux ratios établis par la Haute Autorité de santé pour chaque spécialité

La proposition de loi déposée par M. Bernard Jomier et plusieurs de ses collègues du groupe socialiste, écologiste et républicain (SER) est composée d'un article unique .

Son I vise à charger la Haute Autorité de santé (HAS) d'établir un ratio minimal de soignants par lit ouvert ou par nombre de passages pour les activités ambulatoires. Ceux-ci porteraient uniquement sur les établissements de santé assurant le service public hospitalier.

Établissements du service public hospitalier

Aux termes de l'article L. 6112-1 du code de la santé publique (CSP), le service public hospitalier exerce l'ensemble des missions dévolues aux établissements de santé ainsi que l'aide médicale urgente , dans le respect des principes d'égalité d'accès et de prise en charge, de continuité, d'adaptation et de neutralité et conformément à des obligations d'accueil ou d'organisation particulières.

L'article L. 6112-3 du même code prévoit que le service public hospitalier est assuré par les établissements publics de santé , les hôpitaux des armées, les établissements de santé privés d'intérêt collectif , les autres établissements de santé privés habilités.

Ces ratios seraient établis pour chaque spécialité et type d'activité de soin hospitalier et tiendraient compte de la charge de soins associée à la spécialité ou l'activité.

Le I modifie à cette fin l'article L. 161-37 du code de la sécurité sociale qui énumère les missions de la Haute Autorité de santé.

Comme l'a souligné l'Anap auprès de la rapporteure, il convient de distinguer un nombre de soignants par patient du nombre d'emplois nécessaires pour le satisfaire. Ainsi, selon l'agence, la présence continue d'une IDE 24h/24, 365 jours par an, correspond à environ 5,6 ETP.

Évaluation de la charge en soins

Au-delà des besoins identifiés pour des patients selon des catégories d'activités ou spécialités de soins, la question de la charge de soins apparaît systématiquement comme un déterminant fondamental de l'évaluation des effectifs nécessaires auprès du patient .

Pour autant, celle-ci est considérée difficile à établir précisément et, surtout, en temps utile. Les outils pour ce faire manquent ou sont insuffisamment aboutis et optimisés , constituant aux dires de certains acteurs une charge administrative supplémentaire.

Le modèle « SIIPS » a été régulièrement évoqué. Initiée à la fin des années 1980 à l'Hôtel-Dieu de Paris, cette méthode d'analyse des « soins infirmiers individualisés à la personne soignée » identifie trois types de soins (de bases, techniques, relationnels et éducatifs) et entend qualifier l'intensité de soins .

En Finlande, le système Rafaela , développé dans les 1990, poursuit un objectif comparable de mesure de l'intensité de soins infirmiers et d'allocation des effectifs infirmiers. Une étude de 2014 13 ( * ) met en avant l'utilité de l'outil en matière d'information sur les besoins des patients et les activités infirmières. Bien que considéré comme consommateur de temps dans sa mise en oeuvre, les auteurs soulignent l'intérêt d'apporter un référentiel commun pour discuter des soins infirmiers et de l'allocation des effectifs .

Le II donne mission à la commission des soins infirmiers, de rééducation et médico-techniques (CSIRMT) pour « mettre en oeuvre » au sein de l'établissement les ratios établis par la HAS.

Il modifie pour ce faire l'article L. 6146-9 du code de la santé publique (CSP) relatif à la commission des soins infirmiers dans les établissements publics de santé.

Le III prévoit enfin un gage financier à la proposition de loi.

II - La position de la commission

A. La continuité de la commission d'enquête sur l'hôpital

1. Un prolongement d'un constat et d'une préconisation de la commission d'enquête

La commission d'enquête sur l'hôpital avait largement insisté dans ses travaux sur la situation des personnels soignants et les besoins massifs de renforcement des effectifs 14 ( * ) .

Dans son rapport, la présidente Catherine Deroche avait ainsi souligné l'état d'épuisement des professionnels, la charge de travail confrontée à des effectifs insuffisants et la pression supplémentaire pesant sur les personnels en service dans des équipes souffrant de vacances nombreuses de postes.

Surtout, « aux yeux de la commission d'enquête, il est nécessaire de renforcer le nombre d'infirmiers et d'aides-soignants dans les équipes de soins afin de revenir à des ratios plus adaptés à la charge en soins et aux besoins de présence auprès des patients. L'objectif à long terme doit consister à sortir de la logique de flux tendus qui ne laisse aucune marge de manoeuvre face aux fortes variations d'activité ou aux absences imprévues. »

Sur ce constat, la commission d'enquête considérait que « l'imposition de ratios réglementaires rigides - en dehors des spécialités déjà concernées aujourd'hui - et applicables aux services de chaque établissement paraît porter atteinte à la souplesse nécessaire à chaque hôpital (...) Les établissements pourraient en revanche définir, à l'image de l'AP HP, des standards capacitaires par grande catégorie de spécialit é, de sorte que le nombre d'infirmiers par service dépende plus des besoins réels que de leur dotation historique. »

2. Une préoccupation largement relayée

Au-delà des travaux de la commission d'enquête, la question du nombre de soignants par patient est un sujet récurrent et toujours plus présent dans les débats sur la situation de l'hôpital.

Ainsi, dans un avis de 2020 sur l'hôpital 15 ( * ) , le Conseil économique, social et environnemental estimait que « les sous-effectifs ont des conséquences graves et anormales. Ils sont d'abord dangereux pour les patientes et patients et le CESE serait favorable à la généralisation d'un ratio réglementaire de soignant par patient, comme cela existe déjà pour certains services ».

• Le collège de la Haute Autorité de santé, dans une rare lettre ouverte 16 ( * ) , avait proclamé que le premier enjeu du système de santé concernait les ressources humaines.

Les membres constataient ainsi que « le lien entre encadrement médical et paramédical et qualité des soins est en effet bien établi , tout comme l'importance d'équipes stables partageant une culture commune de qualité et sécurité des soins. Une enquête régionale révèle que seulement un tiers des soignants considèrent que les effectifs sont suffisants pour assurer des soins de qualité optimale. Ces pénuries de personnel contribuent également à la dégradation des conditions de travail des professionnels restant en poste, accentuant ainsi la pénibilité des métiers . Enfin, dans tous les secteurs, le manque de personnel conduit parfois à fermer lits, places et services , voire à suspendre certaines activités. »

• Plus récemment dans son rapport 17 ( * ) publié en décembre 2022 relatif aux déterminants de la qualité et de la sécurité des soins, la HAS a souligné le lien entre ratios de personnels et qualité et sécurité des soins . Cependant, comme l'a fait la présidente de la HAS auprès de la rapporteure, le rapport insiste sur l'imbrication des différentes familles de déterminants que sont les ressources humaines ; les ressources matérielles ; l'organisation des équipes de soins et la coopération des équipes de soins.

3. Un signal nécessaire pour redonner confiance aux personnels hospitaliers

La rapporteure et la commission souscrivent à l'intention de l'auteur de la proposition de loi, qui est d'envoyer à destination des soignants un engagement fort de restauration des conditions de travail par un renforcement des équipes .

Ce texte est aussi, d'une certaine manière, une réponse à l'urgence soulignée par le comité d'éthique (CCNE) dans son avis d'octobre 2022 18 ( * ) , qui constatait : « à la question de l'insuffisance des moyens humains, à celle du sens de ce que soigner veut dire, s'est ajoutée une forme de découragement, conduisant à des vagues de départs dans les établissements hospitaliers . Cette « hémorragie à l'hôpital » accentue davantage encore la détérioration des conditions de travail pour les personnels déjà en sous-effectifs , et contribue à la dégradation de l'accès, de la qualité et de la sécurité des soins du fait de la fermeture de nombreux lits et de procédures et pratiques dites « dégradées » mises en place pour répondre au manque de personne. » Le comité soulignait par ailleurs que « la crise de la Covid-19 a aussi été le révélateur d'une crise de reconnaissance des compétences au sein des métiers du soin et de l'importance du travail en équipe avec un ratio soignant/soigné suffisant ».

La logique retenue est celle, comme le revendique la rapporteure, d'une « loi de programmation ». Par la formulation d'une norme prévoyant la définition postérieure des ratios, l'ambition affichée est de redonner confiance aux personnels soignants à l'hôpital.

• En fixant une cible de qualité et, par suite, en contraignant à doter l'hôpital des moyens de l'atteindre, la proposition entend garantir une amélioration continue des conditions d'exercice des professionnels .

B. Une formulation à préciser

Alors que la proposition de loi a trouvé un accueil unanimement favorable de la part des soignants, médicaux comme paramédicaux, la rapporteure n'ignore pas les réticences voire oppositions de certains acteurs. Aussi, les évolutions apportées en commission ou les précisions d'interprétations entendent répondre à certaines inquiétudes.

1. Une méthode à construire pour la définition des ratios

La commission a conservé le principe de l'établissement de ratios par la Haute Autorité de santé , dont l'indépendance est garantie.

Ceux-ci, s'apparentant à un référentiel comme en produit la HAS pour d'autres aspects de qualité et de sécurité des soins, constitueront des recommandations pour le Gouvernement comme pour les établissements.

Par ailleurs, la rapporteure considère que les ratios qui seront définis par la HAS pourront utilement à terme être pris en compte par l'autorité elle-même pour apprécier la qualité des soins dans la grille d'indicateurs suivis pour la certification des établissements de santé.

La Haute Autorité devra, pour cette mission, préserver une méthode d'association large des sociétés savantes , des conseils professionnels et, peut-être surtout, valoriser les expériences « de terrain » par des échanges approfondis avec les établissements et les équipes de soins ou encore les patients.

Dans sa méthode habituelle, la HAS retient pour établir ses recommandations une organisation, après une phase de cadrage de projet, appuyée sur un groupe de travail dont les recommandations font l'objet d'un avis de la part d'un groupe de lecture.

• Au cours de ses auditions, la rapporteure a constaté que certaines activités devraient être identifiées comme prioritaires dans la mise en oeuvre du dispositif. Ainsi, alors que les services les plus concernés par des tensions structurelles sur les effectifs semblent être ceux de l'oncologie , la gériatrie , la neurologie , et un certain nombre de services d'aval des urgences , les premiers ratios définis devraient porter sur ces spécialités.

2. Une articulation à prévoir avec les ratios sécuritaires existants

La rapporteure s'est interrogée sur l'articulation entre les ratios « HAS » proposés et le caractère contraignant qui leur était donné pour les établissements. Elle a par ailleurs constaté un risque de perte de lisibilité avec les ratios sécuritaires existants.

C'est pourquoi la commission, par l'amendement COM-1 de la rapporteure, a souhaité distinguer clairement les différents dispositifs dont les implications matérielles ne sont pas identiques.

Ainsi, les ratios de sécurité requis pour le fonctionnement d'une activité et en-deçà desquels le capacitaire est réduit seraient prévus à l'article L.  6124-2 créé au sein du code de la santé publique. Ceux-ci ne disposent aujourd'hui pas de base légale plus explicite qu'un renvoi très large au décret pour l'ensemble des conditions techniques de fonctionnement, qui figure à l'article L. 6124-1 du CSP.

• Les « nouveaux » ratios que la proposition de loi entend créer sont établis en vue de garantir la qualité des soins et des conditions d'exercice et figureraient au sein d'un nouvel article L. 6124-3 du CSP . Ils seraient définis par décret, après avis de la HAS .

Si le terme de « ratio » est retenu, la rapporteure s'est interrogée sur la terminologie à proposer à la commission. En effet, l'idée n'est pas celle d'un chiffre figé et applicable uniformément mais bien celle d'une « fourchette » indicative . L'opportunité d'une dénomination suivant la préconisation de la commission d'enquête, à savoir celle de « standard » ou l'usage du pluriel, envisagé, ont à ce stade été écartés, la rapporteure considérant que l'intention du dispositif était clairement exprimée dans les travaux préparatoires au texte.

• Le texte de la commission conserve des ratios établis au regard des « lits ouverts » ou du « nombre de passages », conservant la rédaction proposée dans le texte initial. La référence au capacitaire semble pertinente et nécessaire et, pour l'ambulatoire, la question des recours observés pour les passages, justifiée.

• La rapporteure a enfin questionné le champ des personnels sur lequel devaient opportunément porter les ratios. Constatant le souhait des soignants interrogés que les ratios ne se bornent pas aux seules infirmières mais puisse couvrir un champ large intégrant les médecins , y compris potentiellement internes , sages-femmes , mais aussi d'autres catégories de paramédicaux , au-delà des infirmières et aides-soignantes , qui peuvent être nécessaires selon les spécialités comme les masseurs-kinésithérapeutes ou encore les manipulateurs radios . Ainsi, le champ des « soignants » retenus devra être apprécié au regard des besoins de chaque activité .

Enfin, soucieuse que les ratios définis ne demeurent pas inchangés au regard de l'évolution des pratiques médicales et des besoins constatés, l'amendement de la rapporteure a prévu que ceux-ci seraient définis pour une période maximale de cinq années .

Il s'agit de prévenir des situations comme celle constatée actuellement pour les ratios dans le champ de l'obstétrique, dont l'ordre national des sages-femmes comme les syndicats regrettent qu'ils n'aient pas été revus depuis 1998 et ne prennent pas suffisamment en compte les besoins en activités non programmées .

3. Une souplesse d'approche nécessaire pour les ratios qualitatifs

Au-delà de la définition même d'un ratio « non figé », une souplesse du dispositif s'avère également particulièrement nécessaire à souligne dans la mesure où la rapporteure n'ignore pas, comme l'ont d'ailleurs rappelé différents intervenants, que les ratios ont parfois été vus comme des cibles basses justifiant des efforts supplémentaires ou réductions d'effectifs : l'intention n'est pas de contraindre à des baisses d'effectifs ou de financements dans des services qui seraient éventuellement mieux dotés.

• Plusieurs critères ont été retenus dans la rédaction proposée par l'amendement COM-1 pour la définition des ratios qualitatifs. Ainsi, la rédaction retenue préserve l'indispensable prise en compte de la charge de soins mais ouvre également la voie à des nuances ou appréciations différentes des ratios définis au regard de la spécialisation ou de la taille des établissements.

Il s'agit ici notamment de considérer qu'une même activité n'emporte pas nécessairement les mêmes besoins selon qu'elle est pratiquée en CHU avec des « surspécialités » pour des patients complexes ou dans un centre hospitalier classique.

Enfin, alors qu'il a souvent été opposé que l'établissement de nouveaux ratios « conduirait à des fermetures de lits », la rapporteure insiste sur la distinction opérée sur ce point avec les ratios de sécurité . Quand ces derniers sont « requis » pour le fonctionnement, l'activité ne serait pas suspendue dans le cas des ratios qualitatifs et le régime de responsabilité de l'établissement ne saurait être modifié du fait de situations conjoncturelles conduisant à temporairement exercer dans des conditions ne répondant pas aux « standards de qualité » optimaux.

D'une part, cette souplesse résulte d'un principe de réalité face à la situation actuelle de l'hôpital ; d'autre part, elle intègre la nécessité d'une montée en charge progressive et l'idée que ces ratios sont une perspective, une cible d'engagement pluriannuel.

Sur ce point, la rapporteure constate néanmoins que si une « pénurie » est constatée pour les médecins, il n'en est pas de même pour les infirmières, dont le nombre continue de croître, hors de l'hôpital.

• Cependant, le fonctionnement en dehors des standards qui seront définis ne doit en aucun cas devenir une règle alors que ce texte entend justement répondre à un fonctionnement de l'hôpital qui ne cesse de reposer sur un « mode dégradé ».

C'est pourquoi la commission, par l'amendement COM-1, a souhaité, dans un nouvel article L. 6124-5 du CSP , prévoir que pour les établissements du service public hospitalier, des conditions de fonctionnement ne répondant pas aux ratios de qualité doivent, au-delà de trois jours, être nécessairement signalées au directeur général de l'agence régionale de santé .

Par cet article, la rapporteure entend souligner le rôle des ARS, tutelles des établissements, dont la mission en matière de continuité et de qualité des soins sur le territoire doit conduire à appuyer les hôpitaux dans leur capacité à respecter les ratios . Par ailleurs, la commission constate que de tels signalements sont de nature à documenter les besoins des établissements, alors que les données manquent cruellement en matière d'effectifs auprès des patients.

4. Une appropriation et adaptabilité au niveau de chaque établissement à prévoir

• La commission est soucieuse de préserver les compétences d'organisation propres aux établissements et de respecter les missions des responsables médicaux ainsi que des directeurs des soins et cadres coordinateurs.

C'est pourquoi la commission a choisi de remplacer « mise en oeuvre » déléguée aux CSIRMT par un nouvel article L. 6124-4 du CSP prévoyant une appropriation des ratios de qualité par les instances des établissements du service public hospitalier.

Ainsi, les commissions médicales d'établissement, les commissions des soins infirmiers ou les instances comparables dans les ESPIC, auraient à approuver l'organisation des soins de l'établissement sur la base des ratios établis. L'article prévoit ainsi une approbation de cette organisation par les instances .

Respectant les compétences établissements et des soignants et leur capacité à adapter les ratios aux besoins constatés sur les pathologies traitées , aux types de patients accueillis ou encore à la configuration matérielle des sites, il s'agit de laisser de la souplesse dans la définition des maquettes organisationnelles, et ce avec les soignants eux-mêmes . Comme l'a rappelé la conférence des directeurs de CHU, « Les maquettes organisationnelles sont travaillées et arrêtées par l'encadrement dans le cadre d'un dialogue de gestion qui regroupe les responsables médicaux et paramédicaux, la direction des ressources humaines, la direction des soins . »

Il est indispensable de prévoir cette approche ascendante complémentaire pour la mise en oeuvre des ratios. Les implications concrètes sur l'organisation des effectifs dans l'établissement doivent être concertées et approuvées par les personnels médicaux et paramédicaux. Notamment, il pourra être utile que soient discutées tant la répartition des effectifs que l'organisation des suppléances et particulièrement le dimensionnement d'un « pool » permettant de renforcer les personnels selon la charge conjoncturelle . L'anticipation des remplacements temporaires a été jugée indispensable par les représentants des infirmières, cadres et directeurs des soins entendus.

5. Une indispensable progressivité du dispositif

Une entrée en vigueur sans délai du dispositif n'est pas réaliste. D'une part, les exemples étrangers montrent que plusieurs années ont été nécessaires pour la mise en oeuvre de ratios dans les établissements de santé. D'autre part, la définition même des différents ratios nécessitera une évaluation approfondie. Enfin, au-delà de la seule publication des ratios, c'est bien la manière d'y répondre qui impose une vision longue du dispositif . En effet, les ratios proposés sont bien une trajectoire d'effectifs souhaitables et engendrent donc des besoins de formation et de recrutements qui ne trouvent pas de satisfaction immédiate .

La conférence des CME de CH, qui considère ce texte comme une « avancée indispensable et urgente », préconisait à ce titre par un exemple un délai d'application de l'ordre de cinq années , avec une intention de montée en charge progressive.

• C'est pourquoi la commission, par l'amendement COM-1 de la rapporteure, a souhaité prévoir une entrée en vigueur différée de la proposition de loi suivant un calendrier en deux temps .

La nouvelle mission de définition des ratios par la Haute Autorité de santé prendrait effet au plus tard au 31 décembre 2024 , laissant à la HAS le temps d'organiser sa méthode et d'engager de premiers travaux.

L'obligation pour le Gouvernement de prévoir des ratios de qualité par décret entrerait elle en application au 1 er janvier 2027, laissant au Gouvernement plus de deux ans après les recommandations de la HAS pour se préparer , et un délai de près de quatre ans depuis l'examen de la proposition.

C. Une disposition nécessaire mais non suffisante

La rapporteure souligne que la réponse apportée par la proposition à l'un des problèmes de l'hôpital, jugée indispensable, ne saurait être revendiquée comme une solution suffisante .

• Les difficultés de recrutement et de formation doivent parallèlement trouver des réponses.

Le sujet se pose dans l'absolu et se trouvera d'autant plus déterminant qu'il sera une condition indispensable de réussite de la mise en oeuvre des ratios.

La commission rappelle à ce titre les lacunes bien identifiées sur la formation des infirmières notamment. D'une part, le nombre de places de formation doit être amplifié et anticiper les besoins futurs. La conférence des DG de CHU estime par exemple que les nouveaux ratios la réforme des soins critiques allaient nécessiter des recrutements à hauteur de 45% des sorties d'IFSI. D'autre part, l'accès aux instituts de formation en soins infirmiers (IFSI) revu. Comme cela a déjà été mis en avant, l'entretien de motivation, disparu depuis la bascule sur Parcoursup , doit être rétabli. Enfin, l'organisation de la formation doit aussi être révisée en vue de réduire le nombre d'étudiantes quittant les IFSI, dont la proportion serait de l'ordre de 30 %. Cela tient à la vérification des profils à l'entrée, certes, mais aussi à l'encadrement durant les stages - et donc au nombre de soignants disponibles - ou encore aux maquettes de formation, déplorées par de nombreux acteurs hospitaliers, soignants comme directeurs .

• Enfin, la commission rappelle que l'a ttractivité des métiers hospitaliers repose sur des éléments matériels et professionnels qui devront encore être travaillés et que la commission d'enquête avait déjà mis en valeur :

- le Ségur de la santé n'a pas répondu entièrement aux questions de rémunération des personnels, même si les conditions de travail semblent devenir une préoccupation plus important que les demandes salariales ;

- à côté de la rémunération, le logement ou conditions de transport sont aujourd'hui des éléments déterminants d'attractivité des postes dans les grandes métropoles. Le coût du logement, par exemple en région parisienne, et les temps de transports, appellent une réponse qui ne pourra venir seulement des établissements mais aussi des collectivités territoriales et de l'État.

- les perspectives de carrière doivent encore évoluer, notamment pour les infirmières.

Suivant les observations de la rapporteure et approuvant les modifications portées par l'amendement COM-1, la commission a adopté cet article ainsi modifié.

EXAMEN EN COMMISSION

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Réunie le mercredi 25 janvier 2023, sous la présidence de Mme Catherine Deroche, présidente, la commission examine le rapport de Mme Laurence Rossignol, rapporteure, sur la proposition de loi (n° 105, 2022-2023) relative à l'instauration d'un nombre minimum de soignants par patient hospitalisé.

Mme Catherine Deroche , présidente . - Nous examinons maintenant la proposition de loi relative à l'instauration d'un nombre minimum de soignants par patient hospitalisé.

Mme Laurence Rossignol , rapporteure . - Il y a moins d'un an, sur le rapport de notre présidente Catherine Deroche, la commission d'enquête sur la situation de l'hôpital et le système de santé en France rendait ses conclusions. L'une de ses recommandations était de mettre au point des « standards capacitaires », en utilisant des outils de mesure objective de la « charge en soins », et de mettre en place un mécanisme d'alerte lorsque le ratio « patients par soignant » dépasse un seuil critique.

Notre collègue Bernard Jomier, qui présidait cette commission d'enquête, a choisi de traduire cette préconisation dans une proposition de loi, dont le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain a demandé l'inscription à l'ordre du jour du Sénat, dans le cadre de son espace réservé, le 1 er février prochain.

L'hôpital souffre aujourd'hui des départs massifs de soignants, notamment des personnels infirmiers, et en est fragilisé. Les équipes sont au bord de la rupture, et l'activité ne peut reprendre à un niveau comparable à celui qui prévalait avant la pandémie.

Or ces départs ne sont pas dus à un manque d'intérêt pour le métier hospitalier. Le problème de la faiblesse des salaires, auquel le Ségur n'a pas totalement répondu, n'est plus la seule raison de l'hémorragie qui se poursuit.

Le problème du manque d'attractivité des métiers hospitaliers, que nous devons résoudre de manière urgente, n'est pas dissociable des conditions de travail des personnels. Ceux qui restent assument encore davantage de gardes, de nuits, de week-ends pour pallier les vacances de poste. En sous-effectifs, ils sont souvent épuisés et sous pression, et ont peur de commettre des erreurs. Ils font face à une perte de sens des métiers du soin, qui sont aujourd'hui exercés dans la précipitation, sans que le temps auprès du patient soit suffisamment valorisé ou parfois même possible.

C'est une réponse à la dégradation des conditions de travail que les auteurs de la proposition de loi cherchent à apporter. En établissant des ratios et, surtout, disons-le, en se donnant les moyens de les respecter, ceux-ci entendent rassurer les personnels soignants et leur envoyer un message clair : ne partez-pas, revenez, nous posons les jalons de conditions de travail décentes.

Un tel raisonnement n'est pas seulement théorique. En tout cas, il n'est nullement utopique : il s'appuie sur la littérature scientifique établie à partir des expériences menées par d'autres États, en particulier la Californie et le Queensland, en Australie. Les divers exemples de mise en place de ratios dans des établissements de santé montrent que ceux-ci ont un réel effet sur la qualité de vie au travail, le nombre de burn-out enregistrés et l'attractivité des métiers. Ces mêmes ratios ont aussi un effet sur la qualité des soins et se traduisent par une baisse des réadmissions et de la mortalité.

Dans son rapport publié le mois dernier sur les déterminants de la qualité et de la sécurité des soins en établissement de santé, la Haute Autorité de santé (HAS) constatait elle-même une corrélation entre l'effectif médical et le pronostic des patients.

Avec ce texte, nous voulons saisir l'occasion d'améliorer la qualité des soins et les conditions de travail des personnels soignants.

La proposition de loi entend confier à la HAS la mission de définir, par spécialité et par activité de soins hospitaliers, un ratio minimal de soignants par lit ouvert ou par nombre de passages pour les activités ambulatoires, en tenant compte de la charge de soins. Ces ratios s'appliqueraient aux établissements assurant le service public hospitalier, pour l'essentiel les établissements de santé publics et les établissements privés d'intérêt collectif. Leur mise en oeuvre serait confiée à la commission des soins infirmiers, de rééducation et médico-techniques (CSIRMT).

Je tiens à signaler qu'aujourd'hui des ratios existent pour cinq activités de soins, au titre de la sécurité des patients. Ils sont prévus par décret et constituent des conditions requises pour le fonctionnement des services, faute de quoi leur capacité d'accueil est restreinte. Il s'agit de la néonatologie et de la réanimation néonatale, du traitement des grands brûlés, de la réanimation, des soins intensifs, ainsi que de l'insuffisance rénale chronique. Les activités de soins liés à la naissance et au traitement du cancer obéissent à des exigences du même ordre.

J'ai mené, la semaine dernière, une quinzaine d'auditions, qui m'ont permis d'entendre plus d'une cinquantaine d'intervenants. Le constat est clair : les soignants soutiennent unanimement l'instauration de ratios de soignants par patient à l'hôpital. Quand je parle de « soignants », j'entends les personnels infirmiers, et, plus largement, les professions paramédicales, mais aussi les professions médicales hospitalières, les médecins et les sages-femmes. Tous voient dans ce texte une réponse à leurs attentes, de nature à restaurer une meilleure qualité de vie au travail.

Si le soutien des personnels paramédicaux était attendu, celui des présidents des commissions médicales d'établissement (CME) s'est révélé tout aussi clair. Rémi Salomon, président de la CME de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) et de la conférence nationale des présidents de CME de centres hospitaliers universitaires (CHU), et Thierry Godeau, président de la conférence nationale des présidents de CME de centres hospitaliers (CME-CH) ont soutenu le texte sans ambiguïté, considérant qu'il s'agissait d'un signal nécessaire à destination des soignants et d'une mesure indispensable pour faire revenir les personnels ayant quitté l'hôpital et endiguer les départs.

Face à cette demande unanime des soignants, je ne peux que déplorer la frilosité tout aussi unanime des représentants des administrations, au niveau central comme au niveau des directions d'établissement, que j'ai auditionnés. Ils craignent que le dispositif instaure trop de « rigidité », ce dernier mot ayant été très souvent prononcé, alors même que le texte ne prévoit pas de ratios aussi contraignants que les ratios « sécuritaires ».

Mais, soyons honnêtes, la principale crainte que j'ai identifiée chez les directeurs d'établissement était que les recrutements qui seront nécessaires au respect de ces ratios ne soient pas financés. En clair, ils redoutent que l'on crée une contrainte supplémentaire sans que les moyens suivent.

Le message le plus souvent relayé, corollaire immédiat de cette crainte, a été que cette proposition de loi conduirait à fermer des lits. Ce n'est pourtant ni l'intention des auteurs - bien au contraire - ni ce qu'entraînera le dispositif proposé. J'invite tous ceux qui seraient sensibles à ce discours à observer la situation de nos hôpitaux : on constate encore des déprogrammations d'opérations massives et de nombreuses fermetures de lits, faute de personnels - non à cause de ratios ! J'ajoute que les ratios instaurés par la proposition de loi ne contribueront pas à fermer des lits : bien au contraire, ils visent à rétablir les capacités de l'hôpital en faisant revenir les soignants.

Surtout, ce texte se veut, du moins pour une part, une « loi de programmation » : les ratios doivent fixer des cibles à atteindre. C'est donc un travail au long cours que ses auteurs entendent engager. Tout le monde est conscient que les recrutements ne se feront pas en six mois et qu'il est question ici d'enclencher une dynamique.

Ces ratios ne sont que formellement une nouveauté, une « rigidité » supplémentaire. Certes, en dehors des activités que je mentionnais, il n'y a aucun ratio défini officiellement aujourd'hui, mais des ratios informels existent ou ont existé : je pense aux contrats de transformation créés à la suite des recommandations de l'ancien Comité interministériel de la performance et de la modernisation de l'offre de soins hospitaliers (Copermo), qui reposaient sur le ratio d'un infirmier pour 15 patients.

Or de tels ratios informels sont intenables. C'est pourquoi le texte entend substituer des ratios dits « de qualité » à ces ratios fondés sur la « performance », qui ont fragilisé l'hôpital.

Par ailleurs, à ceux qui craignent que la mise en place de ratios serve ultérieurement, de prétexte à réduire les effectifs dans certains services, je tiens à signaler que l'intention des auteurs du texte est non pas de faire appliquer des quotas sans discernement, mais d'établir des « fourchettes », terme qui ne peut pas figurer tel quel dans la loi.

Il faudra évidemment adapter le dispositif aux contextes locaux, pour tenir compte de la précarité de la population, d'une éventuelle architecture contraignante, des moyens informatiques existants, voire de l'expérience des équipes. Il ne s'agit pas ici, comme certains pourraient le penser, de ratios « aveugles ».

Enfin, pour répondre à la dernière objection que l'on nous a spontanément opposée, nous ne sommes capables d'évaluer les effectifs qui seront nécessaires pour faire respecter ces ratios. Cet argument joue précisément en faveur de ces derniers : alors que, depuis plus de vingt ans, aucun effort n'a réellement été fait pour évaluer correctement la charge en soins, du moins de telle sorte que cela ne crée aucune charge supplémentaire pour les soignants, ces ratios imposeraient, de fait, un vrai travail.

À l'issue de cette semaine d'auditions, j'estime que le présent texte est nécessaire. Je rappelle que le collège de la HAS, dans sa lettre ouverte de mars dernier, considérait que l'enjeu prioritaire était celui des ressources humaines. Or il faut reconnaître que peu de réponses adaptées ont été apportées par les pouvoirs publics depuis.

Si aucune mesure ne contraint à accélérer le rétablissement des effectifs dont l'hôpital a besoin, je crains que le cercle vicieux ne s'accélère. Cependant, pour assurer la bonne mise en oeuvre de ce texte, ménager certaines craintes et élaborer une rédaction susceptible de rassembler une majorité de sénateurs, j'ai déposé un amendement qui a reçu - je m'en félicite - le soutien de notre collègue Bernard Jomier, auteur principal de la proposition de loi.

Il s'agit de modifier le dispositif de l'article unique, afin de mieux articuler les ratios « sécuritaires » existants et les ratios « de qualité » créés par le texte et établis par décret aux côtés du référentiel dont la HAS aura la charge, en prévoyant, en outre, différents critères à prendre en compte.

Je propose également que la commission médicale et la commission des soins infirmiers jouent un rôle dans le schéma d'organisation des soins au regard de ces ratios, ce qui contribuerait à préserver leurs compétences et respecter une adaptation possible au niveau local. Parallèlement, je souhaite l'instauration d'une procédure de signalement à l'agence régionale de santé (ARS), tant pour assurer l'information des tutelles que pour répondre au déficit de données sur le sujet.

Enfin, pour répondre à un besoin de progressivité, je propose une entrée en vigueur différée de ce texte, en deux temps.

Je suis pleinement consciente - Bernard Jomier l'est également - que ce texte n'est pas de nature à répondre à l'ensemble des problèmes de l'hôpital. Cette proposition n'en a d'ailleurs pas l'ambition. Nous devrons continuer de travailler sur une série de sujets directement liés à l'attractivité des métiers et aux conditions de travail, ceux qui concernent le recrutement. De nombreuses personnes auditionnées ont regretté la suppression de l'examen de motivation dans Parcoursup ou la modification des maquettes de formation, et plaidé pour la nécessaire limitation de l'intérim, en début de carrière notamment, ainsi que pour un meilleur accès au logement dans les grandes métropoles.

Il me revient enfin, en tant que rapporteure, de vous proposer un périmètre pour l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution.

Je considère que celui-ci comprend des dispositions relatives aux missions de la Haute Autorité de santé concernant les établissements de santé, aux conditions de fonctionnement des établissements de santé pour ce qui relève des effectifs soignants.

En revanche, j'estime que n'auraient pas de lien, même indirect, avec cette proposition de loi des dispositions relatives à la gouvernance et au financement des établissements de santé, aux régimes d'autorisation ou d'installation propres aux établissements de santé ou à certains équipements.

Il en est ainsi décidé.

Mme Laurence Rossignol , rapporteure . - Mes chers collègues, j'espère que ce texte saura trouver une majorité au sein de notre commission et, la semaine prochaine, dans l'hémicycle du Sénat. Alors que les voeux du Président de la République n'ont pas dessiné de réelle voie de redressement de notre système de santé, il nous appartient, dans le cadre des compétences qui sont les nôtres, de faire oeuvre utile.

M. Philippe Mouiller . - Je vous remercie pour ces explications, madame la rapporteure, ainsi que pour les perspectives qu'offre l'amendement que vous avez déposé.

Le groupe Les Républicains s'est longuement interrogé sur le soutien qu'il devrait ou non apporter à ce texte. Compte tenu des auditions que la commission a menées, de votre argumentaire et des évolutions que vous envisagez d'apporter, nous porterons un regard bienveillant sur cette proposition de loi. Il s'agit, à nos yeux, d'un message de soutien aux soignants, d'autant plus important que le contexte est tendu.

Comme vous l'avez rappelé, des ratios existent déjà dans un certain nombre de services. D'une certaine façon, ce texte constitue un atout supplémentaire pour établir un bilan précis et global de la gestion de l'hôpital. Il doit également permettre de répondre au problème des conditions de travail, donc de l'attractivité des métiers, tout en étant gage d'efficacité dans la prise en charge des patients.

Nous avons craint un temps que la mise en oeuvre de ces ratios ne puisse causer la fermeture de lits, mais nous avons bien compris que l'intention des auteurs de ce texte était avant tout de fixer un objectif, non d'imposer une réforme par les chiffres.

Nous serons vigilants sur ce point : cette proposition de loi doit avant toute chose contribuer à la mise en place de normes qualitatives. Elle soulève, en outre, une question importante : quid du dispositif en période de crise ? Une forme de souplesse est-elle envisagée ?

Mme Véronique Guillotin . - Nous porterons également un regard bienveillant sur cette proposition de loi de bon sens, qui est très attendue par les soignants.

Je souhaite témoigner de l'expérience que je tire de mon département. On constate aujourd'hui que de nombreuses infirmières résidant en Meurthe-et-Moselle travaillent désormais au Luxembourg, certes pour percevoir des salaires plus élevés, mais aussi - ce que l'on sait moins - pour bénéficier d'une meilleure qualité de vie au travail. C'est aussi pourquoi je pense que ce texte va dans le bon sens.

Il reste qu'un doute persiste sur le risque que l'application d'un tel dispositif puisse entraîner de nouvelles fermetures de lits. J'espère que vous saurez lever ces incertitudes.

M. Daniel Chasseing . - Je pense, tout comme la rapporteure, qu'il faut garantir un nombre minimal de soignants par patient, à la fois parce qu'il est indispensable que les personnels disposent du temps nécessaire pour exercer correctement leur métier et parce que le manque de professionnels favorise leur découragement. Malgré l'augmentation des salaires liée au Ségur de la santé, on constate toujours plus de démissions.

Je suis par ailleurs favorable à ce que le dispositif puisse s'adapter en fonction des circonstances. Je voterai donc cette proposition de loi.

Mme Raymonde Poncet Monge . - Comme vous l'avez indiqué, madame la rapporteure, cette réforme ne suffira pas, mais elle est indispensable. Il s'agit d'un signal fort envoyé aux soignants, à rebours d'une situation qui empire - autrement dit, d'une inflexion absolument essentielle.

Les ratios actuellement appliqués pour certaines activités hospitalières ont permis de garantir un ajustement permanent des effectifs, malgré les contraintes budgétaires. Ils ont contribué à éviter le ballotage des personnels d'un service à l'autre, lesquels ont pu exercer leur spécialité dans de meilleures conditions que certains de leurs collègues.

Cependant, permettez-moi de vous faire observer que le risque de nouvelles fermetures de lits n'est pas un fantasme, car un tel phénomène s'est déjà produit par le passé.

Au-delà de la question du calendrier de mise en oeuvre de ce texte, il faudrait également réfléchir aux distorsions de concurrence entre public et privé. Nous plaidons pour une application différenciée du dispositif à l'hôpital public, afin de prendre en compte les contraintes de garde spécifiques qui s'y attachent et la nécessaire continuité du service.

Dernier point, nous pensons que de tels ratios doivent être mis en oeuvre pour une durée limitée, d'autant que les métiers changent très vite aujourd'hui. Les décrets d'application prévus par le texte devront être régulièrement modifiés pour tenir compte de l'évolution du système de santé et des compétences des soignants.

Pour autant, vous l'aurez compris, le groupe Écologiste - Solidarité et Territoires est favorable à cette proposition de loi.

Mme Michelle Meunier . - Certains raillent le principe des ratios, notamment ceux qui existent dans le domaine de la santé. Or c'est assez efficace ! Je pense, en particulier, au secteur de la petite enfance, où a été instauré avec succès un nombre minimal de personnels qualifiés par enfants.

J'ajoute que, du point de vue des patients, ce texte est un gage supplémentaire de qualité des soins. Il permettra aussi, je l'espère, d'améliorer les conditions de travail des professionnels.

Mme Laurence Cohen . - Je vais faire entendre une voix un peu discordante. Mon groupe estime, en effet, que l'on ne peut pas prendre position sur un tel dispositif sans prendre en considération le contexte politique actuel et les difficultés auxquelles le système de santé est confronté.

Je sais bien que le groupe Socialiste, Écologiste et Républicain du Sénat n'a nullement l'intention de causer de nouvelles fermetures de lits et de services - c'est même le contraire de l'objectif affiché -, mais mon groupe se demande tout de même, surtout après avoir entendu un certain nombre de syndicalistes, comment, avec un tel dispositif, il sera possible de maintenir les capacités de l'hôpital, pourtant déjà insuffisantes, surtout à moyens constants. En d'autres termes, où trouvera-t-on l'argent ?

Parmi les risques que fait courir cette proposition de loi, il faut également citer celui que les services entrent en conflit pour attirer les soignants. Autre question concernant la gouvernance du dispositif : pourquoi ne pas associer les associations syndicales à la HAS et la commission des soins infirmiers pour la mise en oeuvre de ces ratios ?

Pour l'ensemble de ces raisons, le groupe communiste républicain citoyen et écologiste s'abstiendra sur ce texte.

M. Olivier Henno . - Je n'ai aucun doute sur les bonnes intentions des auteurs de cette proposition de loi ni sur le fait que cette dernière pose les bonnes questions, mais les réponses apportées me laissent perplexe.

Je m'interroge sur ce texte, comme sur les autres propositions de loi qui ont successivement été déposées ces dernières années et qui visaient toutes à mettre un terme à la pénurie des personnels soignants. En multipliant de telles initiatives, ne contribue-t-on pas davantage à « stresser » le système de santé qu'à régler le problème, et ce d'autant plus que notre système de formation a du mal à s'adapter ? À mes yeux, c'est notre capacité à former plus de professionnels, plus vite, qui représente l'enjeu prioritaire aujourd'hui.

Mme Jocelyne Guidez . - Cette proposition de loi a le mérite d'exister. Simplement, je reste sceptique, madame la rapporteure, car vous annoncez vouloir limiter le recours aux intérimaires, alors que l'établissement de ratios nous conduira, au contraire, à y faire appel, ce qui creusera inévitablement le déficit de l'hôpital.

Ce texte constitue, j'en conviens, une avancée, mais il me plonge dans la perplexité, notamment au vu du niveau de formation actuel des soignants.

Mme Corinne Imbert . - Le cycle d'auditions a-t-il été l'occasion d'évoquer la question du temps consacré par les cadres de santé à la gestion des plannings ? On peut regretter que ces professionnels très qualifiés ne consacrent plus qu'une partie de leur temps à épauler les équipes soignantes.

M. Jean-Luc Fichet . - Les ratios ont peut-être des effets pervers, mais ils sont aujourd'hui absolument nécessaires, tant les conditions de travail à l'hôpital sont déplorables. Cette proposition de loi constitue une réponse au diagnostic terrible dressé en matière de ressources humaines.

M. Martin Lévrier . - L'enfer est pavé de bonnes intentions : ce sujet ne relève-t-il pas davantage du domaine réglementaire ?

Mme Laurence Rossignol , rapporteure . - En réponse à Martin Lévrier, je précise que l'étape qui suivra l'éventuelle adoption de ce texte et qui en permettra la bonne application relève effectivement du domaine réglementaire. Par ailleurs, le Gouvernement pourrait certainement fixer des ratios lui-même, puisque les ratios « sécuritaires » en vigueur aujourd'hui n'ont pas de fondement législatif précis et relèvent d'un renvoi général au décret pour ce qui est des « conditions techniques de fonctionnement ». Cela étant, nous agissons bel et bien dans le cadre de nos compétences : avec ce texte, nous donnons une impulsion politique et montrons à l'exécutif la voie à suivre.

À ceux de nos collègues qui ont fait part de leur interrogations, je tiens à dire que je me suis posé les mêmes questions.

Pour autant, il faut partir de l'existant : la situation continue de se dégrader et les mesures du Ségur de la santé n'ont pas mis fin à la « fuite » des personnels hospitaliers. Il convient de distinguer les médecins des infirmières et des aides-soignantes. Si nous manquons effectivement de médecins, nous avons suffisamment d'infirmières. Ce qui pose problème aujourd'hui, c'est que ces dernières quittent l'hôpital après quelques années, voire abandonnent pendant ou à l'issue de leur formation. L'enjeu est donc de ramener ces professionnels à l'hôpital public.

Le texte que nous examinons est d'autant plus important que le faible nombre de soignants au chevet des patients a des conséquences néfastes sur le niveau de formation des infirmières, qui ne bénéficient plus suffisamment aujourd'hui du tutorat et de l'expérience des seniors.

Beaucoup d'entre vous craignent que les ratios mis en oeuvre ne puissent devenir un instrument conduisant à la fermeture de nouveaux lits. Regardons, là encore, la situation actuelle : si l'on ne fait rien, on continuera comme aujourd'hui à « déshabiller » les services où les ratios ne s'appliquent pas pour « habiller » ceux où ils s'appliquent. Il convient d'agir, d'autant que les services prioritaires ou critiques sont aujourd'hui bien identifiés.

Notre collègue Laurence Cohen a lancé un appel à l'augmentation du budget de l'hôpital. Nous sommes d'accord : personne ne peut imaginer que le dispositif proposé fonctionnera à budget constant.

Plusieurs collègues ont réclamé de la souplesse. Mon amendement répond à leur inquiétude : il tend à créer deux ratios - l'un dit « sécuritaire », l'autre dit « de qualité » -, tout en prévoyant, au cas où un ratio ne serait pas respecté, que l'agence régionale de santé en soit alertée. En creux, cela signifie qu'un ratio peut ne pas être respecté pendant quelques jours. Une telle rédaction garantit donc une forme de souplesse aux établissements de santé.

Autre point, le Conseil constitutionnel a récemment censuré, comme cavalier social, une disposition interdisant le recours à l'intérim pour les jeunes infirmières dans les trois premières années d'exercice de leur métier. Ce texte ne règle certes pas le problème, madame Guidez, mais je trouvais intéressant d'évoquer cet enjeu dans mon propos liminaire et de rappeler que la mesure déclarée irrecevable par le Conseil allait dans le bon sens.

Enfin, je partage le constat dressé par notre collègue Corinne Imbert, à savoir que les cadres infirmiers passent, hélas, trop de temps à faire des plannings et, surtout, à tenter de « boucher les trous ».

Mme Annick Jacquemet . - En cas de non-respect des quotas mis en place, que se passera-t-il concrètement ?

Mme Laurence Rossignol , rapporteure . - Les services continueront de fonctionner. En revanche, l'ARS sera tenue de réagir, ce qui présente l'intérêt, non pas de rétablir une tutelle, mais d'inciter l'État à une forme de responsabilité dans le fonctionnement des hôpitaux.

M. Bernard Jomier , auteur de la proposition de loi . - Tout d'abord, permettez-moi de remercier la rapporteure pour l'ensemble de son travail.

Malgré tous les obstacles qui peuvent se présenter, je pense que ce texte répond à une demande forte des soignants. D'une certaine manière, les nombreux témoignages de médecins, d'infirmières, de kinésithérapeutes, de présidents de CME, de représentants d'organisations syndicales, de sages-femmes nous obligent. Certes, notre initiative ne résoudra pas la crise actuelle, mais il s'agit d'un signal important.

La mise en oeuvre de cette proposition de loi ne devra être ni brutale ni uniforme, pour ne pas créer d'effets pervers ni devenir inapplicable. Elle représente un cap, lequel contribuera à régler la crise du sens et à combler le manque de temps dont les soignants souffrent au quotidien.

Le ministre de la santé et de la prévention a récemment exprimé son opposition à notre texte. J'espère, pour ma part, qu'il fera l'objet, après tout le travail accompli par notre commission, d'un consensus au sein de notre assemblée.

Mme Catherine Deroche , présidente . - Avant de passer à l'examen de la proposition de loi, je rappelle que cette dernière tire son origine de l'une des recommandations de la commission d'enquête sénatoriale sur la situation de l'hôpital et le système de santé en France qui appelait à établir des « standards capacitaires ». Le rapport de cette commission, adopté à la quasi-unanimité, a permis de dresser un bilan exhaustif de la situation des hôpitaux, ainsi que des difficultés des personnels soignants et administratifs.

Au fil des mois, on constate, hélas, que la situation ne s'améliore pas. Il faut donc agir, notamment en créant les conditions d'une plus grande souplesse pour que l'hôpital soit en mesure de faire face aux crises à venir. Cette proposition de loi y contribue, en envoyant un message d'espoir aux professionnels.

J'ajoute que le travail de la rapporteure, au travers de l'amendement qu'elle s'apprête à présenter, permettra d'instaurer davantage de progressivité dans l'application d'un dispositif qui va dans le bon sens, même s'il ne constitue pas une solution miracle.

Je vous invite, mes chers collègues, à voter le texte modifié par l'amendement de notre commission.

EXAMEN DE L'ARTICLE UNIQUE

Article unique

Mme Laurence Rossignol , rapporteure . - L'amendement COM-1 a pour objet de clarifier le dispositif proposé et de préciser son articulation avec les ratios existants.

Il vise, pour ce faire, à donner une base légale claire aux ratios « de sécurité » déjà en vigueur, à créer de nouveaux ratios dits « de qualité », tenant compte de la qualité des soins, des conditions d'exercice des personnels soignants et de la spécialisation ou de la taille de l'établissement de santé, et ce pour une période maximale de cinq années.

Il tend, en outre, à renforcer la progressivité du dispositif, puisqu'il prévoit son entrée en vigueur avant le 31 décembre 2024 pour la partie relative à la HAS et accorde ensuite deux ans au Gouvernement pour déterminer les ratios réglementaires.

L'amendement COM-1 est adopté.

L'article unique est adopté dans la rédaction issue des travaux de la commission.

La proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.

Mme Catherine Deroche , présidente . - Mes chers collègues, je vous remercie pour ce beau message envoyé aux soignants.

TABLEAU DES SORTS

Auteur

Objet

Sort de l'amendement

Article unique
Ratios de soignants par patient hospitalisé

Mme ROSSIGNOL, rapporteure

1

Définition, portée et mise en oeuvre progressive des ratios de qualité

Adopté

RÈGLES RELATIVES À L'APPLICATION DE L'ARTICLE 45
DE LA CONSTITUTION ET DE L'ARTICLE 44 BIS, ALINÉA 3,
DU RÈGLEMENT DU SÉNAT (« CAVALIERS »)

Si le premier alinéa de l'article 45 de la Constitution, depuis la révision du 23 juillet 2008, dispose que « tout amendement est recevable en première lecture dès lors qu'il présente un lien, même indirect, avec le texte déposé ou transmis », le Conseil constitutionnel estime que cette mention a eu pour effet de consolider, dans la Constitution, sa jurisprudence antérieure, reposant en particulier sur « la nécessité pour un amendement de ne pas être dépourvu de tout lien avec l'objet du texte déposé sur le bureau de la première assemblée saisie » 19 ( * ) .

De jurisprudence constante et en dépit de la mention du texte « transmis » dans la Constitution, le Conseil constitutionnel apprécie ainsi l'existence du lien par rapport au contenu précis des dispositions du texte initial, déposé sur le bureau de la première assemblée saisie 20 ( * ) .

Pour les lois ordinaires, le seul critère d'analyse est le lien matériel entre le texte initial et l'amendement, la modification de l'intitulé au cours de la navette restant sans effet sur la présence de « cavaliers » dans le texte 21 ( * ) . Pour les lois organiques, le Conseil constitutionnel ajoute un second critère : il considère comme un « cavalier » toute disposition organique prise sur un fondement constitutionnel différent de celui sur lequel a été pris le texte initial 22 ( * ) .

En application des articles 17 bis et 44 bis du Règlement du Sénat, il revient à la commission saisie au fond de se prononcer sur les irrecevabilités résultant de l'article 45 de la Constitution, étant précisé que le Conseil constitutionnel les soulève d'office lorsqu'il est saisi d'un texte de loi avant sa promulgation.

En application du vademecum sur l'application des irrecevabilités au titre de l'article 45 de la Constitution, adopté par la Conférence des Présidents, la commission des affaires sociales a arrêté, lors de sa réunion du mercredi 25 janvier 2023, le périmètre indicatif de la proposition de loi n° 105 (2022-2023) relative à l'instauration d'un nombre minimum de soignants par patient hospitalisé.

Elle a considéré que ce périmètre incluait des dispositions relatives :

- aux missions de la Haute Autorité de santé concernant les établissements de santé ;

- aux conditions de fonctionnement des établissements de santé pour ce qui relève des effectifs soignants.

En revanche, elle a considéré que ne relèveraient pas de ce périmètre des dispositions relatives :

- à la gouvernance et au financement des établissements de santé ;

- aux régimes d'autorisation ou d'installation propres aux établissements de santé ou à certains équipements.

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES ET
CONTRIBUTIONS ÉCRITES

___________

• Bureau des Internes Picards

Jérôme Delecrin , président du Bureau des Intrenes Picards et trésorier de l'InterSyndicale Nationale des Internes (ISNI)

Julien Hudelo , ancien président du Bureau, vice-président en charge de la représentation au local et sur le territoire

• Direction générale de l'offre de soins (DGOS)

Marie Daudé , directrice générale

Anne Hegoburu , sous-directrice

Philippe Charpentier , sous-directeur

• Président de la conférence de la commission médicale d'établissement (CME) de centre hospitalier universitaire (CHU)

Pr Rémi Salomon , président

• Fédération Hospitalière de France (FHF)

Marc Bourquin , conseiller en stratégie

Sophie Marchandet , responsable du pôle RHH

• Fédération des Établissements Hospitaliers et d'Aide à la Personne privés solidaires (FEHAP)

Charles Guépratte , directeur général

Arnaud Joan Grangé , directeur de l'offre de soins

• Collectif inter hôpitaux

Dr Etienne Lengline , hématologue, représentant pour le collectif des hôpitaux universitaires

Dr Véronique Hentgen , pédiatre, représentante pour le collectif des hôpitaux généraux

Anne Solet , infirmière diplômée d'état représentante pour le collectif du personnel paramédical

Stéphanie Fugain , association Laurette Fugain, représentante pour le collectif des usagers

• Collectif santé en danger

Dr Arnaud Chiche, médecin anesthésiste réanimateur

Christel Baldet , infirmière anesthésiste

Audrey Baskovec , infirmière

• Ordre national des Sages-Femmes

Isabelle Derrendinger, présidente

David Meyer , chef de cabinet

• Organisation nationale syndicale des sages-femmes

Caroline Combot secrétaire générale

Guénola Restier, secrétaire générale adjointe

• Président de CME-CH

Dr Thierry Godeau, président

Dr David Piney , vice-président

• Syndicat nationale des professionnels infirmiers (SNPI)

Anne Larinier, trésorière

Thierry Amouroux, porte-parole

• Coordination nationale infirmière (CNI)

Laville Céline , présidente

• Conférence des présidents de directeurs de CHU

Marie -Noëlle Gerain Breuzard , présidente

Alexandre Fournier , secrétaire général

• Conférence des présidents des directeurs de centres hospitaliers

Francis Saint - Hubert , président

• Agence Nationale d'Appui à la Performance des établissements de santé et médico-sociaux (ANAP)

Stéphane Pardoux, président

Emeline Flinois, directrice du pôle ressources humaines

Monique Abad, experte au pôle ressources humaines

• Association française des directeurs de soins (AFDS)

Laignel Laurence, présidente

Sylvain Boussemaere , premier vice-président

Barbara Robert, deuxième vice-présidente

• Association nationale des cadres de santé (ANCIM)

Dominique Combarnous, présidente

Frédéric Soler, vice-président

• Audition de l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris

Laetitia Buffet , directrice générale adjointe

Loïc Morvan , conseiller à la DRH

• Force Ouvrière (FO)

Gilles Gadier, secrétaire fédéral à la fédération des services publics et de santé

Grégory Leduc, secrétaire fédéral branche santé

• Confédération française démocratique du travail (CFDT)

Evelyne Rescanière, secrétaire générale de la fédération CFDT-Santé Sociaux

Eric Pommageot , secrétaire confédéral en charge des politiques de santé

Rozenn Guéguen , secrétaire nationale CFDT-santé-sociaux

• Paul Chalvin , directeur d'hôpital

• Intersyndicale Action Praticiens Hôpital (APH)

Dr Jean-François Cibien , président

Dr Carole Poupon , vice-présidente

Dr Marie-José Cortes , membre

Dr Anne-David Bréard , membre

Eric Branger , secrétaire général

• Haute Autorité de Santé (HAS)

Pr Dominique Le Guludec, présidente

Pierre Gabach, chef du service bonnes pratiques

Marie-Claude Hittinger, conseiller médical

CONTRIBUTIONS ÉCRITES

Collège National de la Kinésithérapie Salariée (CNKS)

Syndicat Français de Médecine Physique et de Réadaptation (SYFMER)

Dr Stanislas Johanet, ex praticien hospitalier, ex chef de projet à l'ANAP (Agence Nationale d'appui à la performance des établissements de santé et médico sociaux)

Dr Etienne Lengline, praticien hospitalier hématologue (Hôpital St Louis -AP-HP)

LA LOI EN CONSTRUCTION

___________

Pour naviguer dans les rédactions successives du texte, visualiser les apports de chaque assemblée, comprendre les impacts sur le droit en vigueur, le tableau synoptique de la loi en construction est disponible sur le site du Sénat à l'adresse suivante :

http://www.senat.fr/dossier-legislatif/ppl22-105.html


* 1 Décret n° 2022-694 du 26 avril 2022 relatif aux conditions techniques de fonctionnement de l'activité de soins critiques.

* 2 La réforme des autorisations d'activités de soins entre en vigueur le 1 er juin 2023.

* 3 La réforme des autorisations d'activités de soins entre en vigueur le 1 er juin 2023.

* 4 Réponse au questionnaire de la rappporteure.

* 5 Il a été choisi de retenir l'usage du féminin pour les professions d'infirmier et d'aide-soignant, au regard de la proportion de femmes dans ces deux catégories de soignants.

* 6 Exposé des motifs de la PPL.

* 7 Assembly Bill No. 394. CHAPTER 945. An act to add Section 2725.3 to the Business and Professions Code, and to add Section 1276.4 to the Health and Safety Code, relating to health care.

[ Filed with Secretary of State October 10, 1999. Approved by Governor October 10, 1999. ]

* 8 Aiken LH, Sloane DM, Cimiotti JP, Clarke SP, Flynn L, Seago JA, Spetz J, Smith HL. Implications of the California nurse staffing mandate for other states. Health Serv Res. 2010 Aug;45(4):904-21.

* 9 Matthew D McHugh, Linda H Aiken, Douglas M Sloane, Carol Windsor, Clint Douglas, Patsy Yates - Effects of nurse-to-patient ratio legislation on nurse staffing and patient mortality, readmissions, and length of stay: a prospective study in a panel of hospitals. The Lancet - Volume 397, Issue 10288, P1905-1913.

* 10 Voir notamment Aiken LH, Sloane DM, Bruyneel L, et al. Nurse staffing and
education and hospital mortality in nine European countries:
a retrospective observational study. Lancet 2014; 383: 1824-30 ou Aiken LH, Clarke SP, Sloane DM, Sochalski J, Silber JH. Hospital nurse staffing and patient mortality, nurse burnout, and job dissatisfaction. JAMA. 2002 Oct 23-30;288(16) :1987-93.

* 11 Effets des législations imposant des ratios minimaux obligatoires de personnel infirmier - Une synthèse des preuves scientifiques. Carl-Ardy Dubois, Roxane Borgès Da Silva, Mélanie Lavoie-Tremblay, Sean Clarke - CIRANO, Juin 2020.

* 12 Chambre régionale des comptes d'Île-de-France, rapport d'observations définitives et sa réponse, Assistance publique-hôpitaux de paris (75), Enquête sur le « personnel infirmier » - Exercices 2011 et suivants.

* 13 Fagerström L, Lønning K, Andersen MH. The RAFAELA system: a workforce planning tool for nurse staffing and human resource management. Nurs Manag (Harrow). 2014 May;21(2):30-6.

* 14 Hôpital : sortir des urgences - Rapport de Mme Catherine DEROCHE, fait au nom de la commission d'enquête sur l'hôpital et le système de santé en France, n° 587 tome I (2021-2022) - 29 mars 2022.

* 15 L'hôpital au service du droit à la santé. Sylvie Castaigne, Alain Dru et Christine Tellier, au nom de la section des affaires sociales et de la santé. CESE- Avis - 13 octobre 2020.

* 16 Lettre ouverte du Collège de la HAS à tous ceux qui oeuvrent pour la qualité des soins et des accompagnements. Mise en ligne le 31 mars 2022.

* 17 Les déterminants de la qualité et de la sécurité des soins en établissement de santé. Validé par le Collège le 17 novembre 2022

* 18 Comité consultatif national d'éthique - Avis 140 « Repenser le système de soins sur un fondement éthique. Leçons de la crise sanitaire et hospitalière, diagnostic et perspectives ».

* 19 Cf. commentaire de la décision n° 2010-617 DC du 9 novembre 2010 - Loi portant réforme des retraites.

* 20 Cf. par exemple les décisions n° 2015-719 DC du 13 août 2015 - Loi portant adaptation de la procédure pénale au droit de l'Union européenne et n° 2016-738 DC du 10 novembre 2016 - Loi visant à renforcer la liberté, l'indépendance et le pluralisme des médias.

* 21 Décision n° 2007-546 DC du 25 janvier 2007 - Loi ratifiant l'ordonnance n° 2005-1040 du 26 août 2005 relative à l'organisation de certaines professions de santé et à la répression de l'usurpation de titres et de l'exercice illégal de ces professions et modifiant le code de la santé publique.

* 22 Décision n° 2020-802 DC du 30 juillet 2020 - Loi organique portant report de l'élection de six sénateurs représentant les Français établis hors de France et des élections partielles pour les députés et les sénateurs représentant les Français établis hors de France.

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